La lettre juridique n°351 du 21 mai 2009 :

[Jurisprudence] Cautionnement souscrit par une personne physique au profit d'un créancier professionnel : une mention manuscrite exigée ad validitatem

Réf. : Cass. com., 28 avril 2009, n° 08-11.616, M. Dominique Le Maner, FS-P+B (N° Lexbase : A6490EGH)

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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef

le 07 Octobre 2010

Aux termes de l'article L. 341-2 du Code de la consommation (N° Lexbase : L5668DLI), "toute personne physique qui s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité de son engagement, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante, et uniquement de celle-ci : 'En me portant caution de X..., dans la limite de la somme de ... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de ..., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X... n'y satisfait pas lui-même'". C'est au visa de ce texte que la Chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu, pour la première fois, un arrêt sur le fondement de cette disposition introduite par la loi sur l'initiative économique (loi n° 2003-721 du 1er août 2003 N° Lexbase : L3557BLC). En l'espèce, une banque a assigné en paiement la caution solidaire du compte courant ouvert par son fils dans les livres de l'établissement de crédit et son épouse commune en biens, l'engagement du garant ayant été souscrit par acte du 18 janvier 2005. Condamnée à payer un certain montant à la banque, la caution forme un pourvoi en cassation reprochant à la cour d'appel d'avoir rejeté sa demande en nullité de son engagement. C'est dans ce contexte que la Cour régulatrice énonce, à la manière d'un arrêt de principe, "qu'est nul l'engagement de caution, pris par acte sous seing privé par une personne physique envers un créancier professionnel, qui ne comporte pas la mention manuscrite exigée par [l'article L. 341-2 du Code de la consommation]". Aussi en déduit-elle que la cour d'appel a violé ledit texte en retenant que l'épouse s'était valablement engagée en qualité de caution après avoir, d'une part, constaté qu'elle avait porté de sa main sur l'acte du 18 janvier 2005 la mention "Bon pour accord exprès au cautionnement donné à hauteur de la somme de 60 000 euros couvrant le principal, tous les intérêts, frais, commissions et accessoires y compris toute indemnité de résiliation anticipée comme indiqué ci-dessous" suivie de sa signature, et, d'autre part, relevé, dans ses conclusions du 22 septembre 2006, qu'elle avait reconnu implicitement son engagement en qualité de caution et que cet aveu, extérieur à l'acte, constituait l'élément extrinsèque venant parfaire le commencement de preuve par écrit résultant de l'acte.

Ce faisant, la Cour de cassation, qui fait une stricte application du texte applicable en l'espèce, rappelle une règle intangible (I) et nie, fort logiquement, toute valeur à l'aveu judiciaire du cautionnement souscrit par une personne physique envers un créancier professionnel (II).

I - La mention manuscrite de l'article L. 341-2 du Code de la consommation : condition ad validitatem du cautionnement

Le texte de l'article L. 341-2 du Code de la consommation ne soulève pas de difficulté sur la valeur de la règle qu'il énonce puisqu'il prévoit expressément que la mention manuscrite de la caution, personne physique, qui s'engage envers un créancier professionnel, est exigée à peine de nullité de l'acte. Il s'agit donc là d'une condition de validité et non d'une simple condition de preuve, comme l'ont retenu les juges d'appel dont la décision est cassée par l'arrêt du 28 avril 2009, opérant par là même une distinction entre les engagements souscrits par les cautions, personnes physiques, à l'égard des créanciers professionnels et le cautionnement de droit commun. En effet, si la sanction du non-respect de la règle issue de la loi sur l'initiative économique, et donc la valeur de la condition énoncée n'appellent aucune discussion, tel n'est pas le cas de la règle contenue dans l'article 1326 du Code civil (N° Lexbase : L1437ABT), siège de l'existence d'une mention manuscrite pour le cautionnement de droit commun et objet d'une jurisprudence abondante et d'une littérature non moins foisonnante. Les juges et la doctrine se sont longtemps demandés si l'exigence de la mention manuscrite que ce texte contient était une condition de validité du cautionnement ou s'il s'agissait d'une simple règle de preuve.

On ne reviendra pas sur les vifs débats qui entourèrent cette question, mais on rappellera seulement que la jurisprudence a longtemps hésité. Ainsi, alors que les juges de la première chambre civile de la Cour de cassation considéraient que les exigences relatives à la mention manuscrite ne constituaient pas de simples règles de preuve mais avaient pour finalité la protection de la caution (cf., par ex., Cass. civ. 1, 22 novembre 1988, n° 86-19.266, Epoux Cosquer c/ Société anonyme La pellicule cellulosique N° Lexbase : A2210AHC), la Chambre commerciale estimait, au contraire, qu'il s'agissait de simples règles de preuve (Cass. com., 29 janvier 1991, n° 89-14.162, M Desmazières c/ Société d'exploitation forestière d'Egleny N° Lexbase : A4487AHN). Finalement, la première chambre civile a suivi cette dernière et retient, désormais, à l'instar de la formation commerciale, qu'en l'absence de mention manuscrite, l'acte sous seing privé est irrégulier et peut constituer un commencement de preuve par écrit de l'engagement de la caution qui peut être complété par des éléments extrinsèques (cf., par ex., Cass. civ. 1, 13 novembre 1996, n° 94-16.091, Mme Six c/ Société Franfinance bail N° Lexbase : A8554ABG). La solution est, aujourd'hui largement, acquise : la mention manuscrite exigée par l'article 1326 du Code civil n'est plus qu'une règle de preuve.

Mais, le rôle de preuve de la mention manuscrite s'étiole, comme en témoigne notamment l'arrêt du 28 avril 2009, le droit commun ayant curieusement tendance à devenir résiduel pour laisser la place à un cautionnement solennel.
Relevons, tout d'abord, que la première limite est directement issue de l'article 1326 lui-même, lequel ne vise que les engagements sous seing privé : les cautionnements par actes authentiques sont donc exclus expressément du champ d'application de ce texte.
Au-delà, le premier "coup de canif législatif" dans le rayonnement de l'article 1326 du Code civil en droit du cautionnement a été donné par la loi du 31 décembre 1989 (loi n° 89-1010, relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles N° Lexbase : L2053A4S), abrogée, mais dont les dispositions ont été reprises par les articles L. 313-7 (N° Lexbase : L1523HIA) et suivants du Code de la consommation. La mention manuscrite exigée est identique à celle prévue par l'article L. 341-2, mais ne s'applique qu'aux cautionnements souscrits, par des personnes physiques, par acte sous seing privé en garantie des crédits à la consommation et des crédits immobiliers.
C'est, ensuite, la loi du 24 juillet 1994, qui, modifiant la loi du 26 juillet 1989 (loi n° 89-462, tendant à améliorer les rapports locatifs N° Lexbase : L8461AGH), a soumis le cautionnement des sommes dont le locataire serait débiteur dans le cadre d'un contrat de bail d'habitation à la même exigence d'un écrit ad validitatem (loi n° 89-462, art. 22-1).
Enfin, on l'a vu, la loi sur l'initiative économique du 1er août 2003 a fini de réduire considérablement le champ d'application de l'article 1326 du Code civil, en imposant la mention manuscrite, à peine de nullité, à l'engagement de caution, personnes physiques qui se portent garantes au profit d'un créancier professionnel.

Il convient, toutefois, de relativiser les incidences de ce texte. En effet, la loi prévoit que sont entrés en vigueur six mois après la promulgation du texte, soit le 5 février 2004, les articles L. 341-2 (mention manuscrite), L. 341-3 (mention manuscrite N° Lexbase : L6326HI7), L. 341-5 (bénéfice de discussion N° Lexbase : L8753A7C) et L. 341-6 (information N° Lexbase : L5673DLP) du Code de la consommation. Il est inutile de rappeler qu'en vertu de l'article 2 du Code civil (N° Lexbase : L2227AB4), la loi ne dispose que pour l'avenir. Elle n'a donc point d'effet rétroactif sauf précisions inverses expresses du législateur. Il faut, par conséquent, en déduire que seuls les cautionnements souscrit après le 5 février 2004 sont soumis ad validitatem à l'exigence d'une mention manuscrite, les engagements antérieurs étant toujours soumis à l'article 1326 et à la jurisprudence y relative. D'ailleurs, la solution contraire serait surprenante, puisqu'elle aurait pour effet d'annuler l'ensemble des cautionnements en cours. C'était pourtant ce que certaines cours d'appel avaient retenu (CA Caen, 1ère ch., 10 juin 2004, n° 01/03700, Madame Marie-France Quesnel épouse Marin c/ SA Banque nationale de Paris - Paribas N° Lexbase : A5440DDT, qui estime que les dispositions relatives à la proportionnalité du cautionnement issues de la loi "Dutreil" sont applicables ; lire D. Bakouche, A propos d'une difficulté relative à la mise en oeuvre de la loi du 1er août 2003 applicable au cautionnement, Lexbase Hebdo n° 137 du 7 octobre 2004 - édition affaires N° Lexbase : N2995ABK), solution que la Cour de cassation, dans sa grande sagesse, a formellement écartée (Cass mixte, 22 septembre 2006, n° 05-13.517, M. Guy Bonnal c/ Caisse régionale de crédit agricole mutuel (CRCAM) de l'Oise, P+B+R+I N° Lexbase : A3192DRN).

Dans les faits ayant donné lieu à l'arrêt du 28 avril 2009, le cautionnement avait été souscrit le 18 janvier 2005 et était donc soumis, sans difficulté, aux exigences imposées par la loi du 31 août 2003. Or, la mention portée par l'épouse commune en bien de la caution solidaire ne reproduit  pas celle prévue par l'article L. 341-2 du Code de la consommation. Elle en est même très éloignée puisqu'elle indique "Bon pour accord exprès au cautionnement donné à hauteur de la somme de 60 000 euros couvrant le principal, tous les intérêts, frais, commissions et accessoires y compris toute indemnité de résiliation anticipée comme indiqué ci-dessous". Le prononcé de la nullité ne faisait, par conséquent, ici aucun doute.
Cela signifie-t-il que la mention manuscrite doit reproduire à l'identique les termes de l'article L. 341-2 du Code de la consommation ?

Il faut, nous semble-t-il, apporter une réponse nuancée à cette question. En effet, certaines cours d'appel ont admis la validité de la mention, raturée ou surchargée, qui reproduit le texte de l'article L. 341-2 (cf., notamment, CA Rennes, 1ère ch., sect. B, 1er février 2008) et, surtout, la Cour de cassation, elle-même, fait preuve d'une certaine souplesse, puisque, au sujet de la mention manuscrite exigée par l'article L. 313-7 du Code de la consommation -qui rappelons-le est identique à celle prévue par l'article L. 341-2 du même code-, elle a retenu que l'omission de la conjonction de coordination "et" entre, d'une part, la formule définissant le montant et la teneur de l'engagement et, d'autre part, celle relative à la durée de celui-ci, n'affecte ni le sens, ni la portée de la mention manuscrite et que, par conséquent, un tel cautionnement n'encourt pas la nullité (Cass. civ. 1, 9 novembre 2004, n° 02-17.028, FS-P+B N° Lexbase : A8425DDE). La mauvaise foi de la caution était ici évidente, compte tenu des seuls éléments manquants dans la mention manuscrite, et la solution retenue était donc opportune. Toutefois, en distinguant les omissions graves qui peuvent affecter le sens et la portée de la mention et les omissions qui sont sans conséquence, la Cour de cassation ouvre une brèche relativement incertaine. En tout état de cause, la mention dans l'espèce commentée s'éloignait tant de celle exigée par l'article L. 341-2 qu'elle ne pouvait en aucun cas relever des "omissions sans conséquence".

Pour terminer sur ce point, on relèvera que les dispositions issues de la loi "Dutreil" ont pour objet de protéger les cautions personnes physiques, et que, par conséquent, la nullité encourue est une nullité relative qui ne peut être invoquée que par la caution.

II - Le rejet de l'aveu judiciaire

La cour d'appel saisie du litige avait retenu que, si la mention portée et signée par la main de l'épouse de la caution ne reprenait pas les termes de l'article L. 341-2 du Code de la consommation, celle-ci avait, néanmoins, reconnu implicitement dans ses conclusions son engagement en qualité de caution et que cet aveu, extérieur à l'acte, constituait l'élément extrinsèque venant parfaire le commencement de preuve par écrit résultant de l'acte. Etant donné que la Haute juridiction refuse de voir dans l'acte un commencement de preuve par écrit, puisque celui-ci est exigé ad validitatem et non ad probatem, elle en déduit que l'aveu judiciaire n'a aucune conséquence sur l'invalidité de l'engagement de caution.

D'ailleurs, à l'époque où la mention manuscrite de l'article 1326 du Code civil était considérée comme une condition de validité du cautionnement par la première chambre civile de la Cour de cassation, cette dernière refusait que l'aveu judiciaire ou extra-judiciaire puisse manifester la preuve de l'engagement de la caution, comme en témoigne un arrêt du 26 mai 1993 (Cass. civ. 1, 26 mai 1993, n° 91-17.126, Epoux Wautier c/ Caisse foncière de crédit N° Lexbase : A3705AC9). Au contraire, à partir du moment où la mention manuscrite de l'article 1326 du Code civil a une simple valeur probatoire, la reconnaissance dans les conclusions déposées devant les premiers juges, qu'ils s'étaient portés tous deux cautions solidaires fait preuve du cautionnement litigieux, et dispense le juge de procéder à un examen de l'écrit contesté (Cass. civ. 1, 15 juin 2004, n° 02-10.700, F-P N° Lexbase : A7329DCG).

La mention manuscrite de l'article L. 341-2 du Code de la consommation n'étant pas une règle de preuve, les dispositions du droit de la preuve et, plus précisément, la règle de l'article 1356 du Code civil (N° Lexbase : L1464ABT), aux termes duquel "l'aveu judiciaire est la déclaration que fait en justice la partie ou son fondé de pouvoir spécial. Il fait pleine foi contre celui qui l'a fait", ne peut donc s'appliquer ici. 

Aussi, la solution retenue par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 28 avril 2009, respectueuse des règles du droit de la consommation et de son objectif de protection de la caution, personne physique et en parfaite harmonie avec la jurisprudence traditionnelle de la Cour régulatrice, doit être pleinement approuvée.

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