La lettre juridique n°340 du 5 mars 2009 : Assurances

[Chronique] Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences - mars 2009

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N7705BI9

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[Chronique] Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences - mars 2009. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211542-chronique-chronique-en-droit-des-assurances-dirigee-par-b-veronique-nicolas-b-professeur-avec-b-seba
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le 07 Octobre 2010

Lexbase Hebdo - édition privée générale vous propose, cette semaine, de retrouver la chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, en collaboration avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences à la Faculté de droit de Nantes, tous deux membres de l'IRDP (Institut de recherche en droit privé). Seront traités ce mois-ci, d'une part, un jugement du tribunal de grande instance de Douai, du 6 janvier 2009, qui revient sur la notion de fraude à l'assurance vie, et, d'autre part, un arrêt rendu par la Cour de cassation, le 28 janvier dernier, et promis au Rapport annuel, sanctionnant l'assureur dommages-ouvrage qui contrevient aux dispositions de l'article L. 242-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L1892IBP).
  • On n'est jamais aussi bien servi que par soi-même ! (à propos du TGI de Douai du 6 janvier 2009, n° RG 06/01032 N° Lexbase : A3678EDL)

Bien avant les rédacteurs du Code civil, nos plus grands juristes se défiaient des assurances vie parce qu'ils craignaient que celles-ci n'incitent des tiers bénéficiaires, peu scrupuleux et impatients, à abréger les jours de ceux de qui ils devraient tout (1).... C'était au temps -selon une formule quasi consacrée depuis, même s'il y a déjà quelques décennies- où l'assurance vie, dite de nos jours traditionnelle ou de forme classique, épousait le modèle de la stipulation pour autrui modelée, à dire vrai dans cette principale perspective à la fin du XIXème siècle (2), et où un tiers bénéficiaire recueillait du promettant un bien ou une somme d'argent que lui avait remis un stipulant. C'était aussi du temps où les stipulants, confiants, avaient pour habitude d'indiquer -oh grossière erreur- à ces mêmes bénéficiaires qu'ils venaient de se voir attribuer cette qualité.

De nos jours, si d'autres hypothèses de contrats d'assurance vie ont été inventées, cette formule initiale perdure. Et quelles que soient leurs formes, ces contrats -on le sait- ont été admis et jugé valables, a fortiori après la loi du 13 juillet 1930, car le législateur a pris des précautions pour que le ou les bénéficiaires ne soient pas tentés de porter atteinte à la vie de l'assuré. Il a décidé, à l'article L. 132-24 du Code des assurances (N° Lexbase : L4426H9S), que le bénéficiaire ayant donné la mort à son bienfaiteur est en quelque sorte indigne (3). Plus exactement, le texte énonce que "le contrat d'assurance cesse d'avoir effet à l'égard du bénéficiaire qui a été condamné pour avoir donné la mort à l'assuré". Prétendre que, désormais, tout va bien dans le meilleur des mondes serait irréaliste car, c'était à prévoir, l'homme est un loup pour l'homme, et celui-ci continue d'essayer de détourner les sommes d'argent versées sur les contrats d'assurance vie.

Simplement, de nouvelles techniques ont été imaginées par des bénéficiaires toujours plus ingénieux et retors. On le sait aussi, les tentatives de fraude à l'assurance se sont multipliées, surtout au cours de ces dernières décennies, justifiant la création de l'Agence de lutte contre la fraude à l'assurance (ALFA) (4). Celle-ci fournit ainsi, hélas, pour qui ne s'intéresse pas aux arrêts des cours d'appel relatifs à l'assurance, des exemples de manoeuvres destinées à recueillir de l'assureur des sommes non dues. Peut-être connaît-on davantage les cas de fraude aux assurances de dommages ; pourtant, les assurances vie ne sont pas en reste. Parmi celles-ci, l'affaire ayant donné lieu à la décision du tribunal de grande instance de Douai, le 6 janvier dernier, retient l'attention en raison non pas de la qualité du fraudeur, le conjoint de l'assuré, mais de sa candeur, fausse ou réelle. Car, en pratique, ce sont souvent ces conjoints -informés au premier chef de l'existence ou plutôt de l'inexistence d'un contrat d'assurance vie conclu en leur faveur ou en faveur de personnes proches- qui peuvent être tentés de suppléer à ce qu'ils considèrent comme une lacune de leur "cher et tendre".

C'est ce à quoi avait sans doute songé une femme qui n'a rien trouvé de plus efficace que de signer elle-même le contrat d'assurance vie à son profit, ainsi que celui de proches, qu'elle aurait bien voulu que son époux contracte. Et ce, semble-t-il, sans la moindre hésitation, peut-être avec ce visage angélique et innocent dont certains savent si bien se parer dans de telles circonstances : on n'est jamais aussi bien servi que par soi-même... mais n'extrapolons pas trop tout de même. Ajoutons juste que, dans le cas présent, les "manipulations" ou "l'opération" -non pas chirurgicale celle-là- auraient pu rester ignorées puisque l'assureur avait été tout aussi peu scrupuleux, ou tout au moins avait fait preuve d'un manque de rigueur et de professionnalisme peu admissibles, pour employer des termes encore nuancés.

Pour être plus précis, il convient d'indiquer que cet époux avait été hospitalisé en raison d'une affection si grave qu'elle l'empêchait d'écrire comme de s'exprimer et a, ensuite, donné lieu à une mise sous sauvegarde de justice. Au cours de cette période, sa femme a donc souscrit un contrat d'assurance vie en faisant précéder sa propre signature de la mention "lu et approuvé", dans lequel son mari était désigné, en toutes lettres, comme souscripteur. Par ailleurs, étaient nommés, comme tiers bénéficiaires, tout d'abord elle-même épouse de l'assuré et souscripteur, ensuite sa soeur et son frère par parts égales à défaut d'héritiers. Ces points ne pouvaient être contestés car leur rédaction ne comportait aucune ambiguïté ; en outre, le tribunal disposait de lettres explicites de l'épouse de l'assuré relatant, sans réserve, le déroulement des opérations réalisées par ses propres soins, si l'on ose dire. Bien entendu, aucune des parties en présence ne se plaçait sur le terrain de la fraude car, bien entendu, elles n'y avaient pas intérêt ; elles ne soulevaient pas non plus l'exception de nullité qui ne pouvait davantage leur convenir. Le tribunal de grande instance de Douai a bien compris l'enjeu et a déclaré le contrat d'assurance nul.

L'affaire pouvait donc paraître ne présenter aucune difficulté. Certes, d'aucuns objecteront que la partie du Code des assurances comprenant les règles relatives aux assurances sur la vie et opérations de capitalisation ne fournit pas directement et de manière explicite d'indications sur le sujet de droit ayant le pouvoir de signer le contrat d'assurance vie. Cela étant, la réponse est simple à trouver, eu égard tant au fondement juridique sur lequel repose les assurances vie, la stipulation pour autrui, qu'à l'article L. 132-9 du Code des assurances (N° Lexbase : L7215IC9). C'est le stipulant et assuré qui dispose d'un tel droit. Et nul ne peut se substituer à lui. En effet, rappelons que la désignation du bénéficiaire est un droit personnel du stipulant. Quand bien même n'en serait-on pas convaincu qu'il suffit de se tourner vers la théorie générale des obligations. Et là, aucun doute n'est permis : sauf à avoir été institué mandataire. Or, le jugement prend bien le soin, à juste titre, d'indiquer que l'épouse ne disposait d'aucun mandat, d'aucune procuration établie par son mari.

Et quand bien même un tel mandat général aurait-il été signé par le mari à sa femme, que la condition désormais exigée par la Cour de cassation n'aurait pas été satisfaite. En effet, l'intérêt de la présente décision est aussi de confirmer les conclusions qui pouvaient être dégagées de l'arrêt de la Cour de cassation, en date du 5 juin 2008, ayant pris le soin d'indiquer que "la faculté de désignation du tiers bénéficiaire (et de rachat) d'un contrat d'assurance vie est un droit personnel du souscripteur qui ne peut-être exercé par son mandataire qu'en vertu d'un mandat spécial prévoyant expressément cette faculté conformément à l'article L. 132-9 du Code des assurances" (Cass. civ. 2, 5 juin 2008, n° 07-14.077, FS-P+B N° Lexbase : A9314D8H). Cette évolution de la Cour de cassation par rapport à une période antérieure nous semble fort souhaitable. La solution inverse risquerait de créer une permissivité dangereuse en ce qu'elle pouvait inciter des individus malhonnêtes à profiter de l'état de faiblesse ou de l'ignorance d'autrui.

Il faut veiller, sous des formes modernes, à ne pas faciliter le jeu des fraudeurs, sous des formes diverses et variées. On sait qu'en France, hélas, un dossier sur cinq comporte une forme de fraude à l'assurance, certes plus ou moins étendue et trouvant peut-être davantage à se nicher au sein du droit des assurances de dommages. Il convient, cependant, de ne pas déplacer plus encore cette pratique choquante sur le terrain des assurances vie qui n'ont jamais été épargnées. Nous serions même tentés de dire qu'une vigilance accrue est de rigueur car les sommes en jeu peuvent être supérieures à celles rencontrées, en moyenne, dans le domaine des seules assurances de dommages.

En outre et surtout, la désignation bénéficiaire est un acte d'une gravité considérable, que l'on ne peut comparer qu'à l'acte d'aliénation. Par conséquent, des précautions particulières s'imposent. L'ensemble de ces arrêts et décisions atteste aussi de la considération que tous les magistrats accordent à ces contrats d'assurance vie. Chacun a bien compris que des sommes élevées peuvent y figurer, ou tout au moins des sommes qui, pour l'assuré, représentent l'essentiel d'une vie de labeur, de sacrifices et de projets mûrement réfléchis. Il ne faut pas mettre à mal ces efforts de prévoyance par un laxisme malvenu et choquant. Que les magistrats soient sensibilisés à ce qu'ils sont susceptibles de rencontrer de plus en plus au cours de ces prochaines années est rassurant et le gage aussi du sérieux et de la solidité de ce type d'épargne.

Véronique Nicolas, Professeur agrégé, Faculté de droit de l'université de Nantes, Directrice du master II "Responsabilité civile et assurances", Membre de l'Institut de Recherche en Droit Privé (IRDP)

  • Sanction de l'assureur dommages-ouvrage contrevenant à l'article L. 242-1 du Code des assurances : la troisième chambre civile maintient sa rigueur ! (Cass. civ. 3, 28 janvier 2009, n° 07-21.818, FS-P+B+I+R N° Lexbase : A6775ECW)

Ceux qui suivent la jurisprudence de la troisième chambre civile ne seront nullement surpris par cet arrêt du 28 janvier 2009, largement diffusé et promis au Rapport annuel. Celle-ci a, au fil des années, construit un véritable droit spécial de l'assurance construction, spécialement de l'assurance dommages-ouvrage. L'article L. 242-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L1892IBP), en son alinéa 1er, impose la souscription d'une assurance dommages-ouvrage à "toute personne physique ou morale qui, agissant en qualité de propriétaire de l'ouvrage, de vendeur ou de mandataire du propriétaire de l'ouvrage, fait réaliser des travaux de construction".

L'assurance dommages-ouvrage, assurance de préfinancement, "prend effet après l'expiration du délai de garantie de parfait achèvement visé à l'article 1792-6 du Code civil (N° Lexbase : L1926ABX). Toutefois, elle garantit le paiement des réparations nécessaires lorsque :
Avant la réception, après mise en demeure restée infructueuse, le contrat de louage d'ouvrage conclu avec l'entrepreneur est résilié pour inexécution, par celui-ci, de ses obligations ;
Après la réception, après mise en demeure restée infructueuse, l'entrepreneur n'a pas exécuté ses obligations".

En l'espèce, le maître de l'ouvrage, un office public HLM, confronté à des désordres apparus avant réception, a résilié le marché et déclaré le sinistre à son assureur dommages-ouvrage. Celui-ci doit se conformer aux exigences de l'alinéa 3 de l'article L. 242-1, qui impose à l'assureur un délai maximal de soixante jours, courant à compter de la réception de la déclaration du sinistre, pour notifier à l'assuré sa décision quant au principe de la mise en jeu des garanties prévues au contrat.

Lorsqu'il accepte la mise en jeu des garanties prévues au contrat, l'assureur présente, dans un délai maximal de quatre-vingt-dix jours, courant à compter de la réception de la déclaration du sinistre, une offre d'indemnité, revêtant le cas échéant un caractère provisionnel et destinée au paiement des travaux de réparation des dommages. En cas d'acceptation, par l'assuré, de l'offre qui lui a été faite, le règlement de l'indemnité par l'assureur intervient dans un délai de quinze jours. Lorsque l'assureur ne respecte pas ces délais ou propose une offre d'indemnité manifestement insuffisante, l'assuré peut, après l'avoir notifié à l'assureur, engager les dépenses nécessaires à la réparation des dommages. L'indemnité versée par l'assureur est alors majorée de plein droit d'un intérêt égal au double du taux de l'intérêt légal.

En outre, et surtout, une jurisprudence très ferme a posé que, lorsque l'assureur ne respecte pas le délai de 60 jours, qualifié de délai préfix (5), il ne peut plus contester ni le principe de sa garantie, ni son étendue. Cette jurisprudence est animée d'une véritable volonté de sanctionner l'assureur en le conduisant à couvrir le sinistre sans qu'il ne puisse, valablement, opposer un argument pour refuser sa garantie.

C'est ainsi que, "si dans le délai de soixante jours, l'assureur n'a pas fait connaître sa décision quant au principe de sa garantie, celle-ci est due" (6). Il en va de même s'il ne motive pas (ou mal) son refus (7) ou s'il l'a fait sans avoir adressé, au préalable, le rapport préliminaire d'expertise (8). De même, l'assureur dommages-ouvrage n'ayant pas respecté les délais de prise de position ne peut plus invoquer le caractère non décennal des désordres déclarés (9). Par ailleurs, "il ne peut plus opposer la prescription biennale qui serait acquise à la date d'expiration de ce délai" (10).

Il ne peut pas davantage invoquer le défaut d'aléa, comme l'a exprimé cet arrêt aux termes duquel "l'assureur, qui n'avait pas pris position sur le principe de la mise en jeu de la garantie dans le délai légal, d'où il résultait qu'il était déchu du droit de contester celle-ci, notamment en invoquant le défaut d'aléa et le caractère apparent avant la réception des désordres déclarés, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé" les articles L. 242-1 et A. 243-1 (N° Lexbase : L6064AB9) du Code des assurances.

C'est donc au prix d'une interprétation extensive de l'article L. 242-1 que la jurisprudence réfute toute possibilité pour l'assureur de se prévaloir de toutes les exclusions ou déchéance de garantie, les non-assurance ou nullité du contrat d'assurance, ainsi que les fins de non recevoir (prescription biennale de l'article L. 114-1 du Code des assurances N° Lexbase : L2640HWP).

Un auteur (11) s'est opposé à cette lecture, qu'il qualifie de piège pour l'assureur, en écrivant : "passe encore que l'apathie de l'assureur l'empêche de se prévaloir à l'égard de l'assuré, des exclusions ou déchéance de garantie, perceptibles dans le délai de soixante jours, mais il nous semble que certaines formes d'exception de non-assurance ou de nullité doivent échapper à la loi d'airain de l'article L. 242-1 du Code des assurances. Ainsi en est-il :
- de la nullité, même relative, de l'assurance de l'article L. 121-15 du Code des assurances (N° Lexbase : L0091AAM) qui sanctionne l'inexistence de l'objet ou de la cause du contrat, à sa formation : articles 1108 (N° Lexbase : L1014AB8) et 1131 (N° Lexbase : L1231AB9) du Code civil ;
- de la nullité de l'article L. 113-8 du Code des assurances (N° Lexbase : L0064AAM) qui sanctionne la fraude à l'assurance de l'assuré (fausse déclaration et réticence de l'assuré) ou protège le consentement de l'assureur (article 1109 et suivants. du Code civil N° Lexbase : L1197ABX) ;
- de la faute dolosive de l'assuré de l'article L. 113-1 du Code des assurances (N° Lexbase : L0060AAH), contraire à l'essence même de l'assurance (articles 1964 N° Lexbase : L1036ABY et 1104 du Code civil N° Lexbase : L1193ABS) et qui est plus un cas de non-assurance qu'une exclusion de garantie ;
- d'une escroquerie à l'assurance que réprime l'article 313-1 du Code pénal (N° Lexbase : L2012AMH)"

Ce même auteur estime qu'il n'y a pas lieu de considérer le silence de l'assureur, pendant les 60 jours, comme une acceptation ou une renonciation, sans équivoque de sa part, à se prévaloir d'une exception de nullité du contrat d'assurance.

Dans cet océan de rigueur, la jurisprudence a su, toutefois, restreindre cette lecture au seul champ des garanties obligatoires, jugeant que l'alinéa 3 de l'article L. 242-1 du Code des assurances ne s'applique pas aux garanties facultatives, spécialement à la garantie des dommages immatériels après réception (12). Un arrêt récent (13) a tenu à le rappeler : "Mais attendu que l'article L. 242-1 du Code des assurances fixe limitativement les sanctions applicables aux manquements de l'assureur dommages-ouvrage à ses obligations ; qu'ayant constaté que l'assuré fondait sa demande de dommages-intérêts sur la faute en soutenant que la perte locative qu'il avait subie trouvait sa cause dans le retard apporté par l'assureur à l'exécution de son obligation de préfinancement des travaux, la cour d'appel, abstraction faite d'un motif erroné mais surabondant relatif à l'absence de souscription de la garantie des dommages immatériels, a légalement justifié sa décision".

La rigueur s'applique donc en respectant le champ d'application de l'assurance obligatoire. C'est heureux.

Une doctrine (14) souligne, toutefois, qu'il est artificiel de considérer que la faute de l'assureur (silence pendant le délai de 60 jours) l'empêche d'invoquer toute cause de nullité du contrat pour les garanties obligatoires, visées par l'article L. 242-1, alinéa 1er, du Code des assurances, tandis qu'il pourrait avec succès, le soulever pour les garanties facultatives. Il invoque, à ce titre, l'indivisibilité de la nullité et écarte la jurisprudence qui, pour les polices d'assurance multirisques, analyse la nullité du contrat risque par risque (15).

Cette doctrine plaide donc pour une possibilité, offerte à l'assureur dommages-ouvrage, de soulever, dès qu'il en a connaissance, même au-delà du délai de soixante jours de l'article L. 242-1 du Code des assurances, des causes de non-assurance (nullité ou prescription) s'il prouve qu'il les a ignorées jusque-là, soulignant que le "dogmatisme" de la Cour de cassation "n'a d'autre effet que d'encourager la fraude à l'assurance, jusqu'à effacer l'adage fraus omnia corrumpit, dernier vigile de la loyauté contractuelle dans les conventions" (16), et appelant la Cour de cassation à réviser "sa jurisprudence et [revenir] à une interprétation plus orthodoxe de l'article L. 242-1 du Code des assurances, ou à défaut, que le législateur intervienne pour clarifier la situation" (17).

Cette doctrine va être déçue par cet arrêt du 28 janvier 2009, qui repousse les arguments avancés pour la faire changer de cap.

En l'espèce, l'assureur cherchait à se prévaloir de l'annulation de la police pour fausse déclaration intentionnelle de l'OPHLM, en soutenant l'argument selon lequel "la déchéance ne s'applique qu'aux exceptions de non-garantie prévues par le contrat ; que ce qui est nul est réputé n'avoir jamais existé ; qu'en déclarant l'assureur déchu du droit d'invoquer la nullité de la police pour fausse déclaration intentionnelle, parce qu'il n'avait pas notifié à l'assuré, dans le délai de 60 jours qui lui était imparti, sa décision sur le principe de sa garantie, quand l'exception de nullité invoquée était d'origine légale tandis que l'annulation de la police privait l'assuré du droit de se prévaloir d'une garantie réputée, de par loi, n'avoir jamais existé, la cour d'appel a violé l'article L. 242-1 du Code des assurances".

L'argument est net : la déchéance étant, en droit des assurances, une sanction conventionnelle, l'assureur ne pourrait être déchu du droit de soulever la nullité (ou tout autre argument), dès lors que la sanction se fonde sur la loi et non le contrat.

L'argument est balayé par la Cour de cassation qui approuve "la cour d'appel [d'avoir] exactement retenu que cet assureur, qui s'était ainsi privé de la faculté d'opposer à l'assuré toute cause de non garantie, ne pouvait plus invoquer la nullité du contrat".

La leçon est claire : l'assureur fautif s'est privé de la possibilité d'opposer à l'assuré toute cause de garantie, quelle qu'en soit la source. Voilà qui évitera toute controverse autour de sanctions légales "incorporées" dans les contrats d'assurance lorsque les assureurs, par un procédé qui n'ajoute rien à la clarté et que ceux-ci devraient bannir, stipulent des causes de non-garanties (clauses de déchéance ou exclusions de garantie) déjà prévues par le Code des assurances !

Cette jurisprudence prive donc l'assureur du droit d'agir et cette impossibilité d'agir profite à l'assuré. Il est bien difficile de contredire la doctrine selon laquelle cette rigueur peut profiter à un assuré qui ne la mérite pas, surtout s'il a commis une faute intentionnelle (lors de la déclaration ou au moment du sinistre)... Se consolera-t-on de cette constatation d'avoir un effet partagé par toute sanction privative du droit d'agir, et qu'en d'autres domaines, la privation est encore plus radicale (chacun se souvient, en droit des personnes et de la responsabilité civile, de la privation, par la loi du 4 mars 2002 -loi n° 2002-303, relative aux droits des malades N° Lexbase : L1457AXA-, du droit d'invoquer le préjudice d'être né, même si l'on sait que la Cour européenne des droits de l'Homme puis nos juridictions -Cour de cassation et Conseil d'Etat- ont combattu en privant cette loi d'application immédiate aux procès en cours...) ?

L'arrêt examiné nous semble également intéressant à un second titre. Les lecteurs de cette chronique auront, le mois dernier (18), compris que la deuxième chambre civile de la Cour de cassation souhaite voir évoluer le régime de l'exception de nullité. Un arrêt du 4 décembre 2008 (19) énonce que "la nullité fondée sur les dispositions de l'article L. 113-8 du Code des assurances (N° Lexbase : L0064AAM), peut être soulevée par voie d'exception pendant le délai de la prescription biennale nonobstant l'exécution du contrat d'assurance". L'application de l'adage quae temporalia sunt ad agendum, perpetua sunt ad excipiendum (l'action est temporaire mais l'exception est perpétuelle et survit à l'extinction de l'action par la prescription) au contrat d'assurance en ressort transfigurée.

D'une part, l'exception de nullité devient recevable malgré l'exécution du contrat ("nonobstant l'exécution du contrat", précise l'arrêt). On notera ici que la Cour de cassation n'a fait aucune référence à une exécution partielle, ce qui signifie qu'elle n'entend pas restreindre sa solution à cette seule hypothèse, qui devrait valoir y compris en cas d'exécution totale.

D'autre part, l'abolition du critère de l'absence d'exécution est contrebalancée par l'abandon du caractère perpétuel de l'exception de nullité qui doit, "être soulevée pendant le délai de la prescription biennale".

Reste à apprécier l'exacte portée de cette décision, qui sonne comme un effet indirect de la réforme de la prescription opérée par la loi du 17 juin 2008 (loi n° 2008-561 N° Lexbase : L9102H3I) et de sa volonté d'abréger les délais. On peut s'interroger sur le point de savoir si ces enseignements devraient être restreints au contrat d'assurance, voire aux seuls contrats à exécution successive, voire aux seuls contrats soumis à de courtes prescriptions. On peut également se demander si cet arrêt porte une remise en cause totale de la maxime quae temporalia ou bien s'il faut, par une lecture plus conciliante, considérer que si "la nullité fondée [...] peut être soulevée par voie d'exception pendant le délai de la prescription biennale nonobstant l'exécution du contrat d'assurance", en revanche, l'exception de nullité demeurerait perpétuelle lorsqu'aucune exécution n'aurait eu lieu.

Reste enfin à vérifier si l'évolution ainsi amorcée par la deuxième chambre civile sera suivie par d'autre chambres de la Cour régulatrice. C'est ici que l'arrêt examiné de la troisième chambre civile du 28 janvier 2009 prend tout son sens. En effet, le demandeur au pourvoi invoquait "que la prescription biennale prévue en matière d'assurance est applicable à l'action en nullité du contrat d'assurance, qu'elle soit intentée en demande ou opposée en défense, de sorte que la cour d'appel en écartant la prescription opposée par l'OPHLM à la demande de l'Auxiliaire a violé l'article L. 114-2 du Code des assurances".

La troisième chambre civile repousse cette thèse d'une soumission de l'exception de nullité à la prescription biennale en approuvant les juges du fond d'avoir, "ayant relevé que la demande en nullité de contrat présentée en défense par l'Auxiliaire était qualifiée d'exception de nullité, [...] exactement retenu que cette exception n'était pas atteinte par la prescription".

Sans doute n'était-il pas question ici d'une quelconque exécution, même partielle, par l'assureur dommages-ouvrage. Il n'en demeure pas moins que la troisième chambre civile marque son attachement à l'analyse traditionnelle de la maxime quae temporalia. Au gré de la lecture qu'on aura de l'arrêt du 4 décembre 2008, on y verra donc un conflit de chambres ou on s'autorisera une lecture combinée.

Il faudra donc demeurer vigilants et attendre les prochains arrêts. Pour ce qui est de la lecture très sévère pour l'assureur dommages-ouvrage de l'article L. 242-1 du Code des assurances, en revanche, la jurisprudence est plus que jamais fixée. Le salut ne pourra venir que du législateur, même si, sur ce point, le rapport "Mercadal" n'incite pas à l'évolution (20)...

Sébastien Beaugendre, Maître de conférences, Faculté de droit de Nantes, Membre de l'IRDP (Institut de Recherche en Droit Privé)


(1) Traité de droit des assurances, sous la direction de J. Bigot, Les assurances de personnes, Tome IV, n° 66, p. 35.
(2) Traité de droit des assurances, préc., n° 345, p. 314, par L. Mayaux.
(3) Traité de droit des assurances, préc., n° 337, p. 301, par L. Mayaux.
(4) V. Nicolas in Traité de droit des assurances, Le contrat d'assurance, Tome III, n° 1425, p. 1029.
(5) Cass. civ. 3, 18 février 2004, n° 02-17.976, Commune de Lyon, prise en la personne de son maire en exercice c/ Compagnie Assurances générales de France (AGF) IART, FS-P+B+I (N° Lexbase : A3076DBK), RGDA, 2004, p. 441, note J. Beauchard.
(6) Cass. civ. 1, 13 novembre 1997, n° 95-19.979, Compagnie Cigna France, compagnie d'assurances c/ Société Mildis et autres, inédit (N° Lexbase : A7884CSS), RCA, 1997, comm. n° 35.
(7) Cass. civ. 1, 10 janvier 1995, n° 93-12.127, Compagnie UAP-Vie c/ Société Axa assurances (N° Lexbase : A6288AHD), RCA, 1995, comm. n° 115.
(8) Cass. civ. 1, 18 décembre 2002, n° 99-16.551, GAN incendie accidents c/ Centre hospitalier régional universitaire de Nîmes, F-P+B (N° Lexbase : A4851A4G), Gaz. Pal., spécial assurances, n° 36, 22 juillet 2003, p. 24.
(9) Cass. civ. 3, 3 décembre 2003, n° 01-12.461, Mme Claudine Debart, épouse Tixier Lamaison c/ Compagnie d'assurances Mutuelles du Mans, FP-P+B+I (N° Lexbase : A3589DA8), Bull. civ. III, n° 214, Defrenois, 2005, 70, note Périnet-Marquet : "l'assureur dommages-ouvrage qui n'a pas pris position sur le principe de mise en jeu de sa garantie dans les délais prévus aux articles L. 242-1 et A. 243-1 de l'annexe II du Code des assurances est déchu du droit de contester celle-ci, notamment en contestant la nature des désordres déclarés par l'assuré".
(10) Cass. civ. 3, 26 novembre 2003, n° 01-12.469, M. Patrice Chassagne c/ Société Axa assurances, FS-P+B (N° Lexbase : A3093DAS), Bull. civ. III, n° 207.
(11) M. Périer, RGDA, 2006, 1er avril 2006, n° 2006-2, p. 445 et s.. Cet auteur reprend ses idées dans son ouvrage, J. Bigot et M. Périer, Risques et assurances construction, L'argus Editions, 2007.
(12) Cass. civ. 1, 18 février 2003, n° 99-12.203, Compagnie ICS assurances c/ M. Yves Dupouy, F-D (N° Lexbase : A2013A7P), RGDA, 2003, 311, note H. Périnet-Marquet ; Resp. civ. et assur., 2004, comm. n° 147 ; Cass. civ. 3, 12 janvier 2005, n° 03-18.989, Société Gan assurances IARD c/ Mme Hélène Etcheverry, FS-P+B (N° Lexbase : A0281DGI), RGDA, 2005, 459, note M.-L. Pagès-de Varenne.
(13) Cass. civ. 3, 7 mars 2007, n° 05-20.485, SCI Lam, FP-P+B+R+I (N° Lexbase : A6576DU4), Bull. civ. III, n° 32.
(14) M. Périer, op. et loc. cit..
(15) Cf., en dernier lieu, Cass. civ. 1, 3 janvier 1996, n° 93-18.812, M. Di Meglio c/ Les Assurances mutuelles de France (N° Lexbase : A9416ABD), Bull. civ. I, n° 3, RGDA, 1996, 74, rapport P. Sargos, Resp. civ. et assur., 1996, comm. n° 101 ; Cass. civ. 1, 2 juillet 1996, n° 94-13.940, M. Enrique Esteves c/ Société Union des assurances de Paris incendie accidents UAP et autres, inédit (N° Lexbase : A3887CLK), RGDA, 1997, 115, note J. Landel, Resp. civ. et assur., 1997, comm. n° 367, note H. Groutel ; mais contra, Cass. civ. 1, 3 juillet 1990, n° 87-17.172, SA Rhin et Moselle c/ SA Quiri, inédit (N° Lexbase : A8963CLK), JCP éd. G, 1991, II 21643, note J. Bigot ; Cass. civ. 1, 19 mai 1992, n° 89-17.425, Compagnie Euravie, compagnie européenne d'assurance sur la vie, société anonyme c/ M. Raymond Rodier et autres, inédit (N° Lexbase : A9438CWH), RGAT, 1992, 536, note J. Landel ; H. Groutel, De la nullité du contrat à la nullité des assurances dans les polices tous risques, Resp. civ. et assur., 1992, chron. n° 28 ; Cass. civ. 1, 3 mai 1995, n° 93-11.575, Société d'assurance crédit des entreprises c/ Société Négoce fer acier (N° Lexbase : A5054AC8), RGAT, 1995, note L. Mayaux.
(16) M. Périer, RGDA, 2006, 1er avril 2006, n° 2006-2, p. 445.
(17) Ibid..
(18) Chronique en droit des assurances dirigée par Véronique Nicolas, Professeur, avec Sébastien Beaugendre, Maître de conférences - février 2009, Lexbase Hebdo n° 336 du 5 février 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N4840BI4).
(19) Cass. civ. 2, 4 décembre 2008, n° 07-20.717, Société Ben's garage du stade, F-P+B (N° Lexbase : A5243EBS).
(20) Là-dessus, cf. J. Bigot et M. Périer, Risques et assurances construction, préc., spéc., p. 281.

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