La lettre juridique n°329 du 4 décembre 2008 : Sociétés

[Textes] Réforme de la réforme des actions de préférence : ou quand une incertitude chasse l'autre

Réf. : Ordonnance n° 2008-1145 du 6 novembre 2008, relative aux actions de préférence (N° Lexbase : L7389IBB)

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par Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)

le 07 Octobre 2010

"Moderniser la place financière de Paris" : c'est sur ce fondement que la loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008 (loi n° 2008-776, de modernisation de l'économie N° Lexbase : L7358IAR, dite "LME") a habilité le Gouvernement à édicter, par ordonnance, la réforme du régime des actions de préférence. L'ordonnance du 6 novembre dernier, prise sur le fondement de cette habilitation, affiche, cependant, des ambitions plus modestes puisqu'elle aboutit, essentiellement, à supprimer quelques ambiguïtés quant au régime applicable à ces actions et à le rapprocher des standards internationaux afin de faciliter le financement des entreprises et, donc, de l'économie. L'ordonnance, assez laconique dans ses termes -ce qui est, d'ailleurs, caractéristique des dispositions relatives aux actions de préférence, puisqu'elles reposent sur un principe de liberté contractuelle- se décompose en deux volets. Le premier, entièrement contenu dans son article 1er, modifie l'article L. 228-11 du Code de commerce (N° Lexbase : L8368GQY), qui venait précisément d'être réécrit à l'occasion de l'édiction de la "LME". Il aménage, ainsi, pour la seconde fois en moins de trois mois, le régime d'attribution du droit préférentiel de souscription. Le second (article 2 de l'ordonnance) abroge, à compter du 1er janvier 2009, l'article L. 228-20 du Code de commerce (N° Lexbase : L8377GQC), qui prévoit que les actions de préférence admises aux négociations sur un marché réglementé peuvent être rachetées ou remboursées, à l'initiative de l'émetteur ou du porteur lorsque le marché n'est pas liquide.

En dépit de sa nouvelle rédaction, le mécanisme de suppression du droit préférentiel de souscription, introduit par la "LME" en août 2008, laisse subsister certaines interrogations (I), notamment quant à la solution à appliquer en cas de réattribution du droit de vote. Quant à l'abrogation de la faculté de rachat et de remboursement des actions de préférence, elle a surtout pour effet d'unifier et de simplifier un régime (II), simplification dont les établissements de crédit sont destinés à devenir les principaux bénéficiaires.

I - Les questions relatives à la suppression du droit préférentiel de souscription

L'un des objectifs de la réforme, introduite par la "LME" et confortée par l'ordonnance du 6 novembre 2008, était d'inciter au développement des actions de préférence. Le législateur, en effet, avait pu constater que, depuis leur introduction en droit interne (par l'ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004, portant réforme du régime des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales N° Lexbase : L5052DZ7), les sociétés avaient eu fort peu recours à cette catégorie d'actions, alors même qu'elles étaient destinées à faciliter leur financement, notamment vis-à-vis des investisseurs internationaux. L'article 1er de l'ordonnance modifie, donc, le régime en matière de droit préférentiel de souscription pour certaines actions dépourvues de droit de vote (A). Cet article, destiné à accroître l'intelligibilité de l'article L. 228-11, n'atteint, toutefois, que partiellement son objectif en créant une nouvelle incertitude dont le texte initial était dépourvu (B).

A - La modification du régime

L'article L. 228-11 du Code de commerce, dans sa rédaction modifiée par l'article 1er de l'ordonnance n° 2008-1145 du 6 novembre 2008, laisse inchangées, d'abord, les dispositions fondatrices du régime des actions de préférence. A partir d'un texte volontairement succinct, afin que les émetteurs disposent d'une grande liberté contractuelle, il conserve ainsi intact, les quatre premiers alinéas du texte : d'abord, le principe en vertu duquel "il peut être créé des actions de préférence, avec ou sans droit de vote, assorties de droits particuliers de toute nature, à titre temporaire ou permanent", lesdits droits étant définis par les statuts. Ensuite, le droit de vote peut être, soit supprimé, soit suspendu ou aménagé pour une durée ou un délai déterminé ou déterminable. Puis, les actions de préférence sans droit de vote ne peuvent représenter plus de la moitié du capital social et plus du quart en cas de négociation sur un marché réglementé ; une émission éventuelle, enfin, pouvant être annulée si elle a pour effet d'augmenter cette proportion.

L'essentiel de cet article, ainsi, vise à lever d'éventuelles difficultés quant au régime applicable au droit de vote, première -et quasiment unique- restriction d'importance à un régime livré à la liberté contractuelle. L'autre restriction, toujours en matière de droit de vote, concerne l'attribution et l'exercice du droit préférentiel de souscription, par un aménagement de l'article L. 225-132 du Code de commerce (N° Lexbase : L8388GQQ), l'ordonnance du 24 juin 2004 ayant ajouté à cet article que "la décision relative à la conversion des actions de préférence emporte renonciation des actionnaires au droit préférentiel de souscription aux actions issues de la conversion".

La "LME" est, toutefois, venue modifier cet ordonnancement, somme toute particulièrement simple, dans l'objectif louable de permettre aux sociétés émettrices d'éviter que des porteurs d'actions de préférence, titulaires, de facto, selon les termes d'un auteur : "d''infra' actions" (H. Le Nabasque, La réforme des actions de préférence, JCP éd. E, 27 novembre 2008, n° 2445, spéc. p. 41, n° 26) -ou du moins de titres dont le régime se rapprochait davantage de l'obligation que de l'action- ne puissent, par l'exercice de certains de leurs droits politiques, risquer d'empêcher l'aboutissement de certaines augmentations de capital (v. H. Le Nabasque, op. cit.). Comme le souligne l'auteur, cependant, "le résultat, disons le clairement, n'est guère enthousiasmant" (op. cit. p. 38, n° 2).

La première rédaction (celle de la "LME") va déboucher sur l'ajout d'un alinéa 5 à l'article L. 228-11 du Code de commerce, temporairement libellé de la façon suivante : "Par dérogation aux articles L. 225-132 et L. 228-91 (N° Lexbase : L8336GQS), les actions de préférence sans droit de vote auxquelles est attaché un droit limité de participation aux dividendes, aux réserves ou au partage du patrimoine en cas de liquidation sont privées de droit préférentiel de souscription pour toute augmentation de capital en numéraire, sous réserve de stipulations contraires des statuts". Nous ne nous attarderons pas sur cette rédaction, pleine d'incertitudes, qui, devant entrer en vigueur le 1er janvier 2009, n'aura eu qu'une existence virtuelle, l'ordonnance du 6 novembre 2008 lui substituant un texte largement plus clair, certes, mais pas pour autant exempt de toute critique.

L'ordonnance, en effet, remplace le cinquième alinéa à l'article L. 228-11 qui dispose, dans sa rédaction définitive, que : "par dérogation aux articles L. 225-132 et L. 228-91, les actions de préférence sans droit de vote à l'émission auxquelles est attaché un droit limité de participation aux dividendes, aux réserves ou au partage du patrimoine en cas de liquidation sont privées de droit préférentiel de souscription pour toute augmentation de capital en numéraire, sous réserve de stipulations contraires des statuts". Ainsi, la nouvelle rédaction prend en considération non plus la situation du porteur, comme auparavant (par exemple celui qui aurait pu être privé temporairement de droit de vote), mais la nature du titre, c'est-à-dire, pour reprendre l'expression empruntée auparavant, sa caractéristique "d''infra' action".

B - Les difficultés potentielles d'application du nouvel alinéa 5 de l'article L. 228-11

Les porteurs d'actions de préférence visés par la réforme semblent, ainsi, être des investisseurs d'un type particulier, mus par de seules motivations financières, plutôt que de véritables actionnaires, tel qu'entendus par le droit des sociétés. Sur un plan empirique, la spécificité de leur situation ressort, d'ailleurs, clairement de la mention de l'article L. 228-11, en vertu de laquelle la suppression du droit préférentiel de souscription n'est pas d'ordre public. En effet, si les statuts peuvent prévoir le maintien du droit préférentiel pour cette catégorie particulière d'action, c'est que le nouveau texte offre la possibilité aux émetteurs d'écarter le principe de privation de ce droit, dès lors qu'ils estiment que les porteurs méritent d'être considérés comme des associés à part entière. On peut imaginer, par exemple, que des salariés actionnaires puissent se trouver dans cette situation, porteurs de titres aux pouvoirs restreints mais, néanmoins, parties prenantes à la vie et au développement de leur société.

Au plan théorique, au surplus, on peut avancer deux arguments justifiant la privation du droit préférentiel de souscription pour les actions dépourvues de droit de vote.

- D'abord, parce que leurs porteurs, du moins s'ils ont sciemment choisi de souscrire à cette catégorie d'actions, peuvent être raisonnablement suspectés de se désintéresser des droits politiques. Ce désintérêt peut, alors, justifier l'éviction de ces investisseurs des augmentations de capital, l'existence d'un droit préférentiel de souscription visant essentiellement à permettre aux actionnaires en place de disposer d'un droit à conserver le même niveau d'influence après l'opération. Ainsi, le maintien du droit préférentiel de souscription ne s'impose pas, dans son principe, pour ceux des actionnaires qui n'ont pas de droits politiques à préserver.

- Ensuite, parce que l'augmentation de capital, comme la modification du droit préférentiel de souscription, dépend d'un vote de l'assemblée. Or, les porteurs d'actions de préférence dépourvues de droit de vote ne participent pas, par définition, à ces décisions, de sorte qu'il peut paraître illogique de leur faire bénéficier d'un droit dont ils n'ont pu, ni voulu, décider de l'attribution.

Envisagée sous ce prisme, l'analyse de la suppression du droit préférentiel de souscription permet de mieux saisir la portée de l'observation qui figure dans le rapport, remis au Président de la République, à propos des termes retenus dans l'ordonnance. Ce rapport signale, en effet, que : "cette rédaction pourrait avoir l'effet potentiel suivant selon la lecture qui en est faite : si l'action de préférence émise sans droit de vote récupère un droit de vote au cours de son existence, il pourrait être considéré qu'elle récupère également un droit préférentiel de souscription puisque la suppression du droit préférentiel de souscription n'est prévue dans l'article modifié que si l'action de préférence est dépourvue de droit de vote".

Plus clairement, l'article 1er de l'ordonnance prévoyant que sont concernées "les actions de préférence sans droit de vote à l'émission", elle laisse, donc, en suspens la situation des porteurs qui recouvreraient leur droit de vote postérieurement. A ce titre, la logique tendrait à conduire à la conclusion que le droit préférentiel de souscription devrait leur être réattribué, car sa privation ne trouverait plus de justification théorique. En effet, si le porteur est dans la situation de pouvoir exercer ses droits politiques avant l'augmentation, l'équilibre des droits de vote ainsi obtenu devrait pouvoir demeurer inchangé, en toute hypothèse, après l'augmentation de capital.

Pis encore, cette interprétation s'impose si l'on considère que le droit préférentiel de souscription est d'ordre public, (v., par exemple, Ph. Merle, Droit commercial, Sociétés commerciales, Précis Dalloz, 12ème éd., 2008, n° 556), solution qui s'induit du rapprochement de l'article L. 228-91 qui établit ce droit, et des dispositions de l'article L. 228-95 du Code de commerce (N° Lexbase : L8339GQW) qui prévoit la nullité "des décision prises en violation du deuxième et du troisième alinéa de l'article L. 228-91". On imagine mal, de la sorte, que ce principe puisse être écarté lorsque toutes les conditions qui président, dans la situation commune, à l'attribution du droit préférentiel sont réunies. Si le texte devait rester en l'état, on peut douter, donc, que le juge ait la latitude de pouvoir restaurer l'économie de la réforme et de décider que la privation du droit de vote lors de l'émission prive définitivement le porteur d'action de préférence du droit préférentiel de souscription. Il pourrait, en effet, s'estimer lié par le caractère d'ordre public du principe précité.

II - L'unification du régime de rachat des actions de préférence

Si le premier volet de la réforme risque d'introduire un nouveau degré de complexité dans le régime des actions de préférence, tel n'est pas le cas, en revanche, du second qui, cette fois, met fin aux ambiguïtés concernant le régime de rachat de ces actions (A). L'abrogation de l'article L. 228-20 aura, ainsi, pour effet essentiel de permettre aux établissements financiers de reclasser les actions de préférence en fonds propres de base (B).

A - Un régime unique pour le rachat des actions de préférence

L'article 2 de l'ordonnance abroge l'article L. 228-20 du Code de commerce qui prévoit, jusqu'au premier janvier 2009, que les actions de préférence admises aux négociations sur un marché réglementé peuvent être rachetées ou remboursées, à l'initiative de la société ou du porteur, lorsque le marché n'est pas suffisamment liquide, dans les conditions prévues par les statuts. Cette disposition présentait, en effet, deux difficultés d'application.

La première résultait de l'appréciation de l'illiquidité du marché. On mesure, en effet, que la nature particulière des actions de préférence peut avoir pour conséquence, dès lors qu'elles se voient attacher moins de droits que les actions ordinaires, d'en diminuer la négociabilité. Au mieux, ces restrictions conduisent nécessairement à une décote du titre par rapport aux actions ordinaires ; au pire, l'action de préférence risque de ne pas être demandée, le porteur devenant alors prisonnier de son titre. L'illiquidité du marché s'entendrait donc, dans ce cas, de l'impossibilité de négocier une catégorie particulière d'actions sur le marché réglementé concerné. On imagine, cependant, la difficulté à apprécier dans un contexte de crise boursière cette notion d'absence de liquidité. Dans une première approche, on pourrait imaginer que cette dernière s'analyse comme étant une absence de demande sur l'ensemble des marchés financiers. Mieux vaudrait, toutefois, considérer que l'illiquidité du titre, telle qu'elle a été envisagée par le législateur, n'est qu'une des conséquences des restrictions qui y sont attachées et qu'elle est indépendante de la situation globale du marché. Reste au porteur à apporter la preuve de l'absence de liquidité du titre et reste, surtout, aux émetteurs, à anticiper l'attitude du juge en la matière, dans un domaine où tout est à construire.

La seconde résultait du conflit susceptible de naître de l'existence d'un double régime. Celui, d'abord, de l'article L. 228-20 du Code de commerce qui renvoie aux dispositions statutaires pour déterminer les conditions du rachat du titre illiquide. Celui, ensuite, de l'article L. 228-12 du même code qui établit dans son alinéa 1er que seule l'assemblée générale extraordinaire est compétente pour décider du rachat des actions de préférence (l'alinéa 2 du même article précisant que ces modalités peuvent, également, être fixées par les statuts). On pouvait, ainsi, voir dans le premier article la marque d'une prépondérance statutaire, alors que le second signalait, au contraire, la supériorité de l'assemblée générale extraordinaire.

L'abrogation L. 228-20 du Code de commerce supprime ces deux incertitudes. Désormais, le rachat d'action relèvera des seules dispositions de l'article L. 228-12 et sera de la compétence de l'assemblée générale extraordinaire, les modalités de ce rachat pouvant en être fixées par les statuts.

B - Les incidences comptables de la réforme

La seule mise en oeuvre de l'article L. 228-12 du Code de commerce pour le rachat des actions de préférence clarifie, de la sorte, le traitement comptable des actions de préférence. Ces dernières semblaient, auparavant, ne pas pouvoir être comptabilisées en fonds propres en raison de l'incertitude dans laquelle se trouvaient les émetteurs quant à l'éventualité de devoir racheter ces actions. Le problème se posait, essentiellement, en pratique, pour les établissements de crédit, leurs actions de préférence ne pouvant être considérées comme des fonds propres de base tant que persistait l'éventualité d'un rachat contraint par un porteur désireux de ne pas rester prisonnier de son titre.

A cet égard, l'abrogation de l'article L. 228-20 du Code de commerce, au profit de la seule application de l'article L. 228-12, présente des aspects conjoncturels qui ne peuvent être ignorés. En effet, le texte de la communication en Conseil des ministres du projet de loi de finances rectificative pour le financement de l'économie, présenté le 13 octobre 2008 (devenu la loi n° 2008-1061 du 16 octobre 2008, de finances rectificative pour le financement de l'économie N° Lexbase : L6270IBT ; cf. les obs. d'Alexandre Bordenave, Perspectives juridiques variées sur le marché du crédit, spéc. II - Refinancer les établissements de crédit pour relancer le crédit, Lexbase Hebdo n° 323 du 23 octobre 2008 - édition privée générale N° Lexbase : N4874BHY), avance, en réponse à la crise financière, la solution du renforcement des fonds propres des banques, au moyen d'augmentations de capital par émission d'actions de préférence. Ainsi, le texte évoque expressément l'éventualité, pour l'Etat, de souscrire à de telles augmentations de capital en ces termes : "le projet de loi prévoit de donner à une société détenue par l'Etat la possibilité de souscrire à des émissions de titres subordonnés ou d'actions de préférence des institutions financières".

L'ordonnance vient donc, à point nommé, pour établir un cadre juridique susceptible de favoriser, à la fois, une augmentation des fonds propres et la souscription d'actions par la puissance publique sans que cette dernière ne soit suspectée de réaliser des nationalisations rampantes. En effet, il est vraisemblable que le régime applicable aux actions de préférence émises, à cette occasion, traduira la volonté de l'Etat de demeurer un sleeping partner au sein des établissements financiers et, en définitive, la création des actions de préférence, destinée à l'origine à attirer les investisseurs étrangers, trouvera, ici, un aboutissement que le législateur n'aurait pas imaginé.

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