Réf. : Cass. soc., 29 octobre 2008, n° 07-40.066, Société Interhône Alpes, FS-P+B (N° Lexbase : A1708EBU)
Lecture: 11 min
N7525BH8
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Résumé
Les parties ne peuvent stipuler que le contrat de travail à durée déterminée prendra fin lors de la réalisation d'un événement, considéré par elles comme constitutif d'un cas de force majeure. |
Commentaire
I - Le caractère limitatif des causes de rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée
L'article L. 1243-1 du Code du travail (N° Lexbase : L1457H9T) définit de manière limitative la liste des causes licites de rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée : il s'agit de l'accord des parties, de la faute grave, de la force majeure et de la démission du salarié, par ailleurs titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée.
La jurisprudence a fait de ces dispositions une interprétation très stricte puisqu'elle exclut tout autre mode de rupture qui ne serait pas prévu par la loi et s'oppose, ainsi, à la résiliation judiciaire (1), à tout le moins lorsqu'elle est sollicitée par l'employeur (2). Le caractère limitatif de ces causes de rupture est d'ordre public (3) et les parties ne sont pas autorisées à ajouter d'autres causes, qu'il s'agisse d'autoriser l'employeur à résilier le contrat avant terme (4) ou, de la même manière, les accords et conventions collectives ne sauraient ajouter de causes supplémentaires (5).
Cette sévérité, qui se transcrit par le refus d'admettre d'autres causes, se traduit, également, dans l'appréciation de la force majeure qui n'est, aujourd'hui, presque jamais admise. Ont, ainsi, écarté la suppression de l'emploi occupé par le salarié par suite de difficultés économiques (6), l'inaptitude médicalement constatée du salarié (7), le décès d'un acteur dans le tournage d'un film dont il était l'une des vedettes principales (8), la fermeture administrative de l'entreprise (9), lorsque l'objet pour lequel le salarié a été recruté, à savoir le remplacement d'un salarié absent, s'est réalisé avant l'échéance du terme par le retour anticipé à son poste du salarié remplacé (10) ou, encore, lorsque la cause pour laquelle le salarié a été recruté a disparu (11).
Les cas où la force majeure a été admise sont rarissimes. Dernièrement, il a, toutefois, été jugé comme constitutif d'un cas de force majeure "le mouvement des intermittents du spectacle [...] déclenché à La Rochelle pour contester un projet de réforme gouvernemental dont la maîtrise échappait à la société Francofolies qui n'avait aucune possibilité de satisfaire leurs revendications, [car] les manifestants qui étaient des intermittents extérieurs au festival, avaient bloqué l'accès du site où devaient se dérouler les spectacles et empêchaient les salariés recrutés par contrats à durée déterminée d'accéder à leurs postes de travail pour effectuer les tâches pour lesquelles ils étaient engagés" (12).
C'est dans ce contexte extrêmement défavorable aux employeurs que s'inscrit ce nouvel arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 29 octobre 2008.
II - La confirmation de la volonté de la Cour de cassation de protéger le salarié
Dans cette affaire, un contrat de travail à durée déterminée conclu pour une durée de onze mois avait assorti le contrat d'un terme extinctif particulier, les parties convenant à l'avance qu'un second échec de la salariée à un examen d'aptitude à la conduite des poids lourds qu'elle devait passer serait considéré comme un cas de force majeure entraînant la rupture anticipée du contrat, alors réputée intervenue d'un commun accord, sous réserve d'une notification adressée par l'employeur à la salariée en question. C'est cette clause qui avait été mise en oeuvre par l'employeur, ce que contestait la salariée.
La cour d'appel de Lyon lui avait donné raison, après avoir refusé de considérer l'échec à l'épreuve comme constitutif d'un cas de force majeure et lui avait attribué des indemnités pour rupture anticipée illicite du contrat ; l'employeur avait formé un pourvoi en cassation.
Celui-ci prétendait, notamment, "que la disparition de l'objet ou de la cause d'un contrat entraîne sa caducité et prive nécessairement par un effet juridique mécanique l'accord de tout effet pour l'avenir, sans qu'il soit exigé que cette disparition revête les caractères de la force majeure".
L'argument n'a pas convaincu la Cour de cassation qui rejette le pourvoi, après avoir affirmé que, "selon l'article L. 122-3-8, alinéa 1 (N° Lexbase : L5457AC4), devenu L. 1243-1 du Code du travail, sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l'échéance du terme qu'en cas de faute grave ou de force majeure" et que la cour d'appel, en relevant que "les conditions de la force majeure n'étaient pas réunies, a légalement justifié sa décision".
Cette solution est doublement justifiée.
En premier lieu, la Chambre sociale de la Cour de cassation a parfaitement raison de rappeler le caractère limitatif des causes de rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée et l'impossibilité, pour les parties comme pour le juge, d'admettre d'autres causes, même si elles résultent d'un accord des parties.
Le contrat de travail à durée déterminée résulte, en effet, d'un compromis savamment dosé par le législateur : le salarié renonce au principe de l'engagement à durée indéterminée, qui constitue la forme normale du contrat de travail, en échange de quoi l'employeur renonce aux conditions communes de rupture du contrat de travail et, singulièrement, au pouvoir de résilier unilatéralement le contrat de travail pour une cause réelle et sérieuse, au profit d'un régime plus protecteur du salarié, puisque seuls un accord amiable, une faute grave ou un événement de force majeure seront susceptibles de justifier une rupture avant terme du contrat.
C'est pour cette raison que la Cour de cassation avait fermé à l'employeur la voie de la résiliation judiciaire du contrat de travail, hormis l'hypothèse très marginale de l'impossibilité de reclasser le salarié inapte à reprendre son emploi après un accident du travail ou une maladie professionnelle (13) et que la Cour condamne les clauses de résiliation unilatérale.
Reste que cette affirmation du caractère limitatif des causes de rupture anticipée du contrat de travail à durée déterminée ne présente pas de caractère absolu. Faut-il le rappeler, la résiliation judiciaire du contrat de travail à durée déterminée peut toujours être demandée par le salarié, le juge ne pouvant, toutefois, l'admettre que si l'employeur a commis une faute grave qui justifie cette rupture avant terme (14). Par ailleurs, et jusqu'à preuve du contraire, les parties disposent toujours du pouvoir de demander l'annulation du contrat de travail à durée déterminée en invoquant, notamment, un vice du consentement ou la contrariété du contrat avec l'ordre public.
Dans ces conditions, l'invocation, par l'employeur, de la caducité pouvait sembler recevable, à tout le moins, astucieuse.
Pourtant, et en dépit du caractère finalement assez relatif de l'affirmation du caractère exclusif des modes de rupture légaux du contrat de travail à durée déterminée, cette prétention ne pouvait prospérer.
La véritable raison de la mise à l'écart des modes de rupture issus du droit commun des obligations, lorsqu'ils sont invoqués par l'employeur, se justifie par la volonté d'éviter le contournement des dispositions du Code du travail par l'application des règles issues du Code civil. Il s'agit, en quelque sorte, d'éviter une fraude à la loi. Même si cette théorie n'apparaît en tant que telle dans les justifications avancées par la Cour de cassation (ne serait-ce que parce qu'elle imposerait d'établir l'intention frauduleuse de l'employeur, en pratique difficile à rapporter), elle ressort nettement de la jurisprudence, singulièrement de l'arrêt intervenu en 2001, qui avait mis un terme à la carrière de la résiliation judiciaire du contrat de travail demandée par l'employeur (15). Cette volonté d'éviter le contournement des règles d'ordre public protectrices des intérêts des salariés explique, alors, pourquoi ces derniers peuvent continuer d'invoquer contre l'employeur des règles que ce dernier ne peut invoquer : le salarié qui démissionne doit, seulement, à son employeur un préavis et, encore, sous conditions, mais aucune indemnité ; en demandant la résiliation judiciaire, le salarié sera, certes, dispensé du préavis, si les juges résilient le contrat, mais la durée de la procédure remplacera avantageusement la durée très faible du préavis de démission et le contrôle exercé par le juge sur le bienfondé de la demande évitera toute rupture abusive par le salarié et ne privera l'employeur d'aucune garantie, ne serait-ce que par le salarié ne lui devait aucune indemnité de rupture.
Si la jurisprudence interdit aux parties d'ajouter d'autres causes de rupture, s'oppose-t-elle à la possibilité d'opérer, dans le contrat de travail lui-même, une sorte de "pré qualification" des événements au regard des causes légales de rupture, et de prévoir, comme c'était le cas dans cette affaire, que tel événement sera constitutif de force majeure ou sera, dès la signature du contrat, accepté comme cause de rupture amiable du contrat ? Telle était la question que soulevait le pourvoi dans cette affaire et à laquelle la Cour de cassation a répondu négativement, à juste titre, ici, encore. Il est, en effet, parfaitement justifié de considérer que les parties au contrat de travail ne peuvent "pré qualifier" un événement de cas de force majeure et imposer au juge cette qualification.
Le salarié ne saurait, tout d'abord, renoncer, par une clause de son contrat, au droit de se prévaloir des garanties légales et, singulièrement, de celle de refuser, le moment venu, la rupture amiable de son contrat de travail (16). Or, en "pré qualifiant" de rupture négociée la rupture, décidée par l'employeur, en raison de la non-obtention d'un diplôme ou d'un examen, le contrat comportait pareille renonciation et cette clause devait être logiquement annulée.
Par ailleurs, c'est le juge qui est maître de la qualification, et non les parties (17). Ces dernières ne peuvent donc imposer leur volonté dans la qualification de la force majeure ou de rupture négociée ; ce qui vaut, dans le cadre du contrat individuel, vaut, d'ailleurs, également, pour l'employeur, lorsqu'il arrête le règlement intérieur de l'entreprise (18) ou pour les partenaires sociaux qui pourraient être tentés d'imposer au juge certaines causes de rupture du contrat de travail, voire certaines sanctions, comme la réintégration. Dans ces conditions, les juges du fond avaient eu parfaitement raison de ne pas se sentir liés par les termes du contrat et d'exercer leur pouvoir (souverain) d'appréciation des critères de la force majeure. Or, dans cette affaire, le moins que l'on puisse dire était que l'échec de la salariée à son examen n'était pas imprévisible... puisqu'il avait précisément été prévu par les parties !
(1) Cass. soc., 15 juin 1999, n° 98-44.295, Société Tartatou c/ Mlle Gaucher (N° Lexbase : A4814AGE), D., 1999, jur., p. 623, note Ch. Radé ; Dr. soc., 1999, p. 836, obs. C. Roy-Loustaunau.
(2) Admission lorsqu'elle émane du salarié : Cass. soc., 14 janvier 2004, n° 01-40.489, Association SAOS Toulouse Football club "TFC" c/ M. Eric Garcin, F-P (N° Lexbase : A7762DAQ), Dr. soc., 2004, p. 306, obs. Ch. Radé ; D., 2004, jur., p. 1473, note J. Mouly.
(3) Cass. soc., 5 juillet 1995, n° 92-40.095, Société anonyme Football Club Gueugnonnais c/ M. Jean-Yves Chay (N° Lexbase : A2428AGZ).
(4) Cass. soc., 5 juillet 1995, n° 92-40.095, préc. (entraîneur sportif) ; Cass. soc., 16 décembre 1998, n° 95-45.341, Association Cercle Saint-Pierre c/ M. Ghewy (N° Lexbase : A4522AGL) ; Cass. soc., 26 octobre 1999, n° 98-41.465, AGS et autres c/ M. Zivko Brajovic et autres (N° Lexbase : A5566AW3) (idem) ; Cass. soc., 24 octobre 2000, n° 98-40.447, M. Jean-Paul Rabier c/ Association Le Football club de Rouen et autres (N° Lexbase : A9385ATR) (idem).
(5) A propos de la charte des footballeurs professionnels, simple convention collective sujette au respect du Code du travail : Cass. soc., 6 mai 1998, n° 96-40.867, M. Parsy et autres c/ M. Villa, ès qualités de mandataire-liquidateurde l'association FC (N° Lexbase : A2876ACI), Dr. soc., 1998, p. 835, obs. J.-P. Karaquillo.
(6) Cass. soc., 28 avril 1986, n° 84-40.538, Monsieur Durand c/ Monsieur Bernard (N° Lexbase : A4880AAY), D., 1987, jur., p. 475, note J.-P. Karaquillo ; Cass. soc., 26 mars 2002, n° 00-40.898, Mme Monique Bardonneau c/ Société FMC Europe, FS-P (N° Lexbase : A3858AYK), Rugard, Dr. soc., 2002, p. 889, obs. C. Roy-Loustaunau.
(7) Cass. soc., 23 mars 1999, n° 96-40181, Société Olympique de Lyon et du Rhône et autre c/ M. Bare, publié (N° Lexbase : A6791CID), D., 1999, inf. rap., p. 115 ; Cass. soc., 12 juillet 1999, n° 97-41.131, M. Bonard c/ Société Transports Gelin (N° Lexbase : A4760AGE), JCP éd. G, 2000, II, 10273, note G. Lachaise ; Cass. soc., 18 novembre 2003, n° 01-44.280, Société Chambedis c/ Mme Carole Planchard, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A1843DAI) : "l'inaptitude physique du salarié ne constitue pas un cas de force majeure" et nos obs., Rupture anticipée du CDD et inaptitude définitive du salarié : l'employeur condamné à payer une indemnité inexistant, Lexbase Hebdo n° 96 du 26 novembre 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N9554AA4).
(8) Cass. soc., 12 février 2003, n° 99-42.985, CGEA Ile-de-France c/ M. Yannick Pavec, FP-P+B (N° Lexbase : A0187A73) et nos obs., La nouvelle définition de la force majeure en droit du travail, Lexbase Hebdo n° 59 du 19 février 2003 - édition sociale (N° Lexbase : N6084AAL).
(9) Cass. soc., 28 juin 2005, n° 03-43.192, M. Salem Mokadem c/ M. Mokadem Ahmed Ben Belgacem, F-D (N° Lexbase : A8521DIG).
(10) Cass. soc., 8 novembre 1995, n° 92-40.399, Clinique de Briançon et autres c/ Mlle Monier et autre (N° Lexbase : A1055ABP).
(11) Cass. soc., 12 mars 1997, n° 94-45.003, Société R Films, société à responsabilité limitée c/ M. Bernard Seitz et autres, inédit (N° Lexbase : A8988CRC). Le demandeur avait prétendu, en vain, que "la disparition de la cause d'un contrat à exécution successive au cours de son exécution entraîne sa caducité sans qu'aucune indemnité ne soit due".
(12) Cass. soc., 31 octobre 2006, n° 04-47.014, M. Eric Diaz, F-D (N° Lexbase : A2004DSZ).
(13) C. trav., art. L. 1231-1 (N° Lexbase : L8654IAR).
(14) Préc. note 2.
(15) Cass. soc., 13 mars 2001, n° 98-46.411, M. Mulin c/ Société MFI Créations (N° Lexbase : A0103ATY), Dr. soc., 2001, p. 624, et la chron. : "l'employeur, qui dispose du droit de résilier unilatéralement un contrat de travail à durée indéterminée par la voie du licenciement en respectant les garanties légales, n'est pas recevable, hors les cas où la loi en dispose autrement, à demander la résiliation judiciaire dudit contrat".
(16) Sur la renonciation du salarié, voir notre étude, L'ordre public social et la renonciation du salarié, Dr. soc., 2002, p. 931-938.
(17) Code de procédure civile, art. 12 (N° Lexbase : L1127H4I).
(18) Cass. soc., 2 mai 2000, n° 97-44.091, M. Quennehen c/ Société Ipedex (N° Lexbase : A9264ATB), Dr. soc., 2000, p. 787, obs. F. Favennec-Héry ; JCP éd. G, 2000, II, 10388, note D. Corrignan-Carsin.
Décision
Cass. soc., 29 octobre 2008, n° 07-40.066, Société Interhône Alpes, FS-P+B (N° Lexbase : A1708EBU) Rejet, CA Lyon, ch. soc., 9 novembre 2006, n° 05/07850, Société Interhône Alpes (N° Lexbase : A6496DZM) Texte concerné : C. trav., art. L. 1243-1 (N° Lexbase : L1457H9T) Mots clef : contrat de travail à durée déterminée ; rupture anticipée ; causes légales ; caractère limitatif. Lien base : |
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:337525