La lettre juridique n°351 du 21 mai 2009 : Contrat de travail

[Jurisprudence] Responsabilité pécuniaire du salarié : la Cour de cassation ne lâche rien

Réf. : Cass. soc., 6 mai 2009, Société Agecom c/ M. Damien Perroy, n° 07 44.485, F-P+B (N° Lexbase : A7494EGN) ; Cass. soc., 5 mai 2009, 2 arrêts, n° 07-40.187 (N° Lexbase : A7451EG3) et n° 07-45.331, F-D (N° Lexbase : A7515EGG)

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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010


Il est des règles acquises depuis des années et que la Cour de cassation est contrainte de rappeler, encore et encore, témoignant, ainsi, d'une mauvaise réception par la pratique et certaines juridictions du fond. Tel est le cas du principe selon lequel la responsabilité pécuniaire du salarié ne peut être engagée par son employeur que pour faute lourde et dont la Haute juridiction vient rappeler à la fois l'étendue (I) et le caractère exceptionnel des limites (II) dans plusieurs décisions rendues par sa Chambre sociale le 5 mai 2009.

Résumés

Pourvoi n° 07-40.187 : le seul fait que le salarié ait travaillé pour le compte d'un tiers ne suffit pas à engager sa responsabilité pécuniaire, à défaut de n'avoir relevé aucun fait caractérisant l'intention de nuire à l'employeur ou à l'entreprise.

Pourvoi n° 07-45.331 : ne commet pas de faute lourde le salarié qui s'était borné à préparer, sans recourir à aucun procédé déloyal, la création d'une entreprise concurrente de celle de son employeur dont l'exploitation ne devait commencer qu'après la rupture de son contrat de travail.

Pourvoi n° 07-44.485 : la clause du contrat de travail relative à la responsabilité pécuniaire du salarié ne peut s'appliquer qu'en cas de faute lourde de ce dernier.

Commentaire

I - L'étendue de l'immunité civile du salarié

  • Affirmation du principe

La Cour de cassation a considéré, depuis 1958, que la responsabilité civile contractuelle du salarié ne pouvait être engagée par son employeur qu'en cas de faute lourde (1), laquelle doit témoigner de son intention de nuire à l'employeur ou à l'entreprise (2).

  • Hostilité récurrente

Cette immunité n'est pas toujours bien perçue et de nombreuses juridictions du fond ont été tentées, dans le passé, d'en limiter la portée. La Cour de cassation "veille au grain" et considère que ce "principe", désormais détaché de la référence formelle au Code civil et à la notion même de responsabilité civile au profit d'une référence à la notion de "responsabilité pécuniaire", est d'ordre public et s'applique même lorsque l'employeur prétend faire application d'une clause du contrat de travail (3), du règlement intérieur (4), d'une reconnaissance de dette établie par le salarié (5), ou qu'il se situe dans le cadre de la compensation (6).

  • Résistance du principe

Ces dernières années, la Cour de cassation avait donné quelques signes d'infléchissement, notamment en suggérant que cette immunité ne s'appliquerait qu'aux obligations principales qui pèsent sur le salarié et que l'obligation de restituer à son employeur des sommes perçues pour son compte échapperait à cette exigence et dispenserait de prouver que le défaut de restitution des sommes litigieuses résulterait d'une faute lourde du salarié (7).

Cette tendance avait, toutefois, semblé s'inverser dans les dernières décisions, la Haute juridiction revenant à des solutions plus traditionnelles et semblant renoncer à introduire de subtiles différences selon la nature des obligations en cause (8).

C'est dans ce contexte qu'interviennent ces trois nouvelles décisions rendues par la Chambre sociale de la Cour de cassation, dont l'une d'entre-elle porte directement sur les aménagements contractuels de cette immunité (pourvoi n° 07-44.485).

  • L'affaire

Dans cette affaire, un salarié avait été engagé en qualité d'attaché commercial. Son contrat comportait une clause prévoyant qu'en cas d'accident responsable ou sans tiers identifié survenu avec le véhicule fourni par la société et assuré pour tout type de déplacement, y compris les week-ends et jours fériés, ce dernier "payera une franchise" de 250 euros. Faisant application de cette clause, son employeur lui avait déduit la somme de 750 euros de son solde de tout compte, ce qu'avait contesté le salarié en saisissant le conseil de prud'hommes en référé ; ce dernier lui avait donné raison, notamment après avoir relevé que l'employeur ne justifiait pas avoir exposé ces dépenses. L'employeur tentait d'obtenir la cassation de ce jugement en se fondant essentiellement sur le fait que le salarié avait bien causé les trois accidents au titre desquels les retenues avaient été opérées et pour des montants très inférieurs, d'ailleurs, au coût des réparations.

Le pourvoi est rejeté, la Haute juridiction procédant par substitution de motif, après avoir relevé "que la responsabilité pécuniaire d'un salarié à l'égard de son employeur ne peut résulter que de sa faute lourde" et constaté que "l'employeur n'a nullement invoqué la faute lourde du salarié pour mettre en oeuvre la clause litigieuse du contrat de travail".

  • Une solution classique et parfaitement justifiée

La neutralisation de ce type particulier de clause par l'exigence d'une faute lourde n'est pas nouvelle et l'arrêt s'inscrit dans une lignée déjà ancienne (9).

La solution se justifie, bien entendu, pleinement. Cette immunité, comme beaucoup d'autres garanties reconnues au salarié, n'a de sens que si elle présente un caractère d'ordre public et ne peut pas être écartée par des conventions particulières. Le contrat de travail peut donc parfaitement aménager la responsabilité civile du salarié, à condition, toutefois, que celle-ci soit encourue, c'est-à-dire qu'il ait bien commis une faute lourde. Or, il n'était pas question de faute lourde ici, ce que la Cour de cassation avait déjà affirmé dans des affaires similaires (10).

II - La faute lourde du salarié

  • Caractère exceptionnel

Depuis 1990, la Chambre sociale de la Cour de cassation subordonne la preuve d'une faute lourde à l'intention de nuire du salarié à son employeur ou à son entreprise (11), ce que les deux arrêts diffusés le 5 mai 2009 (pourvois n° 07-40.187 et n° 07-45.331) confirment explicitement.

  • Première confirmation

Dans la première affaire (pourvoi n° 07-40.187), une salariée avait démissionné, puis saisi le conseil de prud'hommes d'une demande en requalification en licenciement sans cause réelle et sérieuse et réclamait des dommages et intérêts. Statuant sur des demandes reconventionnelles présentées par l'employeur, la cour d'appel d'Aix-en-Provence avait condamné la salariée à 1 000 euros de dommages et intérêts pour concurrence déloyale, après avoir relevé "qu'il résulte du constat d'huissier, établi concomitamment, que Mme R. a bien travaillé pendant cette période pour un tiers".

Sur ce point, l'arrêt est cassé, au visa de l'article L. 120-4 du Code du travail (N° Lexbase : L0571AZ8), devenu L. 1222-1 (N° Lexbase : L0806H9Q), la Haute juridiction constatant que la cour d'appel "n'avait relevé aucun fait caractérisant l'intention de nuire à l'employeur ou à l'entreprise". En d'autres termes, le fait que la salariée ait bien travaillé pendant l'exécution de son contrat de travail pour le compte d'un tiers ne caractérise pas l'intention de nuire à l'employeur ou à l'entreprise, ce qui est parfaitement exact.

  • Une solution pleinement justifiée

Faut-il le rappeler, sauf à ce qu'une clause d'exclusivité soit valablement stipulée, le salarié demeure libre d'avoir plusieurs employeurs en même temps et ne peut être condamné que si des faits de concurrence déloyale sont établis à son égard. Ces faits peuvent caractériser une déloyauté et, ainsi, justifier un licenciement pour faute, généralement grave. Ils peuvent, également, fonder une action en réparation du préjudice subi, mais doivent alors témoigner de leur intention de nuire à leur employeur ou à leur entreprise.

Parfaitement justifiée au regard des exigences propres au droit du travail par la Cour de cassation depuis 1990, cette solution est, également, logique au regard même de la notion de concurrence déloyale, puisque celle-ci peut être caractérisée sans que l'intention de nuire ne soit requise (12). Il est donc parfaitement légitime que les juges du fond soient contraints de la rechercher et de la caractériser, au-delà du simple constat, par un huissier de justice, de faits bruts.

  • Seconde confirmation

Dans la seconde affaire (pourvoi n° 07-45.331), un salarié avait été engagé en qualité de VRP, puis était passé au service d'une autre entreprise au sein de laquelle il exerçait les fonctions d'animateur des ventes, avant d'être licencié pour faute lourde.

La cour d'appel d'Orléans lui avait donné tort, ce que l'employeur contestait dans le cadre de son pourvoi. La solution est, ici, confirmée par le rejet du pourvoi, la Chambre sociale de la Cour de cassation considérant "que la cour d'appel, qui a constaté que le salarié s'était borné à préparer, sans recourir à aucun procédé déloyal, la création d'une entreprise concurrente de celle de son employeur dont l'exploitation ne devait commencer qu'après la rupture de son contrat de travail, a décidé à bon droit que ce comportement n'était pas fautif".

Cette solution est, également, classique, la Cour de cassation ayant considéré que le salarié pouvait parfaitement préparer sa future activité professionnelle et qu'il ne commettait pas de faute, dès lors que cette activité n'était pas initiée alors que le contrat le liant à son employeur n'avait pas cessé (13). Dans cette affaire, d'ailleurs, la qualification de faute lourde devait doublement être écartée dans la mesure où le salarié n'avait aucune intention de nuire à son employeur, puisqu'il avait programmé le démarrage de sa nouvelle activité d'une telle manière qu'il ne pourrait précisément accusé de vouloir lui nuire.


(1) Cass. soc., 27 novembre 1958, D., 1959, p. 20, note R. Lindon.
(2) Cass. soc., 5 avril 1990, n° 88-40.245, M. Jacknovitz c/ M. Montenay et autres, publié (N° Lexbase : A4122AH7). Solution confirmée depuis : Cass. soc., 19 mars 2003, n° 01-40.084, M. Alexandre Rossi c/ Société Trianon Palace Hôtel de Versailles, F-D (N° Lexbase : A5331A7L) ; Cass. soc., 22 février 2006, n° 04-42.229, M. Stéphane Marrot c/ M. Maurice Drai, F-D (N° Lexbase : A5064DNU).
(3) Cass. soc., 10 novembre 1992, n° 89-40.523, Société Océan automobiles c/ Mlle Pichot, publié (N° Lexbase : A9400AAE) ; Cass. soc., 9 juin 1993, n° 89-41.476, Régie des Transports de Marseille c/ M. Masegosa (N° Lexbase : A1664AAU) ; Cass. soc., 11 janvier 2006, n° 03-43.587, Mme Laurence Bihr c/ Société Synergie, F-P (N° Lexbase : A3374DMW) (paiement des contraventions par le salarié).
(4) Cass. soc., 9 juin 1993, n° 89-41.476, préc..
(5) Cass. soc., 23 septembre 1992, n° 89-43.035, Mme Lagrèze c/ Société générale (N° Lexbase : A9442AAX) ; Cass. soc., 12 avril 1995, n° 92-12.373, M. Maze c/ Société Gaumont (N° Lexbase : A0960AB8), RJS, 1995, n° 487.
(6) Cass. soc., 20 avril 2005, n° 03-40.069, M. Jean-Paul Dobel c/ Société Honeywell Garrett, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A9302DHY) et nos obs., Pas de compensation sans dette compensable, Lexbase Hebdo n° 165 du 28 avril 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N3600AI8), D., 2006, p. 1346, note J. Mouly ; JCP éd. E, 2006, p. 1261, note G. Vachet ; Cass. soc., 21 octobre 2008, n° 07-40.809, M. Pascal Nely, FS-P+B (N° Lexbase : A9473EA4) et les obs. de S. Tournaux, La responsabilité pécuniaire du salarié, Lexbase Hebdo n° 326 du 13 novembre 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N6974BHR).
(7) Cass. soc., 19 novembre 2002, n° 00-46.108, M. Jean Bielawski c/ Compagnie d'Assurances AXA Conseil, FS-P+B+R (N° Lexbase : A0492A4Y) et nos obs., L'obligation de restituer les sommes perçues pour le compte de l'employeur - le recul de l'immunité civile du salarié, Lexbase Hebdo n° 50 du 5 décembre 2002 - édition sociale (N° Lexbase : N5053AAE).
(8) Cass. soc., 21 octobre 2008, n° 07-40.809, préc..
(9) Cass. soc., 11 avril 1996, n° 92-42.847, M. Josselin c/ Société Century Group et autre (N° Lexbase : A2316ABE), Bull. civ. V, n° 152 (franchise de 2 000 francs, soit, environ, 304 euros).
(10) Cass. soc., 20 mai 2008, n° 05-42.009, M. Patrick Maucouvert, F-D (N° Lexbase : A7002D8T).
(11) Cass. soc., 5 avril 1990, n° 88-40.245, préc..
(12) Cass. com., 26 avril 1994, n° 92-16.895, Société Grands spectacles productions c/ Consorts Sarfati et autre (N° Lexbase : A7134ABT), Bull. civ. IV, n° 151 ; Cass. com., 19 septembre 2006, n° 03-20.511, M. Bernard de Rosny, F-D (N° Lexbase : A2938DRA).
(13) Cass. com., 4 juin 1973, n° 72-11.737, Tabaschnick (N° Lexbase : A9756AZD), Bull. civ. IV, n° 192 (société mise en activité pendant l'exécution du contrat) ; Cass. soc., 28 avril 1986, D., 1987, somm., p. 265, obs. Y. Serra ; Cass. soc., 3 mars 1993, Cah. soc. barreau, 1993, p. 97, B. 54 ; CA Versailles, 4 mars 1993, D., 1994, somm., p. 221, obs. Y. Serra (salarié condamné à verser 35 000 francs de dommages et intérêts à son ancien employeur, soit environ 5 335 euros).


Décisions

1° Cass. soc., 5 mai 2009, n° 07-40.187, Société Chagnon c/ Mme Elisabeth Reynaud, F-D (N° Lexbase : A7451EG3)

Cassation partielle CA Aix-en-Provence, 18ème ch., 14 novembre 2006

Texte visé : C. trav., art. L. 120-4 (N° Lexbase : L0571AZ8), devenu L. 1222-1 (N° Lexbase : L0806H9Q)

Mots clefs : responsabilité pécuniaire du salarié ; faute lourde ; caractères

Lien base :

2° Cass. soc., 5 mai 2009, n° 07-45.331, Société Etésia c/ M. Gérard Danibert, F-D (N° Lexbase : A7515EGG)

Rejet CA Orléans, ch. soc., 25 octobre 2007, n° 06/02873, Monsieur Gérard Danibert c/ SAS Etésia (N° Lexbase : A2460D4U)

Textes concernés : C. trav., art. L. 120-4 (N° Lexbase : L0571AZ8), devenu L. 1222-1 (N° Lexbase : L0806H9Q)

Mots clef : licenciement ; faute lourde ; concurrence

Lien base :

3° Cass. soc., 6 mai 2009, n° 07-44.485, Société Agecom c/ M. Damien Perroy, F-P+B (N° Lexbase : A7494EGN)

Rejet CPH Lyon, 3 septembre 2007

Textes visés : C. trav., art. L. 120-4 (N° Lexbase : L0571AZ8), devenu L. 1222-1 (N° Lexbase : L0806H9Q)

Mots clef : responsabilité pécuniaire du salarié ; faute lourde ; ordre public

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