La lettre juridique n°327 du 20 novembre 2008 : Éditorial

Doux rêve de l'autonomie de la volonté en matière sociale : principe taôiste et réalité tayloriste

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Doux rêve de l'autonomie de la volonté en matière sociale : principe taôiste et réalité tayloriste. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3210667-doux-reve-de-lautonomie-de-la-volonte-en-matiere-sociale-principe-taoiste-et-realite-tayloriste
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication

le 27 Mars 2014


Malgré le volontarisme politique et les questions remises à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, relatives au travail le dimanche ou au travail après 65 ans, force est de constater que l'autonomie de la volonté, pilier de la relation contractuelle, n'est, décidément pas, ou peu de mise dans la relation salariale. "Dans le contrat civil, la volonté s'engage ; dans le contrat de travail, elle se soumet. L'engagement manifeste la liberté, la soumission la nie. Cette contradiction entre autonomie de la volonté et subordination de la volonté aboutit à ce que le salarié est à la fois appréhendé dans l'entreprise comme sujet et comme objet du contrat. Dès lors on ne peut espérer retrouver intacts en droit du travail les principes juridiques qu'implique l'autonomie de la volonté. Ces principes sont défigurés par le lien de subordination, et par l'altération de la qualité de sujet de droit qu'elle implique. L'objet de l'obligation, qui forme la matière de l'engagement, étant l'obéissance aux ordres, y prend les contours imprécis de la qualification professionnelle et du poste de travail. La force obligatoire du contrat s'estompe au profit de l'employeur, le droit du salarié au respect de ses clauses dégénérant en devoir d'accepter les modifications secondaires que l'employeur entend y apporter". En quelques lignes, Alain Supiot, éminent "travailliste" et sociologue, explique, tout à la fois, la nécessité d'un protectionnisme à l'égard du salarié et la méfiance naturelle du juge quant aux clauses du contrat de travail et, plus généralement, quant à toute expression de volonté du salarié lorsqu'il y va de l'intérêt manifeste de l'employeur.

Hier, la Cour de cassation rappelait qu'une clause de mobilité doit définir de façon précise sa zone géographique d'application et ne peut conférer à l'employeur le droit d'en étendre unilatéralement la portée ; qu'une clause de mobilité ne doit pas porter atteinte au droit de la salariée à une vie personnelle et familiale ; ou, encore, que le droit à la contrepartie financière de la clause de non-concurrence ne peut pas être limité par un accord collectif. Autant d'expression de cette méfiance du juge social quant à l'autonomie de la volonté (individuelle ou collective) et aux clauses du contrat de travail, dans le seul intérêt empirique du salarié.

Et le mythe d'être, une nouvelle fois, écorné par la Haute juridiction au travers de deux arrêts des 29 octobre et 6 novembre dernier. Le premier, sur lequel revient, cette semaine, Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale, rappelle que, selon l'article L. 1243-1 du Code du travail, sauf accord des parties, le contrat de travail à durée déterminée ne peut être rompu avant l'échéance du terme qu'en cas de faute grave ou de force majeure. Or, cette dernière demeure de l'appréciation souveraine des juges du fond, même lorsque le contrat de travail prévoit une clause de rupture d'un commun accord, sans versement d'indemnité d'aucune sorte, en cas d'échec du salarié à un examen essentiel pour la continuation de la relation salariale, échec qualifié de "cas de force majeure" par les parties elles-mêmes. On savait que, selon l'article 12 du Code de procédure civile, il incombe au juge de donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée, mais s'il ne peut changer la dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties, en vertu d'un accord exprès et pour les droits dont elles ont la libre disposition, l'ont lié par les qualifications et points de droit auxquels elles entendent limiter le débat, sous couvert de la caractérisation de la force majeure, de l'événement imprévisible et irrésistible (cf., cette semaine, David Bakouche, Professeur à l'Université de Paris XI), c'est bien le renoncement aux règles légales afférentes à la rupture du contrat qui est ici remis en cause.

Déni clairement affirmé par le second arrêt commenté, cette semaine, par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, et qui pose, tout de go, qu'il résulte de l'article L. 1231-4 du Code du travail que les parties ne peuvent renoncer par avance au droit de se prévaloir des règles en matière de licenciement. En l'espèce, le salarié ayant délibérément rompu avec ses obligations contractuelles élémentaires, en organisant son départ progressif de l'entreprise, en attendant une mise à la retraite, l'employeur se devait de respecter le formalisme de la procédure de licenciement, en dépit de toute cohérence apparente, afin de ne pas tomber sous le joug du défaut de cause réelle et sérieuse. Une fois encore, la décision manifeste du salarié de rompre son contrat de travail, donc l'expression d'une volonté non équivoque, n'autorise en rien l'employeur à se dispenser des règles formelles du licenciement. La renonciation ne peut être implicite, mais elle ne peut être tout simplement.

Mais, en fait de méfiance à l'égard de l'expression de la volonté du salarié et, plus précisément, de son consentement à la clause contractuelle, cette protection du salarié "malgré lui" montre Sganarelle en prise avec le taylorisme, où son maintien dans l'entreprise doit être assuré coûte que coûte car son métier n'est plus un patrimoine mis au service de tels ou tels employeurs successifs, comme en 1804, mais une qualification particulière qui ne prévaut que dans l'usine qui l'emploie. Le lien de dépendance, non pas hiérarchique, mais fonctionnel oblige donc à tempérer toute la théorie civiliste de la négociation individuelle dans les relations professionnelles. "Dureté et rigidité sont compagnons de la mort. Fragilité et souplesse sont compagnons de la vie". Mais, force est de constater que les préceptes du taôiste Lao-Tseu ne sont toujours pas transposables en matière sociale.

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