La lettre juridique n°340 du 5 mars 2009 : Urbanisme

[Jurisprudence] La dépénalisation des travaux entrepris postérieurement à la suspension du permis de construire

Réf. : Ass. plén., 13 février 2009, n° 01-85.826, M. Dominique Pessino (N° Lexbase : A1394EDY)

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N7704BI8

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par Frédéric Dieu, Rapporteur public près la cour administrative d'appel de Marseille

le 07 Octobre 2010

Par un arrêt en date du 13 février 2009, la Cour de cassation, dans sa formation la plus solennelle, est revenue sur la solution qu'elle avait adoptée sept ans plus tôt (Cass. crim., 6 mai 2002, n° 01-85.826, Pessino Dominique N° Lexbase : A8423AYM), laquelle avait considéré que le sursis à exécution du permis de construire équivalait à une interdiction de construire dont la méconnaissance était, en conséquence, passible de poursuites pénales. Il est vrai qu'entre temps, la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) avait condamné la position retenue par la Cour de cassation en considérant que celle-ci avait méconnu le principe de légalité des délits et des peines (CEDH, 10 octobre 2006, Req. 40403/02, Pessino c/ France N° Lexbase : A6913DRH, AJDA, 2007, p. 1257, note Trémeau et Carpentier, Dalloz, 2007, p. 124, note Roets). La CEDH avait, en effet, relevé que le "manque de jurisprudence préalable" en ce qui concernait "l'assimilation entre sursis à exécution du permis de construire et interdiction de construire" rendait, pour le moins, difficilement prévisible le revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation par l'arrêt du 6 mai 2002. La condamnation prononcée par la CEDH valait, cependant, pour la seule espèce jugée par la Chambre criminelle de la Cour de cassation en 2002 : elle lui imposait donc seulement de revoir sa solution pour cette espèce, et non d'opérer un nouveau revirement de jurisprudence. En effet, la sanction de la CEDH était justifiée non pas par le caractère erroné (au fond) de la position retenue par la Chambre criminelle de la Cour de cassation (assimilation entre sursis à exécution du permis de construire et interdiction de construire), mais par le caractère imprévisible de cette position pour le titulaire du permis de construire, imprévisible en ce qu'elle constituait, selon la CEDH, une position nouvelle de la part de la Cour de cassation, à rebours de la position habituelle de celle-ci. C'est dire que la CEDH n'a pas entendu contraindre la Chambre criminelle de la Cour de cassation à infirmer en principe et au fond la solution adoptée le 6 mai 2002, mais a seulement souhaité l'obliger à ne pas faire subir au requérant le changement de position opéré en 2002.

Toutefois, plutôt que de cantonner cette obligation à la seule espèce, la Cour de cassation a adopté une solution générale prenant le contrepied de la solution adoptée en 2002 puisque c'est désormais donc un principe, valable pour l'avenir, que "la poursuite de travaux malgré une décision de la juridiction administrative prononçant le sursis à exécution du permis de construire n'est pas constitutive de l'infraction de construction sans permis" prévue à l'article L. 480-4 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L3514HZ8). La position retenue par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, dont l'on peut raisonnablement penser qu'elle est transposable aux hypothèses dans lesquelles le juge administratif a prononcé la suspension du permis de construire (puisque le référé-suspension a succédé au sursis à exécution), si elle peut s'autoriser de l'autonomie des qualifications (et, en particulier, des infractions) pénales par rapport aux qualifications opérées par le juge administratif, est, cependant, peu cohérente avec la jurisprudence de ce dernier, au point qu'elle le contraindra peut-être à la modifier, puisque l'on peut penser que, eu égard à son caractère solennel, la solution rendue par l'arrêt du 13 février 2009 devrait figer pour longtemps la jurisprudence du juge judiciaire.

I - Loin d'être une solution d'espèce et une réponse à la CEDH, l'arrêt du 13 février 2009 procède à la dépénalisation des travaux effectués postérieurement à la suspension du permis de construire

A - L'arrêt du 13 février 2009 fait suite à l'invalidation (contestable) par la CEDH d'un arrêt du 6 mai 2002...

1 - La sanction par la CEDH du caractère imprévisible du revirement de jurisprudence opéré, selon elle, par la Chambre criminelle de la Cour de cassation en 2002

Par un jugement en date du 11 octobre 1993, le tribunal administratif de Nice avait ordonné le sursis à exécution du permis de construire accordé à une société civile immobilière (SCI). Toutefois, malgré cette décision, cette société avait continué l'exécution des travaux, provoquant, ainsi, l'engagement d'une action pénale à son encontre. Par un arrêt en date du 3 juillet 2001, la cour d'appel d'Aix-en-Provence avait confirmé la condamnation du requérant, gérant de la SCI, à une amende de 1 500 euros après l'avoir déclaré coupable du délit d'exécution de travaux sans permis de construire. C'est cet arrêt qu'a confirmé l'arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 6 mai 2002, cette dernière estimant que la cour d'appel avait justifié sa décision au regard des articles L. 421-1 (N° Lexbase : L3419HZN) et L. 480-4 du Code de l'urbanisme, "le constructeur ne [pouvant] se prévaloir d'aucun permis de construire lorsque l'exécution de celui-ci a été suspendue par une décision du juge administratif". La Cour de cassation avait, ainsi, qualifié d'infraction pénale la réalisation de travaux postérieurement au sursis à exécution du permis de construire.

Les infractions pénales en matière d'urbanisme sont prévues par les articles L. 480-2 (N° Lexbase : L3512HZ4), L. 480-3 (N° Lexbase : L3513HZ7) et L. 480-4 du Code de l'urbanisme. En vertu du premier de ces articles, l'interruption de travaux régulièrement entrepris peut être ordonnée par le juge d'instruction saisi de poursuites, ou par le tribunal correctionnel. En vertu de l'article L. 480-3, la continuation des travaux, nonobstant pareille décision d'interruption, est constitutive d'un délit. Enfin, en vertu de l'article L. 480-4, constitue une infraction pénale l'exécution de travaux en méconnaissance des obligations imposées, à savoir la demande, l'obtention, et le respect d'un permis de construire préalablement délivré. Précisons que cette dernière infraction est qualifiée par la Cour de cassation d'infraction continue non successive, qui se perpétue pendant l'exécution des travaux et cesse à leur achèvement (1). C'est précisément cette infraction que, dans l'arrêt du 6 mai 2002, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a regardé comme constituée dans le cas où le constructeur avait poursuivi ses travaux après le sursis à exécution de son permis de construire.

Le titulaire de ce permis a, cependant, saisi la CEDH en faisant valoir que la qualification pénale opérée par la Cour de cassation contredisait la position habituelle de celle-ci, qui excluait de qualifier d'infraction pénale la construction postérieurement au sursis à exécution du permis. Se fondant sur les stipulations de l'article 7 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CESDH) (N° Lexbase : L4797AQQ) ("nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même, il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise" : la notion de "droit national" inclut la jurisprudence nationale), la CEDH a retenu l'objection du titulaire du permis et estimé que l'arrêt du 6 mai 2002 constituait un revirement de jurisprudence qui était imprévisible pour ce dernier, qui ne pouvait donc "savoir que, au moment où il les [avait] commis, ses actes pouvaient entraîner une sanction pénale" (§ 36) : le revirement de jurisprudence était donc imprévisible et in malam partem, c'est-à-dire défavorable au requérant. La CEDH a relevé, à cet égard, que le Gouvernement français n'avait pas été en mesure de "produire des décisions des juridictions internes [...] établissant qu'avant l'arrêt rendu [le 6 mai 2002], il [avait] été jugé explicitement que le fait de poursuivre des travaux malgré un sursis à exécution émis par le juge administratif à l'encontre du permis de construire constituait une infraction pénale" (§ 34).

L'on voit donc que le démenti apporté par la CEDH à la solution rendue par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 6 mai 2002 portait sur le caractère imprévisible (pour le requérant titulaire du permis de construire) de cette solution, et non sur son caractère erroné, notamment au regard des dispositions de l'article L. 480-4 du Code de l'urbanisme. Autrement dit, dans l'arrêt du 20 octobre 2006, la CEDH n'a nullement jugé que la poursuite de travaux malgré le sursis à exécution du permis de construire ne constituait pas, par principe, une infraction pénale au sens de cet article. C'est, ainsi, seulement dans le cadre du pourvoi formé par le titulaire du permis de construire, et donc pour ce dernier spécifiquement, que la CEDH a jugé que la qualification d'infraction pénale n'était pas applicable car contraire aux stipulations de l'article 7 de la CESDH.

2 - L'arrêt de la CEDH, d'ailleurs contestable, nécessitait seulement d'écarter en l'espèce la qualification d'infraction pénale

C'est de manière quelque peu contestable que la CEDH a considéré que la solution rendue par la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 6 mai 2002 constituait un revirement de jurisprudence imprévisible pour le requérant titulaire du permis de construire. En fait, la Cour de cassation n'avait jamais pris parti sur ce sujet, puisque si elle avait rejeté, le 9 novembre 1993 (Cass. crim., 9 novembre 1993, n° 93-80.025, Le Gac Joseph et autres N° Lexbase : A4894CQC), le pourvoi formé contre un arrêt de cour d'appel qui avait exclu la qualification d'infraction pénale pour les travaux réalisés après le sursis à exécution du permis de construire (CA Rennes, 10 décembre 1992), c'était au motif que ce pourvoi était irrecevable, et non au motif que la solution rendue par la cour d'appel était justifiée au fond. Ainsi, contrairement à ce qu'a estimé la CEDH, la Chambre criminelle de la Cour de cassation n'avait nullement confirmé et repris à son compte le raisonnement de la cour d'appel de Rennes.

En jugeant, dans l'arrêt du 6 mai 2002, que la poursuite de travaux était passible de poursuites pénales, la Chambre criminelle n'est donc pas revenue sur une solution antérieure contraire adoptée par elle, de sorte qu'il n'y pas eu, en 2002, "revirement de jurisprudence mais seulement invalidation par la Cour de cassation de la position prise antérieurement par une juridiction du fond dans une autre affaire" (note Trémeau et Carpentier sous CEDH, 10 octobre 2006, Req. 40403/02, Pessino c/ France, précité, AJDA, 2007, p. 1257). Au total, jusqu'à l'intervention de l'arrêt du 6 mai 2002, la question de savoir si le fait de construire en dépit du sursis à exécution du permis de construire était, ou non, constitutif d'une infraction pénale, n'était donc pas tranchée. Cet arrêt a donc plutôt constitué une interprétation judiciaire nouvelle, c'est-à-dire une solution inédite ne venant contredire aucune solution antérieure.

Quoiqu'il en soit, en le qualifiant de revirement de jurisprudence imprévisible et défavorable au titulaire du permis de construire qui avait fait l'objet d'un sursis à exécution, la CEDH en a seulement conclu que la qualification d'infraction était, en l'espèce et donc pour les seuls travaux qui avaient été réalisés par ce dernier, impossible. Le nécessaire respect de la chose jugée par la CEDH obligeait donc seulement la Cour de cassation à démentir la qualification d'infraction pénale pour ce requérant et ces travaux. En revanche, il ne l'obligeait nullement, comme elle l'a pourtant fait dans l'arrêt du 13 février 2009, à refuser cette qualification pour tous les travaux qui ont été, et qui seront exécutés dans ces conditions. C'est donc motu proprio, de sa propre initiative, que l'Assemblée plénière de la Cour de cassation est passée de l'espèce particulière au principe général, adoptant une solution beaucoup plus large d'un point de vue matériel et temporel.

Certains commentateurs de l'arrêt de la CEDH (Trémeau et Carpentier, précité) avaient estimé que la solution de la CEDH devait "demeurer sans suite, puisque l'arrêt de 2002 constitue aujourd'hui le précédent qui auparavant faisait défaut". En effet, cette solution n'interdisait nullement à la Cour de cassation, à l'occasion d'une autre affaire, postérieure à celle jugée le 6 mai 2002, de persister à qualifier d'infraction pénale la poursuite de travaux malgré le sursis à exécution du permis, puisqu'une telle qualification, similaire à celle adoptée à cette dernière date, n'aurait alors plus été imprévisible et contraire aux stipulations de l'article 7 de la CESDH. Ce n'est pourtant pas la voie qu'a choisie la Cour de cassation, puisque celle-ci a profité de l'occasion (et de l'espèce) qui lui était donnée par la sanction de la CEDH pour opérer, cette fois, un véritable revirement de jurisprudence par rapport à l'arrêt du 6 mai 2002. De manière donc quelque peu paradoxale et, peut-être, ironique, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation a profité de la sanction par la CEDH de son revirement de jurisprudence "imprévisible" pour opérer un véritable revirement de jurisprudence, contrairement à celui du 6 mai 2002.

B - ...mais dépasse cette origine circonstancielle pour ôter en principe tout caractère délictuel à la réalisation de travaux postérieurement à la suspension du permis de construire

1 - La jurisprudence judiciaire qualifie de délit de construction sans permis, et donc d'infraction pénale, la poursuite de travaux postérieurement à l'annulation, au retrait ou à la péremption du permis de construire

Il ne fait d'abord guère de doute que l'annulation d'un permis de construire prononcée par le juge administratif entraîne pour le titulaire de ce permis l'obligation de cesser tous travaux sur la construction incriminée, le permis annulé étant censé n'être jamais intervenu. La continuation de travaux dans cette hypothèse constitue donc une infraction pour défaut de permis de construire au sens de l'article L 480-4 du Code de l'urbanisme et impose au maire, qui, nous le verrons, a compétence liée pour ce faire, de prendre un arrêté interruptif de travaux (QE n° 16758 de Mme Zimmermann Marie-Jo, JOAN du 21 avril 2003 p. 3095, réponse publ. 7 juillet 2003, p. 5411, 12ème législature N° Lexbase : L9767ICQ). La même qualification pénale s'applique, bien entendu, dans le cas où les travaux ont été effectués sans permis de construire (2). Le délit de construction sans permis prévu à l'article L. 480-4 est, également, caractérisé lorsque les travaux ont été réalisés avant que le permis délivré eût été délivré (Cass. crim., 27 janvier 1987, n° 85-96.263, T. M N° Lexbase : A8744C3A, RDI, 1987, p. 393), ou après que la demande de permis a été refusée (Cass. crim., 20 mars 2001, n° 00-82.868, Hugonnot Michel N° Lexbase : A5278CXR, Bull. crim. n° 73, RDI, 2001, p. 508). Soulignons, d'ailleurs, que dans ce dernier cas, il importe peu que la décision de refus de permis soit illégale puisque cette prétendue illégalité ne peut enlever aux faits leur caractère punissable, né de l'entreprise de travaux sans permis.

En outre, et cela illustre également l'autonomie du droit pénal par rapport au droit administratif (autonomie sur laquelle nous reviendrons), l'existence d'une voie de recours devant le juge administratif contre un refus de permis de construire est sans incidence sur l'exercice de poursuites pour défaut de permis, le délit prévu à l'article L. 480-4 étant caractérisé, dès lors que la construction a été édifiée sans qu'un permis ait été préalablement accordé (Cass. crim., 6 octobre 1993, n° 92-85.984, Bournier Daniel N° Lexbase : A3677CGB, Bull. crim. n° 280). L'on voit donc que, sur ce point, l'autonomie du droit pénal par rapport au droit administratif se manifeste dans la temporalité propre de ce droit et de la qualification de l'infraction pénale par rapport à l'intervention du juge administratif. Par ailleurs, est qualifiée de délit de construction sans permis et donc d'infraction pénale, l'entreprise de travaux alors que le permis de construire est périmé ou caduc, du fait de l'expiration du délai prévu à l'article R. 421-32 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L2457HPP) (3). Enfin, il faut souligner que l'article L. 480-4 du même code ne vise pas seulement le délit de construction sans permis mais, également, le délit de construction en méconnaissance du permis régulièrement délivré (Cass. crim., 28 avril 1997, n° 96-84.343, Iemmolo Benoît N° Lexbase : A5921C43, Construction-Urbanisme, 1998, n° 34, observations Etchegaray), cette méconnaissance résidant, notamment, dans l'exécution de travaux différents de ceux autorisés par le permis (Cass. crim., 23 octobre 1990, n° 89-80.426, Roux Philippe N° Lexbase : A2900CZG).

L'autonomie de la qualification pénale se traduit, en outre, par l'autorité dont est revêtue cette qualification par rapport à l'action de l'administration, autorité que le juge administratif fait respecter à cette dernière. En effet, en application des dispositions de l'article L. 480-2, alinéa 3, du Code de l'urbanisme, il appartient au maire d'ordonner l'arrêt des travaux entrepris en méconnaissance des dispositions de l'article L. 480-4 du même code. Autrement dit, le maire a compétence liée pour ordonner l'interruption des travaux, dès lors que le délit de construction sans permis ou en méconnaissance du permis est caractérisé. Il est remarquable, à cet égard, que le juge administratif ait pour mission d'imposer à l'administration la soumission à la qualification d'infraction pénale et donc, concrètement, l'interruption des travaux dans une telle hypothèse (4). Il est, également, remarquable que, ce faisant, le juge administratif soit conduit à mettre ses pas dans ceux du juge judiciaire pour s'assurer que l'intéressé n'avait pas d'autorisation d'urbanisme lorsqu'il a entrepris les travaux litigieux : en effet, la légalité de l'arrêté municipal d'interruption des travaux est subordonnée à la condition que l'exécution des travaux dont l'interruption est demandée ait été constitutive d'une infraction pénale (CE 16 avril 1982, n° 25057, Ministre de l'Environnement c/ Germond N° Lexbase : A1206ALA). C'est ainsi que le juge administratif impose à l'administration l'interruption des travaux lorsque le permis a été rapporté (5), ou lorsqu'il est devenu caduc (6).

Dans ce cadre, le juge administratif se fait lui-même le garant de l'autonomie matérielle et temporelle du droit pénal en jugeant, comme la Chambre criminelle de la Cour de cassation, que l'arrêté d'interdiction des travaux ne peut intervenir qu'à la suite d'infractions commises lors de la réalisation des travaux, et non pour des motifs tirés de l'illégalité du permis ayant autorisé ces travaux (CE, 14 décembre 1981, n° 15498, SARL European Homes N° Lexbase : A7293AKC, au Recueil, p. 471). A cet égard, l'appréciation portée par le juge pénal s'impose au maire, immédiatement ou par le biais du juge administratif, que cette appréciation conduise à la qualification d'infraction pénale ou non. Ainsi, dès lors que l'infraction n'est pas retenue, l'arrêté d'interdiction des travaux est jugé dépourvu de base légale par le juge administratif (7). De même, le maire est tenu de rapporter son arrêté interruptif de travaux si le parquet a classé sans suite les poursuites pour construction sur le fondement d'un permis périmé (CE, 23 juin 2004, n° 238438, Ministre des transports N° Lexbase : A7722DCY, Construction-Urbanisme, 2004, n° 177, note Rousseau).

Au total, l'on voit donc que le juge administratif, en se prononçant sur la légalité de l'arrêté d'interruption des travaux, fait application de son pouvoir d'appréciation dans les mêmes conditions que le juge pénal, et plus particulièrement à propos de la même matière. En effet, comme ce dernier, le juge administratif doit apprécier si les travaux ont été réalisés sans permis de construire, en vertu d'un permis rapporté ou caduc, ou encore en méconnaissance d'un permis régulièrement délivré. C'est en fait le but et l'objet assignés à ce pouvoir d'appréciation qui distingue l'office des deux juges. En effet, pour le juge pénal, cette appréciation décide de la qualification, ou non, d'infraction pénale ; pour le juge administratif, cependant, cette appréciation décide de la légalité ou de l'illégalité de la décision d'interruption des travaux prise par le maire.

2 - Désormais, la jurisprudence judiciaire se refuse à retenir une telle qualification en ce qui concerne les travaux réalisés postérieurement à la suspension du permis

L'arrêt du 13 février 2009 pourrait, cependant, briser cette harmonie entre les jurisprudences respectives du juge pénal et du juge administratif. En effet, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation affirme dans cet arrêt, après avoir rappelé que la loi pénale est d'interprétation stricte, que "la poursuite des travaux malgré une décision de la juridiction administrative prononçant le sursis à exécution du permis de construire n'est pas constitutive de l'infraction de construction sans permis" prévue par l'article L. 480-4 du Code de l'urbanisme. En outre, de manière significativement pédagogique, l'arrêt reproduit le moyen soulevé par le conseil du requérant titulaire du permis de construire suspendu (ou plutôt objet du sursis à exécution), moyen retenu par la Cour. La reproduction et l'examen de ce moyen permettent d'expliciter la position adoptée par celle-ci. Selon ce moyen, la construction malgré le sursis à exécution du permis ne caractérise ni l'infraction de l'article L. 480-3 (construction en méconnaissance d'un arrêté interruptif de travaux), dès lors qu'aucun arrêté de ce type n'avait en l'espèce été pris avant la réalisation des travaux, ni l'infraction de l'article L. 480-4, "dès lors que la juridiction administrative n'avait pas, au moment de la continuation des travaux, annulé le permis de construire sur le fondement duquel ceux-ci ont été entrepris".

Ainsi donc, selon l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, le sursis à exécution (ou la suspension) du permis de construire n'a ni pour objet, ni pour effet, de faire disparaître ce permis et il ne peut, en conséquence, équivaloir à une construction en l'absence de permis. Seule l'annulation du permis de construire peut, en effet, faire disparaître (d'ailleurs rétroactivement) le permis. Autrement dit, seul un jugement d'annulation du permis par le juge administratif peut imposer au juge pénal de caractériser l'infraction pénale. Dit encore plus brutalement, cela signifie que la décision de suspension du permis de construire prise par le juge administratif ne s'impose pas au juge pénal. C'est qu'en effet, à strictement parler, suspendre n'est pas annihiler.

II - La solution retenue par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation, logique eu égard au principe d'autonomie du droit pénal, semble, cependant, difficilement cohérente avec la jurisprudence administrative

A - Une solution logique eu égard au principe d'autonomie du droit pénal

1 - L'autonomie du droit pénal en matière de rétroactivité des décisions de justice

En matière d'appréciation de la validité des autorisations de construire, appréciation nécessaire à la qualification, ou non, d'infraction pénale, le juge pénal s'affranchit du principe général de rétroactivité des décisions d'annulation prononcées par le juge administratif. Il est vrai que cette liberté prise par le juge pénal trouve, désormais, des échos dans la liberté qu'a instaurée et prise le juge administratif et qui tend, dans certains cas, à ôter à la règle jurisprudentielle nouvelle toute application et effet rétroactifs (CE, 16 juillet 2007, n° 291545, Société Tropic Travaux Signalisation N° Lexbase : A4715DXW, au Recueil, AJDA, 2007, p. 1577, chronique Lenica et Boucher). Il faut, toutefois, souligner que le juge pénal n'a pas attendu la décision "Tropic Travaux" pour refuser tout effet rétroactif aux décisions d'annulation du permis de construire prises par le juge administratif. Selon le juge pénal, en effet, l'annulation du permis ne rend pas illégaux, en particulier au regard des dispositions de l'article L. 480-4 du Code de l'urbanisme, les actes de construction réalisés antérieurement à cette annulation (Cass. crim. 15 février 1995, n° 94-80.738, L'association des amis de Saint-Palais N° Lexbase : A5155CT4, DA, 1995, n° 315, Defrénois, 1996, n° 9, p. 597).

Ainsi, le principe d'autonomie du droit pénal fait échec à l'effet rétroactif attaqué à la décision d'annulation prise par le juge administratif, car les éléments constitutifs de l'infraction pénale s'apprécient "au temps de l'action", c'est-à-dire au temps de la construction. Autrement dit, selon la logique pénale, lorsque le constructeur est titulaire d'un permis de construire, il ne peut y avoir infraction en ce qui concerne les travaux réalisés sous couvert d'un permis en vigueur au moment des faits, c'est-à-dire de la construction, même si ce permis a ensuite été annulé. Précisons que cette mise en échec du caractère rétroactif des décisions d'annulation prises par le juge administratif de l'excès de pouvoir ne saurait, cependant, s'appliquer dans des hypothèses où le permis sur le fondement duquel a été entreprise la construction a été obtenu par fraude (Cass. crim., 4 novembre 1998, n° 97-82.569, Jacquemard Jean-Marie N° Lexbase : A1046CGT, Bull. crim., n° 286), ou dans des cas où le pétitionnaire fait preuve d'une mauvaise foi patente, c'est-à-dire dans des cas où l'illégalité du permis délivré était évidente (Cass. crim., 15 novembre 1995, n° 94-85.414, Mazzacurati Bruno N° Lexbase : A8982ABB, DA, 1996, n° 189).

A l'inverse, mais toujours dans un esprit d'autonomie par rapport à l'effet normalement rétroactif des décisions d'annulation prises par le juge administratif, et à l'effet parfois rétroactif des décisions prises par l'autorité administrative elle-même, le juge pénal considère que la régularisation des travaux (entrepris sans permis) a posteriori, par le moyen d'un permis de construire rétroactif, laisse subsister l'infraction pénale de construction sans permis (8). Précisons, à cet égard, que la délivrance d'un permis de régularisation, si elle est impuissante à faire disparaître le délit de construction sans permis visé à l'article L 480-4, permet, en revanche, au titulaire du permis d'échapper aux mesures de restitution prévues à l'article L. 480-5, à savoir celles qui tendent à la mise en conformité des lieux ou ouvrages avec les règlements, voire à la démolition ou à la remise en état des lieux (Cass. crim. 15 novembre 2005, n° 04-80.034, Construction-Urbanisme, 2006, n° 52, note Cornille). De même, lorsque les travaux ont été exécutés à une époque où le permis de construire était frappé d'annulation, le délit de construction sans permis est caractérisé même si, ultérieurement, le juge administratif a lui-même réformé son annulation et, ainsi, remis rétroactivement en vigueur le permis initialement annulé (Cass. crim., 27 juin 2006, n° 05-83.070, F-P+F N° Lexbase : A4699DQ4, Construction-Urbanisme, 2006, n° 229, note Durand).

Au total, l'on voit donc que le principe d'autonomie du droit pénal conduit le juge pénal à opposer à la fiction juridique de la disparition ou de la remise en vigueur rétroactives du permis la réalité juridique et matérielle qui prévalait au moment des travaux en cause.

2 - La solution rendue par l'arrêt du 13 février 2009 semble conforme à la lettre des dispositions de l'article L 480-4 du Code de l'urbanisme

Nous l'avons vu, l'infraction pénale prévue par l'article L. 480-4 du Code de l'urbanisme n'est caractérisée que dans les cas où les travaux en cause ont été entrepris sans permis, sur le fondement d'un permis annulé (au moment des travaux), retiré ou périmé, ou enfin en méconnaissance d'un permis régulièrement délivré. En bref, il n'y a infraction que si, au moment de la réalisation des travaux, le constructeur n'avait pas ou plus de permis, ou que s'il disposait d'un permis qui ne l'autorisait pas à réaliser ces travaux. Ainsi que le souligne la doctrine, les incriminations visées par les articles L. 480-3 et L. 480-4 du Code de l'urbanisme concernent ainsi soit l'absence de permis, soit la contravention à la décision d'interruption, "mais non la méconnaissance du sursis à exécution, lequel ne vaut pas annulation et n'emporte pas, par lui-même, interruption des travaux" (G. Roujou de Boubée, T. Garé, S. Mirabail, Chronique de droit pénal juin 2006 - novembre 2006, Dalloz, 2007, p. 399). D'ailleurs, dans son arrêt du 20 octobre 2006, la CEDH elle-même avait relevé que l'analyse du Code de l'urbanisme semblait montrer que le prononcé du sursis à exécution d'un permis de construire était, en ce qui concernait ses conséquences pénales, clairement assimilable à une "décision judiciaire ou un arrêt ordonnant l'interruption des travaux" au sens des dispositions de l'article L. 480-3. Autrement dit, la CEDH avait écarté la qualification d'infraction pénale au regard de ces dispositions.

La solution retenue par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation dans l'arrêt du 13 février 2009 n'est donc guère surprenante au regard de la lettre des dispositions des articles L. 480-3 et L. 480-4 du Code de l'urbanisme. Elle est même la seule solution pleinement respectueuse de l'autonomie du droit pénal et du principe d'interprétation stricte de la loi pénale, laquelle ne saurait être interprétée de manière extensive afin d'élargir le champ d'application de l'infraction pénale. Or, force est de constater qu'en jugeant, par l'arrêt du 6 mai 2002, que la construction réalisée en dépit du sursis à exécution du permis de construire était constitutive du délit de construction sans permis au sens de l'article L. 480-4, la Chambre criminelle de la Cour de cassation avait adopté une interprétation extensive de la notion de construction sans permis, et donc une interprétation et une application extensives de l'infraction pénale prévue par cet article.

B - Une solution qui semble, cependant, difficilement compatible avec la jurisprudence administrative

1 - L'autorité attachée aux décisions de suspension doit logiquement contraindre le bénéficiaire du permis suspendu à interrompre les travaux

On le sait, le juge des référés ne prend que des décisions à caractère provisoire, décisions qui, dans le cas des sursis à exécution et, désormais, des référés-suspension, cessent de recevoir effet dès lors que le juge du fond, juge de l'excès de pouvoir qui doit obligatoirement être saisi parallèlement à l'engagement de la procédure d'urgence, rend sa décision. Les décisions prises par le juge des référés n'ont donc pas, au principal, l'autorité de la chose jugée. Il n'en demeure pas moins que ces décisions sont immédiatement exécutoires et, en vertu de l'autorité qui s'attache aux décisions de justice, obligatoires. En conséquence, lorsque le juge des référés a prononcé la suspension d'une décision administrative et qu'il n'a pas été mis fin à cette suspension (soit par l'aboutissement du recours au fond, soit dans les conditions prévues à l'article L. 521-4 du Code de justice administrative N° Lexbase : L3060ALW), l'administration ne peut légalement reprendre la même décision sans qu'il ait été remédié au vice que le juge des référés a pris en considération pour prononcer cette suspension (9). Ajoutons qu'en matière d'urbanisme, la suspension du permis de construire par le juge administratif des référés s'accompagne de la transmission d'une copie de son ordonnance au Procureur de la république près le tribunal de grande instance territorialement compétent (CJA, art. R. 522-14 N° Lexbase : L7157HZ4), ce qui pourrait (ou aurait pu, puisque l'arrêt du 13 février 2009 ne l'a pas retenu) signifier que la poursuite des travaux postérieurement à la suspension du permis est bien une infraction).

L'on sait, également, que, selon la jurisprudence administrative, le juge de l'urgence, contrairement au juge de l'injonction, peut toujours apprécier l'opportunité de prononcer le sursis à exécution (et désormais la suspension) de la décision contestée, et ce même si les conditions présidant au sursis ou à la suspension sont remplies (10). Relevons, en effet, qu'aux termes de l'article L. 521-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3057ALS), le juge des référés "peut ordonner" la suspension. Dès lors que le juge des référés n'est jamais tenu de prononcer le sursis à exécution ou la suspension, l'on peut penser que lorsqu'il prononce ces mesures, c'est qu'il les estime nécessaires dans les circonstances de l'espèce et qu'il veut, ainsi, contraindre l'administration, pour le moins, à réexaminer la situation de l'administré, que la suspension vise l'autorisation accordée à celui-ci (comme dans le cas d'une délivrance de permis de construire) ou le refus qui lui a été opposé. En bref, la suspension a pour seul effet de ressaisir l'administration et, dans le cas de la suspension d'un permis de construire, elle lui permet, éventuellement, de délivrer un permis modificatif purgé des défauts (relevés et sanctionnés par le juge des référés) du permis initial.

Dès lors que la suspension d'une décision administrative emporte la suspension de ses effets, la décision de suspension du permis de construire, qui fait perdre à ce permis son caractère exécutoire, est, par elle-même, suffisante à interrompre la construction entamée (11). Ainsi que le soulignait F. Lamy dans ses conclusions sous la décision précitée "Ouatah", "le sursis à exécution, ou, si l'on se réfère à l'article L. 521-1 [du Code de justice administrative], la suspension de l'exécution d'une décision administrative, lorsqu'elle est exécutoire, est en soi une injonction : injonction de ne pas faire et plus précisément de ne pas exécuter". Il est donc clair, pour la jurisprudence administrative, que la suspension du permis de construire entraîne ipso facto l'arrêt immédiat des travaux. Il est vrai que le juge des référés peut expliciter cet automatisme en assortissant la décision de suspension d'une injonction tendant à l'arrêt immédiat des travaux. Toutefois, outre que le prononcé d'une telle injonction est subordonné à la présentation de conclusions en ce sens par le requérant (sous peine pour le juge de statuer ultra petita), il a été jugé que le prononcé d'une telle mesure d'injonction n'était pas nécessaire (CAA Nantes, Plénière, 26 juin 1996, n° 96NT00565, District de l'agglomération nantaise N° Lexbase : A5255BH4, BJDU, 1996, p. 355, conclusions Isaïa).

Ajoutons, enfin, que si la suspension ne peut être prononcée que si les travaux sont en cours et ne sont donc pas achevés (12), l'achèvement des travaux au mépris du sursis à exécution prononcé par le juge de l'urgence ne fait pas obstacle à un appel contre la décision ayant prononcé le sursis (CE, 25 mars 2002, n° 221853, SEM Saint-Martin et autres N° Lexbase : A4076AYM, Construction-Urbanisme, 2002, n° 160, note Benoît-Cattin). Cette solution, évidemment transposable en cas de suspension du permis, démontre que la jurisprudence administrative est soucieuse de préserver l'autorité et l'utilité des décisions de suspension prononcées par le juge des référés.

Au total, il nous semble que la jurisprudence administrative conduit, dans le cas où un permis de construire a été suspendu, à imposer au titulaire de ce permis de cesser immédiatement les travaux. La suspension du permis vaut donc interdiction temporaire (jusqu'à l'intervention de la décision du juge du fond ou jusqu'à la modification du permis) de poursuivre les travaux. L'on pourrait donc en conclure que, selon la logique de la jurisprudence administrative, la méconnaissance de cette interdiction doit être passible de poursuites pénales sur le fondement des dispositions de l'article L. 480-3 du Code de l'urbanisme, qui prohibent la construction en méconnaissance d'une décision judiciaire.

2 - L'existence d'une procédure spécifique pour le bénéficiaire d'un permis suspendu désireux de poursuivre les travaux

Ainsi, toujours selon la procédure et la jurisprudence administratives, la suspension du permis de construire contraint le bénéficiaire du permis suspendu, s'il souhaite poursuivre les travaux, à solliciter la délivrance d'une nouvelle autorisation de construire tenant compte des éléments ayant justifié la suspension (CE, 10 mai 1996, n° 140027, SCI Le Rayon Vert N° Lexbase : A8973ANN). Dans ce cadre, le maire ne peut en aucun cas délivrer un permis de construire identique au permis suspendu et faire, ainsi, échec aux effets de la suspension, manoeuvre qui peut être qualifiée de détournement de pouvoir (13). En bref, l'autorisation délivrée postérieurement à la suspension du permis ne peut avoir pour objet, ou pour effet, de faire échec au caractère exécutoire de la décision de suspension. C'est pourquoi, lorsqu'il est saisi, à la suite de la suspension du permis et de la délivrance d'un permis modificatif, d'un référé mesures utiles (CJA, art. L. 521-3 N° Lexbase : L3059ALU) tendant à ce qu'il enjoigne à l'administration d'ordonner l'interruption des travaux, le juge des référés doit examiner si le permis modificatif a remédié aux vices retenus par l'ordonnance de suspension du permis initial (CE, 27 juillet 2006, n° 287836, Ministre des transports c/ Patoulle N° Lexbase : A8058DQI, aux Tables, p. 1112).

La procédure à suivre est donc stricte et complexe pour le titulaire d'un permis suspendu. Il lui appartient de solliciter la délivrance d'un permis modificatif. Dès lors qu'un tel permis lui a été délivré, il lui appartient, alors (ainsi qu'à toute personne intéressée), de saisir à nouveau le juge des référés sur le fondement de l'article L. 521-4 du Code de justice administrative, en faisant état de l'élément nouveau que constitue la délivrance du permis modificatif de régularisation, afin qu'il mette fin à la suspension du permis initial (14).

Ajoutons que lorsque le titulaire d'un permis suspendu a, néanmoins, poursuivi les travaux, le requérant qui a obtenu la suspension peut saisir le juge des référés au titre du référé mesures utiles de conclusions tendant à ce que celui-ci enjoigne au maire de faire dresser un procès-verbal d'infraction, d'édicter un arrêté interruptif de travaux, et d'en transmettre copie au procureur de la République près le tribunal de grande instance territorialement compétent, en application de l'article R. 522-14 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L7157HZ4) (CE, 6 février 2004, n° 256719, Masier N° Lexbase : A3537DBM, au Recueil, RDI, 2004, p. 221, note Soler-Couteaux). Dès lors que le juge administratif des référés accepte d'enjoindre à l'administration de faire dresser un procès-verbal d'infraction au titre de la réalisation de travaux postérieurement à la suspension du permis, ne faut-il pas en conclure que, selon lui, ces faits sont constitutifs d'une infraction pénale, et ce contrairement à ce que vient de juger l'Assemblée plénière de la Cour de cassation ? On le voit, l'intervention de l'arrêt du 13 février 2009 nécessitera, pour le moins, une clarification et une prise de position du juge administratif sur l'effet qui s'attache, selon lui, à la poursuite de travaux en dépit de la suspension du permis de construire.

Par son arrêt du 13 février 2009, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation a pris une position contraire en principe à celle adoptée par la Chambre criminelle le 6 mai 2002. Ce revirement de jurisprudence manifeste l'autonomie des qualifications pénales par rapport aux qualifications opérées par l'administration et le juge administratif. Elle est, par ailleurs, tout à fait justifiée au regard du principe d'interprétation stricte de la loi pénale qui interdisait en l'espèce de retenir une interprétation extensive, et constructive (car non prévue par la lettre des articles L 480-3 et L 480-4 du Code de l'urbanisme), de la qualification d'infraction pénale et plus précisément du délit de construction sans permis. La solution retenue par l'Assemblée plénière de la Cour de cassation a vocation à s'appliquer à tous les travaux réalisés en dépit de la suspension du permis de construire et plus généralement à tous les travaux entrepris postérieurement à la suspension d'une autorisation de construire.

La question essentielle que pose cette solution est celle de sa cohérence avec l'esprit de la jurisprudence administrative qui s'attache à préserver et à faire respecter la force exécutoire des décisions de suspension, et qui tend donc à imposer au titulaire d'un permis suspendu l'arrêt immédiat des travaux, permettant, ainsi, à toute personne intéressée de saisir le juge de l'urgence afin qu'il contraigne le titulaire à respecter cette interdiction de construire. Que dire, en outre, du cas où, saisi de conclusions en ce sens, le juge administratif des référés aura assorti sa décision de suspension d'une injonction tendant à l'arrêt immédiat des travaux ? Entre un juge administratif qui exigera l'interruption des travaux et un juge pénal qui refusera toute qualification pénale à la poursuite des travaux, la situation ne sera pas des plus claires pour le titulaire du permis suspendu et pour toutes les personnes intéressées, et l'on peut penser que le premier tirera argument de cette obscurité pour prendre des libertés vis-à-vis de la décision de suspension prise par le juge administratif. On le voit donc, la dualité des ordres de juridiction sera source de confusion. Osons un pronostic : la solennité de l'arrêt rendu le 13 février 2009 par le juge judiciaire devrait contraindre le juge administratif à faire évoluer sa jurisprudence.


(1) Cass. crim., 23 juillet 1973, n° 72-93.696, Baudin (N° Lexbase : A7262CIS), Bull. crim., n° 338 ; Cass. crim., 10 décembre 1985, n° 84-92.105, Potentier, Lelong, Teste et autres (N° Lexbase : A4946AAG), Bull. crim., n° 395.
(2) Cf. par exemple, Cass. crim., 2 octobre 1981, n° 80-94.295, AJPI, 1982, p. 735, chronique Pittard ; Cass. crim., 6 juin 2000, n° 99-83.395, Grzelaczk Philippe (N° Lexbase : A6143CNT).
(3) Cass. crim., 9 mars 1999, n° 97-85.933, Yvon Christian (N° Lexbase : A1981CQG) ; Cass. crim., 20 novembre 2001, n° 01-81.149, Ferrer De Gracia Isabelle (N° Lexbase : A8346CXE).
(4) Cf., pour des cas de construction sans permis, CE Contentieux, 4 janvier 1985, n° 22241, Société Reynoird (N° Lexbase : A3077AMW), au Recueil, p. 2 ; CE 3° et 8° s-s-r., 20 février 2002, n° 235725, M. Plan (N° Lexbase : A1521AYY), BJDU, 2002, p. 175, conclusions Mignon.
(5) CE, 6° et 2° s-s-r., 17 mars 1976, n° 99289, Todeschini (N° Lexbase : A1711B8U), au Recueil, p. 157 ; CE, 11 juin 1993, n° 89119, SA HLM Habitat Mutualité c/ Maire de Grasse (N° Lexbase : A0178ANW).
(6) CE, 28 janvier 1983, n° 25678, Auclair (N° Lexbase : A1898AMA), aux Tables, p. 914 ; CE, 15 avril 1992, n° 67407, SCI Chaptal (N° Lexbase : A6523ARZ), aux Tables, p. 1394.
(7) CE, 22 juillet 1994, Baillère et autres, BJDU, 1995, p. 45, conclusions Arrighi de Casanova ; CE 10 octobre 2003, n° 242373, Commune de Soisy-sous-Montmorency (N° Lexbase : A8439C9G), BJDU, 2003, p. 415, conclusions Glaser : permis jugé non caduc par le juge pénal.
(8) Cass. crim., 3 décembre 1974, n° 73-93.054, Morelli (N° Lexbase : A9437CEA), Bull. crim., n° 359 ; Cass. crim., 19 mars 1992, n° 91-83.290, Barberoux Louis (N° Lexbase : A0288ABB), Bull. crim., n° 121 ; Cass. crim., 18 juin 1997, n° 96-83.082, Leloup Patrick (N° Lexbase : A0221CIZ), Bull. crim., n° 247.
(9) CE Section 5 novembre 2003, n° 259339, Association "Convention vie et nature pour une écologie durable" (N° Lexbase : A1062DAL), au Recueil, p. 440, AJDA, 2003, p. 2253, chronique Donnat et Casas, RFDA, 2004, p. 601, conclusions Lamy.
(10) CE Assemblée, 13 février 1976, n° 99708, Association de sauvegarde du Quartier Notre-Dame (N° Lexbase : A2040AY9), au Recueil, p. 100 ; CE 20 décembre 2000, n° 206745, M. Ouatah (N° Lexbase : A2049AIQ), AJDA, 2001, p. 146, chronique Guyomar et Collin.
(11) CE 16 janvier 1985, n° 57106, Codorniou (N° Lexbase : A3377AMZ), aux Tables, p. 728 ; CE 3° et 8° s-s-r., 29 décembre 2004, n° 266234, Commune de Vidauban (N° Lexbase : A2428DGZ).
(12) CE 8 août 2001, n° 233970, Association de défense des riverains de l'école normale et autres (N° Lexbase : A1254AWD), RDI, 2001, p. 542, note Soler-Couteaux ; l'existence de travaux suffisant d'ailleurs à caractériser l'urgence : CE, 5 décembre 2001, n° 237294, Société Intertouristik Holidays (N° Lexbase : A7507AXC), DA, 2002, n° 118.
(13) CE, 11 décembre 1991, n° 125745, Association Fouras Environnement Ecologie (N° Lexbase : A0591ARC), aux Tables, pp. 686 et 1263 ; CE 10 juillet 1996, n° 139435, Société Le Saint-Alexis et Commune de Saint-Paul de la Réunion (N° Lexbase : A0666APD), aux Tables, pp. 702 et 1223.
(14) CE, 24 février 2003, n° 248893, Commune de Saint-Bon-Tarentaise (N° Lexbase : A4667A7Y) ; CE, 27 juillet 2005, n° 277612, M. Trautmann (N° Lexbase : A1527DKR) : le bénéficiaire du permis est fondé à demander la fin de la suspension lorsque les prescriptions relatives à l'assainissement, qui ont fondé la décision de suspension, ont été modifiées par un arrêté ultérieur.

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