La lettre juridique n°419 du 2 décembre 2010 : Fonction publique

[Doctrine] Loi du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites : présentation des principales mesures concernant la fonction publique

Réf. : Loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L3048IN9)

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N8186BQA

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par Christophe de Bernardinis, Maître de conférences à l'Université de Metz

le 04 Janvier 2011

La loi du 9 novembre 2010, portant réforme des retraites, a été publiée au Journal officiel du 10 novembre 2010 (1), après avoir été déclarée, la veille, conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, à l'exception des articles 63 à 75 relatifs à la réforme de la médecine du travail (2). Cette loi vise à faire face à l'évolution constante et prévisible de la démographie et du marché du travail (3). En effet, le système de financement des retraites est, d'ores et déjà, déséquilibré alors qu'une retraite sur dix est financée par l'emprunt. Ce besoin de financement ne peut que s'accroître compte tenu des déséquilibres démographiques. Le Gouvernement s'est fixé l'objectif d'un rétablissement de l'équilibre des régimes de retraite à l'horizon 2018. Pour y parvenir, diverses mesures de financement doivent figurer dans les prochaines lois de finances et de financement de la Sécurité sociale. Il s'agit de l'aspect "recettes". La loi portant réforme des retraites porte, quant à elle, sur l'aspect "dépenses". Elle comprend essentiellement deux mesures de relèvement de deux ans des deux "bornes d'âge". Ces deux mesures d'âge représentent environ la moitié du besoin de financement estimé en 2018. D'une part, la loi relève l'âge parfois qualifié de "départ à la retraite", qui est, plus exactement, l'âge dit "de liquidation" auquel un assuré peut demander la liquidation de sa retraite ou de sa pension. Cette première borne d'âge est rehaussée de deux ans, c'est-à-dire de 60 à 62 ans. D'autre part, la loi relève l'âge limite de départ à la retraite qu'il faut plus justement, compte tenu des dérogations, qualifier d'âge de fin de la décote. Cette seconde borne d'âge est, également, rehaussée de deux ans, c'est-à-dire de 65 à 67 ans (4). C'est précisément ces deux "mesures phares" qui étaient contestées par les députés et sénateurs requérants (5). Concernant plus spécifiquement les fonctionnaires, les précédentes réformes des retraites dans les années 1990 (6) n'avaient touché que les salariés du privé mais, dans la suite de la réforme de 2003, (7) qui a procédé à un premier rapprochement entre les deux principaux régimes de retraite (salariés du privé et deux fonctionnaires) (8), la réforme de 2010 concrétise le rapprochement ainsi entamé en plaçant l'ensemble des nouvelles mesures sous le sceau du "principe d'équité" entre le secteur public et le secteur privé (9).

La période de référence pour le calcul des pensions (six mois versus ving-cinq ans) et le taux de remplacement représenté par la pension par rapport au dernier salaire (75 % versus 50 %) ont été des éléments souvent invoqués pour illustrer les disparités entre les deux principaux régimes de retraite et justifier les pistes de réforme. Mais la remise en cause du calcul de la retraite sur les six derniers mois aurait été un véritable bouleversement, car on sait que c'est cet avantage comparé aux salariés du secteur privé qui permet de mieux faire accepter aux fonctionnaires la lenteur de leur avancement et l'absence de prise en compte de leurs primes (10). Les données ne sont pas nécessairement comparables entre secteur privé et public. Ainsi, contrairement aux carrières des salariés du privé, rarement linéaires, celles des fonctionnaires évoluent en fonction de cadres fixés par un statut (catégories A, B, C, points d'indice, échelons) et, si les dernières années sont toujours les plus favorables, les fins de carrières sont souvent marquées par de longues périodes de stagnation. De plus, dans le salaire de référence pour le calcul de la pension des fonctionnaires (six derniers mois), les primes ne sont pas prises en compte alors qu'elles peuvent représenter de 7 à 40 % de la rémunération. Les fonctionnaires ne touchent une retraite complémentaire sur une petite partie de leurs primes que depuis la création du système de retraite additionnelle en 2003.

Ainsi, si le Gouvernement n'a pas fait le choix d'une réforme systémique qui n'aurait en rien résolu les problèmes financiers auxquels notre système de retraite est confronté, il s'est orienté vers une plus grande convergence des règles régissant chacun des régimes publics et privés. Il a, en effet, jugé que la multiplicité de ces règles était incompréhensible pour nos concitoyens et nourrissait les inquiétudes des uns et des autres, qui ont toujours le sentiment que le voisin est privilégié. Depuis la réforme de 2003, la durée d'assurance, la décote, la surcote et l'indexation des salaires sur les prix, qui constituent des paramètres fondamentaux pour les régimes de retraite, sont appliquées dans les mêmes conditions dans la fonction publique et dans le secteur privé. Afin de maintenir l'égalité de traitement entre les Français, cette évolution commune des principaux paramètres de calcul des droits sera poursuivie avec le relèvement de l'âge d'ouverture des droits (I). Dans la même logique, et pour faire face, notamment, à certaines critiques, le législateur a supprimé les départs anticipés sans condition d'âge des parents de trois enfants ayant quinze ans de services. A la différence du secteur privé, les fonctionnaires pouvaient partir, jusqu'à présent, à la retraite à l'âge de leur choix, lorsqu'ils avaient, à la fois, quinze ans de service effectif et trois enfants, bénéficiant ainsi d'une retraite anticipée (11). Ce dispositif avait été étendu aux hommes en 2004, mais bénéficiait surtout aux femmes à 99 % (12) . Pour autant, il a fait l'objet de plusieurs critiques, notamment de la part du Conseil d'orientation des retraites (COR) (13), pour son mode de calcul différent des règles de droit commun et son manque de cohérence avec le développement de l'emploi des seniors, mais aussi de la part de la Commission européenne pour le caractère discriminant hommes-femmes justifiant, ainsi, sa suppression dans la loi commentée (II).

I - La poursuite de la dynamique de rapprochement entre secteur public et secteur privé

Dans la réforme de 2003, l'alignement du secteur public sur le secteur privé n'était que progressif et, du moins, pas encore synonyme d'égalité (A). Celui opéré dans la réforme de 2010 ne parvient toujours pas à cette égalité puisque le projet de réforme ne modifie pas les modalités spécifiques de calcul de la retraite des fonctionnaires. Le taux de liquidation de leur retraite reste fixé à 75 % de leur dernier traitement, sous réserve qu'ils aient accompli une carrière complète. En revanche, il comporte différentes mesures destinées à se rapprocher encore davantage du régime de celui des salariés de droit privé (B).

A - La réforme de 2003 et la mise en oeuvre de la convergence entre secteur public et privé

L'une des dispositions phares de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 a été d'organiser, en premier lieu, un alignement de la durée de cotisation des fonctionnaires sur celle du régime général de façon progressive dès 2003. Le taux maximal de liquidation de la pension étant obtenu après 40 années de services contre 37,5 années depuis 2008, avec un allongement progressif de la durée de la cotisation faite au rythme d'un semestre supplémentaire par an (article 66 de la loi). La durée de cotisation passant à 41 annuités à partir de 2012.

Le législateur s'est, également, inspiré des mécanismes du secteur privé pour inciter les fonctionnaires à allonger, autant que faire se peut, la durée de leur carrière. L'article 51 de la loi (C. pens. retr., art. L. 14 N° Lexbase : L3139INL) a institué une sorte de décote à compter de 2006 appelée "coefficient de minoration". Celui-ci sanctionnant l'absence de trimestres nécessaires pour obtenir le pourcentage maximum de la pension (coefficient de minoration de 1,25 % par trimestre dans la limite de 5 ans). Ce coefficient s'élèvera à 3 % par annuité manquante en 2011 et à 5 % en 2015. Toutefois, la minoration ne s'applique pas dans quatre cas : celui des fonctionnaires ayant atteint la limite d'âge de leur corps ; celui des fonctionnaires handicapés dont l'incapacité permanente est au moins égale à 80 %, ou mis à la retraite pour invalidité ; celui des pensions de réversion lorsque la liquidation de la pension dont le fonctionnaire aurait pu bénéficier intervient après son décès ; celui des militaires radiés des cadres par suite d'infirmité. Le coefficient de minoration étant, par ailleurs, progressivement réduit à l'égard des salariés du secteur privé afin d'harmoniser leur régime avec celui de la fonction publique.

Venant un peu en contrepartie du système précédent, le législateur a mis en place un "coefficient de majoration" applicable au montant de la pension liquidée et destinée à ce que les fonctionnaires continuent de travailler au-delà de 60 ans. Ce coefficient est de 0,75 % par trimestre supplémentaire dans la limite de cinq ans (article 51 de la loi et nouvel article L. 14-III du Code des pensions civiles et militaires de retraite, précité). De même, les pensions ont été revalorisées, non plus sur la base de la valeur du point de la fonction publique, mais selon l'inflation prévue par la loi de finances, avec un éventuel rattrapage si l'inflation constatée est différente de celle initialement prévue. Les pensions seront revalorisées chaque année en fonction de l'évolution prévisionnelle de l'indice des prix à la consommation prévue dans le rapport économique, social et financier annexé à la loi de finances pour l'année considérée. Un ajustement est prévu en cas de différence constatée avec l'évolution réelle des prix. Auparavant, les pensions étaient indexées sur les traitements des actifs. A une époque où l'augmentation du traitement de ces derniers évolue moins vite que l'indice des prix, la mesure paraît favorable aux retraités. Mais il n'en a pas toujours été ainsi au gré des Gouvernements qui se sont succédés et inégalement souciés du pouvoir d'achat de leurs agents.

Depuis le 1er janvier 2005, a été créé, toujours dans la même logique, un régime complémentaire : une partie des primes, heures supplémentaires et indemnités (comme l'indemnité de résidence) des agents des trois fonctions publiques est prise en compte pour la retraite et constitue des droits à pension additionnelle à côté de la retraite de base (moyennant une cotisation de 10 %, dans la limite de 20 % du traitement indiciaire brut total). Cette retraite additionnelle étant versée sous forme de rente ou en capital. Enfin, ce sont aussi les conditions du cumul emploi-retraite qui ont été améliorées : un retraité de la fonction publique peut bénéficier de l'intégralité de sa pension et d'un salaire versé par une entreprise privée ou publique ou une association.

B - La réforme de 2010 et la poursuite de la convergence entre secteur public et secteur privé

L'âge auquel les fonctionnaires peuvent faire liquider leur retraite, à condition d'avoir accompli au moins quinze ans de services dans la fonction publique, sera progressivement relevé de deux ans à partir de juillet 2011. Ce relèvement devrait se faire au même rythme que celui applicable aux salariés du privé, à raison de 4 mois supplémentaires par génération. Cet âge devrait passer d'ici à 2018 : de 60 à 62 ans pour les fonctionnaires occupant un emploi sédentaire de la catégorie A ; de 55 à 57 ans pour ceux ayant un emploi de la catégorie B active qui présente des risques particuliers ou occasionnent des fatigues exceptionnelles (agents de la police municipale, infirmières, aides soignants, sages-femmes) ; de 50 à 52 ans pour certains fonctionnaires de la catégorie B ayant accompli au moins ving-cinqans de services (agents de la police nationale, surveillants de prison, contrôleurs aériens). La seule exception à ce principe concerne les infirmières actuellement en activité qui, dans le cadre de la réforme de leur statut, ont pu opter pour un emploi sédentaire de la catégorie A (alors qu'elles relevaient de la catégorie B) : l'âge de l'ouverture de leurs droits à retraite est maintenu à 60 ans (elles ne seront pas concernées par le relèvement de deux ans). En revanche, les nouvelles diplômées se verront appliquer le relèvement de deux ans.

Relever le taux de cotisations pour les retraites des fonctionnaires a été l'autre piste très sérieusement évoquée et retenue au risque, selon les syndicats, d'amputer le pouvoir d'achat des fonctionnaires si leur traitement n'est pas revalorisé. Le taux des cotisations de retraite prélevées sur les traitements des fonctionnaires est, ainsi, aligné sur celui du secteur privé. Il devrait passer progressivement de 7,85 % aujourd'hui à 10,55 % en 2020 (14). Ce dernier taux correspond à la somme des cotisations salariales en vigueur dans le secteur privé (régime général et régimes complémentaires obligatoires AGIRC-ARRCO). En effet, la pension dans le secteur privé relève de deux régimes (base et complémentaire). Quant au régime de retraite de la fonction publique, il s'agit d'un régime unique (dit "intégré"). A salaire équivalent, la pension d'un fonctionnaire est similaire, voire supérieure, à la retraite d'un salarié du secteur privé. En revanche, l'effort contributif pour bénéficier de cette pension est sensiblement plus faible puisque l'écart de taux de cotisation pour le fonctionnaire est de 2,7 points (soit 26 % plus faible).

Le régime des fonctionnaires prévoit un minimum garanti de pension, dont l'équivalent dans le secteur privé est le minimum contributif. Ce minimum garanti dans la fonction publique présente plusieurs spécificités par rapport à celui du secteur privé. Les fonctionnaires, contrairement aux salariés du privé, bénéficient de ce minimum dès qu'ils atteignent l'âge d'ouverture des droits (60 ans pour l'âge légal de droit commun), même s'ils n'ont pas tous leurs trimestres. Dans le secteur privé, un salarié ne peut avoir le minimum contributif qu'en poursuivant son activité jusqu'au moment où il a tous ses trimestres (62 ans par exemple), ou sous réserve qu'il attende l'âge de départ à partir duquel cette exigence de trimestres tombe (l'âge du "taux plein", à savoir 65 ans dans le droit commun). Son montant est plus élevé dans la fonction publique (15). Avec la réforme, le minimum garanti ne sera plus accordé qu'aux agents qui ont accompli une carrière complète, ou à l'âge d'annulation de la décote, comme c'est le cas dans le secteur privé. A l'avenir donc, les salariés du secteur public comme du privé accèderont à ce minimum avec les mêmes conditions d'assurance (16). En revanche, le montant du minimum garanti, plus favorable, n'est pas remis en cause afin de respecter l'engagement de ne pas baisser les pensions.

Malgré ce rapprochement, les différences entre régime de droit privé et régime de droit public n'en demeurent pas moins importantes : exclusion des primes de l'assiette des cotisations dans la fonction publique, sauf (en partie) pour la retraite additionnelle de la fonction publique ; calcul de la pension sur les six derniers mois et non sur les ving-cinqmeilleures années ; absence de plafonnement, tant des cotisations que du montant de la pension de la fonction publique ; impossibilité de percevoir une pension de la fonction publique en deçà de quinze ans de services ; absence de caisse de retraite pour la fonction publique d'Etat, même si le compte d'affectation spéciale "Pensions" retrace les ressources et les charges du régime ; minimum garanti de la fonction publique évoluant selon un taux décroissant au fur et à mesure des années de services ; et règles différentes en matière de réversion.

II - La suppression des départs anticipés sans condition d'âge des parents de trois enfants ayant quinze ans de services

La suppression des départs anticipés sans condition d'âge des parents de trois enfants ayant quinze ans de services a été mise en oeuvre après les critiques des autorités européennes eu égard au caractère discriminant du dispositif vis-à-vis des hommes malgré les changements intervenus par le biais de la réforme de 2003. Mais le COR a, également, critiqué le mode de calcul du dispositif différent des règles de droit commun et son manque de cohérence avec le développement de l'emploi des seniors. Ces critiques internes et externes (A) ont justifié la suppression malgré l'apport non négligeable des fonctionnaires concernés par le dispositif ou le caractère peut-être injuste de la suppression, si l'on tient compte, notamment, de la situation particulière des femmes concernées par le dispositif (B).

A - Des critiques internes et externes

Dans les trois fonctions publiques, les mères ayant eu au moins trois enfants, ou ayant un enfant de plus d'un an avec une invalidité de 80 %, pouvaient prendre leur retraite à tout âge après quinze ans de service. Ce dispositif, initialement à caractère nataliste (17), visait à allouer un revenu de remplacement aux mères fonctionnaires qui retournaient au foyer. Depuis le 30 décembre 2004, ce droit à retraite anticipée est, également, ouvert aux pères et est subordonné à une condition de non activité de deux mois au moment de la naissance ou de l'adoption de chacun des enfants (18). L'article L. 24 du Code des pensions des pensions civiles et militaires de retraite (N° Lexbase : L0313HPB) est réactualisée et ne vise plus les femmes fonctionnaires, mais les fonctionnaires dans leur ensemble.

Cette actualisation ne faisait pas partie du processus de réforme de 2003 mais était le résultat d'arrêts de la CJUE (19) et du Conseil d'Etat (20) estimant que cette disposition ne respectait pas le principe d'égalité de rémunération entre les hommes et les femmes en vertu de l'ancien article 141 du Traité CE (21). Le Conseil d'Etat n'a pas interprété l'article L. 24 précité comme étant applicable aux hommes. Il a préféré juger que la mesure refusant un avantage à un homme était illégale et reposait sur une norme législative incompatible avec le droit communautaire. A la suite de ces arrêts, plusieurs milliers de requêtes ont été formées devant les tribunaux administratifs créant, ainsi, un effet d'aubaine auquel le législateur a essayé de remédier en intervenant de manière rétroactive. Ce n'est qu'un an plus tard que l'article 136 de la loi de finances rectificative pour 2004 (22) modifiait l'ancien dispositif de retraite anticipée réservé aux femmes fonctionnaires mères de trois enfants ayant quinze années d'ancienneté en l'étendant aux hommes fonctionnaires et en le subordonnant à une condition nouvelle d'interruption d'activité fixée par un décret en Conseil d'Etat. L'article n'ayant pas fait l'objet d'une saisine du Conseil constitutionnel et ayant une portée rétroactive, sauf pour les décisions de justice passées en force de chose jugée, le Conseil d'Etat a pu juger, après que certains tribunaux administratifs se soient prononcés en ce sens, que l'article de la loi était inapplicable faute d'intervention du décret d'application et a, ainsi, pu faire droit à la demande de jouissance immédiate de la pension, pour un père de trois enfants (23). Ce n'est que le 10 mai 2005 que le pouvoir réglementaire a fixé à deux mois la durée nouvelle et nécessaire d'interruption d'activité (24).

Par ces dispositions expressément rétroactives et en fixant des conditions d'interruption d'activité que seules les mères peuvent remplir en pratique, le législateur maintient, au final, des avantages familiaux au profit des fonctionnaires féminins et donc une discrimination indirecte prohibée par l'Europe au détriment des fonctionnaires pères de famille plongés dans la plus grande insécurité juridique. Ce dispositif a été validé par une jurisprudence constante du Conseil Constitutionnel et surtout du Conseil d'Etat, ce dernier réaffirmant à plusieurs reprises sa jurisprudence négative par d'autres arrêts confirmatifs en matière de retraite anticipée (25).

Dans la même logique, pour le COR, "l'articulation des règles applicables aux départs anticipés avec l'allongement de la durée d'assurance et la décote prévus par la réforme de 2003 pose aujourd'hui problème" (26). En effet, les paramètres de liquidation applicables aux parents éligibles à ce dispositif de départ anticipé pour trois enfants et plus n'obéissent pas au principe générationnel auquel le Conseil attache une importance particulière : ce sont les paramètres (durée requise et décote) en vigueur à la date à laquelle l'assuré remplit les conditions du dispositif (à savoir quinze années de services et au moins trois enfants) qui s'appliquent à lui, même si la liquidation de sa pension intervient bien plus tard (27). Il convient de souligner que ces conditions différentes s'appliquent quel que soit l'âge auquel l'assuré liquide effectivement sa pension : deux assurés de la même génération liquidant la même année (après 60 ans) peuvent, ainsi, se voir appliquer une durée d'assurance pour le taux plein et une décote différentes lors du calcul de leur pension. Le dispositif de départ anticipé pour trois enfants et plus, qui traditionnellement, se traduisait par le droit à percevoir une pension avant l'âge de 55 ou 60 ans, se doublerait, ainsi, progressivement d'un avantage supplémentaire, celui de pouvoir liquider ses droits selon des paramètres plus favorables que ceux de sa génération, et cela, quel que soit l'âge de liquidation : il permettra, en effet, dans les vingt prochaines années, à des femmes de liquider leur retraite dans le cadre législatif qui prévalait avant la réforme de 2003.

B - Une supression justifiée et progressive

Le dispositif, initialement à caractère nataliste, visait à allouer un revenu de remplacement aux mères fonctionnaires qui retournaient au foyer. Depuis lors, les prestations familiales assurent pour tous les résidents en France l'incitation à la natalité (28). Les objectifs visés à travers le dispositif actuel, pour certains de ses bénéficiaires, s'apparente donc à un dispositif de préretraite et, pour d'autres, permet une reconversion professionnelle à un âge relativement jeune (29). Cela peut poser question dans le sens où d'une part, un retrait définitif du marché du travail n'est pas indispensable pour permettre aux mères et aux pères de s'occuper de l'éducation de leurs enfants. D'autre part, autoriser par ce biais une certaine forme de cumul emploi-retraite n'est pas adapté à la situation de personnes jeunes et est coûteux pour les régimes de retraite.

L'actuel dispositif sera en ce sens fermé à partir de 2012 (article 44 de la loi). Ceux qui remplissent les conditions pour y prétendre avant cette date, c'est à dire qui ont eu trois enfants à cette date et quinze ans de durée de service pourront toujours en profiter, même s'ils demandent à en bénéficier après 2012. Mais les modalités de calcul de leur retraite anticipée seront moins favorables qu'aujourd'hui. Leur retraite sera calculée sur la base des règles applicables en fonction de leur année de naissance, et non plus sur la base de celles applicables l'année où ils remplissent la double condition de quinze ans de services et de trois enfants. Ensuite, les règles de calcul de la pension anticipée seront alignées sur celles applicables à tous les Français, c'est-à-dire de leur année de naissance, et non plus de l'année à laquelle ils ont satisfait aux deux conditions (quinze ans de service et trois enfants) (30).

Le dispositif est progressivement mis en extinction, dans le respect des choix de vie de chacun. Il n'y aura aucune extinction brutale : les fonctionnaires ayant trois enfants et quinze ans de services à la date du 1er janvier 2012 pourront toujours bénéficier du dispositif de départ anticipé. Les paramètres de calcul de la pension seront ceux de droit commun, comme le propose le COR. Deux dispositions transitoires relatives à l'harmonisation de la règle de calcul complèteront ce respect des choix de vie. Tout d'abord, une mesure générale qui vise les fonctionnaires qui déposeront d'ici le 31 décembre 2010 une demande de départ à la retraite avec effet au plus tard le 1er juillet 2011 et qui conserveront le bénéfice de la règle actuelle. Ensuite, une mesure ciblée pour les agents proches de l'âge d'ouverture des droits à retraite : tous les fonctionnaires éligibles qui, au 31 décembre 2010, sont à moins de cinq années de l'âge d'ouverture des droits à la retraite (55 ans révolus pour les fonctionnaires sédentaires et 45 ou 50 ans selon les corps des catégories actives), ou qui ont atteint cet âge, conserveront le bénéfice de la règle actuelle. Concrètement, pour ces agents bénéficiaires de ces deux mesures transitoires, il n'y aura pas de changement dans la règle de calcul. En outre, le Gouvernement a prévu de conserver le bénéfice du minimum garanti pour ces agents.


(1) Loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L3048IN9), JO du 10 novembre 2010, p. 20034.
(2) Cons. const., décision n° 2010-617 DC, du 9 novembre 2010, loi portant réforme des retraites (N° Lexbase : A6265GER), JO du 10 novembre 2010. Ajoutés par amendement, ces articles n'avaient pas de lien avec le projet de loi initial. Ils constituaient donc des "cavaliers législatifs". A ce titre, le Conseil les a déclarés contraires à la Constitution.
(3) L'espérance de vie moyenne a augmenté de 6,3 ans depuis 1982. Le nombre de retraités devrait passer de quinze millions en 2008 à près de 23 millions en 2050. Dans le même temps, le nombre d'actifs pour financer ces retraites ne cesse de baisser. Le ratio de 1,7 cotisant pour un retraité va, ainsi, encore baisser pour atteindre 1,5 en 2020.
(4) Les mesures d'âge devraient combler 50 % du déficit (19 milliards d'euros en 2018) grace aux nouvelles recettes (4,4 milliards d'euros), la convergence entre le public et le privé (4 milliards d'euros). Le Gouvernement propose, en outre, d'utiliser les ressources du Fonds de réserve des retraites (FFR) pour financer l'intégralité des déficits accumulés des régimes de retraite jusqu'au retour à l'équilibre en 2018, et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) pendant la période de montée en charge de la réforme.
(5) Le Conseil constitutionnel a rejeté l'ensemble de ces griefs : il a écarté, en premier lieu, les griefs de procédure soulevés par les requérants en jugeant, notamment, que la décision du président de l'Assemblée nationale d'interrompre les explications de vote n'a pas porté atteinte aux exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire. Il a relevé, en second lieu, que le législateur s'est fixé comme objectif de préserver le système de retraite par répartition. A cet effet, il a pu fixer à 62 ans l'âge minimum de départ à la retraite. Il n'a méconnu ni le principe d'égalité ni l'exigence constitutionnelle relative à une politique de solidarité nationale en faveur des travailleurs retraités. Le Conseil a, également, jugé que le report de 65 à 67 ans de la limite d'âge ouvrant droit à une pension sans décote n'est pas contraire au principe d'égalité entre les femmes et les hommes. Cette règle leur est commune.
(6) Loi n° 93-936 du 22 juillet 1993, relative aux pensions de retraite et à la sauvegarde de la protection sociale (N° Lexbase : L8411INT) (JO, 23 juillet 1993, p. 10374). En outre, les partenaires sociaux ont pris, eux aussi, entre 1993 et 1996, des décisions courageuses qui aboutissent à programmer la diminution du "rendement" des régimes de retraites complémentaires et qui organisent une solidarité financière entre l'Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC) et l'Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (ARRCO). Il convient, à ce titre, de rappeler la signature, le 10 février 1993, de l'accord trisannuel ARRCO, celle de la signature de l'accord d'assainissement financier de l'AGIRC le 9 février 1994, et surtout les accords AGIRC et ARRCO du 25 avril 1996, instituant la compensation financière entre les deux régimes et un passage du taux de cotisation contractuel à 16 % en 1999.
(7) Loi n° 2003-775 du 21 août 2003, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L9595CAM) (JO, 22 août 2003, p.14310).
(8) Notamment en matière de durée d'assurance, de décote et de surcote et d'indexation des pensions sur les prix. La première tentative d'alignement des régimes de la fonction publique sur celui des salariés du privé date du plan "Juppé" en novembre 1995. Ce plan de réforme de la Sécurité sociale prévoyait, également, l'allongement de la durée de cotisation pour les fonctionnaires : la réforme avait suscité un vaste mouvement social et les mesures touchant à la retraite des fonctionnaires avaient été abandonnées.
(9) Mais qui procèderait, selon des voix syndicales, plutôt "d'un objectif d'alignement vers le bas".
(10) L'on sait aussi que le système est parfois dévoyé et que certaines promotions de fin de carrière ne sont, en réalité, destinées qu'à faire atteindre à l'heureux bénéficiaire le taux le plus avantageux de liquidation de sa pension. En témoigne l'article 68 de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 qui oblige, pour la fonction publique civile et militaire, à la remise d'un rapport annuel sur les avancements de grade et de corps intervenus dans les trois années précédant la retraite.
(11) Les règles de calcul des droits étant figées à la date à laquelle la personne remplissait les deux conditions (quinze ans de service et trois enfants).
(12) En 2008, ce dispositif a concerné 14 600 fonctionnaires.
(13) Cf. sixième rapport du 17 décembre 2008 du COR sur les avantages familiaux et conjugaux.
(14) Selon le Gouvernement, cela représenterait un effort supplémentaire de 480 euros sur 10 ans pour un agent de la catégorie C, de 600 euros pour un agent de la catégorie B, et de 840 euros pour un agent de la catégorie A.
(15) 1 067 euros pour les fonctionnaires contre 897 euros (85 % du SMIC net) pour une carrière complète au SMIC dans le secteur privé.
(16) Cette mesure ne s'appliquera pas rétroactivement : les fonctionnaires ayant, aujourd'hui poursuivi leur activité au-delà de l'âge minimal de départ à la retraite ne verront pas de changement. La condition de respect du taux plein entrera en vigueur progressivement selon la génération de l'assuré.
(17) Créé en 1924 et codifié à l'article L. 24 du Code des pensions civiles et militaires de retraite.
(18) Jusqu'à ce que l'enfant ne soit plus à charge au sens des prestations familiales.
(19) CJCE, 13 décembre 2001, aff. C-206/00 (N° Lexbase : A3376GMY), JCP éd. A, 2003, n° 1294, obs. A. Taillefait, Dr. soc., 2002, p. 178, note M.-T. Lanquetin.
(20) CE 9° et 10° s-s-r., 26 février 2003, n° 187401 (N° Lexbase : A3481A73) ; CE 1° et 6° s-s-r., 29 décembre 2004, n° 267651 ([LXB=A2451DGU ]).
(21) Le Traité de Lisbonne renforce le principe d'égalité hommes-femmes en l'incluant dans les valeurs et objectifs de l'Union (TUE, art. 2 N° Lexbase : L8419IN7), et en intégrant la question du genre dans toutes les politiques de l'Union européenne .
(22) Loi n° 2004-1485 du 30 décembre 2004, de finances rectificative pour 2004 (N° Lexbase : L5204GUB), JO, 31 décembre 2004, p. 22522.
(23) CE 1° et 6° s-s-r., 23 mars 2005, n° 273305 (N° Lexbase : A3948DHP).
(24) Décret n° 2005-449 du 10 mai 2005, pris pour l'application de l'article 136 de la loi de finances rectificative pour 2004 et modifiant le Code des pensions civiles et militaires de retraite (N° Lexbase : L4334G8Z) (JO, 11 mai 2005, p. 8174).
(25) CE 1° et 6° s-s-r., 6 décembre 2006, n° 280681 (N° Lexbase : A8503DSQ) ; CE 1° et 6° s-s-r., 6 juillet 2007, n° 281147 (N° Lexbase : A1285DXU).
(26) Sixième rapport du 17 décembre 2008 du COR sur les avantages familiaux et conjugaux, précité, p. 239 et 240.
(27) Ainsi, selon la législation précédant la réforme, les mères de trois enfants des générations nées dans les années 1960 pourront liquider leurs droits sur la base de 37,5 annuités et sans décote, si elles ont atteint quinze ans de service et eu trois enfants avant 2003, alors que les autres assurées de leur génération devraient liquider leurs droits sur la base d'au moins 41 annuités et une décote a priori de 5 % par an (paramètres qui seront en vigueur lorsque ces femmes atteindront les 60 ans, dans les années 2020).
(28) De plus, la maternité et l'éducation des enfants sont déjà prises en compte au sein de la fonction publique : prime salariale pour les parents de deux enfants et plus (supplément familial de traitement en sus des allocations familiales), temps partiel sur-rémunéré et temps partiel de droit pour les parents au cours de la vie professionnelle ; majoration de durée d'assurance et majoration de pension de 10 % et plus (pour chacun des parents de trois enfants et plus) pour la retraite.
(29) Elle s'accompagne très souvent d'une reprise d'activité professionnelle dans le secteur privé et donc d'un cumul emploi/retraite très précoce (possible à compter de l'âge de 33 ans).
(30) Enfin, le dispositif pour les parents d'un enfant de plus d'un an atteint d'une invalidité égale ou supérieure à 80 % est maintenu, pour le présent comme pour l'avenir.

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