La lettre juridique n°419 du 2 décembre 2010 : Fonction publique

[Questions à...] La réforme des retraites opérée par la loi du 9 novembre 2010 : spécificités relatives à la fonction publique - Questions à Christelle Mazza, avocat au barreau de Paris

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[Questions à...] La réforme des retraites opérée par la loi du 9 novembre 2010 : spécificités relatives à la fonction publique - Questions à Christelle Mazza, avocat au barreau de Paris. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3211378-questions-a-la-reforme-des-retraites-operee-par-la-loi-du-9-novembre-2010-specificites-relatives-a-l
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par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition publique et Sophia Pillet, SGR - Droit social

le 04 Janvier 2011

La loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010, portant réforme des retraites (N° Lexbase : L3048IN9), par l'ampleur des bouleversements qu'elle implique, a provoqué, avant son adoption et sa promulgation, un automne social pour le moins agité. Se donnant pour objectif de préserver le système de retraite par répartition, tout en tenant compte de l'allongement de l'espérance de vie, elle reporte progressivement l'âge du départ à la retraite à taux plein de 60 à 62 ans, ainsi que l'âge de la retraite à taux plein pour tous, quelle que soit la durée de cotisation, de 65 à 67 ans. Cette réforme prévoit, également, une augmentation de la durée de cotisation et une convergence des systèmes de retraite du secteur privé et de la fonction publique. Le secteur public est donc aussi concerné par ce texte, puisque le taux de cotisation des fonctionnaires passera de 7,85 % à 10,55 % du traitement brut, sans changement d'assiette, en 10 ans, s'alignant, ainsi, sur les régimes obligatoire et complémentaire du secteur privé. Par ailleurs, la durée minimale de service d'un fonctionnaire pour avoir droit à la pension passera de quinze à deux années, ce qui ouvre le champ du régime à un plus grand nombre de personnes. Cependant, le montant de la retraite des fonctionnaires sera toujours indexé sur le salaire des 6 derniers mois de travail. Pour faire le point sur ces modifications importantes qui influeront sur la carrière des millions d'agents de la fonction publique, Lexbase Hebdo a rencontré à Christelle Mazza, avocat au barreau de Paris, et spécialisée dans le droit de la fonction publique. Lexbase : Pouvez-vous nous rappeler les spécificités du régime des retraites des fonctionnaires ?

Christelle Mazza : Le régime des retraites est étroitement lié à l'histoire et à la culture du service public, d'une part, et à la relation entre l'Etat et ses agents en France, d'autre part. Un fonctionnaire n'est pas simplement une personne qui exerce au service d'une administration mais aussi un agent titulaire d'un grade de la fonction publique. Cette titularisation lui confère une stabilité de carrière jusqu'à la limite d'âge du grade fixée par la loi. Au même titre, le traitement et les pensions de retraite des fonctionnaires ont un caractère statutaire, c'est-à-dire fixé par décret, de façon abstraite et avec un caractère impersonnel. Ainsi, la valeur ou le zèle d'un agent ne peuvent pas être valorisés par l'Etat, chaque statut en fonction du grade sera rémunéré de la même façon. Néanmoins, cette rémunération "figée" est compensée par un système de primes et d'indemnités dont le montant est lui-même fixé de façon générale et abstraite.

Le régime des retraites des fonctionnaires est un régime par répartition : le produit est versé au Trésor public et se confond avec l'ensemble des recettes publiques. A l'exception de la fonction publique territoriale et des ouvriers de l'Etat qui disposent d'un régime spécial, il n'existe pas de caisse de retraite de l'Etat : le budget est fixé annuellement pour être affecté au paiement des retraites, sans qu'il n'y ait de système de prélèvement, à l'instar du secteur privé, sur le montant des traitements versés.

L'âge légal de départ à la retraite minimum est de 60 ans et l'âge légal de retrait (limite d'âge) est de 65 ans pour le régime général (sauf régimes particuliers) ou lorsque 15 ans, au moins, de services actifs ont été réalisés. On entend par services actifs les emplois exposant à des risques particuliers ou à des fatigues exceptionnelles, soit environ 40 % de la fonction publique (police, douanes, pompiers, facteurs, personnels de santé, etc.). Un système de bonification permet, également, un départ avant l'âge légal, par exemple pour les agents ayant élevé 3 enfants ou ayant commencé à travailler très jeunes (retraite anticipée longue carrière). Ensuite, le montant des traitements est calculé à partir de 2 éléments : le montant du dernier traitement brut perçu pendant 6 mois avant la radiation des cadres (la pension ne pouvant excéder 75 % de ce traitement) et le nombre "d'annuités liquidables" : 40,25, soit 161 trimestres depuis 2009, avec une évolution progressive prévue jusqu'en 2020 à 167 trimestres en cas de bonification.

Le montant de la cotisation retraite est encore à ce jour de 7,85 % du traitement brut, un taux inférieur au secteur privé. Depuis le décret n° 2009-105 du 26 août 2009 (N° Lexbase : L6915IET), un service des retraites de l'Etat unique est désormais chargé de la gestion administrative et financière du régime de retraite et d'invalidité des fonctionnaires et militaires. Par ailleurs, un régime additionnel obligatoire (retraite additionnelle de la fonction publique) par répartition et par points a été institué depuis le 1er janvier 2005. Il est assis sur les primes et émoluments, avec un taux de prélèvement de 5 % pour l'agent et de 5 % pour l'employeur public, dans la limite de 20 % du traitement indiciaire. Jusque là, ces montants étaient exclus de la base indiciaire du calcul des pensions.

La grande diversité des bonifications permettant de diminuer l'âge du départ à la retraite, le nombre de régimes dérogatoires et la méthode de calcul plus avantageuse sont autant d'éléments qui ont poussé certains à considérer qu'il y avait rupture d'égalité entre le régime privé et le régime public des retraites. Les dysfonctionnements budgétaires de l'Etat qui, cette année encore, ne dispose que très difficilement des fonds pour financer les retraites publiques, les écarts jugés injustifiés entre le secteur privé et le secteur public, la démographie et les difficultés économiques inhérentes au système de répartition sont autant de motifs qui ont conduit à la réforme votée par la loi du 9 novembre 2010.

Lexbase : Quelles sont les principales mesures de la loi portant réforme des retraites concernant la fonction publique ?

Christelle Mazza : Ce texte contient des dispositions réformant en profondeur les retraites de la fonction publique et du secteur privé en général. Concernant le régime des fonctionnaires, la base de calcul du traitement n'est pas modifiée, de même le principe des régimes dérogatoires dits de "services actifs" avec possibilité de départ anticipé lié au risque particulier ou à des fatigues exceptionnelles.

Néanmoins, un certain nombre de situations qualifiées de "privilèges" se trouvent alignées sur le secteur privé. Ainsi, l'ensemble des âges est relevé de 2 ans, y compris pour les régimes dérogatoires, l'âge légal étant désormais de 62 ans et l'âge maximum, sauf dérogation, de 67 ans. Cette réévaluation sera progressive au rythme de 4 mois par an en fonction de l'année de naissance. En outre, la bonification liée à l'éducation de 3 enfants sans condition d'âge a été supprimée. Néanmoins, cette règle continuera de s'appliquer pour les agents qui sont à 5 ans de la retraite (1).

L'autre grande réforme majeure concerne le taux de cotisation qui passera de 7,85 % à 10,55 % du traitement brut, sans changement d'assiette, en 10 ans, s'alignant ainsi sur les régimes obligatoire et complémentaire du secteur privé. Autre grand changement, la durée minimale de service d'un fonctionnaire pour avoir droit à la pension passe de 15 à 2 années, ce qui ouvre le champ du régime à un plus grand nombre de personnes et fait perdre beaucoup de son sens à l'expression de "condition de fidélité" et, plus largement, d'intégration de corps. En revanche, l'exigence de 15 années de service pour les emplois de catégorie active passe à 17 ans.

Lexbase : Existe-t-il des inégalités entre les agents publics inhérentes à ce régime ?

Christelle Mazza : Le terme d'inégalité de traitement entre agents publics implique de porter une connotation politique et culturelle à la réforme opérée qui ne fait finalement que reprendre une différence de traitement entre les différents statuts de la fonction publique qui a toujours existé. Le régime dérogatoire des militaires, par exemple, peut s'expliquer par les nombreuses contraintes liées à l'exercice de ces professions et les implications sur la vie personnelle des agents. Chaque "inégalité" de traitement trouve sa justification dans un corollaire d'obligations contraignantes liées au statut, comme certaines professions qualifiées de professions à risque particulier ou entraînant des fatigues exceptionnelles. Le régime des bonifications liées à l'éducation de 3 enfants sans conditions d'années de service a, en revanche, été supprimé, bien que le bénéfice équivalent à celui du régime privé soit maintenu (4 trimestres par enfant, dans la limite de 3).

Certains statuts ont, toutefois, un régime dérogatoire surprenant, notamment le choix de pouvoir intégrer la catégorie A sans que l'âge légal ne s'en trouve modifié (pour les infirmiers faisant ce choix avant le 30 mars 2011, par exemple). En revanche, ceux qui choisiront de rester en catégorie B avec maintien de la catégorie active verront leur régime se caler sur l'augmentation de 4 mois annuelle jusqu'à atteindre l'âge légal limite (augmenté de 2 ans par rapport au régime actuel). Ce point est, néanmoins, justifié par la volonté de valoriser les formations et avancements de carrière.

L'on pourrait, alors, considérer sur le papier qu'il subsiste des régimes inégaux mais les décisions sont plutôt politiques, afin de favoriser un système quasi acquis pour certains agents en place proches de la retraite, le régime s'appliquant à tout nouveau titularisé. La recherche d'équilibre est, toutefois, privilégiée. Les plus grandes distinctions sont liées à certains statuts particuliers et font l'objet d'une étude globale à l'article 38 du chapitre VI de la loi nouvelle. L'équité a, au final, commandé une réévaluation de 2 ans, commune et lisse, à tous ces statuts.

Lexbase : Avec ce texte, le régime des retraites des agents de la fonction publique tend-il à se rapprocher de celui du secteur privé ?

Christelle Mazza : En dehors du débat passionné qui a secoué la France ces derniers mois quant à l'étude de cette réforme et aux implications concrètes des dispositions envisagées sur la retraite et la fin de vie en général, ce sont les différences entre les deux régimes qui ont fait l'objet d'une grande attention. La loi du 9 novembre 2010, contrairement à ce que l'on a pu en dire ou penser, n'a pas été improvisée en raison d'un contexte économique ou politique particulier à la France. Des textes antérieurs avaient prévu cette révision et, notamment, la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 (N° Lexbase : L9595CAM) reprise par la loi de 2009. La réforme des retraites et le problème de l'alignement des régimes sont une histoire ancienne à laquelle se sont toujours violemment opposés les syndicats, notamment des entreprises publiques et des régimes spéciaux (SNCF, EDF et RATP). En 1995, le Gouvernement avait saisi l'occasion de la réforme des régimes de protection sociale pour tenter d'inclure le régime des pensions dans cette réforme, en vain.

Plutôt que de réduire le bénéfice des systèmes avantageux de la fonction publique, la loi a considérablement rapproché les régimes (même si l'assiette de calcul d'un agent public reste toujours nettement avantageuse car calculée sur les 6 derniers mois de la carrière) et établit un système de reconnaissance de la pénibilité en droit privé, créant dans le régime des salariés, la possibilité d'avoir, par la voie contractuelle, la reconnaissance de régimes spéciaux. La référence expresse au Code de la Sécurité sociale quant à l'âge légal de départ en retraite apparaît explicitement avec la nouvelle loi dans le Code des pensions civiles et militaires de retraite, ce qui crée symboliquement un lien entre les deux régimes.

Un certain nombre de dispositions relatives à la création de services spéciaux dans le Code du travail avait été intégré au projet de loi, avant d'être qualifié d'inconstitutionnel par la décision du 9 novembre 2010 du Conseil constitutionnel (2). L'on peut largement imaginer que ce projet sera repris dans le cadre d'un projet de loi plus global consacré à la gestion de la pénibilité et du stress au travail. Néanmoins, l'article 86 de la loi du 9 novembre 2010 précise qu'à titre expérimental, et jusqu'au 31 décembre 2013, un accord collectif de branche d'allègement ou de compensation de la charge de travail des salariés occupés à des travaux pénibles pourra être institué. Afin de financer ce système (plus précisément les actions mises en oeuvre par les entreprises), est créé, pour la même période, auprès de la Caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés, un fonds national de soutien relatif à la pénibilité, financé par une dotation de l'Etat et une dotation de la branche "accidents du travail et maladies professionnelles". La société Renault a fait savoir le 25 novembre 2010 qu'elle entendait mettre un tel dispositif en place.

Cette introduction majeure et le dispositif renforcé du CHSCT en entreprise pour la reconnaissance de la pénibilité étaient l'un des noeuds de la réforme, d'une part, pour éviter la sclérose d'un système figé uniquement sur l'âge, et, d'autre part, pour rapprocher les régimes par la reconnaissance, en droit privé également, de régimes spéciaux. Même si évidemment les différences demeurent, liées à la différence entre le statut, figé, et le contrat de travail, plus souple. Toutefois, et sur impulsion communautaire et internationale, le statut de fonctionnaire est appelé à évoluer, tout comme la notion de service public à la française. Les différences de régime s'en trouveront automatiquement réduites.

Lexbase : Le Gouvernement souhaite prochainement créer une Caisse de retraite des fonctionnaires de l'Etat. Selon vous, quelles améliorations pourraient en ressortir en termes de transparence du système de retraite ?

Christelle Mazza : Il existe déjà, au sein de la fonction publique, des caisses de retraite et notamment la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRCAL), établissement public administratif de l'Etat dont le mode de fonctionnement est assez similaire à celui du régime privé. C'est l'article 41 de la loi du 9 novembre 2010 qui prévoit qu'avant le 30 septembre 2011, le Gouvernement devra remettre au Parlement un rapport relatif à la création d'une caisse de retraite des fonctionnaires de l'Etat, lequel devra examiner "les contraintes organiques, les améliorations attendues en termes de transparence et les conditions d'une participation des partenaires sociaux à la gestion de cet établissement public".

Derrière cette réflexion se pose la question très délicate du financement des retraites publiques. En effet, en l'absence de caisse, aucune retenue sur le traitement n'est provisionnée, comme c'est le cas dans le secteur privé, de sorte que les retraites sont calculées directement sur le budget de l'Etat au moment où le calcul par agent peut être fait... c'est-à-dire directement sur l'argent du contribuable, puisque la pension est versée à partir des recettes publiques sans distinction de prélèvement de cotisation. Ceci peut paraître choquant pour un salarié qui cotise sur sa rémunération ou pour un employeur qui y contribue pour lui-même et pour ses salariés, et paie un impôt qui va servir à financer la retraite d'un agent public, retraite calculée sur une fin de carrière avec le traitement le plus haut retenu, alors que le salarié aura cotisé sur ses salaires dont les premiers, statistiquement les plus bas.

Le principe d'une caisse de retraite permettrait de prélever directement au moment de la production de la richesse (travail contre traitement) la proportion permettant de financer, à moyen et long terme, la retraite de l'agent concerné. C'est en ce sens que la notion de transparence apparaît. L'anticipation paraît logique mais, néanmoins, le débiteur à savoir l'Etat, et donc, le contribuable, reste toujours le même. L'affectation à une caisse dont la gestion serait indépendante du budget global paraît, toutefois, être une urgence d'efficacité managériale des finances publiques.

La répartition par prélèvement au sein d'une caisse unique permettrait de centraliser la gestion des retraites, comme c'est déjà le cas via le service des retraites, qui disposerait de la maîtrise de la gestion financière des pensions, indépendamment des choix budgétaires annuels de l'Etat. La mixité des partenaires sociaux au sein de l'établissement public, comme c'est le cas pour la CNRCAL, permettrait, également, de diminuer la notion d'Etat tout puissant dans la gestion des rapports sociaux qui font, néanmoins, la spécificité de la fonction publique.


(1) Sur les problèmes posés en pratique par la demande massive de départs en retraite et la suppression de la bonification, voir le communiqué de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales du 28 octobre 2010.
(2) Cons. const., décision n° 2010-617 DC, du 9 novembre 2010, loi portant réforme des retraites (N° Lexbase : A6265GER) et lire les obs. de Ch. Radé, Le Conseil constitutionnel valide la réforme des retraites (N° Lexbase : N7024BQ9), Lexbase Hebdo n° 419 du 2 décembre 2010 - édition sociale.

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