Réf. : CE 1° et 6° s-s-r., 8 octobre 2008, n° 295343, Société Rand Kar (N° Lexbase : A7085EAN)
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par Frédéric Dieu, commissaire du Gouvernement près la cour administrative d'appel de Marseille
le 07 Octobre 2010
I - Toute décision administrative prise en matière d'urbanisme qui est entachée d'illégalité engage la responsabilité de l'autorité qui en est l'auteur
A - Une jurisprudence applicable aussi bien aux décisions de nature réglementaire...
Selon une jurisprudence bien établie, toute décision illégale est en principe fautive, quelle que soit la nature de l'illégalité qui l'entache, c'est-à-dire que cette illégalité soit externe (1), ou interne (2). Ainsi, un acte contraire à une norme juridique supérieure, et pour ce motif entaché d'illégalité, est constitutif d'une faute (CAA Lyon, 28 juillet 2005, n° 99LY02601, Meyer N° Lexbase : A1353DLP, au Recueil, p. 629, AJDA, 2005, p. 2143). Les décisions prises en matière d'urbanisme ne dérogent pas à cette règle générale, que ces décisions soient des décisions réglementaires ou individuelles.
S'agissant des décisions réglementaires, les plans d'occupation des sols (POS) ou les plans d'aménagement de zones (PAZ) qui sont entachés d'illégalité peuvent faire l'objet de demandes indemnitaires dirigées contre l'administration qui les a adoptés, dès lors que les préjudices invoqués sont en lien direct avec l'illégalité en cause. Le cas se produit, notamment, lorsqu'un POS ou un PAZ a été jugé incompatible avec des normes supracommunales, ou bien lorsque des auteurs de POS ont procédé à des classements de terrains de manière manifestement erronée, ou non justifiés par des motifs d'urbanisme. Les préjudices indemnisables sont alors nombreux. Il en est, ainsi, de l'impossibilité de réaliser un lotissement déjà autorisé sur des terrains situés à proximité d'une usine d'ammoniac, et dont le classement en zone constructible du POS, sans que fût prévue la moindre disposition restrictive, relevait d'une erreur manifeste d'appréciation (CAA Lyon, 21 mai 1991, n° 90LY00330, Ministre de l'Equipement, du Logement, des Transports et de la Mer c/ Société d'ingénierie immobilière Sud N° Lexbase : A3469A8Y, aux Tables, p. 1183). Il en va, de même, des dommages provoqués par l'instabilité d'un terrain qui, dans le POS, a été classé en zone constructible, sans indication d'aucun risque déclaré (TA Nice, 5 mai 1994, Société Valente et La Selva, BJDU, juillet 1994, p. 96, conclusions Caldéraro). Sont, enfin, indemnisables les préjudices résultant de l'impossibilité de percevoir une participation du fait de l'élaboration irrégulière d'un POS (3), ainsi que les préjudices résultant de l'acquisition d'un terrain constructible, au vu d'un certificat d'urbanisme positif délivré sur le fondement d'un POS incompatible avec la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986, relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral (N° Lexbase : L7941AG9), dite "loi littoral" (TA Nice, 6 novembre 1997, Anders, BJDU, 1998, p. 28, conclusions Poujade).
Outre les POS et les PAZ, il faut citer, parmi les décisions d'urbanisme à caractère réglementaire qui sont susceptibles d'engager la responsabilité de leurs auteurs à raison de leur illégalité, les décisions portant création de zones d'aménagement concerté (ZAC). L'illégalité d'une décision de création de ZAC est donc susceptible d'engager la responsabilité de la commune si le requérant justifie avoir signé avec celle-ci une convention d'aménagement, ou si du moins des engagements précis lui ont été donnés en ce sens. Précisons, cependant, que les frais de mise en forme du projet exposés en vain restent à la charge de l'aménageur, car un acte de création de ZAC ne crée aucun droit au profit de la société chargée par convention de son aménagement (TA Nice, 18 avril 1996, Mirailles).
B - ...Qu'aux décisions relatives à la délivrance des permis de construire
Parmi les décisions individuelles illégales susceptibles d'engager la responsabilité de l'administration figurent, d'abord, les décisions de refus ou de retrait (illégales) d'un permis de construire. L'administration engage, ainsi, sa responsabilité lorsqu'elle refuse à tort de délivrer un permis de construire, et cela même s'il se révèle que le pétitionnaire, après l'annulation de ce refus, a renoncé au bénéfice de ce permis, et en a sollicité un autre "en raison de l'évolution des données économiques locales" (4), ou lorsque le refus est fondé sur des dispositions illégales d'un règlement de POS, lesquelles auraient dû être écartées par le service instructeur de la commune (5). De même, le retrait illégal d'un permis de construire ou d'une autorisation de lotir engage la responsabilité de l'administration dans la mesure où il en résulte pour le requérant un dommage actuel, direct et certain (CE, 10 mai 1968, n° 72645, Société coopérative de construction Odomez N° Lexbase : A7225B7Q, aux Tables, p. 1104 ; CE Section, 25 juin 1971, n° 80473, Ministre de l'équipement c/ Bruchet N° Lexbase : A7282B89, au Recueil p. 488 ; CE, 28 juillet 1993, n° 87047, Consorts Roux N° Lexbase : A0509AN8).
Parmi les décisions individuelles illégales susceptibles d'engager la responsabilité de l'administration figurent, en outre, les décisions relatives à des permis de construire illégalement délivrés. L'illégalité d'un permis de construire, laquelle peut être constatée aussi bien à la faveur d'un retrait par l'administration que d'une annulation juridictionnelle, n'ouvre droit à indemnisation que si la faute ainsi révélée a, par elle-même, pour effet de priver définitivement le pétitionnaire de la possibilité de réaliser le projet faisant l'objet de la demande (C. Lorthe, La responsabilité de la puissance publique en matière de permis de construire, Rev. éco. et dr. imm., 1978, n° 77). L'illégalité du permis de construire peut, notamment, résulter de l'application d'une application d'une modification illégale du cahier des charges d'un lotissement (CE, 20 novembre 1987, n° 63100, Bert N° Lexbase : A6020APN, DA, 1987, n° 680), ou de la violation des clauses du cahier des charges d'un lotissement (CE, 12 mars 1990, n° 68932, Ministre de l'Urbanisme, du Logement et des Transports c/ Gallichet N° Lexbase : A6780AQ8). Par ailleurs, l'illégalité du permis de construire peut être la conséquence d'une annulation juridictionnelle du POS qui avait rendu possible le permis (CAA Paris, 27 juin 1995, n° 94PA00381, Soleilhac N° Lexbase : A2347BIR), ou peut résulter de l'exception d'illégalité de ce POS (CAA Lyon, 17 octobre 1991, n° 90LY00332, SOFRACIM). Cette situation est, d'ailleurs, assez proche de celle rencontrée par le Conseil d'Etat dans la décision en date du 8 octobre 2008, puisque le Conseil a été confronté à un permis de construire dont l'illégalité, prononcée par lui-même dans une décision en date du 28 juillet 1999 (CE Contentieux, 28 juillet 1999, n° 202433, Laskar et commune de Frossay N° Lexbase : A3488AXH aux Tables), était la conséquence de l'illégalité de la modification du POS, laquelle avait été prononcée par le tribunal administratif de Nantes le 1er avril 1993.
Il faut, cependant, préciser que, dans le cas de l'annulation d'un permis de construire par suite de l'illégalité du POS, l'indemnité est calculée en tenant compte uniquement des préjudices directement occasionnés par le permis de construire illégal. Ainsi, le bénéficiaire du permis obtient le remboursement des frais d'abattage d'arbres exposés inutilement, car ce préjudice est la conséquence directe du permis illégal. En revanche, les frais financiers exposés jusqu'à la revente du terrain et le manque à gagner correspondant à la privation des bénéfices escomptés de la vente des logements sont la conséquence de l'inconstructibilité du terrain du fait des dispositions du nouveau POS. Ils sont, dès lors, en vertu de l'article L. 160-5 du Code de l'urbanisme (N° Lexbase : L7364ACQ), exclus du préjudice indemnisable (CAA Lyon, 17 octobre 1991, n° 90LY00332, SOFRACIM, précité). Enfin, une distinction entre les différents motifs d'illégalité d'un permis de construire peut être utilement établie lorsqu'il s'agit de déterminer la réalité ou le caractère direct du préjudice allégué. Ainsi, un dépassement illégal de coefficient d'occupation des sols ou une implantation irrégulière de la construction ne sont susceptibles d'ouvrir un droit à indemnisation que s'ils ont pour effet de modifier fondamentalement les caractéristiques de la construction, par rapport à celles qui seraient résultées d'une exacte application des règles du POS (CAA Paris, 19 décembre 1994, n° 93PA00675, Epoux Roffi N° Lexbase : A0684BI8 ; TA Paris, 6 mars 1997, n° 94-10451, Verna).
II - Sont indemnisables les préjudices liés à l'édification de la construction et les préjudices liés aux frais de justice engagés dans le cadre des instances ayant constaté l'illégalité du permis et en ayant tiré les conséquences
A - L'indemnisation des préjudices liés aux bâtiments édifiés en application d'un permis de construire illégal ne s'étend pas aux frais exposés pour leur reconstruction
Si, de manière générale, sont inclus dans les préjudices indemnisables les coûts liés aux difficultés financières qu'a connues le pétitionnaire à la suite de ses déboires immobiliers (CE, 24 avril 1977, Dame Veuve Chalot, aux Tables), les frais liés à la construction comprennent, essentiellement, les frais exposés pour édifier les constructions initiales, les frais de démolition et les frais exposés pour le déménagement du matériel entreposé dans les constructions démolies.
En vertu d'une jurisprudence bien établie, le bénéficiaire d'un permis de construire illégal peut, en principe, demander à être indemnisé du préjudice résultant du coût des constructions initiales. En effet, lorsque le bénéficiaire d'une autorisation de construire a dû procéder à la démolition de sa construction en raison de l'illégalité de cette autorisation, le juge administratif estime qu'il doit être indemnisé du préjudice résultant des coûts de construction exposés en vain, et que le montant de ce préjudice est égal au coût initial de la construction (CE, 24 avril 1977, précité ; CE, 8 juillet 1977, n° 00016, Société Civile résidence du Pays d'Oc N° Lexbase : A9199AZQ ; CE, 14 février 2007, n° 284515, M. Wibert N° Lexbase : A2021DUE). Dans l'espèce jugée par le Conseil d'Etat le 8 octobre 2008, le maire de la commune de Frossay (Loire-Atlantique), après avoir modifié le règlement de son POS en 1991, de façon à permettre l'implantation d'un centre de vol en ULM dans une zone naturelle située à proximité du canal de La Martinière, avait délivré à M. X, propriétaire de la société Randkar, un permis de construire aux fins de construction d'un hangar destiné à l'exploitation d'appareils ULM et à des activités d'hébergement de restauration.
Toutefois, en raison de l'annulation de cette modification du POS, ce permis de construire avait été déclaré illégal (mais non annulé) par le tribunal administratif de Nantes, dont le jugement avait été confirmé par le Conseil d'Etat le 28 juillet 1999 (CE Contentieux, 28 juillet 1999, n° 202433, précité). En application d'une décision du juge judiciaire, le requérant a, alors, été contraint de procéder à la démolition de ses installations. Dans la décision du 8 octobre 2008, le Conseil d'Etat confirme le caractère indemnisable du préjudice tenant au coût de la construction initiale, mais précise que ce coût doit être distingué du coût de reconstruction à l'identique des installations en cause. C'est dire que ne peuvent être indemnisées que les dépenses exposées au moment de l'édification de ces installations et que leur montant doit être évalué à ce coût historique, sans pouvoir faire l'objet d'une actualisation.
Par ailleurs, la décision du 8 octobre 2008 a fait droit à la demande d'indemnisation du préjudice résultant pour le bénéficiaire du permis de construire de l'obligation dans laquelle il s'est trouvé de procéder au déménagement du matériel qui était entreposé dans les constructions dont le juge judiciaire avait ordonné la démolition. Il s'agit là, en fait, d'un préjudice annexe au préjudice résultant du coût de la démolition des bâtiments illégalement construits, démolition en général ordonnée par le juge judiciaire, lequel est indemnisable en vertu d'une jurisprudence bien établie (6). Dès lors que le préjudice principal tenant au coût de démolition est indemnisé, le préjudice accessoire tenant au coût de déménagement du matériel entreposé dans les constructions démolies doit logiquement être indemnisé.
Toutefois, et cela est essentiel, il ne faut pas confondre le préjudice lié au coût de déménagement de ce matériel, qui est donc indemnisé, avec le préjudice lié au coût de déménagement ou de transfert des constructions et de l'activité qui s'y est développée : ce second préjudice ne saurait être indemnisé lorsqu'il est, directement et objectivement, lié à l'interdiction pour le bénéficiaire du permis de construire illégal d'édifier des constructions sur le terrain en cause. C'est pourquoi la décision du 8 octobre 2008 indique que les "préjudices liés aux surcoûts et à la perte d'activité résultant du transfert d'une partie de l'activité de la base ULM sur un autre site n'étaient pas la conséquence directe de l'illégalité du permis de construire [...] mais résultai[en]t de l'impossibilité, eu égard aux règles d'urbanisme alors applicables dans ce secteur, de réaliser les constructions nécessaires au développement de l'activité de cette base".
Autrement dit, les préjudices résultaient non de l'illégalité du permis de construire, mais de l'incompatibilité de l'implantation initiale avec les règles d'urbanisme applicables, à savoir le POS. L'obligation de s'installer sur un nouveau site résultait, ainsi, de l'impossibilité radicale, pour le bénéficiaire du permis de construire illégal, d'installer son entreprise sur le lieu initialement choisi, de sorte que les pertes de recettes liées au caractère moins attractif du nouveau site étaient sans lien avec l'illégalité du permis de construire. En l'espèce, la modification du POS, qui n'avait eu d'autre but que de rendre possible les constructions édifiées par le requérant, avait été annulée le 1er avril 1993 par le tribunal administratif de Nantes. Ce jugement, non frappé d'appel, était revêtu de l'autorité absolue de la chose jugée : cette annulation, forcément rétroactive, avait donc rendu irrégulière l'implantation par le requérant d'un hangar destiné à accueillir des ULM et d'un bâtiment à usage de restauration et d'hébergement.
Sur ce point, la décision du 8 octobre 2008 aurait gagné à être plus pédagogique. Elle semble, en effet, à première vue, considérer que seule l'illégalité du permis de construire, à la différence de l'illégalité du POS, peut ouvrir droit à indemnisation, alors même, pourtant, que le permis de construire en cause n'a pu être délivré qu'en application du POS modifié illégalement pour la cause. L'on peut, ainsi, raisonnablement penser qu'il y a un lien direct entre l'illégalité du POS modifié, sur le fondement duquel a été délivré le permis de construire illégal, et l'obligation dans laquelle s'est trouvé le requérant d'acquérir un nouveau terrain et d'y transférer ses activités.
Il faut en fait, selon nous, distinguer l'annulation de la modification du POS de l'illégalité de cette modification, après avoir rappelé, qu'en l'espèce, si la modification avait été annulée, il n'en avait pas été de même du permis de construire qui avait simplement été déclaré illégal dans le cadre d'un recours en appréciation de légalité. En effet, l'annulation ayant un effet rétroactif, elle conduit à remettre rétroactivement en vigueur le POS antérieur à la modification, lequel rendait, en l'espèce, impossible l'implantation par le requérant d'un hangar destiné à accueillir des ULM et d'un bâtiment à usage de restauration et d'hébergement. A la date de leur implantation, ces constructions étaient donc irrégulières. Au contraire, l'illégalité de la modification du POS, si elle avait été constatée par voie d'exception dans la décision du 8 octobre 2008, n'aurait pas eu d'effet rétroactif de sorte que le juge aurait été contraint de constater qu'à la date de leur implantation, les constructions avaient été régulièrement édifiées, c'est-à-dire conformément au POS modifié pour la cause.
L'on peut en conclure qu'une décision d'urbanisme, dès lors qu'elle est annulée et disparaît, ainsi, rétroactivement de l'ordonnancement juridique, ne peut donner lieu à indemnisation. Autrement dit, si un permis de construire illégal peut ouvrir droit à indemnisation pour celui qui en a bénéficié, il n'en est pas de même d'un permis de construire annulé. Dans l'espèce jugée par le Conseil d'Etat le 8 octobre 2008, heureusement pour le requérant, le permis de construire était, certes, illégal, mais il existait toujours puisqu'il n'avait pas été annulé. En revanche, la modification du POS, sur le fondement de laquelle avait été délivré ce permis, avait été annulée et n'existait donc plus, de sorte que les constructions en cause n'étaient pas autorisées.
Au total, lorsque des bâtiments ont été irrégulièrement édifiés, le bénéficiaire du permis de construire illégal peut demander l'indemnisation du coût de leur construction initiale et de leur démolition, mais il ne peut, en revanche, demander l'indemnisation du coût représentatif de leur reconstruction sur un autre terrain et du transfert sur cet autre terrain des activités qui s'y étaient développées.
B - L'indemnisation des frais de justice engagés dans le cadre des instances ayant constaté son illégalité et en ayant tiré les conséquences, et l'indemnisation des troubles dans les conditions d'existence
La décision du 8 octobre 2008 est, en outre, remarquable en ce qu'elle adopte une définition large des frais de justice pouvant donner lieu à indemnisation. En l'espèce, ces frais de justice avaient été exposés par les requérants dans les litiges qui les avaient opposés à leurs voisins et à une association de défense de l'environnement, qui avaient finalement obtenu la démolition des constructions qu'ils avaient fait édifier.
Infirmant en cela la cour administrative d'appel de Nantes qui avait estimé que de tels frais ne pouvaient être regardés comme un élément du préjudice réparable, le Conseil d'Etat a considéré que "les frais utilement exposés par le bénéficiaire d'une autorisation individuelle d'urbanisme à l'occasion d'une instance judiciaire engagée par des tiers, et à l'issue de laquelle le juge judiciaire ordonnait, à raison de l'illégalité de cette autorisation, la démolition d'une construction, ainsi que l'indemnisation des préjudices causés aux tiers par celle-ci, étaient susceptibles d'être pris en compte dans le préjudice résultant de l'illégalité fautive de l'autorisation, mais à l'exclusion de ceux relatifs aux astreintes prononcées, le cas échéant, pour pallier une carence dans l'exécution de la décision juridictionnelle".
Le Conseil a considéré qu'il devait en aller de même des "frais afférents à une instance en appréciation de légalité introduite, au cours du procès judiciaire, devant la juridiction administrative, afin qu'il soit statué sur la légalité de l'autorisation". En revanche, et fort logiquement, il a exclu du préjudice indemnisable les frais exposés lors de l'instance en cause qui tendait à la réparation du préjudice subi, puisque de tels frais relèvent du champ d'application de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative (N° Lexbase : L3227AL4), c'est-à-dire des frais irrépétibles. Il a, de même et tout aussi logiquement, exclu des préjudices indemnisables ceux relatifs aux astreintes prononcées pour pallier une carence dans l'exécution d'une décision juridictionnelle, puisque ces préjudices résultent de la seule inertie ou du seul retard des bénéficiaires du permis de construire illégal à exécuter une décision de justice qui leur est défavorable (CE, 26 janvier 2007, n° 269337, M. et Mme Morin, précité).
Au total, c'est donc l'ensemble des frais de justice exposés par les bénéficiaires d'un permis de construire illégal qui peuvent être indemnisés, dès lors que ces frais ont été exposés lors des différentes procédures judiciaires qui ont conduit les juges administratif et judiciaire à se prononcer, pour le premier, sur l'illégalité du permis et à en tirer, pour le second, toutes les conséquences, notamment, la démolition des constructions irrégulièrement édifiées. Il aurait, en effet, été injuste de faire peser sur les bénéficiaires d'un permis de construire illégal le coût des procédures diligentées contre eux par des tiers pour faire établir et sanctionner une illégalité dont est seule responsable l'autorité administrative, puisqu'elle se rapporte à un acte administratif unilatéral et non à un acte contractuel qui peut, quant à lui, donner lieu à un partage de responsabilité.
La solution retenue par le Conseil d'Etat peut s'autoriser de deux précédentes décisions. Dans la première, le Conseil d'Etat a considéré que le pétitionnaire malheureux pouvait obtenir l'indemnisation des frais résultant des condamnations qui avaient été prononcées à son encontre du fait de l'illégalité de sa construction, de même que des frais afférents aux actions engagées à leur encontre pour la même raison (CE, 5 octobre 1988, n° 53511, SCI "Les trois roses" N° Lexbase : A7797APH, au Recueil, p. 327). Dans la seconde décision, le Conseil a indemnisé les bénéficiaires d'un permis de construire au titre des dommages et intérêts qu'ils avaient été condamnés à verser à leurs voisins en raison des nuisances subies par ceux-ci, de tels dommages présentant, selon le Conseil, "un lien direct avec la méconnaissance par le permis de construire de la règle d'urbanisme". Pour la même raison, le Conseil d'Etat a indemnisé les requérants au titre des frais d'avoués qu'ils avaient exposés au cours de la même instance judiciaire.
L'on peut donc en conclure que, pour la jurisprudence, l'action contentieuse engagée par des tiers à la délivrance du permis de construire illégal est sans influence sur l'existence d'un lien de causalité entre l'illégalité fautive et les condamnations et sujétions prononcées à l'encontre des bénéficiaires d'un tel permis.
Ajoutons, enfin, que la décision du 8 octobre 2008 a, également, procédé à l'indemnisation des troubles dans les conditions d'existence subis par le requérant à raison de l'illégalité du permis de construire qui lui avait été délivré. Sur ce point, force est de constater que la décision est muette sur la nature de ces troubles parmi lesquels elle semble ranger le préjudice moral, alors que, dans ses conclusions, le commissaire du Gouvernement avait distingué ce préjudice des troubles dans les conditions d'existence. Dans la décision "Veuve Chalot" précitée, le Conseil d'Etat avait, d'ailleurs, procédé à la même distinction, sans toutefois préciser davantage la nature du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence. Il faut donc en conclure que le juge répugne à motiver l'indemnisation de ces préjudices pour laquelle il se reconnaît un important pouvoir d'appréciation.
Si la décision du 8 octobre 2008 reconnaît largement l'indemnisation des préjudices qui sont, pour le bénéficiaire d'un permis de construire illégal, la conséquence directe de cette illégalité, il n'en demeure pas moins que le juge devrait pouvoir opérer une compensation financière entre le montant des préjudices indemnisables et le montant des avantages que son bénéficiaire a retirés de l'octroi du permis de construire illégal. Ce principe de compensation a déjà été admis par le Conseil d'Etat dans la décision "SCI Les trois roses" précitée.
Ainsi, le montant des préjudices indemnisables devrait être diminué à due concurrence des profits réalisés par le bénéficiaire d'un permis de construire illégal pendant la période d'exploitation irrégulière de ses installations. L'on peut donc envisager, et ce fut d'ailleurs le cas dans la décision "SCI Les trois roses", que le montant des bénéfices retirés de l'existence d'une construction irrégulièrement édifiée et de l'activité qui y a été développée soit supérieur au montant des préjudices résultant de l'illégalité du permis de construire, ce qui priverait alors le bénéficiaire du permis de construire illégal de tout droit à indemnisation.
(1) Illégalité tenant à l'incompétence de l'auteur de l'acte : CE, 11 mars 1949, Société des Grands Moulins du Nord, au Recueil, p. 118 ; illégalité tenant à l'irrégularité de la procédure suivie : CE 19 mai 1976, n° 98264, Ministre de la Santé c/ SA du Château de Neuvecelle (N° Lexbase : A3172B8Y), aux Tables, p. 1112.
(2) Illégalité tenant à une erreur d'appréciation : CE Section, n° 84768, 26 janvier 1973, Ville de Paris c/ Driancourt (N° Lexbase : A7586B8H), au Recueil, p. 78, AJDA, 1973 p. 245, note Cabanes et Léger (décision abandonnant la théorie de l'erreur d'appréciation non fautive).
(3) CE, 14 décembre 1988, n° 58467, Société Générale (N° Lexbase : A6794APC), aux Tables, p. 708 ; CAA Paris, 21 janvier 1997, Ministre de l'Equipement, des Transports et du Tourisme c/ Ville de Paris (N° Lexbase : A0995BIP), DA, 1997, n°188, Etudes foncières n° 77, p. 52, chronique Lamorlette, BJDU, 1998, p. 125, conclusions Phémolant.
(4) CE, 12 décembre 1984, n° 41293, Ministre du Commerce et de l'Artisanat c/ Société commerciale millavoise (SOCOMI) (N° Lexbase : A4731ALS), DA, 1985, n° 62.
(5) TA Nice, 13 juin 1996, n° 91-1177, SOVADIF ; CE, 30 septembre 1983, n° 21601, Callé (N° Lexbase : A8738AL9), aux Tables, p. 859 ; CE, 4 mai 1994, n° 136340, Leboissetier (N° Lexbase : A2869B7E) : le permis refusé portait sur la transformation d'un établissement hôtelier en immeuble d'habitation.
(6) CE, 8 juillet 1977, n° 00016, Société Civile résidence du Pays d'Oc, précité ; CE, 26 janvier 2007, n° 269337, M. et Mme Morin (N° Lexbase : A7044DT3) : relevant que "la démolition [ordonnée par le juge judiciaire] est [...] en relation directe avec la violation de la règle d'urbanisme que constitue l'édification illégale de l'atelier".
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