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N4419BKU
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par Anne-Laure Blouet Patin, rédactrice en chef du Pôle Presse
le 07 Octobre 2010
Lexbase : Pouvez-vous nous présenter en quelques mots le marché de l'énergie renouvelable et ses enjeux actuels ?
Jean-Pascal Pham-Ba : L'énergie solaire photovoltaïque provient de la conversion de la lumière du soleil en électricité au sein de matériaux semi-conducteurs, comme le silicium, ou recouverts d'une mince couche métallique. Ces matériaux photosensibles ont la propriété de libérer leurs électrons sous l'influence d'une énergie extérieure, ce phénomène étant qualifié d'effet photovoltaïque.
En France, la loi n° 2000-108 du 10 février 2000, relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité (N° Lexbase : L4327A3N), permet à EDF, ainsi qu'aux entreprises locales de distribution -les distributeurs non nationalisés- pour leur zone de desserte, de mettre en oeuvre les missions de service public relatives au développement équilibré de l'approvisionnement en électricité, à la fourniture d'électricité, ainsi qu'au développement et à l'exploitation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité. Pour ce faire, EDF et les DNN, dès lors que les installations de production sont raccordées aux réseaux publics de distribution qu'ils exploitent, sont, notamment, chargés d'acheter l'électricité produite par certaines installations utilisant les énergies renouvelables ou celle produite par cogénération, sachant que seules sont éligibles à l'achat par EDF de l'électricité photovoltaïque produite, "les installations, d'une puissance installée inférieure ou égale à 12 mégawatts, utilisant l'énergie radiative du soleil" (décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000, fixant par catégorie d'installations les limites de puissance des installations pouvant bénéficier de l'obligation d'achat d'électricité, art. 2, 3° N° Lexbase : L1400IEL). Par ailleurs, le producteur d'énergie photovoltaïque bénéfice de mesures fiscales incitatives (crédit d'impôt, TVA réduite).
Concernant les tarifs pratiqués, l'article 4 de l'arrêté du 10 juillet 2006 (N° Lexbase : L3531HKY) plafonne l'énergie annuelle susceptible d'être achetée et prévoit que l'énergie active fournie par le producteur est facturée à l'acheteur à raison de 30 centimes d'euros HT/kWh pour la métropole. Est également prévu, dans l'arrêté, l'octroi d'une "prime à l'intégration au bâti", qui s'applique lorsque les équipements de production d'électricité photovoltaïque se substituent à l'un des éléments de construction assurant une fonction technique ou architecturale essentielle à l'acte de construction. Le montant de la prime, qui s'ajoute au tarif d'achat de base, s'élève à 25 centimes d'euros HT/kWh pour la métropole. Cette prime vise à encourager le développement de composants standards de la construction neuve intégrant la fonction de production photovoltaïque. L'arrêté prévoit enfin que le contrat d'achat est conclu pour une durée de 20 ans et n'est pas renouvelable. C'est dans ce contexte qu'a été créée la société Solairedirect en 2006. Nous nous retrouvons donc dans une situation où, sur un marché émergeant et à fort potentiel (si l'on s'en réfère au projet de loi "Grenelle 2", l'objectif est de 23 % d'énergie renouvelable d'ici 2020) où dès le début les règles doivent être posées clairement. C'est donc dans cet esprit de clarification du jeu de la concurrence, dans l'intérêt de la protection du consommateur, que nous avons saisi le Conseil de la concurrence, à l'époque, pour voir prononcées des mesures conservatoires à l'encontre de la société EDF et de ses filiales.
Lexbase : La société Solairedirect a reproché à EDF la confusion que cette dernière entretenait dans son rôle autour de sa filière photovoltaïque. Quels étaient concrètement ces reproches ?
Jean-Pascal Pham-Ba : Nous avons estimé que la société EDF avait abusé de ses avantages structurels et commerciaux, avantages qu'elle tient de par sa position dominante sur le marché. Ainsi, la confusion était entretenue sur les liens existants entre les différentes sociétés du groupe et le rôle de chacune. Par ailleurs, nous avons remarqué une publicité d'EDF indiquant que "le système solaire photovoltaïque [...] permet de produire et de vendre votre électricité à EDF à un prix jusqu'à 5 fois supérieur au tarif bleu du kWh", et ce type de publicité, sans être mensonger, induit le consommateur à contracter avec EDF, ne serait-ce qu'en raison de sa situation d'interlocuteur référent et historique. De plus, force est de constater que le positionnement d'EDF, qui est à la fois gestionnaire du réseau public de distribution et acheteur de l'électricité produite par des installations photovoltaïques, lui permet d'utiliser cette position et cet avantage marketing comme un argument de vente afin d'inciter ses clients à souscrire une offre auprès de ses services, sous-entendant que les démarches tant administratives que techniques lui seraient ainsi facilitées.
Lexbase : Il était également reproché à EDF d'avoir utilisé sa base de données clients pour promouvoir les offres de sa filiale en matière photovoltaïque à moindre coût. Peut-on dire qu'il y a eu confusion entre activité régulée et champ concurrentiel, et partant violation des dispositions communautaire (TUE, art. 82) et nationale (C. com., art. L. 420-2) ?
Jean-Pascal Pham-Ba : En effet, nous avons dénoncé une utilisation abusive de la part d'EDF de sa base de données clients pour procéder à l'envoi d'un courrier publicitaire, la "Lettre Bleu Ciel d'EDF", combiné avec la facture de consommation d'électricité, afin de promouvoir les offres de sa filiale EDF ENR en matière photovoltaïque à moindre coût. De plus, nous avons constaté que les télé-conseillers d'EDF ont accès à la totalité des informations du fichier clients d'EDF, y compris des informations aussi précises que, par exemple, la superficie habitable de la maison qui permet de pré-estimer la superficie de la toiture. Ces données sont bien entendu inconnues des autres opérateurs comme Solairedirect. Et le maintien de la situation actuelle permettrait à EDF ENR de bénéficier de la base de données de 28 millions de clients en tarifs réglementés d'EDF SA, ce qui constitue pour la filiale de l'opérateur historique, un avantage concurrentiel considérable par rapport à n'importe quel autre acteur du marché ne bénéficiant pas de cette base de prospects. Enfin, l'acquisition de fichiers clients est très onéreuse et peut se solder par un échec commercial, les opérateurs étant en mesure de constater ex post seulement que le profil de clientèle ciblé n'est pas pertinent. Nous avons donc fait état de ce que le coût de la mise à disposition d'une telle base de données a été chiffré, dans les études de deux opérateurs que nous avons mandatés, à une somme variant entre 100 et 500 euros hors taxes pour mille adresses, le potentiel d'adresses disponibles étant systématiquement inférieur à un million d'adresses, à comparer aux millions de clients d'EDF en tarifs réglementés. Dans sa décision, l'Autorité de la concurrence nous a donné raison, puisque elle a estimé que l'utilisation, dans le cadre du Conseil Energie Solaire, de la base de données non reproductible détenue par l'opérateur historique, est susceptible de donner un avantage indu à sa filiale EDF ENR, au détriment de ses concurrents sur le marché connexe en cause, partant constituer un abus de la position dominante occupée par EDF sur le marché de la fourniture d'électricité aux clients résidentiels soumis aux tarifs réglementés, ayant pour objet ou pour effet de faire obstacle à l'entrée de concurrents d'EDF ENR sur le marché connexe de l'offre de services aux particuliers souhaitant devenir producteurs d'électricité photovoltaïque, et ce en violation des articles 82 du Traité CE et L. 420-2 du Code de commerce (N° Lexbase : L3778HBK) (décision, point 140).
Lexbase : Concernant la procédure dans cette affaire, pourquoi l'Autorité a-t-elle renoncé à la poursuite de la procédure des engagements pour revenir à une procédure contentieuse ? Quels étaient les engagements proposés ?
Jean-Pascal Pham-Ba : Fin 2008, EDF a proposé différents engagements à savoir : ne plus faire référence ni au Conseil Energie Solaire, ni aux offres photovoltaïques d'EDF ENR, de quelque façon que ce soit, dans la Lettre Bleu Ciel d'EDF qui est adressée aux clients aux tarifs réglementés avec leur facture ; faire en sorte que les informations utiles à l'activité solaire photovoltaïque ne soient jamais obtenues par l'opérateur historique dans le cadre de son activité de fournisseur d'électricité aux tarifs réglementés et que ces informations ne puissent être collectées que par les téléconseillers du 3929 ; s'engager à ce que les téléopérateurs du 3929 transmettent directement à EDF ENR, avec l'accord des appelants, uniquement les noms, coordonnées et informations utiles au photovoltaïque transmises par ces derniers ; commercialiser progressivement ses offres photovoltaïques Bleu Ciel par le biais de canaux commerciaux qui lui seraient propres dans le courant de l'année 2010 et d'achever cette transition, au plus tard, le 30 juin 2010, etc.. Or, le 24 février 2009, l'Autorité a souligné l'insuffisance de ces engagements et préconisé l'adoption des mesures conservatoires déjà discutées lors de la première séance du 26 novembre 2008. Les témoins entendus sur le fondement des dispositions de l'article L. 463-7 du Code de commerce (N° Lexbase : L8118IBB) et la saisissante ont, également, insisté sur l'inadéquation des engagements proposés par rapport aux préoccupations de concurrence exprimées. A l'issue de cette deuxième séance, EDF a fait savoir qu'elle était disposée à soumettre au Conseil une nouvelle proposition d'engagements. Mais l'Autorité a souhaité ne pas poursuivre l'application de la procédure d'engagements, considérant que les problèmes de concurrence soulevés ne pouvaient être résolus avec les engagements proposés, la confusion entre EDF et sa filiale risquant de perdurer.
Lexbase : Au final quelle a été la position de l'Autorité de la concurrence et quelles seront les suites à donner à cette affaire ?
Jean-Pascal Pham-Ba : Dans sa décision l'Autorité a enjoint à EDF, à titre conservatoire de supprimer, dans tous les supports de communication portant la marque Bleu Ciel d'EDF, toute référence à l'activité d'EDF ENR dans la filière solaire photovoltaïque, de faire cesser, toute référence, par les agents répondant au 3929, aux services offerts par EDF-ENR, de mettre fin à toute communication à EDF-ENR d'informations recueillies par le 3929 et de ne plus mettre à la disposition d'EDF-ENR d'informations dont EDF dispose du fait de ses activités de fournisseur de services d'électricité aux tarifs réglementés. La procédure se poursuit désormais au fond, l'Autorité de la concurrence et Solairedirect demeurant très attentives au fait que les mesures conservatoires ordonnées seront parfaitement respectées par EDF.
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