La lettre juridique n°394 du 13 mai 2010 : Éditorial

La France : le coq comme emblème, l'hippocampe comme complexe

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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


(Oui... Non... Oui... Non... Ah, ça me chatouille ! Ah, ça me gratouille ! Et puis, notre Illustre Editorialiste de la rue Froidevaux, chantre de la bien Pensée s'y est essayé... alors n'hésitons plus !)

Les semaines se suivent et offrent leurs lots de polémiques aux tonalités juridiques bien trempées et dont il apparaît difficile de se soustraire ; et ce, d'autant qu'une fois n'est pas coutume, l'actualité jurisprudentielle rejoint l'actualité politique, sur le sujet glissant du moment : la recherche d'une identité nationale. Et, comme tout ce qui touche au tréfonds de l'âme collective a tendance à faire remonter les sentiments les plus exacerbés ou les plus angéliques, je me permettrai, avec votre Haute autorisation, de m'amuser, une nouvelle fois, de la fraude des mots, chère à Platon, de la poltronnerie des hommes en charge de la Cité.

Après l'histoire du carcan vestimentaire, après celle du fast food halal indigeste, c'est au tour de la polygamie d'entrer dans le harem de l'identité communautariste, dans le tourbillon médiatique. Et, là où le bât blesse, une nouvelle fois, c'est qu'au-delà de la stigmatisation d'une religion en particulier, le problème s'apprête à être traité sous son angle le moins noble ; le pic de polygynie va sans doute être conquis par son versant le moins courageux : le portefeuille des polygames !

Si l'on veut bien se remémorer les faits, encore ardents, tant il ne manque pas d'habiles bateliers de l'électoralisme, à bâbord comme à tribord, pour souffler sur les braises, la femme d'un honnête boucher -l'individu n'ayant fait l'objet ni d'une inculpation, ni d'une condamnation, à l'heure actuelle- a, récemment, écopé d'une amende de 22 euros, pour avoir conduit le visage grillagé, portant un niqab, et enfreignant de la sorte l'article R. 412-6 du Code de la route qui dispose qu'un automobiliste doit toujours garder intacts ses "possibilités de mouvement" et "son champ de vision". Un conseiller élyséen, dont la liberté de parole est inversement proportionnelle à celle d'un quelconque ministre, aura mis le feu aux poudres, en encensant l'officier de police, l'auréolant des palmes de la République, pour acte de bravoure ou de résistance -on ne sait pas trop-. Sur ce, comme cela se fait de coutume pour une contravention routière, la femme, pas le moins du monde complexée par sa soumission vestimentaire, convoque le ban et l'arrière ban des médias, afin de tenir une conférence de presse, dénonçant l'atteinte à sa vie privée -comprenez à ses convictions religieuses- ; et le ministre de l'Intérieur, ex-ministre de l'Immigration et de l'Identité nationale de surenchérir -on oublie jamais ses premières amours- sur l'appartenance du mari, non contrevenant lui, à un groupuscule islamiste radical, sur son addiction à la polygamie, pire, sur une prétendue fraude aux allocations familiales et autres prestations de solidarité... Le mari en question, au lieu de faire le dos rond, se rebiffe et ironise : on comprendra que la question n'est plus du ressort d'une simple infraction au Code de la route, mais d'une infraction au Code génétique de la République française.

Ce n'est, bienheureusement, pas Mickey Mouse -en référence, non au personnage monogame emblématique de Disney, mais au nom de code de l'opération aéroportée lancée sur Hiroshima-, mais la bombe juridique est lâchée : il conviendrait, selon le locataire de la place Beauvau de déchoir le sieur présumé de polygamie de sa nationalité ! Ce qui, soyons en certain, rendrait à sa femme et à ses "maîtresses" -pour reprendre le vocable du protagoniste hédoniste- la dignité et le respect que la République doit leur garantir...

Or, déjà, plusieurs problèmes pointent le bout de leur nez au-delà du seul niqab. Sauf à être accusé d'intelligence avec l'ennemi ou d'avoir trompé les autorités lors de l'acquisition de la nationalité française, les conditions de déchéance sont plutôt restreintes... surtout sous le seul angle de la moralité. Certes, la polygamie, au sens strict du terme, c'est-à-dire le fait d'être civilement marié à plusieurs hommes ou femmes, est interdite en France, mais l'adultère n'est même plus pénalement sanctionné depuis 1975 ! Quant à la fraude aux allocations familiales et autres prestations sociales, si elle entraînait la déchéance de la nationalité, nombreux seraient les apatrides en notre beau pays ! On comprendra, dès lors, que le ministre en charge de l'Identité nationale, habilement conseillé par un staff informé de la législation de 1945 par leurs vieux codes rouges dépoussiérés pour l'occasion, ait pu paraître, dans un premier temps précautionneux, pour ne pas dire sceptique, vis-à-vis du volontarisme juridique de son prédécesseur. Mais, le ministre de l'Immigration s'est alors rapidement ravisé, sur injonction amicale du Président ou sur celle de l'ami du Président directement -on ne sait-, et a, en effet, indiqué qu'une révision des lois existantes pourrait être nécessaire pour démettre de leur nationalité française les personnes naturalisées qui s'adonnent à la polygamie tout en fraudant l'aide sociale. "Si le peuple français considère qu'on ne peut pas frauder dans ces conditions [...] Eh bien, à ce moment-là, sous l'arbitrage du Président de la République et du Premier ministre, on pourrait très bien concevoir une évolution législative", a indiqué M. Besson.

Et hop ! Comme pour la burqa, les "Garcimore" et autres "Gérard Majax" de la "législatite aigue" préconisent une énième loi au nom des fondements de la République... Mais attention, pas pour interdire la polygamie dans les faits -elle est déjà interdite stricto sensu-, mais en s'attaquant à la fraude sociale, au porte-monnaie des contrevenants à la morale occidentale ! C'est un peu l'histoire d'Eliott Ness qui coinça Al Capone sur le terrain de la fraude fiscale, alors que, parfois, nécessité n'a pas besoin de loi... Hier, la sécurité civile invoquée contre le voile intégral, aujourd'hui la lutte contre la fraude sociale comme rempart contre la polygamie... Bel exemple de l'affirmation courageuse des valeurs de la République et, plus généralement, du choix multiséculaire des civilisations occidentales en faveur de la famille monogamique. Bel exemple des limites extrinsèques au multi-culturalisme, au mutli-cultualisme, au communautarisme.

D'abord, un chiffre s'impose : 80 % des sociétés sont polygames en droit, soit un tiers de la population mondiale ; entendons-nous bien, il s'agit des peuples dont les Etats ou les codes sociaux autorisent la polygamie, bien que plus de 60 % d'entre eux choisissent d'être monogames, dans les faits. Par conséquent, la France terre d'asile découvre, aujourd'hui, avec stupeur et, néanmoins hypocrisie, que les us et coutumes des immigrés peuvent être en contrariété avec ceux de la terre d'accueil ; et ce malgré la fermeté du Conseil d'Etat qui réaffirme, encore récemment, que le droit au regroupement familial ne fait pas obstacle au refus de délivrance de titres de séjour pour les étrangers vivant en état de polygamie. Alors, sauf à taper du point sur la table en affirmant comme, auprès de certaines contrées du soleil couchant, que les valeurs et droits fondamentaux occidentaux ont vocation à civiliser le monde et à l'hégémonie, on ne peut pas dire que les statistiques nous soient pleinement favorables.

Ensuite, si la France condamne la polygamie parallèle (le fait d'avoir plusieurs hommes ou femmes en même temps), elle autorise la polygamie séquentielle (le fait d'avoir plusieurs partenaires différents au cours de sa vie, mais non simultanément). Et, aussi logique que cela puisse paraître, là où la polygamie parallèle existe, le divorce est bien souvent interdit ; là où la polygamie séquentielle est de mise, le divorce est nécessairement instauré. Autrement dit, il est difficile de condamner tout de go la polygamie dans son ensemble, quand objectivement parlant, on s'y adonne nous même -et nous faisons fi de l'adultère qui n'altère, bien évidemment, pas la structure familiale telle que l'Etat l'envisage pour la stabilité de la société-.

Enfin, et surtout, il faut relire Engels et L'origine de la famille, de la propriété privée et de l'Etat, pour se rappeler combien la famille monogamique est fondée sur la domination de l'homme, avec le but exprès de procréer des enfants d'une paternité incontestée, et que cette paternité est exigée parce que ces enfants entreront un jour en possession de la fortune paternelle, en qualité d'héritiers directs. Autrement dit, les origines de la monogamie ne sont pas véritablement vertueuses, elles relèvent du pur calcul économique et de la dévolution successorale. Et, si elle est l'une des marques de la civilisation commençante, elle ne fut aucunement le fruit de l'amour sexuel individuel, avec lequel elle n'avait absolument rien à voir, puisque les mariages restèrent, comme par le passé, des mariages de convenance. Ce fut la première forme de famille basée non sur des conditions naturelles, mais sur des conditions économiques. Et, l'exégète marxiste de sobrement conclure : il y a donc trois formes principales du mariage, qui correspondent en gros aux trois stades principaux du développement de l'humanité. A l'état sauvage, le mariage par groupe ; à la barbarie, le mariage apparié ; à la civilisation, la monogamie complétée par l'adultère et la prostitution. Entre le mariage apparié et la monogamie se glissent, au stade supérieur de la barbarie, l'assujettissement des femmes esclaves aux hommes et la polygamie.

"Le mariage n'est pas le plaisir, c'est le sacrifice du plaisir, c'est l'étude de deux âmes qui pour toujours désormais auront à se contenter l'une de l'autre" nous livre Paul Claudel dans Le père humilié. Alors, avec de telles condamnations, comment voulez-vous défendre honorablement la monogamie ?

Et bien, ce qui lui rend ces lettres de noblesse, c'est justement la religion que l'on entend par ci, par là extraire des sociétés : d'abord, le premier concile de Tolède au Vème siècle pour les chrétiens, puis sous l'impulsion de Rabbenou Guershom pour les juifs, mais plus étonnamment le Coran, lui-même (la sourate 4.3). "Et si vous craignez de n'être pas justes envers les orphelins [...] Il est permis d'épouser deux, trois ou quatre, parmi les femmes qui vous plaisent, mais, si vous craignez de n'être pas équitable avec celles-ci, alors une seule, ou des esclaves que vous possédez. Cela afin de ne pas faire d'injustice (ou afin de ne pas aggraver votre charge de famille)". La polygamie est avant tout une mesure sociale. La norme dans l'islam est la monogamie. Selon le rite hanbalite, il est recommandé d'épouser une seule femme, car il y a un risque d'injustice entre les épouses dans la polygamie.

Alors, que diable, point de circonvolutions, que l'on ne tourne pas autour du pot ! Que la France affirme haut et fort, ubi (à ses propres cités) et orbi (à l'étranger), les choix de civilisation qu'elle a fait, il y a plusieurs siècles, évitant l'écueil du puritanisme et celui de l'hétaïrisme : la famille est monogame pour le bien, la stabilité et le respect des femmes et des enfants d'abord et avant tout... Et, cela justifie à lui seul la pénalisation de la polygamie, même de fait ! Cela ne nous empêchera pas d'admettre le contrevenant au statut de réfugié nous assure le Haut conseil, dans un arrêt du 7 avril 2010. Il pourra y lire Le Mariage de Figaro et Beaumarchais : "La femme la plus aventurée sent en elle une voix qui lui dit :'Sois belle si tu peux, sage si tu veux, mais sois considérée, il le faut'".

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