La lettre juridique n°419 du 2 décembre 2010 : Retraite

[Textes] La prise en compte de la pénibilité par la loi portant réforme des retraites (articles 27, 60 à 89 et 103 à 106 de la loi)

Réf. : Loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L3048IN9)

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[Textes] La prise en compte de la pénibilité par la loi portant réforme des retraites (articles 27, 60 à 89 et 103 à 106 de la loi). Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211380-textes-la-prise-en-compte-de-la-penibilite-par-la-loi-portant-reforme-des-retraites-articles-27-60-a
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par Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV

le 04 Janvier 2011

Publiée au Journal officiel du 10 novembre 2010, la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites, ne traite pas seulement du financement des retraites mais s'est attaquée aux difficiles questions de la pénibilité, de l'égalité homme/femme et de la fonction publique. Lexbase Hebdo - édition sociale vous propose de revenir, avec Sébastien Tournaux, Maître de conférences à l'Université Montesquieu - Bordeaux IV sur les dispositions relatives à la pénibilité, au travail des seniors et sur des situations de départ progressif à la retraite.
La loi du 9 novembre 2010, portant réforme des retraites, a pour ambition d'assurer la pérennité du financement de la branche retraite de la Sécurité sociale par le report de l'âge légal de départ à la retraite et de l'âge de départ à taux plein malgré l'insuffisance de trimestres cotisés. L'allongement de la vie au travail qui en découle devait nécessairement prendre en considération le fait que certaines professions sont plus pénibles que d'autres et, par conséquent, que les salariés de ces métiers n'étaient pas à même d'assumer un tel allongement. La loi comporte donc un volet "pénibilité" dont l'analyse démontre qu'il est relativement décevant, tant les mesures qu'il comporte paraissent insuffisantes (I). Un autre aspect devait être envisagé, celui du travail de ces seniors qui travailleront plus longtemps. Là encore, les dispositions de la loi paraissent dérisoires, même s'il est vrai qu'elles s'ajoutent à d'autres mesures préexistantes (II). La loi comporte, enfin, quelques dispositions diverses principalement centrées sur l'idée de départ progressif à la retraite dans certaines situations (III). I - Prise en compte de la pénibilité

Le volet "pénibilité" de la loi tente d'agir dans trois domaines : celui de la prévention (A), de la négociation (B) et de la compensation (C) de la pénibilité.

A - La prévention de la pénibilité

  • Pénibilité : des symboles à défaut d'une définition

Les articles 61 et 62 de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L3048IN9), adoptent des mesures hautement symboliques en matière de prévention de la pénibilité au travail.

Le premier de ces textes ajoute, en effet, à l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur établie par l'article L. 4121-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3097INZ) un champ nouveau, celui des actions de prévention "de la pénibilité au travail". Lui faisant écho, l'article L. 4612-2 du Code du travail (N° Lexbase : L3098IN3) ajoute, également, une corde à l'arc du Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail qui devra procéder "à l'analyse de l'exposition des salariés à des facteurs de pénibilité".

Outre ces deux modifications du Code du travail, l'article 78 de la loi précise les missions de l'observatoire de la pénibilité placé auprès du Conseil d'orientation sur les conditions de travail (1). Le comité permanent du Conseil d'orientation "est assisté d'un observatoire de la pénibilité chargé d'apprécier la nature des activités pénibles dans le secteur public et le secteur privé, et en particulier celles ayant une incidence sur l'espérance de vie. Cet observatoire propose au comité permanent toute mesure de nature à améliorer les conditions de travail des salariés exposés à ces activités".

L'impression première donnée par ces modifications est celle d'une volonté de prendre en considération la pénibilité au travail. Cette volonté ne masque pourtant que difficilement le déficit de véritables mesures dans la loi destinées à prendre en compte les liens entre pénibilité du travail et bénéfice des droits à la retraite. Le symbole est également écorné par l'imprécision du texte à l'égard du concept de pénibilité au travail.

Ainsi, malgré les débats houleux sur la question, la loi n'aboutit à aucune définition de la pénibilité. Certes, un tel travail de définition relevait probablement de la gageure (2). Une solution avait été proposée par voie d'amendement et consistant à imposer une négociation collective future obligatoire destinée à déterminer une définition et des règles plus précises en matière de pénibilité. Comme tant d'autres, l'amendement a été rejeté.

Le bilan sur la définition de la pénibilité est relativement sombre. Faute de définition et en raison d'un cadre trop restreint de sa prise en compte, le concept de pénibilité demeure, essentiellement, une sorte de coquille vide restée à l'état de symbole.

  • Le dossier médical en santé au travail

La loi du 9 novembre 2010 a fait l'objet d'une censure à l'occasion de la saisine du Conseil constitutionnel. En effet, les sages ont jugé que les dispositions des articles 63 à 75 de la loi, tous relatifs à une réforme de la médecine du travail, constituaient des cavaliers législatifs (3). Si le texte censuré fait d'ores et déjà l'objet d'une nouvelle proposition de loi dans des termes parfaitement identiques (4), il manque, certainement, dans la loi une partie opérationnelle du contrôle de l'état de santé du salarié et de la prise en compte de la pénibilité.

Le sentiment de manque n'est pas véritablement comblé par les dispositions issues de l'article 60 I de la loi qui (re)crée le "dossier médical en santé au travail". Au terme d'un nouvel article L. 4624-2 du Code du travail (N° Lexbase : L3100IN7), ce dossier médical "retrace [...] les informations relatives à l'état de santé du travailleur, aux expositions auxquelles il a été soumis ainsi que les avis et propositions du médecin du travail". Présenté par le rapporteur de la Commission des affaires sociales comme une évolution majeure, il demeure cependant nécessaire d'utiliser une loupe pour percevoir les changements opérés par le texte.

En effet, il existait déjà un dossier médical établi par le médecin du travail au moment de la visite d'embauche pour chaque salarié et jusqu'ici encadré par les articles D. 4624-46 (N° Lexbase : L3848IAR) et suivants du Code du travail. L'apport de la loi en la matière ne se limite, bien évidemment, pas à hisser les dispositions relatives à ce dossier au rang législatif. Les limites de l'efficacité de l'ancien dossier médical avaient été mises en exergue par la Haute autorité de santé et, en particulier, ses insuffisances en matière d'informations relatives à l'exposition des salariés à des risques professionnels (5).

Compte tenu des objectifs déterminés par l'article L. 4624-2 nouveau, le dossier médical en santé au travail devrait être à même de comporter des informations plus précises et détaillées que son prédécesseur. Si les informations "relatives à l'état de santé du travailleur" et celles tenant aux "avis et propositions du médecin du travail" ne constitueront probablement pas un changement important (6), il en va différemment des informations qu'il contiendra au sujet des "expositions auxquelles [le salarié] a été soumis".

En effet, cette précision devrait permettre d'assurer un suivi médical renforcé des salariés exposés à des risques professionnels d'une manière plus générale, quelle que soit l'exposition en cause. Jusqu'à présent, seules certaines causes spécialement identifiées d'expositions menaient à une inscription au dossier médical (7).

Si des informations plus générales pourront donc être apportées au dossier médical en la matière, la question de la détermination exacte des risques et expositions devant être mentionnés demeure sans réponse. Faudra-t-il se référer aux facteurs d'exposition visés par les tableaux des maladies professionnelles ? Faudra-t-il attendre une liste dressée par l'un des nombreux décrets d'application attendus ? Faudra-t-il mentionner tout élément quelconque qui pourra être jugé par le médecin du travail comme un risque pour la santé du salarié, du harcèlement au port de charges lourdes ? Une partie de la réponse peut, cependant, être trouvée à la lecture de l'article 60, II, de la loi qui établit une fiche individuelle sur les risques que peut encourir le salarié et dont la délimitation devrait être à même d'identifier les expositions devant être portées au dossier médical.

Pour le reste, le régime juridique de ce dossier médical renouvelé ressemble à s'y méprendre à celui de l'ancien dossier médical. Le dossier peut être communiqué au médecin du choix du salarié et à ses ayant droits en cas de décès. Il peut être transmis au médecin inspecteur du travail en cas de risque pour la santé publique, voire être communiqué à un autre médecin du travail sauf refus du salarié, ce qui permettra d'assurer un suivi médical du salarié d'une entreprise à une autre. Comme l'ancien dossier, le nouveau dossier médical en santé au travail devra être complété par le médecin du travail après chaque visite médicale subie par le salarié.

Finalement, on peut légitimement se demander s'il était nécessaire qu'une telle disposition figure dans la loi, tant une modification du texte réglementaire par le Gouvernement paraissait suffisante (8). Symbole vous dit-on !

  • La fiche d'exposition à des facteurs de pénibilité

L'article 60, II, de la loi crée un nouvel article L. 4121-3-1 du Code du travail (N° Lexbase : L3099IN4) dans le chapitre du code relatif à l'obligation de sécurité de l'employeur. Le nouveau texte prévoit que "pour chaque travailleur exposé à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels [...] liés à des contraintes physiques marquées, à un environnement physique agressif ou à certains rythmes de travail susceptibles de laisser des traces durables identifiables et irréversibles sur sa santé, l'employeur consigne dans une fiche [...] les conditions de pénibilité auxquelles le travailleur est exposé, la période au cours de laquelle cette exposition est survenue ainsi que les mesures de prévention mises en oeuvre par l'employeur pour faire disparaître ou réduire ces facteurs durant cette période". Il s'agit donc, pour l'employeur, d'une nouvelle obligation tendant à établir une fiche individuelle pour chaque salarié retraçant l'exposition à différents risques dans l'entreprise.

Ladite fiche sera, ensuite, consignée dans le dossier médical du salarié, créé par l'article 60, I, de la loi, et une copie sera délivrée au salarié à son départ de l'entreprise, mais seulement, "en cas d'arrêt de travail excédant une durée fixée par décret ou de déclaration de maladie professionnelle". Concrètement, il s'agira donc d'un nouveau document dont la remise au salarié sera obligatoire, au même titre que l'attestation de travail ou l'attestation pôle emploi, dans le cas où la rupture du contrat de travail survient à la suite d'un arrêt de travail suffisamment long ou d'une déclaration de maladie professionnelle.

Cette fiche constitue, en réalité, une sorte d'individualisation du document unique sur les risques professionnels dans l'entreprise encadré par les articles R. 4121-1 (N° Lexbase : L3625ICA) et suivants du Code du travail. Elle s'en distingue, cependant, sur au moins deux points de vue.

D'abord, contrairement aux dispositions relatives au document unique qui ne déterminent pas les risques qui doivent y être envisagés, le nouvel article L. 4121-3-1 du Code du travail dresse une liste de circonstances, certes relativement vastes, pouvant donner lieu à inscription sur la liste : des contraintes physiques marquées, un environnement physique agressif ou certains rythmes de travail susceptibles de laisser des traces durables identifiables et irréversibles sur sa santé.

Ensuite, et surtout, l'objectif de la fiche individuelle diffère probablement de celui du document unique. Alors que l'établissement du document unique répond à un objectif de prévention dans le cadre de l'obligation de sécurité de résultat à la charge de l'employeur, la fiche individuelle a pour vocation de permettre une forme de "traçabilité" des expositions du salarié afin de déterminer la pénibilité de sa carrière professionnelle. Il ne faudrait, cependant, pas que cet objectif louable soit détourné de son objet et que des salariés au passif émaillé d'expositions à tel ou tel risque soient stigmatisés par leur employeur, voire par un futur recruteur.

B - La négociation relative à la pénibilité

Faute d'avoir été traitée de manière exhaustive, la question de la pénibilité est au moins en partie déléguée à la négociation collective, au niveau de l'entreprise comme au niveau de la branche.

  • La négociation d'entreprise relative à la pénibilité

L'article 77, I, de la loi du 9 novembre 2010 crée une nouvelle négociation obligatoire dans les entreprises et les groupes, négociation dont les caractéristiques rappellent celles imposées en matière de travail des seniors (9).

La loi insère trois nouveaux articles au Code de la Sécurité sociale portant sur cette négociation obligatoire (10). Les entreprises, établissements ou groupes qui emploient un nombre déterminé de salariés exposés aux facteurs de risques professionnels mentionnés à l'article L. 4121-3-1 du Code du travail (11), devront, à partir du 1er janvier 2012, être couverts par un accord ou un plan d'action relatif à la prévention de la pénibilité.

L'obligation de négociation sera périodique : elle reparaîtra tous les trois ans dans l'entreprise ou dans le groupe et un contenu minimal obligatoire devra être respecté par les négociateurs (12). En cas d'échec de la négociation, l'employeur peut substituer à l'accord collectif un plan d'action unilatéral dont le contenu sera lui aussi déterminé par décret.

A défaut d'un tel accord ou d'un tel plan d'action, une pénalité sera mise à la charge de l'employeur. Elle s'élèvera à hauteur de 1 % de la masse salariale pour toute la période durant laquelle l'entreprise n'aura pas été couverte par un accord, ce montant pouvant cependant varier si sont constatés "des efforts de l'entreprise en matière de prévention de la pénibilité". Le produit de l'éventuelle pénalité sera affecté à la branche accident du travail de la Sécurité sociale. Cette affectation peut s'expliquer par la volonté de prendre en considération la pénibilité au travail sans lien véritablement établi avec la question des retraites. La pénalité ne concernera pas les entreprises ou établissements de moins de 50 salariés. De la même manière, seront exonérées de cette pénalité les entreprises de 50 à 300 salariés à la condition qu'un accord de branche étendu applicable à l'entreprise traite de la question de la pénibilité.

Ces dispositions n'entrent, bien évidemment, pas immédiatement en application, cela afin de laisser le temps aux entreprises de négocier de tels accords ou de mettre en place des plans d'action.

Après la négociation sur l'emploi des séniors, c'est la seconde fois que le législateur prévoit un tel procédé de négociation obligatoire accompagné de pénalités sociales (13). Cela traduit une véritable évolution des négociations obligatoires dans les entreprises. En effet, pendant longtemps, les négociations obligatoires au niveau de la branche comme de l'entreprise ne constituaient jamais des obligations de conclure un accord. Or, il s'opère une véritable évolution de logique, la pénalité venant sanctionner l'absence d'accord, c'est bien aujourd'hui une obligation de conclure plus qu'une obligation de négocier qui émerge.

Le dispositif trahit, cependant, une forme de lâcheté du législateur : pourquoi ne pas prendre ses responsabilités et aller jusqu'au bout de la logique en imposant le contenu souhaité des futurs accords par voie législative ou réglementaire ? Le discours officiel tient, bien entendu, à une volonté d'individualisation des mesures pour chaque entreprise. Mais cette position comporte au moins deux risques majeurs. D'abord, celui d'un développement hétérogène des mesures de préventions en matière de pénibilité. Ensuite, celui que le dispositif constitue, au moins pour partie, un miroir aux alouettes, obligeant les petites entreprises à conclure de tels accords sous peine de subir une pénalité qui pèserait très lourd, ménageant les grands groupes qui parviendront à négocier de tels accords a minima.

  • La négociation de branche relative à la pénibilité

La négociation sur la pénibilité au niveau de la branche se matérialisera à travers deux procédés distincts.

Selon un premier cas de figure, les dispositions des articles L. 138-29 et suivants du Code de la Sécurité sociale permettent explicitement qu'un accord sur la prévention de la pénibilité soit conclu non pas au niveau des entreprises mais au niveau de la branche d'activité. Si un tel accord de branche est étendu, il dispensera les entreprises de 50 à 300 salariés de conclure un accord d'entreprise ou de mettre en place un plan d'action unilatéral (14).

Selon un second cas de figure, il pourra être négocié des accords de branche d'un genre assez innovant. En effet, l'article 86 de la loi prévoit la négociation d'accords de branche relatifs à la pénibilité à titre expérimental (15). On connaissait les lois expérimentales, les règlements expérimentaux, mais la négociation de branche expérimentale est bien une innovation de cette loi sur les retraites.

Cet accord expérimental aura pour objet de "créer un dispositif d'allègement ou de compensation de la charge de travail des salariés occupés à des travaux pénibles". Le dispositif est enserré dans des cadres très précis par le texte.

Ainsi, ne pourront bénéficier des éventuels avantages conventionnels négociés que les salariés qui rempliront une double condition d'exposition à un risque tel que défini par la fiche individuelle sur la pénibilité, créée à l'article L. 4121-3-1 du Code du travail (16). En effet, le salarié devra avoir été exposé pendant une certaine durée à un de ces risques. En outre, pour bénéficier du système, le salarié aura dû être exposé à deux risques simultanément pendant une durée que l'on suppose moindre. Les délais en question seront précisés par décret.

Si ces conditions sont réunies, le salarié pourra bénéficier des mesures adoptées par l'accord. Sans imposer le contenu de ces accords, le texte émet malgré tout un certain nombre de propositions qui pourront être matérialisées par la négociation.

Ainsi, au titre des allègements de charge de travail en raison de la pénibilité, l'accord pourra permettre aux salariés concernés de bénéficier d'un temps partiel accompagné d'une compensation salariale jusqu'à leur départ à la retraite. De la même manière, le salarié pourra choisir d'assumer des missions de tutorat, là encore compensées, si nécessaires, par une compensation salariale. L'accent est donc mis sur la diminution progressive de la charge de travail du salarié ayant subi une carrière pénible.

Au titre des compensations des charges liées à la pénibilité, le salarié pourrait percevoir par application de l'accord de branche des primes ou des journées de repos ou de congés supplémentaires.

Le dispositif sera financé par un double mécanisme.

Il sera d'abord créé un fonds spécial au niveau de la branche. Les entreprises qui auront conclu un accord d'entreprise de prise en charge des conséquences de la pénibilité, seront exonérées de contribution mais ne pourront, par voie de conséquence, faire bénéficier leurs salariés des mesures de l'accord de branche. Pour les autres entreprises qui n'auront pas fait le choix d'un accord d'entreprise, l'accord déterminera les conditions dans lesquelles celles-ci abonderont le fonds.

Le financement sera également assuré par un "Fonds national de soutien relatif à la pénibilité" créé au niveau de la CNAM et abondé par la branche accident du travail de la Sécurité sociale et par l'Etat.

On retrouve, ici, un transfert de financement entre la branche accident du travail et la branche vieillesse. Cette nécessité de jeter des ponts entre les différentes branches de la Sécurité sociale et, de manière plus large, de la protection sociale, matérialise malheureusement les craintes émises par certains opposants au texte de voir le financement de la branche vieillesse préservé au détriment d'autres assurances sociales. Le report de l'âge de la retraite pèsera, par le biais de la prise en compte de la pénibilité, sur la branche accident du travail comme nous venons de l'envisager. Mais elle aura, également, des effets sur l'assurance chômage puisque les statistiques de l'emploi des seniors n'ont guère évolué malgré les efforts en la matière (17). Enfin, l'altération de l'état de santé des seniors n'étant pas toujours liée à un travail pénible ou à la survenance d'un risque professionnel, une partie de ce transfert de charge devrait s'effectuer aux dépens de la branche maladie de la Sécurité sociale. La crainte majeure réside donc dans les conséquences de ce jeu consistant à déshabiller Pierre pour habiller Paul...

C - Les compensations de la pénibilité

L'article 79 de la loi établit le seul lien véritable entre prise en compte de la pénibilité et départ à la retraite. Le texte institue un nouvel article L. 351-1-4 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L3106IND) concernant le régime général et un nouvel article L. 732-18-3 du Code rural (N° Lexbase : L3111INK) pour le régime des travailleurs salariés agricoles. Ces articles préservent la possibilité d'un départ à la retraite à 60 ans en cas de taux d'incapacité permanente partielle (IPP) qui sera déterminé par décret, ce taux pouvant être modulé si le salarié a été exposé à l'un des risques mentionnés à l'article L. 4121-3-1 du Code du travail (18). Dans ce cas de figure, non seulement le départ à la retraite pourra être anticipé, mais il demeurera à taux plein quand, bien même, "l'assuré ne justifie[rait] pas de la durée requise d'assurance ou de périodes équivalentes dans le régime général et un ou plusieurs autres régimes obligatoires".

A terme, le procédé devrait être étendu aux travailleurs non salariés du régime agricole sur les bases d'un rapport que remettra le Gouvernement au Parlement avant le 30 juin 2011 (art. 82).

A bien y réfléchir à nouveau, cette prise en compte de l'état d'incapacité du salarié pour lui permettre d'anticiper son départ à la retraite s'éloigne sensiblement de la prise en compte de la pénibilité de sa carrière. Le lien n'est pas établi entre la pénibilité des tâches qui ont été assumées par le salarié dans sa vie professionnelle et son âge de départ à la retraite. Le lien, qui est mis en place, est un lien entre les salariés qui ont subi des manifestations physiques de cette pénibilité avant leur retraite et la date de leur départ à la retraite.

De nombreux métiers pénibles peuvent ne pas entraîner d'incapacité. Surtout, les effets de la pénibilité peuvent être différés et ne se manifester que bien après le départ du salarié à la retraite (19). La seule "mesurette", adoptée par la loi en matière d'influence de la pénibilité sur l'espérance de vie, est l'institution d'un comité scientifique constitué avant le 31 mars 2011 et ayant pour mission "d'évaluer les conséquences de l'exposition aux facteurs de pénibilité sur l'espérance de vie avec et sans incapacité des travailleurs" (art. 88). On conviendra que le résultat n'est guère à la hauteur des objectifs...

Les surcoûts liés aux départs à la retraite anticipée à 60 ans ne seront pas mis à la charge de la branche vieillesse. En effet, ici encore, s'opère un transfert avec l'assurance accident du travail, les articles 81 et 84 de la loi organisant le versement d'une contribution par cette branche à la branche vieillesse.

Le report des âges de départ à la retraite ne pouvait être fonctionnelle qu'à la condition d'améliorer la situation d'emploi des seniors. Là encore, les résultats sont pour le moins décevants.

II - Le travail des seniors

Il s'agit là d'une des plus grandes problématiques découlant du report des âges de départ à la retraite : les seniors partiront plus tard à la retraite ; ils ne travailleront pas nécessairement pour autant (20).

Il fallait donc prendre en compte la question du travail des seniors bien au-delà du CDD seniors (21) et des négociations obligatoires en matière d'emploi des seniors. Deux mesures supplémentaires sont adoptées, lesquelles consistent dans la création d'une aide à l'embauche de salariés de cinquante-cinq ans et plus et dans la promotion du tutorat.

  • Aide à l'embauche des seniors

Une nouvelle section du Code du travail est créée au sein du chapitre III (22) du titre III du livre I de la 5ème partie. Le nouvel article L. 5133-11 (N° Lexbase : L3162ING) qui y est inséré, dispose que les employeurs "perçoivent sur leur demande une aide à l'embauche, en contrat à durée indéterminée ou à durée déterminée d'au moins six mois, de demandeurs d'emploi âgés de cinquante-cinq ans ou plus, inscrits sur la liste des demandeurs d'emploi". Le bénéfice de cette aide ne peut être obtenu si l'employeur a procédé dans les derniers six mois à un licenciement pour motif économique sur le poste sur lequel il entend recruter. De la même manière, il ne pourra bénéficier de l'aide qu'à la condition d'être à jour de ses différentes obligations à l'égard des URSSAF.

L'aide se matérialisera par la prise en charge d'une fraction du salaire brut du salarié, fraction dont le montant sera déterminé par décret.

Quand on connaît le sort des nombreux contrats aidés et aides à l'embauche, destinés à résorber le chômage dans notre pays ou à favoriser l'emploi des jeunes, on ne peut qu'être dubitatif face à l'usage de cette mesure dont l'inefficacité est une fois de plus à craindre. Une autre mesure, plus ambitieuse qu'il n'y paraît, semble avoir été adoptée spécialement en vue de favoriser le travail des seniors.

  • La promotion du tutorat

Dans le même temps, le texte prévoit que des sommes du plan de formation de l'entreprise peuvent être allouées à la formation de jeunes de moins de 26 ans en contrat de professionnalisation par le biais d'un tutorat assuré par des salariés de 55 ans et plus. Si la mesure paraît particulièrement adaptée sur le plan des principes, elle interroge sur le plan des modalités. Les décrets d'application devront veiller à ce que le transfert du poids salarial d'un senior sur le plan de formation de l'entreprise soit justifié par de véritables actions de formation à l'égard des plus jeunes travailleurs, nées de sa finalité.

III - Dispositions diverses

  • Mise à la retraite

L'article 27 de la loi modifie l'article L. 1237-5 du Code du travail (N° Lexbase : L2959ICL) afin d'adapter le dispositif de mise à la retraite au report de l'âge de départ à la retraite à taux plein de 65 à 67 ans. En effet, si ce texte n'avait pas été modifié, sa rédaction antérieure aurait exigé de l'employeur, souhaitant mettre un salarié à la retraite, de respecter la procédure spécifique d'information et de consultation du salarié jusqu'à ce que celui-ci ait atteint l'âge de 72 ans.

La modification du texte permet de maintenir la limite maximale à 70 ans. Au-delà de cette limite, l'employeur n'a plus l'obligation, chaque année, d'informer et de consulter le salarié sur son intention de faire ou non valoir ses droits à la retraite, le dernier alinéa du texte disposant que "la même procédure est applicable chaque année jusqu'au soixante-neuvième anniversaire du salarié".

  • Compte épargne temps

L'article 76 de la loi apporte une modification à l'article L. 3153-1 du Code du travail, relatif à l'utilisation du compte épargne temps (N° Lexbase : L3105INC). Le texte ouvre, désormais, la possibilité d'utiliser le compte épargne temps, en dehors des possibilités prévues par la convention collective l'ayant institué et de celle de complément de la rémunération prévue par la loi, afin que le salarié puisse cesser de manière progressive son activité professionnelle.

Il y a ici une véritable volonté de laisser la possibilité aux salariés en fin de carrière d'utiliser le compte épargne temps pour aménager leur temps de travail. Cette cessation progressive répond à la même idée que l'utilisation du temps partiel en complément d'un départ progressif en retraite (23). Elle pose, cependant, le problème d'un report partiel de la charge de ce départ progressif sur les épaules du salarié qui utilise ses droits avec le compte épargne temps sans qu'aucune contribution de l'employeur ou d'un système assurantiel vienne l'accompagner.

  • Pré-retraite amiante

L'article 87 modifie, enfin, l'article 41 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 1999 (24) relatif à l'allocation de cessation anticipée d'activité versée aux salariés et anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante.

L'objectif de cette modification vise à geler le mode de calcul du départ en pré-retraite amiante afin que celui-ci ne subisse pas les effets de la modification de l'âge légal de départ à la retraite. Ainsi, l'âge de départ en pré-retraite demeurera calculé sur la base d'un départ à la retraite à l'âge de 60 ans. La lecture des travaux parlementaires sur cette question démontre, s'il en était encore besoin, l'attention particulière marquée par le législateur à l'égard des victimes de l'amiante. Culpabilité tardive, mais culpabilité tout de même...


(1) Le Conseil d'orientation sur les conditions de travail et l'observatoire de la pénibilité avait été institué par un décret du 25 novembre 2008 (décret n° 2008-1217 du 25 novembre 2008, relatif au Conseil d'orientation sur les conditions de travail N° Lexbase : L8721IBM).
(2) V. sur cette question le rapport présenté par D. Jacquat à l'Assemblée nationale au nom de la Commission des affaires sociales sur le projet de loi portant réforme des retraites (p. 33) qui juge que "la notion de pénibilité est peu aisée à appréhender".
(3) Cons. const., 9 novembre 2010, n° 2010-617 DC (N° Lexbase : A6265GER).
(4) Proposition de loi relative à l'organisation de la médecine du travail déposée sur le bureau du Sénat et qui reprend les dispositions écartées par le Conseil constitutionnel.
(5) Voir le dossier médical en santé au travail, Haute Autorité de santé, janvier 2009.
(6) Comme le reconnaît, d'ailleurs, le rapporteur de la Commission des affaires sociales dans son rapport.
(7) V. par ex. C. trav., art. R. 4412-54 (N° Lexbase : L1364IAR) pour l'exposition à des agents chimiques dangereux ; C. trav., art. R. 4454-7 (N° Lexbase : L0393IAS) pour l'exposition à des rayonnements ionisants ; C. trav., art. R. 4426-8 (N° Lexbase : L3471IMI) pour l'exposition à des agents biologiques pathogènes.
(8) Sans compter qu'une question de compétence législative aurait pu, sur ce point, être soulevée par les requérants devant le Conseil constitutionnel. L'article 34 de la Constitution (N° Lexbase : L1294A9S) ne dispose-t-il pas que la "loi détermine les principes fondamentaux [...] du droit du travail, du droit syndical et de la Sécurité sociale " ?
(9) Sur cette négociation en matière d'emploi des seniors, v. décret n° 2009-560 du 20 mai 2009, relatif au contenu et à la validation des accords et des plans d'action en faveur de l'emploi des salariés âgés (N° Lexbase : L2561IEL) et décret n° 2009-564 du 20 mai 2009, relatif au décompte des effectifs prévu à l'article L. 138-28 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L2926ICD) pour les accords et plans d'action en faveur de l'emploi des salariés âgés (N° Lexbase : L2565IEQ). V. N. Dauxerre, La solution française à l'emploi des seniors, JCP éd. S, 2009, 1474.
(10) CSS., art. L. 138-29 (N° Lexbase : L3104INB) à L. 138-31 (N° Lexbase : L3102IN9).
(11) Ce nombre sera déterminé par décret d'application.
(12) Lequel plancher sera déterminé par décret.
(13) Pour une appréciation critique, v. D. Martins, Les pénalités sociales, SSL, 2010, n° 1459, p. 6.
(14) Là encore, le procédé est exactement le même que celui qui avait été adopté en matière de négociation sur l'emploi des seniors, v. CSS., art. L. 138-26, al. 2 (N° Lexbase : L3801IMQ).
(15) L'expérimentation se déroulera jusqu'au 31 décembre 2013.
(16) Cf. supra.
(17) Pour quelques statistiques édifiantes, V. les obs. de F. Lalanne, Négociations 2009 : quelle urgence et quelles obligations pour les entreprises ?, Lexbase Hebdo n° 358 du 9 juillet 2009 - édition sociale (N° Lexbase : N9934BK7).
(18) On parle d'un taux d'IPP de 10 %, quoique ce taux n'ait pas été déterminé par la loi. V. notamment A. Touranchet, SSL, 2010, n° 1459, p. 5.
(19) Pour s'en convaincre, il suffit de consulter une étude statistique comparative relative à l'espérance de vie en bonne santé des cadres et des ouvriers. V. G. Lasfargues, A.-F. Molinié, S. Volfoff, Départs en retraite et travaux pénibles. L'usage des connaissances scientifiques sur le travail et ses risques à long terme pour la santé, CEE, avril 2005, p. 39.
(20) Négociations 2009 : quelle urgence et quelles obligations pour les entreprises ?, préc..
(21) V. les obs., de Ch. Willmann, Un nouveau contrat aidé : le "CDD senior", Lexbase Hebdo n° 226 du 7 septembre 2006 - édition sociale (N° Lexbase : N2470AL3).
(22) Intitulé "Prime de retour à l'emploi et aide personnalisée de retour à l'emploi"...
(23) V. art. 105 de la loi retouchant l'article L. 351-15 du Code de la Sécurité sociale (N° Lexbase : L3163INH).
(24) Loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998, de financement de la Sécurité sociale pour 1999 (N° Lexbase : L5411AS9).

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