La lettre juridique n°394 du 13 mai 2010 : Famille et personnes

[Jurisprudence] Les grands-parents et l'accouchement sous X (suite) : les liens du sang ne suffisent pas

Réf. : TGI Angers, 26 avril 2010 (N° Lexbase : A1255EXR)

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N0733BPT

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux

le 07 Octobre 2010

La décision du tribunal de grande instance d'Angers du 26 avril 2010 vient détruire de manière ferme et définitive l'espoir suscité, auprès des grands-parents confrontés à la naissance sous X de leur petit enfant, par la décision du 8 octobre 2009, rendue par le juge des référés de cette même juridiction (1). Ce dernier avait en effet admis que les parents d'une femme ayant accouché sous X pouvaient demander qu'une expertise biologique soit ordonnée afin d'établir leur lien avec l'enfant, dans le but de contester l'arrêté admettant ce dernier en qualité de pupille de l'Etat. Dans cette affaire, les grands-parents biologiques avaient été invités par leur fille à se rendre à la maternité et à voir le nouveau né. L'action des grands-parents se fondait sur l'article L. 224-8 du Code de l'action sociale et des familles (N° Lexbase : L5365DKW) qui prévoit un recours contre l'arrêté d'admission de l'enfant en qualité de pupille de l'Etat, subordonné à différentes conditions de délai et de fond. Le tribunal de grande instance d'Angers statuant au fond procède à un examen précis et rigoureux de ces différentes conditions, qui aboutit à un recadrage bienvenu sur une question particulièrement sensible. S'il admet avec certaines réserves la recevabilité de l'action des grands-parents (I), il se montre beaucoup plus sévère quant à l'appréciation du lien les unissant à l'enfant, fermant ainsi la voie à ce qui aurait pu constituer une brèche dans le processus de l'accouchement sous X (II). I - La recevabilité limitée de l'action des grands-parents

Indifférence de la notification pour le calcul du délai de prescription. L'article L. 224-8 du Code de l'action sociale et des familles inscrit le recours contre l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'Etat dans un délai de trente jours. Depuis le début de la procédure, la question se posait de savoir si les grands-parents sont encore recevables à agir alors que leur action en contestation de l'arrêté du 14 août 2009 n'a été introduite que le 6 janvier 2010. Sur ce point, le juge des référés avait considéré que "le recours contre l'arrêté (2) n'est pas manifestement irrecevable, pour n'avoir pas été introduit dans le délai d'un mois dès lors qu'il n'est pas douteux que ce délai ne peut commencer à courir que du jour de la notification dudit arrêté et qu'il est contant, pour n'être pas contesté, qu'il ne la pas été aux époux O.". Très favorable aux grands-parents, ce raisonnement n'en comportait pas moins un risque pour l'enfant puisqu'il permettait la remise en cause permanente de l'arrêté, et donc de toute la procédure d'adoption qui pourrait s'en suivre (3). C'est d'ailleurs pour cette raison que le tribunal de grande instance statuant au fond écarte le raisonnement du juge des référés, en précisant qu'en vertu de l'article 488 du Code de procédure civile (N° Lexbase : L6602H7N), son ordonnance "n'a pas au principal l'autorité de la chose jugée". Selon les juges angevins "l'article L. 224-8 du Code de l'action sociale et des familles est un texte d'exception imposant d'assurer une sécurité juridique en limitant le délai du recours contre l'arrêté alors que l'enfant admis en qualité de pupille de l'Etat est un enfant adoptable. Retenir la notification comme point de départ du délai du recours est d'autant moins conforme à la sécurité juridique recherchée que les titulaires de l'action ne sont pas déterminés avec précision. Il doit donc être considéré que le délai de 30 jours est un délai préfix". Cette solution paraît beaucoup plus conforme à l'intérêt de l'enfant et s'inscrit dans une tendance législative et jurisprudentielle, interne comme européenne, tendant à encadrer strictement les recours et rétractations en matière d'abandon d'enfant afin de permettre le plus rapidement possible l'intégration de l'enfant dans une famille de substitution (4). Le tribunal de grande instance précise, en outre, que le délai de l'article L. 224-8 du Code de l'action sociale et des familles court à compter de l'arrêté définitif et non à compter de l'arrêté provisoire. Cette solution -qui va à l'encontre de la réponse généralement apportée à cette question par l'administration- permet une meilleure protection des droits des familles et doit donc être approuvée (5).

Interruption du délai par la demande d'expertise. Le tribunal de grande instance admet cependant qu'un délai préfix est susceptible d'interruption et considère, en s'appuyant sur l'article 2241 du Code civil (N° Lexbase : L7181IA9), que peut recevoir cette qualification la demande d'expertise formulée par les grands-parents biologiques le 12 août 2009, soit quelques jours avant que ne soit rendu l'arrêté définitif d'admission de l'enfant en qualité de pupille de l'Etat. En conséquence, le point de départ du délai pour agir était reporté au jour de l'exécution de la mesure d'expertise c'est-à-dire à la date de remise du rapport, le 24 décembre 2009. La requête du 6 janvier 2010 s'inscrivait donc bien dans le délai imposé par l'article L. 224-8 du Code de l'action sociale et des familles. Sa recevabilité n'en était pas moins contestable faute de satisfaire la condition essentielle relative à la qualité pour agir.

II - L'insuffisance du lien

L'article L. 224-8 du Code de l'action sociale et des familles ouvre l'action en contestation de l'arrêté d'admission d'un enfant en qualité de pupille de l'Etat aux "alliés de l'enfant ou toute personne justifiant d'un lien avec lui, notamment pour avoir assuré sa garde, de droit ou de fait, et qui demandent à en assumer la charge". Faute de lien juridique avec leur petite-fille biologique, les demandeurs devaient établir l'existence d'un lien avec elle, ce qu'ils pensaient faire au moyen d'une expertise génétique prouvant que l'enfant était bien leur petite-fille biologique.

Irrecevabilité de l'expertise génétique. Dans sa décision du 26 avril 2010, le tribunal de grande instance d'Angers fait preuve d'une rigueur bienvenue à propos de la recevabilité de la preuve apportée par les grands-parents. L'expertise qui a été réalisée, à leur demande, est, en effet, incontestablement une identification par empreintes génétiques. Or, le recours à cette identification est formellement limité par l'article 16-11 du Code civil (N° Lexbase : L8778G8M) "aux actions tendant soit à l'établissement ou la contestation d'un lien de filiation soit à l'obtention ou la suppression de subsides". Il est donc logique, au regard de la loi, que le tribunal considère que l'expertise génétique était irrecevable comme preuve du lien permettant la contestation de l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'Etat. On peut toutefois se féliciter que le tribunal ne s'arrête pas à cette irrecevabilité et poursuive son raisonnement quant à la question de savoir si le lien biologique pouvait fonder la qualité pour agir des grands-parents par le sang.

Insuffisance du lien biologique. Le juge des référés avait considéré au regard de l'article L. 224-8 du Code de l'action sociale et des familles que "s'il est manifeste que la preuve du lien avec l'enfant [...] n'implique pas celle d'un lien biologique de parenté ou d'un lien juridique de filiation avec lui, elle n'interdit pas celle d'un lien biologique dont il appartiendra à la juridiction saisie d'apprécier le bien fondé et la pertinence dans l'optique de la contestation de l'admission en qualité de pupille". Autrement dit, ce n'était pas au juge des référés de décider avant tout procès si l'existence d'un lien biologique suffit à fonder la qualité pour agir en contestation de l'arrêté d'admission mais au juge du fond. Ce dernier n'élude pas la question à laquelle il répond très clairement par la négative : "en tout état de cause, le seul lien biologique n'aurait pu être suffisant au sens de l'article L. 224-8 du Code de l'action sociale et des familles, étant relevé l'absence de tout autre lien des époux Y avec l'enfant que Madame Y a aperçu une seule fois au service néonatale de la maternité". S'inspirant de la jurisprudence européenne, qui, en principe, conjugue pour établir l'existence d'une vie familiale, parenté et effectivité (6), le tribunal interprète la notion de lien au sens d'une relation effective, et sans doute affective.

Volonté de la mère. Le tribunal de grande instance tient, en outre, compte de l'attitude de la mère dont il rappelle "la volonté déterminée et réitérée [...] que l'enfant dont elle a accouché sous X soit admise comme pupille de l'Etat et adoptée". Par sa démarche, la mère de l'enfant signifiait clairement qu'elle ne souhaitait pas que ses parents prennent celui-ci en charge. L'accouchement anonyme entraîne, non seulement, une rupture des liens entre l'enfant et sa mère, mais également avec la famille de celle-ci, et ce serait remettre en cause l'essence même de ce processus que d'admettre que le seul lien biologique entre l'enfant et ses ascendants puisse permettre la contestation de son statut d'enfant adoptable (7). La qualité de grands-parents est, en réalité, subordonnée à la volonté de la mère. Le pouvoir ainsi reconnu à la mère de l'enfant emporte certes des conséquences particulièrement douloureuses pour les grands-parents, d'autant que ceux-ci se voient privés de tout lien avec leur petite-fille biologique (cf. infra). On peut toutefois penser que la mère reste la mieux placée pour décider quel doit être l'avenir de l'enfant qu'elle abandonne, et pour considérer qu'il vaut mieux qu'il soit intégré dans une nouvelle famille plutôt que d'être pris en charge par ses grands-parents par le sang.

L'irrecevabilité de la demande de droit de visite. La demande subsidiaire de droit de visite des grands-parents était fondée sur l'article L. 224-8, alinéa 3, du Code de l'action sociale et des familles qui prévoit l'octroi d'un tel droit, dans l'intérêt de l'enfant en cas de rejet du recours contre l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'Etat. Mais, le tribunal de grande instance d'Angers considère, assez logiquement, que l'irrecevabilité du recours, faute de qualité pour agir, entraîne l'irrecevabilité de la demande de droit de visite, qu'elle n'examine donc pas au fond. Cette interprétation restrictive du texte évite au tribunal de répondre à la question de savoir si l'intérêt de l'enfant était de conserver des liens avec des grands-parents par le sang, écartés de sa vie par sa propre mère.

Intérêt de l'enfant. Cette question pourrait toutefois être posée au juge aux affaires familiales, sur le fondement de l'article 371-4, alinéa 2, du Code civil (N° Lexbase : L8335HWM) qui permet à un tiers -que sont juridiquement les grands-parents biologiques- d'obtenir un droit de visite si celui-ci est conforme à l'intérêt de l'enfant. Ce texte a, d'ailleurs, été, par le passé (8), utilisé par des "ex-grands-parents", dont le petit-fils avait fait l'objet d'une adoption plénière ayant rompu tout lien juridique avec eux (9). La situation de l'espèce commentée est, néanmoins, différente dans la mesure où les grands-parents biologiques n'ont jamais entretenu de relations avec l'enfant. Il faudra alors se demander si le maintien de ces liens, par hypothèse limités, est conforme à l'intérêt de l'enfant et s'il ne vaut pas mieux rompre toute relation, pour faciliter l'intégration de l'enfant dans sa famille adoptive. En ce sens, la Cour de cassation a admis que des juges du fond puissent rejeter le droit de visite réclamé par des grands-parents subsidiairement à leur contestation -rejetée- de l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'état, au motif qu'il serait de nature à gêner le processus d'adoption de l'enfant (10). L'enfant pourra toujours, s'il le souhaite, retrouver ses grands-parents. Ceux-ci peuvent en effet faire une déclaration au Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP), pour que, le cas échéant, l'enfant puisse les contacter s'il recherche ses origines (11).


(1) TGI Angers, 8 octobre 2009, n° 09/00568 (N° Lexbase : A5217EM8), et nos obs., Grands-parents malgré tout : première étape réussie !, Lexbase Hebdo n° 371 du 12 novembre 2009 - édition privée générale (N° Lexbase : N3728BMZ).
(2) Qui au moment de la décision du juge des référés n'était même pas encore introduit.
(3) Nos obs. préc., sous TGI Angers, juge des référés, 8 octobre 2009.
(4) CEDH, 10 janvier 2008, Req. 35991/04, Kearns c/ France (N° Lexbase : A2492D3P), et nos obs., Le consentement de la femme qui accouche sous X doit être libre et éclairé, Lexbase Hebdo n° 297 du 17 mars 2008 - édition privée générale (N° Lexbase : N4397BEL), dans lequel la Cour approuve l'argument du Gouvernement français selon lequel la brièveté du délai de rétraction de la mère ayant accouché sous X permet à l'enfant de bénéficier rapidement de relations affectives stables au sein d'une nouvelle famille et de s'inscrire dans une filiation.
(5) A. Ton Nu Lan, Le délai de recours contre l'arrêté d'admission d'un enfant en qualité de pupille de l'Etat, RJPF, février 2004, p. 6.
(6) F. Sudre et alii, Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme, PUF 2009, p. 522.
(7) Le même raisonnement est beaucoup plus difficilement admissible à propos des conséquences de l'accouchement sous X pour le père de l'enfant, qui constitue une question tout à fait différente.
(8) Avant que les lois du 8 janvier 1993 (loi n° 93-22 N° Lexbase : L8449G8G) et du 5 juillet 1996 (loi n° 96-604 N° Lexbase : L1121G8Z) n'excluent cette forme d'adoption lorsque l'enfant a une filiation établie à l'égard du parent qui n'est pas le conjoint de l'adoptant.
(9) Cass. civ. 1, 5 mai 1986, n° 84-16.901, Foucard c/ Mme Diette (N° Lexbase : A4819AAQ), Bull. civ. I, n° 112, D., 1986. 496, note J. Massip, Rép. Defrénois, 1986, art. 33792, n° 78, obs. J. Massip, RTDCiv, 1986, 737, obs. J. Rubellin-Devichi ; Cass. civ. 1, 21 juillet 1987, n° 85-15.521, Mme X c/ Epoux Y (N° Lexbase : A1262AH9), Bull. civ. I, n° 235, D., 1987, IR 191, Gaz. Pal., 1988. 1. 326, note J. Massip, Rép. Defrénois, 1988, art. 34186, n° 8, obs. J. Massip, RTDCiv, 1988. 319, obs. J. Rubellin-Devichi, Rev. dr. enf. fam., 1989-2, p. 29, obs. J. Rubellin-Devichi.
(10) Cass. civ. 1, 3 juillet 1996, n° 94-16.864, M. Gilbert Neuhauser et autres c/ Préfet de la région Bourgogne et de la Côte-d'Or, pris en sa qualité de tuteur de l'enfant Aymeric, Nicolas Neuhauser et autres, inédit (N° Lexbase : A9257CLG).
(11) C. act. soc. fam., art. L. 147-3 (N° Lexbase : L5432DKE).

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