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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
L'article 16-1-1 du Code civil est très clair : "Le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. Les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence". Et l'article 16-2 d'enchérir : "Le juge peut prescrire toutes mesures propres à empêcher ou faire cesser une atteinte illicite au corps humain ou des agissements illicites portant sur des éléments ou des produits de celui-ci, y compris après la mort".
Or, il est univoque que l'exposition en cause relève d'un projet tout ce qu'il y a de plus commercial ; le corps humain, même d'un individu mort, étant exclu de cette sphère pécuniaire, la messe était dite. "[...] la loi, d'ordre public, ne fait place au consentement qu'en cas de nécessité médicale avérée ; [...] elle prohibe les conventions ayant pour effet de marchandiser le corps" relève le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris, qui, par une ordonnance du 21 avril 2009, a interdit la poursuite de l'exposition.
Toutefois, cette simple évocation de la loi ne semblait pas suffire à lever le doute sur l'atteinte à l'éthique que proférait cette exposition. A lire les attendus de l'ordonnance du 21 avril 2009, et ceux de la cour d'appel de Paris, à travers son arrêt confirmatif du 30 avril 2009, et sur lesquels revient cette semaine, Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, l'argumentation, aux fins de prononcer la fermeture de l'exposition, relève plus volontiers du débat éthique et sociologique du rapport à la mort dans notre société contemporaine.
François d'Aubert, directeur de la Cité des sciences, confirmait, dans un entretien accordé au Figaro du 26 mars 2009, qu'aucune exposition anatomique ne verra le jour à la Cité. La principale raison est éthique, "Montrer un corps humain mort, pose d'énormes problèmes éthiques [...] l'image du corps, l'image de l'homme, ce n'est pas quelque chose de neutre, c'est au coeur de la culture de chaque pays, ça peut facilement heurter des convictions très profondes enfouies dans l'esprit des gens".
Tenons pour certain que "l'exposition" qui s'est tenue au Jardin d'acclimatation, en 1882 et 1892, sous un prétexte ethnologique, où l'on pouvait voir des familles d'amérindiens et de sâmes exposées derrière des grilles au regard des visiteurs, serait interdite, comme troublant manifestement l'ordre public.
Mais, qu'en serait-il si les conditions scientifiques pouvaient permettre une exposition sur... Ramsès II ; une exposition présentant son corps momifié, comme c'est actuellement le cas au musée du Caire, soumis au rayonnement gamma 12 heures durant, le 9 mai 1977, à Saclay (en France) ? Pour sûr, l'intérêt scientifique de la conservation de la momie du grand pharaon n'est pas à démontrer ; bien que le viol de sa sépulture puisse, de manière empirique, être lui-même remis en question sur les fondements du droit au respect des morts et de leurs lieux de repos... Et le juge judiciaire de préciser aussitôt : "les cadavres et leurs démembrements ont d'abord vocation à être inhumés ou incinérés ou placés dans les collections scientifiques de personnes morales de droit public ; [...] la détention privée de cadavres est illicite". On en déduirait presque que c'est la nature publique ou privée de la personne organisant l'exposition qui présage du caractère commercial, à tout le moins, de l'atteinte à la dignité du mort. La frontière est pourtant ténue.
Mais, la légitimité scientifique invoquée par les organisateurs n'aura tenue que peu de temps : la mise en scène des corps est indiscutable, la modification de l'esthétisme de ces mêmes corps par le jeu de colorations arbitraires sème le doute sur la vérité scientifique mise à nue et prônée par les organisateurs de l'exposition. Et voici que le juge se fait l'arbitre de la vérité scientifique... Et, s'il ne s'agit pas de science, mais de "mise en scène", doit-on rallier l'exposition litigieuse à l'art ? Le 20 novembre 1922, Man Ray photographiait Marcel Proust sur son lit de mort, à la demande de Jean Cocteau... L'exposition de cette oeuvre ne sembla pas, dès lors, poser de problème éthique. Mais, la photographie n'est pas la plastination.
Plus vraisemblablement, c'est l'argument relatif à l'origine des corps mis en scène qui emporte la décision finale, comme il apparaît plus clairement dans l'arrêt d'appel. Si l'on souligne que les demandeurs à l'action sont l'Association Solidarité Chine et l'Association "Ensemble contre la peine de mort" et que l'origine contestée des corps, présentés comme donnés à la science, font peser un doute sur l'existence d'un trafic de corps d'individus condamnés à mort, les tribulations de ces chinois hors de Chine ne pouvaient que s'achever devant les juridictions françaises et plus généralement en France, pays si attaché à l'émancipation des droits de l'Homme... en Chine. "Nous respectons plus les morts que les vivants. Il aurait fallu respecter les uns et les autres", gageons le message de Voltaire entendu.
"S'achever", pas tout à fait ; car le catalogue de l'exposition ne semble pas interdit de commercialisation et le site internet de l'exposition est toujours actif. "Il ne faut pas sournoisement respecter les morts. Il faut traiter leurs images en amies et aimer tous les souvenirs qui nous viennent d'eux. Il faut les aimer pour eux-mêmes et pour nous, dût-on déplaire aux autres" écrivait Jules Renard dans son Journal (1893-1898).
* Lire Philippe Aries, Essai sur l'histoire de la mort en Occident, sur le rapport de notre société à la mort, à sa représentation et à sa négation même.
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