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par Fany Lalanne - Rédactrice en chef Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Pour faire le point sur cette épineux imbroglio, Lexbase Hebdo - édition sociale a rencontré Maître Stéphanie Stein, associée du cabinet Eversheds, qui a accepté d'apporter certains éclaircissements utiles dans un contexte de crise où les licenciements économiques se multiplient et où les entreprises risquent d'être tentées de multiplier les ruptures à l'amiable et autres PDV.
Lexbase : Rappelons, pour commencer les grandes caractéristiques de la rupture conventionnelle du contrat de travail.
Maître Stéphanie Stein : La rupture conventionnelle est un peu ce que tout le monde attendait. C'est un outil juridique efficace qui permet aux entreprises de sortir des licenciements mal utilisés. Elle répond à une demande très forte face à une situation juridique qui, si elle était bien réelle, ne trouvait -jusqu'alors- pas de réponse. Au risque de rappeler une évidence, il faut, en effet, souligner que la volonté commune de mettre un terme au contrat de travail peut exister.
Or, avant la loi de modernisation du marché du travail du 25 juin 2008, aucun régime juridique ne répondait vraiment à cette situation : la rupture d'un commun accord existait, mais elle n'ouvrait pas droit aux indemnités de chômage. La rupture conventionnelle répond à cette attente. Bien utilisée, elle est efficace. Attention, il ne s'agit pas d'un outil "magique". Ce mode de rupture du contrat ne permet pas d'éviter les plans de sauvegarde de l'emploi (PSE), mais répond à une demande spécifique et vient combler un vide juridique. Relativement facile d'utilisation, elle est adaptée à une situation où il existe une volonté commune des parties de rompre le contrat de travail.
Lexbase : La rupture conventionnelle marque-t-elle la fin de la rupture d'un commun accord ?
Maître Stéphanie Stein : Oui et non. La volonté des parties est, maintenant, encadrée par la rupture conventionnelle. L'article L. 1237-16 du Code du travail précise que ce nouveau mode de rupture ne peut pas être utilisé lorsque le contrat de travail est rompu dans le cadre d'un PSE ou d'un plan de GPEC. La rupture d'un commun accord subsiste dans ces cadres particuliers. L'arrêt rendu le 11 février 2009 (6) par la Cour de cassation confirme une jurisprudence constante depuis 2003 (7) : en cas de suppression de postes, la rupture d'un commun accord doit s'inscrire dans le cadre d'un PSE et ne saurait exister en dehors.
Lexbase : Peut-on, alors, parler de rupture conventionnelle pour motif économique ?
Maître Stéphanie Stein : Non. En cas de licenciement économique, la procédure à mettre en oeuvre est celle du PSE (8). Les textes sont très clairs à ce sujet. La rupture conventionnelle est "exclusive" du licenciement, elle ne peut donc s'y substituer. Si l'entreprise souhaite des départs en raison de difficultés économiques, elle doit mettre en place un PSE, qui peut, lui, prévoir la rupture d'un commun accord.
Sur le plan juridique, la réponse ne souffre donc d'aucune ambiguïté : la rupture conventionnelle n'est pas faite pour être utilisée dans le cadre de licenciements pour motif économique, elle doit répondre à une situation individuelle.
Maintenant, avec la crise économique, les licenciements se multiplient. Les partenaires sociaux ne veulent pas toujours être impliqués dans des plans sociaux, ce qui est compréhensible. Les employeurs recherchent des solutions alternatives à la mise en place d'une procédure longue et coûteuse. Dans ce contexte, la rupture conventionnelle donne l'impression trompeuse de leur offrir une autre voie, puisque les salariés pourraient partir "librement", et l'entreprise ferait l'économie de la procédure de consultation et des obligations de reclassement (9). Ce détournement de l'objectif de la rupture conventionnelle est à proscrire absolument. Même si, dans un premier temps, cette solution peut sembler acceptable dans l'entreprise, les risques associés sont très conséquents.
Un conseil de prud'hommes pourrait annuler des ruptures conventionnelles conclues, au lieu de faire des licenciements économiques, en raison d'une fraude ou d'un vice de consentement (l'erreur), le salarié arguant de sa méprise quant aux conséquences de son acceptation. Or, qui dit annulation dit réintégration. On risque donc se trouver devant le même schéma qu'Alcatel, en 2004, qui avait vu la cour d'appel de Versailles annuler ses transactions pour défaut de PSE (10).
Lexbase : Et les plans de départ volontaire ne pourraient-ils pas constituer une alternative ?
Maître Stéphanie Stein : C'est effectivement la bonne réponse lorsque l'on ne veut pas parler de licenciement, mais de rupture d'un commun accord. L'entreprise peut le proposer, le problème étant... qu'il n'y a pas nécessairement assez de volontaires. De plus, le PDV est aussi lourd à mettre en place juridiquement que le PSE. L'avantage que le PDV présente s'apprécie au regard de la gestion des ressources humaines. C'est humainement plus acceptable.
Pour résumer, la rupture conventionnelle est un outil adapté à une situation individuelle. Quand l'entreprise connaît des difficultés économiques et veut supprimer des postes, au moins 10 salariés dans une entreprise de 50 salariés et plus, il faut mettre en place un plan de sauvegarde de l'emploi. Celui-ci ouvre diverses alternatives : la branche "PDV" ; la branche "licenciement pur et simple" et la branche "départ anticipé", dans la cadre d'une rupture d'un commun accord.
Lexbase : Quels sont les inconvénients de la rupture conventionnelle ?
Maître Stéphanie Stein : La longueur de la procédure. En pratique, le temps de voir le salarié, de prévoir un rendez-vous au minimum, voire plusieurs, de lui remettre les documents et de signer la convention, il faut compter une quinzaine de jours. Ensuite, il y a un délai de rétraction à respecter, qui est de 15 jours calendaires. On est donc déjà à un mois. Il faut ajouter les 15 jours ouvrables, à compter de la réception de la demande, nécessaires à l'homologation, ce qui fait plus d'un mois et demi entre la décision de la rupture et l'effectivité de celle-ci. Le danger est que les parties soient tentées de vouloir antidater la convention de rupture, ce qui est interdit et fortement déconseillé.
Le système reste donc perfectible, mais il n'en est pas moins efficace.
Lexbase : Contre d'éventuelles dérives, la convention de rupture doit être homologuée par la DDTEFP, qui vérifie le libre consentement des parties et contrôle les éléments fondant l'accord du salarié. Pensez-vous que ce contrôle puisse s'avérer réellement efficace ?
Maître Stéphanie Stein : Les entreprises sont prudentes sur la rupture conventionnelle. Jusqu'à présent, il apparaît qu'elles voulaient l'utiliser à propos. J'observe même, parfois, une prudence exagérée, la rupture conventionnelle étant comprise par les entreprises comme un outil servant uniquement au salarié. Pour beaucoup d'entre elles, la rupture n'est valable que si c'est le salarié qui fait la démarche. Ce qui est faux. Il faut que les deux parties soient d'accord, le fait que le salarié ait pris l'initiative de la demande de la rupture ne change rien. L'employeur peut donc être demandeur, puisque la rupture conventionnelle reste avant tout une rupture d'un commun accord.
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