La lettre juridique n°351 du 21 mai 2009 : Famille et personnes

[Jurisprudence] L'exposition de cadavres est possible sous réserve du consentement des défunts...

Réf. : TGI Paris du 21 avril 2009, n° 09/53100 (N° Lexbase : A5253EGN) et CA Paris du 30 avril 2009, pôle 1, 3ème ch., n° 09/09315 (N° Lexbase : A0208EH8), Association Solidarité Chine, Association "Ensemble contre la peine de mort" c/ SARL Encore Events

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux

le 07 Octobre 2010

Alors qu'elle a déjà été vue par plus 30 millions de personnes en France et à l'étranger, l'exposition "Our Body, à corps ouverts", qui présentait dans un but pédagogique des cadavres ouverts avec leurs organes, conservés selon un moyen particulier, a été interdite en référé par les juridictions parisiennes. Toutefois, si elle a confirmé l'interdiction de l'exposition prononcée par les juges de première instance le 21 avril 2009, la cour d'appel de Paris dans un arrêt du 30 avril 2009, s'est, en réalité, montrée beaucoup moins sévère. Elle a, en effet, refusé de considérer que l'exposition, en elle-même, portait atteinte à la dignité humaine (I), et a seulement exigé de connaître l'origine des corps exposés (II). I - La conformité possible de l'exposition à la dignité humaine

Tribunal de grande instance de Paris. Le tribunal de grande instance de Paris avait, dans un premier temps, interdit l'exposition en se fondant sur l'article 16-2 du Code civil (N° Lexbase : L3441ICG), qui autorise la prescription de toutes mesures propres à empêcher ou faire cesser une atteinte illicite au corps humain y compris après la mort. Les juges de première instance avaient considéré que "le trouble manifestement illicite était provoqué par l'exposition organisée par la société Encore Events qui détenait des cadavres d'origine chinoise" et que cette dernière "ne pouvait alléguer en France l'existence d'une convention lui confiant des corps et des morceaux de corps en vue de leur exposition", cette détention étant manifestement illicite au regard de la législation funéraire. Pour les juges parisiens, les cadavres et leurs dénombrements ont d'abord vocation à être inhumés ou incinérés ou placés dans des collections scientifiques de personnes morales de droit public, et ce conformément aux nouvelles dispositions issues de la loi du 19 décembre 2008 (1).

Dignité humaine. Le raisonnement des premiers juges revenait à considérer que, quel que soit le consentement sur lequel reposerait l'exposition des corps, celui-ci ne pourrait permettre l'atteinte à la dignité humaine qu'une telle mise en scène des corps dans un cadre mercantile implique forcement (2). La dignité visant à protéger l'espèce humaine en général, elle ne saurait disparaître devant des intérêts particuliers.

Utilisation de cadavres à des fins scientifiques ou pédagogiques. A l'inverse, la cour d'appel de Paris, même si elle se fonde, également, sur la récente législation funéraire, et, notamment, sur le nouvel article 16-1-1 du Code civil (N° Lexbase : L3420ICN), selon lequel, "le respect dû au corps humain ne cesse pas après la mort. Les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traitées avec dignité, respect et décence", ne paraît pas considérer a priori que l'exposition porte atteinte à la dignité humaine. Elle reconnaît, en effet, que "le législateur, qui prescrit la même protection aux corps humains vivants et aux dépouilles mortelles, a entendu réserver à celles-ci un caractère inviolable et digne d'un respect absolu, conformément à un principe fondamental de toute société humaine" mais considère, par ailleurs, que "cette protection et ce caractère n'excluent cependant pas l'utilisation de cadavres à des fins scientifiques ou pédagogiques". Outre une référence à l'exposition de momies dans certains musées, la cour d'appel de Paris mentionne l'élargissement du champ des connaissances du grand public et sa curiosité croissante, pour justifier implicitement l'intérêt de l'exposition "Our Body" ; celle-ci met, en effet, "en scène des cadavres d'êtres humains pratiquant différents sports de manière à montrer le fonctionnement interne du corps selon l'effort physique exercé" ; et la cour d'appel de préciser, sans semble-t-il s'en offusquer, "qu'à cette fin, ces corps sont partiellement disséqués"...

Argument superfétatoire. Les juges du second degré considèrent "qu'il n'est pas nécessaire d'examiner les conditions dans lesquelles les corps sont exposés au public", dès lors que l'origine de ceux-ci est douteuse. Cette exclusion de l'argument fondé sur la dignité humaine mis en avant par les juges du premier degré peut avoir plusieurs significations. Elle peut, tout d'abord, simplement vouloir dire que l'argument est superfétatoire puisque la question de l'origine des corps suffit à interdire l'exposition. Mais elle peut, également, signifier que, si l'origine des corps s'avérait licite, l'exposition pourrait ne pas être considérée comme attentatoire à la dignité humaine, au nom de la pédagogie et la science ! A l'évidence, la portée de l'arrêt d'appel est, en tout état de cause, plus restreint que celui qu'il aurait pu avoir s'il avait entièrement repris la motivation du tribunal de grande instance. Les magistrats de la cour d'appel de Paris se sont, en effet, refusés à condamner, au nom de la dignité humaine, l'exposition de "corps ouverts", se contentant de condamner l'exposition litigieuse pour des raisons conjoncturelles. Elle procède, en réalité, à une inversion du raisonnement : alors que pour le tribunal de grande instance, l'exposition est, de toute façon, contraire à la dignité humaine, sans qu'il ait besoin de rechercher l'origine des corps, pour la cour d'appel de Paris, il faut d'abord rechercher l'origine des corps, avant de s'interroger sur la compatibilité de l'exposition à la dignité humaine.

II - Le nécessaire contrôle de l'origine des corps

Importance de l'origine des corps. L'importance accordée à la question de l'origine des corps exposés était sans doute liée à la qualité des associations ayant déclenché la procédure. Il s'agissait, en effet, de deux associations dont l'objet social était la défense des droits de l'Homme, notamment, en Chine ; la cour d'appel a précisé que les cadavres exposés "étaient tous d'origine chinoise". C'est donc bien l'origine chinoise des corps, qui constitue le lien entre l'exposition et les associations à l'initiative de la procédure visant à la faire interdire en référé. L'arrêt permet de rappeler que la protection du corps des personnes décédés constitue un droit de l'Homme.

Consentement. Selon la cour d'appel de Paris, "la protection du cadavre et le respect dû à celui-ci commandent tout d'abord de rechercher si les corps ainsi exposés ont une origine licite et s'il existe un consentement donné par les personnes de leur vivant sur l'utilisation de leur cadavre". Or, l'examen des pièces établit l'existence d'un doute sur la réalité de ce consentement, les pièces fournies par la société organisatrice de l'évènement ne paraissant pas suffisantes pour l'établir avec certitude.

Charge de la preuve. Or, et c'est un autre apport de l'arrêt, la charge de la preuve du consentement des personnes décédées à l'utilisation de leurs corps à des fins scientifiques et pédagogiques et de l'origine licite et non frauduleuse des corps incombe à celui qui prétend les utiliser dans ce but. L'exposition est donc -seulement- interdite en raison du manque de preuve relative à la licéité de l'origine des corps.

Refus d'expertise. Poursuivant son raisonnement, la cour d'appel de Paris considère "que la gravité des faits exposés ne constitue pas à elle seule le motif légitime au sens de l'article 145 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L1497H49)" et rejette la demande des intimés (les associations de défense des droits de l'Homme en Chine) visant à la production de diverses pièces et à ce que soit ordonnée une mesure d'expertise pour établir l'origine frauduleuse des cadavres.

Embarras. Reste à se demander dans quelles circonstances on pourra considérer que des personnes ont donné leur consentement pour qu'après leur mort leur corps fasse l'objet d'une telle mise en scène. En se retranchant derrière le doute sur l'origine des corps, la cour d'appel, visiblement embarrassée, est parvenue à interdire l'exposition sans trancher le véritable débat qu'elle suscite : la dignité humaine peut-elle se satisfaire de l'exposition de cadavres ouverts ?


(1) Loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008, relative à la législation funéraire (N° Lexbase : L3148ICL), et les obs. de Y. Le Foll, L'adoption de la loi relative à la législation funéraire, une étape nécessaire dans un processus encore inachevé, Lexbase Hebdo n° 94 du 15 janvier 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N2310BIE) ; également, I. Corpart, Pour un nouvel ordre public funéraire : variations autour de la loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008, Dr. fam., 2009, Etude n° 15.
(2) M. Lamarche, De la Vénus Hottentote aux cadavres chinois : peut-on exposer des corps humains ? A propos de l'interdiction de l'exposition "Our Body, à corps ouverts", Dr. fam., 2009, Focus n° 37.

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