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le 07 Octobre 2010
L'article L. 313-10 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L2972G9X) soumet les opérations de crédit-bail à une publicité dont les modalités sont fixées par les articles R. 313-3 (N° Lexbase : L5047HCW) et suivants du même code. La publication s'effectue auprès du greffe du tribunal dans le ressort duquel le client du crédit-bailleur est immatriculé à titre principal ou, à défaut d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés, auprès du greffe du tribunal de commerce ou du tribunal de grande instance statuant commercialement dans le ressort duquel est situé l'établissement du client bénéficiaire du crédit-bail (C. mon. et fin., art. R. 313-5 N° Lexbase : L5051HC3).
Cette publicité doit permettre l'identification des parties et des biens faisant l'objet de ces opérations (C. mon. et fin., art. R. 313-3), de sorte que toute modification affectant les renseignements relatifs à l'identification des parties doit être publiée en marge de l'inscription existante (C. mon. fin., art. R. 313-6, al. 1er N° Lexbase : L5050HCZ).
Une sanction redoutable frappe le crédit-bailleur dont la publicité ne répond pas à ces exigences. En effet, si les formalités de publicité n'ont pas été régulièrement accomplies, le droit de propriété du crédit-bailleur est alors inopposable aux créanciers ou ayants cause à titre onéreux de son client, sauf s'il établit que les intéressés avaient eu connaissance de l'existence de ses droits (C. mon. et fin., art. L. 313-10 et R. 313-10 N° Lexbase : L5056HCA).
Différentes questions se posent au sujet de la publicité des opérations de crédit-bail, à l'occasion de la cession judiciaire du contrat. S'il est fait usage par le tribunal de la faculté de céder judiciairement un contrat de crédit-bail, le crédit-bailleur doit-il impérativement effectuer une publicité modificative mentionnant le changement d'identité du preneur ? Dans l'affirmative, et en cas d'ouverture subséquente d'une procédure collective à l'encontre du repreneur, le crédit-bailleur est-il frappé par une inopposabilité de son droit de propriété et voit-il disparaître toutes ses chances de récupération du bien ? Un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation le 28 octobre 2008 nous offre la possibilité d'aborder ces questions.
En l'espèce, un crédit-preneur avait fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire ayant conduit à l'adoption d'un plan de cession. Le contrat de crédit-bail avait été judiciairement cédé au repreneur et la mention de cette cession judiciaire avait été faite dans le jugement arrêtant le plan. Le repreneur avait ultérieurement été mis en liquidation judiciaire. La société financière avait vainement sollicité la restitution du matériel puis saisi le juge-commissaire qui avait rejeté la requête en "revendication". Le jugement rendu sur opposition à l'ordonnance du juge-commissaire devait ensuite statuer dans le même sens. Sur l'appel interjeté par le crédit-bailleur, la cour d'appel, confirmant le jugement, avait retenu que "les formalités de publicité du jugement arrêtant le plan de redressement ne portaient que sur les éléments essentiels de la décision, à l'exclusion des modalités détaillées du plan, de sorte que la preuve n'était pas rapportée que cette publicité avait permis aux créanciers du repreneur de connaître l'existence du contrat de crédit-bail, repris par lui, et que cette publicité n'avait pu suppléer la carence de la société financière à procéder aux mesures spécifiques de publicité prescrites, à peine d'inopposabilité aux tiers, par l'article R. 313-10 du Code monétaire et financier, dont l'objet est précisément d'informer les créanciers d'un commerçant sur la solvabilité de ce dernier". Sur le pourvoi formé par la société financière, la Chambre commerciale de la Cour de cassation casse l'arrêt d'appel en considérant que "par l'effet de la publication du jugement arrêtant le plan de cession et dont les dispositions sont opposables à tous, les créanciers du repreneur avaient eu connaissance de l'existence des droits du crédit-bailleur sur le matériel faisant l'objet du contrat de crédit-bail".
Cet arrêt, appelé à la publication au Bulletin, est rendu dans la droite ligne de la position précédemment adoptée par les Hauts magistrats (1). Il convient de poser clairement la portée de cet arrêt et de préciser la démarche procédurale devant être adoptée par le crédit-bailleur n'ayant pas effectué de publicité modificative mentionnant le nom du cessionnaire du contrat.
L'arrêt ne vient pas dispenser le crédit-bailleur dont le contrat est judiciairement cédé d'effectuer une publicité modificative. Il résulte des dispositions de l'article R. 313-6 du Code monétaire et financier que "toute modification affectant les renseignements mentionnés à l'article R. 313-3 [au rang desquels figure l'identité des parties au contrat] est publiée en marge de l'inscription existante". Ainsi, pour répondre aux exigences posées par texte, le crédit-bailleur doit impérativement procéder à une publicité modificative, dès lors que la cession judiciaire du contrat comporte une modification de l'identité de l'une des parties au contrat -en l'occurrence, celle du preneur-. Si cette publicité modificative n'est pas réalisée, les formalités de publicité "ne sont pas accomplies dans les conditions fixées aux articles R. 313-4 à R. 313-6" de sorte que, comme l'énonce l'article R. 313-10, "l'entreprise de crédit-bail ne peut opposer aux créanciers ou ayants cause à titre onéreux de son client, ses droits sur les biens dont elle a conservé la propriété". Le seul "antidote" à cette inopposabilité du droit de propriété est posée par l'article R. 313-10 in fine et consiste en la démonstration par le crédit-bailleur de la connaissance par les créanciers du crédit-preneur de l'existence de ses droits. A l'heure de la procédure collective du preneur, une telle démonstration est quasiment impossible puisqu'il s'agit alors de démontrer qu'au jour de l'ouverture de la procédure collective, tous les créanciers du débiteur connaissaient l'existence du contrat de crédit-bail et étaient donc conscients que le bien qui en était l'objet n'appartenait pas au débiteur. Cette démonstration, si elle est particulièrement difficile à apporter, n'est cependant pas radicalement impossible, comme en témoigne cet arrêt rendu le 28 octobre 2008. Pour considérer que cette démonstration est apportée, la Chambre commerciale retient un raisonnement syllogistique implacable. Aux termes des dispositions de l'article L. 621-65, applicable en la cause (N° Lexbase : L6917AIZ, devenu, depuis la loi de sauvegarde des entreprises, C. com., art. L. 642-5, al. 3 N° Lexbase : L3851HBA), "le jugement qui arrête le plan [de cession] en rend les dispositions opposables à tous". En l'espèce, le jugement arrêtant le plan de cession faisait mention de la cession judiciaire du contrat en cause. Les dispositions de ce jugement étant opposables à tous du fait de la publication qui en avait été faite, les créanciers du repreneur étaient donc censés avoir eu connaissance de l'existence des droits du crédit-bailleur sur le matériel faisant l'objet du contrat de crédit-bail. Ainsi, le crédit bailleur échappe-t-il à l'inopposabilité de son droit de propriété résultant d'une absence de publicité conforme de son contrat.
Si le propriétaire peut éprouver un sentiment de soulagement, il n'est pas, pour autant, totalement sorti d'affaires car il est propriétaire au titre d'un contrat non publié -ou plutôt, au titre d'un contrat irrégulièrement publié, ce qui revient au même-. Or, pour récupérer son bien, le propriétaire dont le contrat n'est pas régulièrement publié doit exercer une action en revendication dans la procédure collective du débiteur et non pas une simple demande en restitution, réservée au propriétaire dont le contrat est publié. La différence est essentielle car, au contraire de la demande en restitution, qui est facultative et qui n'est donc pas enfermée dans un délai, la demande en revendication doit être présentée impérativement dans le délai de trois mois posé à l'article L. 624-9 du Code de commerce (N° Lexbase : L3777HBI). A défaut, une nouvelle cause d'inopposabilité du droit de propriété frappe le propriétaire : une cause fondée, non plus sur l'absence de publicité, mais sur l'absence de revendication dans la procédure collective. Il convient d'observer que, rappelant la procédure suivie en l'espèce, l'arrêt mentionne "qu'après avoir vainement sollicité la restitution du matériel, la société financière a saisi le juge-commissaire, qui, par ordonnance du 19 avril 2006, a rejeté sa requête en revendication'". La Chambre commerciale a pris soin de mettre le mot "revendication" entre guillemets, peut-être afin d'insister sur la qualification de la requête qui est essentielle. Une remarque s'impose à ce sujet. Si, dans un premier temps, le crédit-bailleur, pensant, à tort, être titulaire d'un contrat dont la publication le dispensait de revendiquer, avait présenté une demande en restitution, il lui aurait été impossible de présenter, dans un deuxième temps, une requête en revendication, dès lors que les actions en restitution et en revendication sont parfaitement distinctes. Comme son nom l'indique, la demande en restitution n'a pour objet que de solliciter la restitution du bien à son propriétaire dont le droit de propriété est opposable à la procédure collective du fait de la publicité régulière du contrat. En revanche, la demande en revendication a pour objet, non seulement, de solliciter la restitution du bien, mais encore, de rendre opposable à la procédure collective le droit de propriété portant sur le bien qui n'est pas objet d'un contrat publié. Procéduralement, la revendication et la restitution se décomposent en deux temps : à la phase extrajudiciaire de demande en acquiescement fait suite, le cas échéant, la phase judiciaire de présentation d'une requête au juge-commissaire. A plusieurs reprises, la jurisprudence a souligné que la phase de la demande en acquiescement de restitution ou de revendication constituait un préalable obligatoire avant toute présentation d'une requête en restitution ou en revendication (2). Ainsi, pour qu'ait été régulièrement présentée une requête en revendication, encore faut-il qu'au préalable le propriétaire -en l'occurrence, le crédit-bailleur titulaire d'un contrat n'étant pas régulièrement publié-, ait présenté une demande en acquiescement de revendication dans le délai de forclusion de trois mois imparti. A défaut, le crédit-bailleur, qui aurait échappé à l'inopposabilité posée aux articles L. 313-10 et R. 313-10 du Code monétaire et financier, pourrait être frappé par l'inopposabilité de son droit de propriété résultant, cette fois, de l'absence de revendication dans le délai de l'article L. 624-9 du Code de commerce.
Une comparaison peut être effectuée entre la solution dégagée par l'arrêt commenté et celle résultant d'un autre arrêt rendu le 5 juillet 2005 par la Chambre commerciale (3). Dans l'espèce ayant donné lieu à cette décision, ce n'était pas l'identité du preneur qui avait été modifiée mais celle du crédit-bailleur qui avait été l'objet d'une opération de fusion-absorption. Les Hauts magistrats avaient considéré que "la société [absorbante], qui était substituée dans les droits de la société [de crédit-bail absorbée] par l'effet du traité de fusion-absorption [...] régulièrement publié, bénéficiait des inscriptions effectuées par la société absorbée". Par conséquent, toutes les publications faites du chef de la société de crédit-bail absorbée sont, aux yeux des tiers, réputées effectuées au nom de la société absorbante du fait de l'opposabilité erga omnes de l'opération de fusion-absorption régulièrement publiée. Par conséquent, la publicité du traité de fusion-absorption rend inutile toute publicité modificative du crédit-bail portant sur l'identité du crédit-bailleur puisque la publicité du contrat de crédit-bail est considérée comme régulière. Il en résulte que la société absorbante peut se contenter de présenter une simple demande en acquiescement de restitution, et n'est pas soumise aux contraintes procédurales de la demande en revendication (4).
La solution retenue en cas de changement de l'identité du preneur, n'est pas symétrique. Si le crédit-bailleur n'effectue pas une publicité modificative au nom du cessionnaire judiciaire du contrat, la publicité initiale est irrégulière et doit donc être tenue pour inexistante car elle ne permet pas l'identification des parties, comme l'exige l'article R. 313-3 du Code monétaire et financier. Au contraire de la publicité du traité de fusion-absorption, la publicité du jugement arrêtant le plan de cession n'a pas pour effet de dispenser le crédit-bailleur d'une publicité modificative. Elle a simplement pour effet de porter à la connaissance des créanciers du repreneur l'existence des droits du crédit-bailleur et ainsi faire échapper ce dernier à l'inopposabilité posée par l'article R. 313-10 du Code monétaire et financier. Cependant, le crédit-bailleur, qui n'est pas titulaire d'un contrat régulièrement publié, devra se plier aux exigences formalistes de la demande en revendication et non pas en restitution.
Emmanuelle Le Corre-Broly, Maître de conférences des Universités, Directrice du Master 2 droit de la banque et de la société financière de la faculté de Toulon
La compensation est analysée, dans le droit des entreprises en difficulté, comme une exception à la règle de l'interdiction, après jugement d'ouverture, des créances antérieures, posée par l'article L. 622-7, alinéa 1er, du Code commerce (N° Lexbase : L1410HI3, anc. C. com., art. L. 621-24 N° Lexbase : L6876AII). A ce titre, elle joue incontestablement le rôle d'une garantie, en autorisant le débiteur de la personne sous procédure collective à ne pas lui payer ce qu'elle lui doit, au prétexte qu'elle est réciproquement créancière de cette même personne. Il n'est, dès lors, pas étonnant que le contentieux le plus important concernant la règle de l'interdiction des paiements s'article autour du jeu de la compensation.
La compensation légale est définie par l'article 1290 du Code civil (N° Lexbase : L6876AII) comme celle qui "s'opère de plein droit par la seule force de la loi, même à l'insu des débiteurs". Intervenant en dehors de toute manifestation de volonté, cette forme de compensation est exclusive de fraude (5), et de recherche de rupture d'égalité entre les créanciers. Elle est donc pleinement efficace, même en cas de procédure collective. La compensation légale suppose que les créances réciproques soient certaines, liquides et exigibles avant le jugement d'ouverture. Si les conditions de la compensation légale ne sont pas réunies au jour du jugement d'ouverture, la compensation est par principe interdite après le jugement d'ouverture. A ce principe d'interdiction, le Code de commerce apporte une exception : la compensation pour dettes connexes. Deux grandes hypothèses de connexité sont retenues par la jurisprudence : celle des créances et dettes réciproques naissant d'un même contrat ou d'un même ensemble contractuel et celle du compte unique dont l'illustration la plus remarquable se trouve dans le compte courant.
Que faut-il décider si la compensation que le partenaire contractuel du débiteur entend opposer pour ne pas payer ce qu'il doit à la personne sous procédure collective trouve sa source dans une pluralité de comptes bancaires ? C'est cette très intéressante question qui se trouve au centre d'un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 14 octobre 2008.
En l'espèce, une société était titulaire dans les livres d'une banque de trois comptes. Cette société a été déclarée en liquidation judiciaire. La banque a déclaré sa créance correspondant aux soldes débiteurs des deux premiers comptes après avoir déduit le solde créditeur du troisième. La créance a été contestée par le liquidateur. La banque a maintenu sa déclaration de créance. Le juge-commissaire a admis la créance pour le montant déclaré. Le liquidateur a assigné la banque au titre du solde créditeur du troisième compte. Le liquidateur n'a pas obtenu gain de cause devant les juges du fond. Son pourvoi va être rejeté en ces termes : "Attendu que la déclaration de créance effectuée n'a pas été, quant à la compensation opérée par la banque, contestée par le liquidateur qui n'a pas formé de recours contre l'ordonnance prononçant son admission ; que la cour d'appel, sans dénaturation de l'ordonnance du juge-commissaire en a déduit à bon droit que l'action en paiement du liquidateur, partie à la procédure de vérification des créances, qui visait à contester la compensation opérée par la banque quand il lui incombait de soulever en temps utile l'ensemble des moyens tendant à cette fin, était irrecevable pour se heurter au caractère définitif de la chose jugée".
Ainsi, l'autorité de la chose jugée attachée à l'admission au passif va, en l'espèce, interdire au liquidateur de remettre en cause la compensation opérée. La solution est indiscutable. L'admission de la créance présente un caractère irrévocable, lorsqu'elle est passée en force de chose jugée. Il en est ainsi après expiration du délai de recours contre l'ordonnance. La créance admise ne pourra plus être remise en cause, en son principe, en son montant, quant à sa nature de créance antérieure -solution posée sous l'empire de la loi du 13 juillet 1967 (loi n° 67-563, sur le règlement judiciaire, la liquidation des biens, la faillite personnelle et les banqueroutes N° Lexbase : L7803GT8)- (6) ou de créance privilégiée ou chirographaire (7). L'autorité de chose jugée attachée à l'admission de la créance pourra faire obstacle au jeu des nullités de la période suspecte (8). Il en ira spécialement ainsi de l'admission à titre privilégié qui fera obstacle à l'anéantissement ultérieur de la sûreté (9), ou encore du jeu de la compensation, qui conduit à réduire, à due concurrence, l'admission de la créance. La compensation ne pourrait, ensuite, être remise en cause (10). Elle interdira, également, la remise en cause de la validité du contrat fondant la créance (11) ou celle de la cession de créance (12).
De la même façon, et c'est l'apport de la décision commentée, l'autorité de la chose jugée attachée à l'admission de la créance au passif interdit au liquidateur d'agir pour obtenir le paiement du solde créditeur d'un troisième compte, dès lors que la créance née des deux autres comptes aura été admise pour un montant duquel aura été déduit le solde créditeur du troisième compte (13).
Trois autres décisions de la Cour de cassation rendue le 14 octobre 2008 vont dans le même sens. Il a ainsi été décidé que l'admission au passif de la créance déclarée empêche le liquidateur d'agir en paiement contre le banquier, au titre du remboursement d'un compte créditeur détenu par le débiteur, dès lors que la créance née d'un prêt aura été admise pour un montant duquel aura été déduit le solde créditeur du compte (14). Identiquement, le liquidateur sera privé d'action, du fait de l'autorité de chose jugée attachée à l'admission de la créance, pour obtenir le paiement du solde du compte "retenue de garantie" ouvert dans le cadre du fonctionnement d'une convention de cession de créances professionnelles, dès lors que la créance née de divers comptes débiteurs aura été compensée avec le compte "retenue de garantie" (15). Il en est encore de même lorsque la compensation aura été opérée entre un solde débiteur d'un compte courant et d'un compte "escompte commercial et créances Dailly" avec le compte spécial "retenue sur remises" (16).
Il appartenait, ainsi, au liquidateur, partie à la vérification des créances, dans ces quatre hypothèses, de contester la compensation opérée (17).
En effet, le principe-même de la compensation pouvait faire difficulté. Dans l'affaire qui nous intéresse plus spécialement, la personne placée sous procédure collective avait trois comptes ouverts dans la banque, deux étaient débiteurs, le troisième était créditeur. Du fait de l'absence de clôture des comptes par l'effet de l'ouverture de la procédure collective, les soldes des comptes n'étaient pas exigibles. En conséquence, la compensation légale ne pouvait jouer. La solution est toutefois à nuancer. En effet, le compte-courant est résilié par l'effet du jugement de liquidation judiciaire, contrairement à la solution applicable pour les autres contrats. La solution, déjà posée sous l'empire de la loi du 25 janvier 1985 non réformée (18), a été maintenue après l'entrée en vigueur de la loi du 10 juin 1994 (19), avec cette précision que la résiliation interviendra de plein droit, c'est-à-dire indépendamment d'une lettre de rupture des concours (20). La loi de sauvegarde des entreprises ne pose pas de règle nouvelle susceptible d'entraîner un changement en la matière.
Dès lors que la compensation légale n'avait pu jouer, faute d'exigibilité des créances réciproques à la date du jugement d'ouverture, la compensation pour dettes connexes était seule possible. Cela supposait, en présence de compte, une unicité, qui faisait ici défaut. La compensation ne pouvait donc jouer entre des créances et des dettes issues de comptes distincts. Si le liquidateur avait soulevé cet argument au stade de la vérification de la créance, il aurait obtenu gain de cause et aurait pu ainsi obtenir ensuite, en lançant une assignation en paiement, restitution du solde créditeur du troisième compte, faute de pouvoir se compenser avec les soldes débiteurs des deux autres comptes.
La solution consistant à écarter la compensation entre des créances et dettes réciproques issues de comptes différents s'inscrit dans le principe général interdisant le jeu de la compensation pour dettes connexes si celles-ci ont des fondements juridiques différents. La solution a été posée en présence d'une créance légale de cotisations de l'Assedic et la dette, de nature quasi-contractuelle, en sens inverse de répétition de l'indu à la suite d'un trop perçu (21). La solution a également été posée en présence d'une créance contractuelle et d'une dette en sens inverse, d'origine judiciaire, trouvant sa source dans l'annulation d'une saisie-attribution pratiquée. La compensation sera identiquement refusée entre une dette née de l'exécution du contrat et une dette en sens inverse de dommages et intérêts, d'origine délictuelle, par exemple la dette de loyer née d'un bail et la dette de dommages et intérêts pour négation abusive du droit au bail, de nature délictuelle (22). La solution a également été retenue lorsque les dettes réciproques avaient, pour l'une, un fondement contractuel, et pour l'autre, un fondement délictuel, car procédant d'une escroquerie (23) ou d'un abus de confiance (24).
Ainsi, si l'argument tenant à l'inexistence des conditions de la compensation pour dettes connexes avait été avancé en temps utile, c'est-à-dire dans le cadre des opérations de vérification des créances, le liquidateur aurait obtenu gain de cause dans sa demande en restitution du solde créditeur du compte bancaire.
Au demeurant, le banquier avait commis une imprudence, en déclarant sa créance après avoir fait jouer la compensation. Dès lors que la compensation pour dettes connexes intervient après jugement d'ouverture la créance n'est pas éteinte au jour du jugement d'ouverture. C'est la raison pour laquelle il convient de la déclarer au passif. A défaut, la compensation ne peut prospérer. L'impossibilité de compenser, en cas d'extinction de la créance non déclarée, justifie l'obligation de déclarer l'intégralité de la créance détenue et non pas seulement le solde obtenu après compensation (25).
La suppression par la loi de sauvegarde des entreprises (loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 N° Lexbase : L5150HGT) de l'extinction de la créance non déclarée dans les délais ne doit pas conduire à changer la solution. En effet, en l'absence de déclaration régulière de la créance au passif, la créance est inopposable à la procédure (26). Faute pour l'intéressé, créancier, de pouvoir se présenter comme créancier dans la procédure collective, il ne pourra donc exhiber une créance en face de la dette qu'il lui est demandé de payer. La compensation sera donc impossible (27), l'opinion contraire ayant cependant été soutenue (28).
Pierre-Michel Le Corre, Professeur à l'Université de Nice Sophia Antipolis, Directeur du CERDP (ex Crajefe) et Directeur du Master 2 Droit des difficultés d'entreprises
(1) Cass. com., 11 février 1997, n° 94-14.243, M. Dutour, ès qualités de liquidateur de la liquidation judiciaire de c/ Compagnie générale de crédit-bail (N° Lexbase : A1505ACQ), Bull. civ. IV, n° 48, Rev. proc. coll., 1997, 189, n° 1, obs. B. Soinne, RJDA, 1997/6, n° 843. Contra, CA Montpellier, 2ème ch., sect. B, 10 septembre 1996, Diac c/ Me Morelon ès qualité.
(2) Cass. com., 2 octobre 2001, n° 98-22.304, Mme Marie Babian, épouse Sandjian c/ M. Walczak (N° Lexbase : A1487AWY), Bull. civ. IV, n° 155, D., 2001, AJ, p. 3043, obs. A. Lienhard, Act. proc. coll., 2001/19, n° 250, obs. F. Pérochon; JCP éd. E, 2001, pan. p. 1746, Dr et proc., 2002/1, p. 29, J. 006, obs. J.-L. Courtier, JCP éd. E, 2002, chron. 175, p. 173, n° 13, obs. M. Cabrillac et Ph. Pétel, RTDCom., 2002, p. 360, n° 3, obs. B. Bouloc, RTDCom., 2002, p. 159, n° 9, obs. A. Martin-Serf ; Cass. com., 28 janvier 2004, n° 01-03.240, Société Robert Paul et fils c/ M. Vincent Foucart, F-D (N° Lexbase : A0328DBR) ; Cass. com., 5 décembre 2006, n° 05-17.685, M. Gilles Gauthier, mandataire judiciaire, F-D (N° Lexbase : A8353DS8), Gaz. proc. coll., 20007/2, p. 57, note E. Le Corre-Broly.
(3) Cass. com., 5 juillet 2005, n° 04-11.320, M. Jean-Lin Tiberghien, pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Imprimerie Foreau c/ Banque populaire du Nord, FS-P+B (N° Lexbase : A8956DIK), Bull. civ. IV, n° 154, D., 2005, jur. p. 2165, note E. Le Corre-Broly, D., 2005, AJ, p. 1999, obs. A. Lienhard, RTDCom., 2006/1, p. 208, obs. A. Martin-Serf, Gaz. proc. coll., 2005/3, p. 55, obs. F. Pérochon, RTDCom., 2006/2, p. 469, n° 5, obs. B. Bouloc, confirmant CA Douai, 2ème ch., sect. 2, 6 novembre 2003, n° 01/03114, Gaz. Pal., 8 à 10 février 2004, p. 10, note E. Le Corre-Broly.
(4) Cass. com, 5 juillet 2005, n° 04-11.320, préc..
(5) Pédamon et Carnet, La compensation dans les procédures collectives de règlement du passif, D., 1976, chron., p. 123 et s., spéc. p. 124.
(6) Cass. com., 13 juin 1989, n° 87-19.669, M Crozat, syndic de la liquidation des biens de la société Erop c/ Comité paritaire du logement d'Epernay et de la région (N° Lexbase : A9933AA7), Rev. proc. coll., 1989, 565, obs. B. Dureuil ; adde, Soinne, n° 2197.
(7) Cass. com., 8 janvier 2002, n° 98-21.745, Société Natexis banque c/ Société financière et foncière Eurobail, F-D (N° Lexbase : A7734AXQ), Act. proc. coll., 2002/8, n° 98.
(8) Cass. com., 12 novembre 1991, n° 89-19.454, Société OCP Répartition c/ M. Darrousez, ès qualités de liquidateur de Mme Loridan, publié (N° Lexbase : A3986ABA), Bull. civ. IV, n° 342, D., 1992, somm., p. 183, obs. A. Honorat, JCP éd. E, 1992, I, 136, n° 13, obs. M. Cabrillac et Ph. Pétel, RTDCom., 1992, p. 692, obs. A. Martin-Serf.
(9) CA Paris, 3ème ch., sect. B, 20 février 2004, n° 2003/08508, Maitre Monique Boisset c/ Société Crédit Agricole - Indosuez (N° Lexbase : A7890DBT).
(10) Cass. com., 17 juin 1997, n° 94-21.865, M. Richard Berkowicz c/ Société New Holland France (N° Lexbase : A5383A47), Rev. proc. coll., 1998, 209, n° 14, obs. B. Lemistre.
(11) Cass. com., 14 octobre 1997, n° 95-15.544, Kittikhoum, ès qualités de liquidateur c/ Société Batimap Sicomi (N° Lexbase : A1894AC7), Bull. civ. IV, n° 256, D., 1998, somm., p. 96, obs. A. Honorat, JCP éd. E, 1997, pan., 1262.
(12) CA Paris, 15ème ch., sect. B, 21 octobre 2004, n° 04/00292, SCP Laureau Jeannerot, prise tant en sa qualité d'administrateur judiciaire de la SARL Atemitsu Protection Internationale c/ Banque populaire du Val de France (N° Lexbase : A9981DDZ).
(13) Cass. com., 14 octobre 2008, n° 07-16.704, F-D (N° Lexbase : A8050EAE).
(14) Cass. com., 14 octobre 2008, 2 arrêts, n° 07-16.703, Société civile professionnelle (SCP) Dargent-Morange-Tirmant, mandataire judiciaire, F-D et n° 07-16.704, préc..
(15) Cass. com., 14 octobre 2008, n° 07-16.705, Société civile professionnelle Dargent-Morange-Tirmant, mandataires judiciaires, F-D (N° Lexbase : A8051EAG).
(16) Cass. com., 14 octobre 2008, n° 07-16.706, Société civile professionnelle Dargent-Morange-Tirmant, mandataires judiciaires, F-D (N° Lexbase : A8052EAH).
(17) Cass. com., 14 octobre 2008, 4 arrêts, n° 07-16.703, préc., n° 07-16.704, préc., n° 07-16.705, préc. et n° 07-16.706, préc..
(18) Cass. com., 20 janvier 1998, n° 95-17.836, M. Christian Delpico c/ Caisse régionale de Crédit agricole mutuel (CRCAM) Sud-Méditérranée, inédit (N° Lexbase : A6909AHD), RTDCom., 1998, p. 313, obs. M. Cabrillac, JCP éd. E, 1999, chron. 761, n° 14, obs. Ch. Gavalda et J. Stoufflet ; Cass. com., 14 mai 2002, n° 98-21.521, Mme Sylvette Gronlet, épouse Monfredo c/ Banque nationale de Paris (BNP), FS-P (N° Lexbase : A6695AYM), Bull. civ. IV, n° 583, Act. proc. coll., 2002/12, n° 155, obs. J. Ch. Boulay, Rev. proc. coll., 2003, p. 240, n° 7, obs. Ph. Roussel Galle.
(19) Cass. com., 5 novembre 2003, n° 01-01.899, Banque Gallière c/ M. Charles Neto, F-D (N° Lexbase : A0613DAX), Act. proc. coll., 2004/2, n° 23, Rev. proc. coll., 2004, p. 67, n° 5, obs. Ph. Roussel Galle ; Cass. com., 19 mai 2004, n° 02-18.570, M. Patrick Canet c/ Caisse régionale de Crédit maritime mutuel du Morbihan et de la Loire-Atlantique, FS-P+B (N° Lexbase : A2732DC8), D., 2004, AJ, p. 1813, obs. A. Lienhard, Act. proc. coll., 2004/13, n° 163, obs. J.-Ch. Boulay ; CA Paris, 5ème ch., sect. B, 20 novembre 2003, n° 2003/02832, Maitre Philippe Jacques Garnier c/ SAS Banque Delubac et Compagnie (N° Lexbase : A7045DA8).
(20) Cass. com., 5 novembre 2003, n° 01-01.899 préc. et les réf. préc..
(21) Cass. com., 29 avril. 2003, n° 00-16.127, ASSEDIC de Rouen c/ Société Dorival, F-D (N° Lexbase : A8195BSC) inédit.
(22) Cass. com., 22 avril. 1997, n° 95-17.600, Société Lemasson c/ Société Sefic Industrie et autres (N° Lexbase : A1954ACD), Bull. civ. IV, n° 101, Dr. Sociétés, 1997, comm. 102, obs. Y. Chaput, JCP éd. G, 1997, I, 4054, n° 18, obs. Ph. Pétel ; Cass. com., 19 mai 2004, n° 01-12.767, M. Jacques Derhy c/ M. Michel Chavaux, F-D (N° Lexbase : A2641DCS).
(23 ) Cass. com., 14 mai 1996, n° 94-15.919, Société Montres Rolex c/ Société Dupeguy et autre, publié (N° Lexbase : A1442ABZ), Bull. civ. IV, n° 133, D., 1996, p. 502, rapp. Le Dauphin, D., 1996, somm., p. 340, obs. A. Honorat, D., 1996, somm. p. 332, obs. Ph. Delebecque.
(24) Cass. com., 18 septembre 2007, n° 06-16.070, M. Jehan Pierre d'Abrigeon, F-P+B (N° Lexbase : A4257DYC), D., 2007, AJ, p. 2476, Gaz. proc. coll., 2008/1, p. 49, note Ph. Roussel Galle, JCP éd. E, 2008, chron. 1207, n° 16, p. 34, obs. Ph. Pétel, Rev. proc. coll., 2008, p. 68, n° 5, note Ch. Lebel.
(25) Cass com., 20 mars 2001, n° 98-16.256, Société Geleurop Stefover c/ M. Massart, ès qualités de mandataire liquidateur (N° Lexbase : A1232ATS), Bull. civ. IV, n° 62, D., 2001, AJ p. 1468, Act. proc. coll., 2001/8, n° 99 ; Cass com., 24 avril 2007, n° 05-17.452, M. Jacques Maes, F-D (N° Lexbase : A0185DWR), Rev. proc. coll., 2007/3, p. 141, n° 6, obs. O. Staes ; CA Paris, 3ème ch., sect. A, 10 octobre 2006, n° 05/21484, SA AOM Air Liberté c/ SA Air France (N° Lexbase : A7220DS9) ; CA Paris, 15ème ch., sect. B, 11 octobre 2007, n° 06/01303, SA Fortis Banque France c/ Maître Yannick Mandin (N° Lexbase : A3907D34).
(26) Sur ce principe de solution, P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz Action, 2008/2009, n° 665.75.
(27) En ce sens aussi, F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprises en difficulté Instruments de crédit et de paiement, LGDJ, 7ème éd., 2006, n° 537 ; Jacquemont A., Procédures collectives, Litec, 5ème éd., 2007, n° 299.
(28) P. Crocq, La réforme des procédures collectives et le droit des sûretés, D., 2006, chron. p. 1306 et s., spéc. p. 1307, n° 11.
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