La lettre juridique n°340 du 5 mars 2009 : Éditorial

Responsabilité des avocats : "savoir pour prévoir, afin de pouvoir"*

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


"Feindre d'ignorer ce qu'on sait, de savoir tout ce que l'on ignore... voilà toute la politique" (Beaumarchais, Le Mariage de Figaro).

Mais si en politique, les promesses n'engagent que ceux qui les reçoivent, il en va tout autrement en matière juridique où l'on sait que la responsabilité des "Hommes de loi" est régulièrement mise à l'épreuve, celle des avocats plus que toute autre. Non pas que l'on puisse reprocher à un avocat de ne pas avoir gagné un procès, mais l'on verra, de plus en plus souvent, un client engager la responsabilité d'un avocat estimant que ce dernier n'aura pas accompli toutes les diligences requises, ou plus singulièrement, n'aura pas fait état du droit positif en la matière et de la dernière jurisprudence en particulier ; à la manière de ces médecins dont la responsabilité est engagée en vertu de l'état de la connaissance scientifique au moment des faits.

L'actualité judiciaire nous en a proposé un exemple topique très récemment. Dans un arrêt du 5 février 2009, sur lequel revient, cette semaine, Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV et Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale, la première chambre civile de la Cour de cassation retient qu'engage sa responsabilité l'avocat qui méconnaît l'évolution de la jurisprudence tendant à un renforcement des exigences de motivation de la lettre de licenciement pour motif économique.

On sait que la notion de motif économique de licenciement recouvre trois éléments qui, une fois réunis, vont déterminer le régime applicable au licenciement pour motif économique : une situation économique ou technologique, des conséquences sur le poste du salarié et l'impossibilité de reclasser ce dernier. A défaut de l'un de ces éléments, auxquels il faut ajouter une rédaction millimétrée de la lettre de licenciement, le licenciement prononcé sera dépourvu de cause réelle et sérieuse. Aux causes légales expresses du licenciement -difficultés économiques et mutations technologiques- le juge a adjoint deux autres hypothèses qui permettent de fonder un licenciement pour motif économique. La première consiste dans la réorganisation afin de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité du groupe auquel appartient l'entreprise. La seconde est afférente à la cessation d'activité, en dehors de toute difficulté économique, lorsqu'elle n'était pas liée à la faute ou à une légèreté blâmable de l'employeur. L'extension des cas d'ouverture de la procédure de licenciement pour motif économique n'est donc pas allée sans contrepartie pour le salarié victime du licenciement, puisqu'elle s'est accompagnée d'une lecture exégétique du formalisme de la notification de licenciement. La lettre de licenciement doit, donc, impérativement contenir l'énoncé précis des causes économiques prévues par la loi, mais aussi leur incidence sur l'emploi ou le contrat de travail du salarié concerné. Par conséquent, la seule référence à une "cause économique" ou à la "suppression d'emploi" ne suffit pas. Un formalisme, donc, auquel l'avocat doit impérativement se conformer s'il ne souhaite pas voir sa responsabilité engagée vis-à-vis de son client (entreprise).

Ainsi, si l'obligation de résultat en la circonstance demeure une utopie (gageons), l'obligation de moyen contraint le professionnel du droit à la meilleure information et à une formation continue. Le législateur s'est emparé du second sujet, tant est si bien que les avocats sont "invités" à suivre vingt heures annuelles de formation juridique ou para-juridique, sous peine de sanctions édictées par leurs Ordres. En revanche, en ce qui concerne l'information juridique la plus claire, la plus réactive et la plus "opérationnelle" qui soit, rien n'est véritablement organisé par les pouvoirs publics à l'attention des avocats. Et chacun sait que, si le service public du droit, par le biais de Légifrance, assure une documentation brute minimale pour les citoyens (sic), nous sommes loin de la complétude et du décryptage nécessaire à l'exercice serein et éclairé de la profession d'avocat. A-t-on vu, excepté dans Le malade imaginaire, un quidam se décréter médecin avec succès ? "Mieux vaut ne rien savoir que beaucoup savoir à moitié", nous enseigne Nietzsche (Ainsi parlait Zarathoustra).

C'est éminemment le rôle des éditeurs juridiques de pourvoir à cette information essentielle et complète : mais à quel prix ? Et surtout, comment assurer un égal accès de la profession à un socle minimal de sources brutes et d'informations doctrinales ? C'est le choix opéré par certains éditeurs, dont les éditions juridiques Lexbase, et un nombre croissant de Bâtonniers conscients qu'il est temps d'organiser un véritable "service public" de l'information juridique à l'adresse des avocats, à travers le site des Ordres ou des Carpa. Il n'est pas de raisons déontologiques ou financières qui fassent que les cordonniers soient systématiquement les plus mal chaussés ! Voilà l'engament nouveau des responsables locaux de la profession d'avocat, car "conjecturer et savoir exactement sont choses différentes" (Eschyle, Agamemnon).

*Beaumarchais, Le Barbier de Séville

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