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N0746BPC
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par Anne Lebescond, Journaliste juridique
le 08 Octobre 2014
Lexbase : Le CNB a arrêté sa position sur la formation commune des professionnels du droit. Quelle est-elle ?
Jean-François Leca : Nous proposons une formation d'une durée d'une année au sein de l'école commune des professionnels du droit, à savoir, six mois d'enseignements (environ 300 heures de formation, outre un temps de préparation aux concours et examen) et six mois de stage auprès de professionnels du droit (deux stages de trois mois ou trois stages de deux mois au choix), qui pourront se faire à l'étranger.
Cette formation serait imposée aux avocats, magistrats, notaires, huissiers, avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, greffiers des tribunaux de commerce, mandataires et administrateurs judiciaires, préalablement à l'accès aux concours et examens des écoles d'application (qui seraient maintenues). Pour les avocats, c'est à l'issue de cette année que serait passé le CAPA.
Nous n'avons pas souhaité détailler le contenu de cette formation, qui doit, à notre sens, être déterminé entre les différents acteurs (universités et professionnels). Pour autant, nous savons que les "matières transversales" (déontologie, pratique contractuelle, procédures, langues, etc.) sont nombreuses. Certaines d'entre elles devraient nécessairement préparer les étudiants aux concours et examens des écoles de professionnalisation.
Ce programme (identique dans toutes les écoles de formation commune) pourrait être proposé par la Haute autorité des professionnels du droit et serait validé par les ministères de la Justice et de l'Enseignement supérieur. Il devrait être exclusivement pratique et dispensé par tous les professionnels du droit -associés, bien entendu, aux universitaires-. Un tronc commun serait suivi par tous les élèves et des options seraient prévues selon leurs projets professionnels.
La création d'une telle formation impliquerait un réaménagement des enseignements dispensés dans le cadre de la formation initiale (sujet sur lequel nous travaillons actuellement en parallèle) (2). Pour compenser l'allongement d'une année au sein des écoles des professionnels du droit, la formation au sein des écoles d'avocats existantes, verrait sa durée réduite afin de ne pas allonger l'accès à l'exercice professionnel. Il faut, tout de même préciser, que 80 % des étudiants passent les examens ou concours après un Master 2.
La question se posait de savoir à quel niveau placer cette formation commune aux professionnels du droit : Master 1 juridique ou assimilé -IEP Paris- ou Master 2.
Il nous a semblé pertinent d'opter pour la première option, dès lors que l'examen d'entrée à ces écoles serait exigeant. Il pourrait s'agir d'un examen ou de l'obtention d'une mention ou d'une certaine moyenne par exemple. Notre projet est soumis à la concertation de la profession. Nous envisageons, également, pour les titulaires de Master 2 (ou plus) juridiques ou assimilés de les soumettre, pour l'accès aux écoles des professionnels, à un entretien assuré par les professionnels du droit.
Si ce diplôme n'est pas une "condition d'entrée", nous préconisons, en revanche, que la formation commune soit obligatoirement validée par un Master 2.
Enfin, nous recommandons une gestion partenariale et, concernant la gouvernance, une direction composée, majoritairement par des professionnels (par exemple des institutions représentatives des différentes professions), et par des universitaires. Il nous semblerait opportun qu'un ou deux représentants de la société civile (chefs d'entreprise, président d'associations nationales, de syndicats, etc.) siègent également.
Lexbase : Comment financer cette formation ?
Jean-François Leca : Cette formation devrait, pour assurer un maillage suffisant du territoire, être dispensée par au moins onze écoles.
Le financement de ces écoles pourrait être de plusieurs ordres :
- les droits d'inscription modulés selon les revenus et affectés à la formation ;
- la taxe d'apprentissage ;
- la part de financement de l'Etat ;
- la part de financement des différentes professions ;
- et l'utilisation de fondations.
Si les professionnels du droit contribuaient au financement, cette contribution ne pourrait, bien entendu, n'être que limitée compte tenu, notamment pour notre profession, des coûts qu'elle aura encore à supporter pour la formation complémentaire à dispenser après le CAPA. Il est évident qu'en réalité, la qualité de la formation sera fonction de l'importance de l'engagement de l'Etat. Ce n'est qu'avec son concours que nous pourrons réaliser un dispositif utile et efficace.
Lexbase : Vos propositions sont-elles en phase avec celles formulées dans le rapport "Teyssié" remis au Garde des Sceaux et au ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche par Bernard Teyssié, président du Conseil national du droit (CND) ?
Jean-François Leca : Le CND envisage que la durée de la formation soit de dix-huit mois en tout, décomposés comme suit :
- la seconde année de Master ;
- et un "dispositif de six mois de formation post-Master" d'environ 175 heures.
L'obtention du Master 2 (dont le contenu ne varierait pas) serait, donc, une condition sine qua non pour suivre la formation commune, qui, elle, ne serait finalement dispensée que sur six mois. Nous proposons, pour notre part, une durée deux fois supérieure, car elle nous apparaît constituer un minimum pour acquérir une réelle pratique professionnelle et tendre vers un renforcement de cette "culture commune".
Le CND envisage, en outre, que cette formation, sanctionnée par un diplôme universitaire, ne soit pas un préalable obligatoire pour accéder aux écoles des professionnels, bien qu'elle constituerait un avantage dont il serait tenu compte. Il recommande, enfin, de constituer les écoles de formation commune (au nombre de quinze) à partir des actuels Instituts d'études judiciaires.
Le CNB désapprouve que les écoles des professionnels du droit ne soient accessibles qu'après l'obtention du Master 2. La formation théorique de base est acquise à l'issue du Master 1, ce qui explique, notamment, que nos centres de formation soient ouverts dès ce stade.
Ensuite, nous n'avons pas retenu le niveau du Master 2, car les étudiants ne sont, généralement, pas fixés sur leur orientation professionnelle en Master 1. Or, les écoles communes à créer auraient justement pour ambition de renforcer la connaissance des professionnels du droit et de l'exercice de leur profession respective. Elles permettraient aux étudiants d'avoir une idée plus concrète et de mieux arrêter leur choix, évitant, ainsi, des erreurs de parcours.
En réalité, les universités craignent un désintérêt de la part des étudiants pour le Master 2 (3). La proposition du CND vise, en fait, à gommer ce risque. Les Master 2 seront toujours légitimes et indispensables pour une grande partie des domaines d'exercice ou pour répondre aux besoins professionnels d'un certain nombre de cabinets, mais il ne nous a pas paru souhaitable d'en faire une exigence.
Enfin, nous ne comprendrions pas l'intérêt d'instituer des écoles communes aux différentes professions réglementées du droit, si, finalement elles n'étaient pas obligatoires pour accéder aux centres et écoles de professionnalisation respectives.
Lexbase : Les propositions du CNB sont très proches des préconisations du rapport "Darrois", non ?
Jean-François Leca : L'essentiel de nos propositions est, effectivement, en droite ligne avec les préconisations du rapport "Darrois". La commission qui l'a rédigé a, notamment, considéré, tout comme nous, que les écoles communes devraient être ouvertes aux titulaires d'un Master 1 et requises pour accéder, ensuite, à chacune des professions concernées.
Lexbase : Quelles sont les prochaines étapes ?
Jean-François Leca : Le rapport "Teyssié" et notre rapport ont récemment été remis à la Chancellerie et au ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Nous attendons maintenant leurs décisions.
(1) Lire La Formation des avocats à l'aube de la réforme - Questions à Jean-François Leca, Président délégué de la commission Formation du CNB et ancien Bâtonnier d'Aix-en-Provence, Lexbase Hebdo n° 22 du 11 mars 2010 - édition professions (N° Lexbase : N4804BNA).
(2) Le CNB entend se prononcer sur le sujet au cours de son assemblée du mois de juin prochain.
(3) Lire La réponse de "la première université de droit" face à la concurrence des écoles privées - Questions à Louis Vogel, Président de l'Université Paris II - Panthéon-Assas, Lexbase Hebdo n° 13 du 7 janvier 2010 - éditions professions (N° Lexbase : N9370BMY).
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