La lettre juridique n°351 du 21 mai 2009 : Social général

[Questions à...] Focus sur le nouveau dispositif du chômage partiel : une solution efficace à la crise ? - Questions à Maître Michèle Bauer, avocate au barreau de Bordeaux

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[Questions à...] Focus sur le nouveau dispositif du chômage partiel : une solution efficace à la crise ? - Questions à Maître Michèle Bauer, avocate au barreau de Bordeaux. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211739-questionsafocussurlenouveaudispositifduchomagepartielunesolutionefficacealacrisebqu
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par Fany Lalanne, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo - édition sociale

le 07 Octobre 2010

Mis en place pour éviter les licenciements économiques, le chômage partiel peut être utilisé par une entreprise qui, du fait de la conjoncture économique ou certains événements particuliers, se doit de réduire son activité au-dessous de l'horaire légal sans rompre les contrats de travail qui la lient à ses salariés. Ainsi, certains employeurs, soucieux d'éviter les licenciements lors d'une baisse d'activité, ont recours au chômage partiel, en témoigne l'actualité sociale de ces dernières semaines. Faut-il rappeler que, dans neuf cas sur dix, les autorisations de chômage partiel sont demandées pour motif économique, c'est-à-dire en raison d'une baisse d'activité. En réponse à la crise économique, afin de faciliter le recours au chômage partiel, la réglementation a été assouplie en décembre 2008 par un accord entre les partenaires sociaux et plusieurs textes règlementaires. Depuis quelques mois, une véritable réforme se met en place impliquant une refonte substantielle du dispositif du chômage partiel. Pour faire le point sur la nouvelle règlementation, Lexbase Hebdo - édition sociale a rencontré Maître Michèle Bauer, avocate au barreau de Bordeaux. Lexbase : Depuis quelques mois, une véritable refonte du chômage partiel a progressivement été mise en place en vue d'un assouplissement certain du recours, par les entreprises, à ce dispositif. Quelle est la portée pratique de cette nouvelle règlementation et quelles en sont les grandes lignes ?

Michèle Bauer : Pour remédier aux effets de la crise, une refonte du chômage partiel a été mise en oeuvre dans le but de mieux indemniser les salariés et, aussi, de permettre aux entreprises d'y recourir plus facilement en allongeant la durée de prise en charge publique.

Plusieurs textes ont récemment modifié le chômage partiel : l'instruction DGEFP n° 2008/19 du 25 novembre 2008 (1), le décret du 22 décembre 2008 (2), l'arrêté du 30 décembre 2008 (3), l'arrêté du 26 janvier 2009 (4) et le décret du 29 janvier 2009 (5). Sans oublier deux arrêtés du 13 mars 2009 (6) et le décret n° 2009-324 du 25 mars 2009 (7).

Les entreprises peuvent recourir au chômage partiel lorsqu'elles sont contraintes de réduire la durée du travail au-dessous de la durée légale ou lorsqu'elles sont obligées de suspendre leurs activités. La conséquence de la suspension ou de la réduction de l'activité est une baisse de la rémunération des salariés ou même une interruption du versement des salaires. Pour compenser cette perte de rémunération, le droit du travail permet à certaines entreprises d'utiliser le dispositif du chômage partiel.

Les entreprises qui pourront avoir recours à ce dispositif devront justifier que la réduction d'horaire ou la suspension d'activité de l'entreprise est due à la conjoncture économique, à des difficultés d'approvisionnement en matières premières, à un sinistre, à des intempéries de caractère exceptionnel, à la transformation, restructuration ou modernisation de l'entreprise, ou toute autre circonstance à caractère exceptionnel (C. trav., art. R. 5122-1 N° Lexbase : L2887IA8).

A noter que, pour pouvoir bénéficier du remboursement de l'Etat de l'allocation de chômage partiel, elles devront, préalablement à la décision de recourir au chômage partiel :

- consulter les représentants du personnel ;

- et adresser une demande d'indemnisation au directeur départemental du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle.

Le nouveau dispositif prévoit, également, un financement plus important de l'Etat et de l'entreprise (8). En effet, l'indemnisation du chômage partiel comprend :

- une allocation spécifique de chômage partiel, financée par l'Etat, qui était de 2,44 euros de l'heure pour les entreprises de 250 salariés ou moins et qui est passée à 3,84 euros de l'heure ;

- et une indemnité complémentaire prise en charge par l'employeur dont le montant est fixé par accord collectif. Le taux d'indemnisation a été modifié, il est porté à 60 % (50 % auparavant) (décret n° 2009-110 du 29 janvier 2009, relatif au taux horaire de l'allocation spécifique de chômage partiel et à l'indemnisation complémentaire de chômage partiel).

Par ailleurs, toujours dans le même souci de prise en compte de la conjoncture économique, le contingent d'heures indemnisables au titre du chômage partiel a été augmenté et fixé, par salarié, pour l'année 2009 :

- à 800 heures pour l'ensemble des branches professionnelles ;

- et à 1 000 heures pour les industries de textile, de l'habillement et du cuir, pour l'industrie automobile et ses sous-traitants, qui réalisent avec elle au minimum 50 % du chiffre d'affaires, ainsi que pour le commerce de véhicules automobiles.

Lexbase : Les salariés sont-ils également directement concernés par ces nouvelles mesures ?

Michèle Bauer : Oui, puisque leur revenu de remplacement n'est plus de 50 % du salaire versé, mais de 60 %, ce qui est une avancée, même si, comme le note Monsieur le Professeur Willmann (9), la France est toujours loin des autres pays européens : l'Italie, par exemple, indemnise le chômage partiel à hauteur de 80 %.

Lexbase : Qu'est-ce que le chômage partiel total ? L'association des adjectifs partiel et total peut, en effet, sembler assez paradoxale !

Michèle Bauer : En effet, associer le mot partiel et total est pour le moins paradoxal et peut sembler contradictoire.

En réalité, il n'existe aucune contradiction, le chômage partiel total décrit une situation, celle du salarié qui est en arrêt total de travail depuis plus de 28 jours (4 semaines, il fallait 6 semaines avant la refonte), qui est indemnisé au titre du chômage partiel et qui peut être pris en charge au titre du chômage total, car il est considéré comme étant à la recherche d'un emploi.

Alors qu'il n'a pas été licencié, le salarié en chômage partiel total peut, toutefois, percevoir des allocations chômage attribuées normalement aux salariés dont le contrat a été rompu.

Lexbase : Pensez-vous que le recours au chômage partiel soit une solution efficace ? Permet-il, en particulier, d'éviter les licenciements économiques ?

Michèle Bauer : Non. Le chômage partiel est présenté comme un outil de protection de l'emploi, il a été conçu pour éviter les licenciements économiques.

En pratique, je pense que le chômage partiel n'empêche pas les licenciements économiques, il semble plutôt en être l'annonciateur. Le seul bénéfice du chômage partiel est, sans doute, de retarder au maximum les licenciements économiques (de 6 à 12 mois).

Lexbase : N'existe-t-il pas d'autres recours pour une entreprise en difficulté ? Et, notamment, la réduction du temps de travail ?

Michèle Bauer : Les entreprises en difficulté peuvent recourir à la réduction du temps de travail dans les conditions édictées par la loi du 20 août 2008 (10) : en principe l'aménagement du temps de travail est mis en place par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou par une convention ou un accord de branche, à défaut par un décret.

La mise en place de cette réduction du travail nécessite une concertation, une négociation entre les représentants des salariés et l'employeur qui devra expliquer les difficultés économiques rencontrées et la nécessité d'aménager le temps de travail pour éviter les licenciements.

De plus, les négociations risquent d'être difficiles, puisque la réduction du travail entraînera inévitablement une baisse de la rémunération.

Lexbase : Ne conviendrait-il pas d'encourager davantage les entreprises à mettre à profit la période de chômage partiel afin de renforcer l'employabilité de leurs salariés ?

Michèle Bauer : Bien entendu, il serait bon que les entreprises mettent à profit cette période de chômage partiel pour renforcer l'employabilité de leurs salariés, c'est ce que préconise la Délégation générale à l'emploi et à la formation Professionnelle (DGEFP du 25 novembre 2008, préc.).

Dans le but d'appliquer de manière dynamique le chômage partiel, la DGEFP demande aux entreprises de permettre au salarié de tirer profit de la période de chômage partiel en se formant par l'intermédiaire du DIF (droit individuel à la formation), par exemple. Ce dispositif permettrait d'atténuer les effets du chômage partiel.

Pour autant, j'ai quelques doutes sur l'effectivité de cette préconisation de la DGEFP. En effet, les entreprises qui ont recours au chômage partiel sont fragiles économiquement et il sera difficile pour elles de financer une formation, car elles ne souhaiteront pas amoindrir un peu plus leur trésorerie.

Pour pallier cet inconvénient, le Gouvernement a annoncé la création d'un Fonds d'investissement social (11) pour coordonner les efforts en faveur de l'emploi et de la formation professionnelle, en consolidant différentes sources de financement de l'Etat et des partenaires sociaux, chacun conservant, bien entendu, la responsabilité pleine et entière de ses financements. Au total, ce fonds pourrait atteindre environ 2,5 à 3 milliards d'euros.


(1) L'instruction précise, notamment, les conditions d'une application dynamique du chômage partiel et rappelle les autres dispositifs auxquels peuvent recourir les entreprises avant de solliciter l'Etat pour bénéficier du chômage partiel.
(2) Décret n° 2008-1436 du 22 décembre 2008, relatif aux conditions d'attribution de l'allocation spécifique de chômage partiel en cas de fermeture temporaire d'un établissement (N° Lexbase : L3946IC7).
(3) Arrêté du 30 décembre 2008 (N° Lexbase : L4610ICQ), fixant le contingent annuel d'heures indemnisables prévu par l'article R. 5122-6 du Code du travail (N° Lexbase : L2873IAN).
(4) Arrêté du 26 janvier 2009, portant agrément d'un avenant modifiant l'Accord national interprofessionnel du 21 février 1968, sur l'indemnisation du chômage partiel (N° Lexbase : L7041ICR).
(5) Décret n° 2009-110 du 29 janvier 2009, relatif au taux horaire de l'allocation spécifique de chômage partiel et à l'indemnisation complémentaire de chômage partiel (N° Lexbase : L6925ICH) et les obs. de Ch. Willmann, Le régime du chômage partiel profondément réformé, Lexbase Hebdo n° 339 du 25 février 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N5835BIX).
(6) Arrêté du 13 mars 2009 (N° Lexbase : L0560ID4), portant application de l'article D. 5122-42 du Code du travail (N° Lexbase : L2776IA3) et arrêté du 13 mars 2009 (N° Lexbase : L0561ID7), portant application de l'article D. 5122-42 du Code du travail (maintien à 80 % du taux de prise en charge par l'Etat des indemnités de chômage partiel, taux porté à 100 % pour les conventions signées du 1er janvier au 31 décembre 2009 par les entreprises contraintes de réduire ou de suspendre temporairement leur activité du fait des événements naturels d'intensité anormale définis par l'arrêté du 28 janvier 2009, portant reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle).
(7) Décret n° 2009-324 du 25 mars 2009, relatif aux conditions d'attribution de l'allocation spécifique et d'indemnisation complémentaire de chômage partiel (N° Lexbase : L8843IDU).
(8) Précisions, ici, que l'Etat peut majorer sa participation financière en cas de menace grave sur l'emploi et afin d'éviter ou de réduire le nombre des licenciements. Dans cette hypothèse, une convention de chômage partiel, d'une durée maximale de 6 mois renouvelable une fois, doit être conclue.
(9) Ch. Willmann, Le régime du chômage partiel profondément réformé, préc..
(10) Loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail (N° Lexbase : L7392IAZ) et les obs. de S. Martin-Cuenot, Articles 20, 21 et 22 de la loi n° 2008-789 du 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail : répartition des horaires de travail, congés payés et autres, Lexbase Hebdo n° 318 du 17 septembre - édition sociale (N° Lexbase : N1825BH3).
(11) Le 10 avril 2009, Nicolas Sarkozy recevait, en présence de François Fillon, de Christine Lagarde, de Brice Hortefeux, de Laurent Wauquiez et de Martin Hirsch, les dirigeants des organisations syndicales et patronales, afin d'installer le Fonds d'investissement social, dont la création a été décidée, rappelons-le, lors du sommet social du 18 février dernier.

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