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N7539BHP
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par Daniel Faucher, Consultant au CRIDON de Paris
le 07 Octobre 2010
Le montage "classique" d'apport suivi d'une donation, qui permettait et permet toujours (le barème de l'article 669 du CGI N° Lexbase : L7730HLU sous-évalue encore l'usufruit) de réduire l'assiette des droits d'enregistrement dans le cadre de la transmission de la nue-propriété d'un bien, est désormais sécurisé dès lors que, pour écarter les désavantages de la donation directe de la nue-propriété, trois arguments principaux peuvent être invoqués.
1. Les affres d'une donation en nue-propriété, avant, pendant et à l'extinction de l'usufruit
Au moment de réaliser la donation, hormis l'hypothèse dans laquelle la transmission porte uniquement sur un portefeuille de valeurs mobilières, les donateurs doivent composer des lots équilibrés. Ce qui n'est pas sans soulever de difficultés lorsque, s'agissant d'immeubles, ces derniers ne sont pas de même valeur, n'ont pas le même rendement et sont situés dans des secteurs géographiques pour lesquels l'évolution du marché ne paraît pas identique.
Immédiatement après la donation directe de la nue-propriété, toujours en matière d'immeubles, les donateurs sont dans une situation dans laquelle leurs pouvoirs de gestion et de disposition sont fortement réduits. En effet, ils ne peuvent ni imposer aux nus-propriétaires d'effectuer des travaux de grosses réparations visés aux articles 605 (N° Lexbase : L3192ABT) et 606 (N° Lexbase : L3193ABU) du Code civil, ni céder sans leur accord.
Enfin, à l'extinction de l'usufruit, les nus-propriétaires sur la tête desquelles la pleine propriété s'est reconstituée se trouvent placé sous le régime de l'indivision.
2. La validité du schéma
Dès lors que l'opération d'apport suivi de la donation des parts recouvre une réalité économique, sa validité est reconnue. Ainsi, la validité du schéma est admise lorsque l'opération permet au donateur de "préparer au mieux la transmission de son patrimoine à ses enfants dans un cadre juridique précis et organisé, tout en conservant la maîtrise de la gestion de ses biens immobiliers afin d'assurer sa sécurité matérielle, qu'ainsi elle [la donatrice] a conservé la faculté, en cas de besoin, de décider seule de la mise en vente des immeubles ou d'hypothéquer ceux-ci et de les donner à bail commercial, et que les statuts des sociétés lui permettent de procéder à des grosses réparation, sans s'exposer à un refus d'un nu-propriétaire, tout en sollicitant des associés les appels de fonds nécessaires, ce qui assure la préservation de ses biens" (Cass. com. 21 octobre 2008, n° 07-18.770). De même, à raison de ses effets autres que fiscaux, l'abus de droit est écarté si la donation-partage des parts effectuée par les parents pouvait avoir "pour but, d'une part, de partager équitablement leur patrimoine entre leurs descendants, évitant toute indivision entre eux et les difficultés inhérentes à un partage en lots équivalents d'immeubles de nature et de valeur très diverses et, d'autre part, de se mettre à l'abri du besoin leur vie durant en conservant les revenus de ces immeubles" (Cass. com., 23 septembre 2008, n° 07-15.210). Autrement dit, la conservation du contrôle des SCI, et par conséquent de la gestion des immeubles, la préservation des intérêts familiaux puisque l'apport permet de composer les lots équilibrés et de répartir les risques locatifs (Cass. com., 26 mars 2008, n° 06-21.944, FS-D N° Lexbase : A6041D7U) et le souci d'écarter l'indivision après l'extinction de l'usufruit (Cass. com., 20 mai 2008, n° 07-18.397, F-D N° Lexbase : A7139D8W), sont autant d'effets qui permettent de sécuriser l'apport en nue-propriété suivi de la donation des parts. En effet, le critère de l'existence de préoccupation exclusivement fiscale doit être apprécié de manière restrictive et, lorsqu'une opération entraîne des effets multiples, elle ne saurait être assimilée à un abus de droit, même si elle a incontestablement présenté des avantages fiscaux pour les parties. Un contribuable est donc "en droit de choisir la structure la plus favorable, qui relève de sa liberté d'optimisation fiscale" (CA Paris, 14 mars 2008, n° 06/01770). Le recours à la société est également justifié lorsqu'il permet non seulement de substituer une gestion plus souple d'immeubles locatifs, mais aussi de transmettre une partie du patrimoine de la donatrice directement à ses petits-enfants tout en garantissant un revenu aux deux premières générations (Cass. com., 4 novembre 2008, n° 07-19.870). Un bémol, cependant : lorsque la nature des biens, valeurs mobilières, par exemple, permet de composer directement les lots sans qu'il soit besoin de recourir à une société, le spectre de l'abus réapparaît.
Nul n'ignore l'adage civil : "donner et retenir ne vaut". Cet adage exprime la règle de l'irrévocabilité spéciale des donations qui signifie que le donateur ne peut se réserver dans l'acte de donation le moyen de reprendre ce qu'il a donné et, ce, à peine de nullité de la donation. Le contournement de cette règle relève, en matière fiscale, de l'abus de droit. Lorsque la donation précède incontestablement la vente par les donataires, l'abus de droit est recherché dans les conditions dans lesquelles s'opère la gestion du prix de cession.
1. La réappropriation caricaturale
L'abus de droit est incontestable lorsque, par exemple, le donateur encaisse une partie du prix de vente de parts de SARL préalablement données (TA Toulouse, 21 mai 2002, n° 97-1328). Une des affaires examinée récemment par le Comité l'était aussi. En effet, si la donation, réalisée le même jour que la cession, a été considérée comme étant intervenue avant que cette cession ne devienne parfaite, le Comité a estimé que le donateur ne poursuivait, par cette opération, que le but d'effacer les plus-values. En effet, après la donation à ses enfants mineurs, il avait encaissé la quasi-totalité du prix, à l'exception d'une partie minime, placée sur deux plans d'épargne logement ouverts au nom de chacun de ses enfants (affaire n° 2007-4). Pire, dans une autre affaire, après avoir versé le prix de cession sur un compte indivis avec ses enfants, puis investi ensuite les fonds en cause sur des contrats de capitalisation ouverts à son nom et celui de son épouse, le donateur avait demandé l'annulation de ces contrats et les avait remplacés par des contrats de capitalisation démembrés souscrits à son profit et celui de ses enfants. Mais, ce placement plus conforme aux conséquences de la donation n'avait eu lieu que postérieurement à l'entretien au cours duquel le vérificateur avait exposé au contribuable les raisons pour lesquels les contrats souscrits au nom du donateur et de sa femme lui permettaient de remettre en cause l'effacement de la plus-value ! (affaire n° 2007-27). Enfin, à la suite de la donation de la nue-propriété d'un immeuble, le donateur avait encaissé personnellement l'intégralité du prix, sans opérer de partage, ce qui privait de tout effet la donation (affaire n° 2007-26).
2. La gestion habile, mais contestée, du prix de cession
Bien que ces opérations préservent les droits des donataires tout en laissant au donateur une grande liberté de gestion, l'administration, suivie par le Comité, les conteste systématiquement. Il s'agit, d'une part, après une donation en démembrement, de l'investissement sur un contrat de capitalisation également démembré, d'autre part, de la donation avec réserve de quasi-usufruit sur le prix de vente. Dans le premier cas, alors que, lors de la souscription d'un contrat de capitalisation démembré, les parties avaient régularisé une convention qui précisait l'origine des fonds démembrés investis sur le contrat, prévu le mode de gestion et les retraits de l'usufruitier, l'opération a été requalifiée en prêt sans intérêt et à terme des enfants aux parents (BOI 13 L-1-03 du 14 mai 2003 N° Lexbase : X4679ABW, affaire n° 2002-19). Cette analyse est elle-même critiquable puisque l'usufruitier ne peut jouir à sa guise du capital placé, mais seulement, en cas de rachat, des fruits du contrat. Il est vrai qu'une critique plus performante aurait pu être mise en avant. En effet, à l'instar des rachats partiels sur un contrat d'assurance vie, il aurait pu être considéré que le rachat partiel portait à la fois sur une partie du capital et sur des intérêts. Ce qui aurait permis de prétendre que la règle "donner et retenir ne vaut" avait été contournée. Dans le second cas, alors que la donation comportait une clause de remploi obligatoire du produit de la cession des titres ainsi qu'une convention de quasi-usufruit au profit du donateur et que le Comité avait décidé que la réappropriation n'était pas établi au motif que les nus-propriétaires disposaient d'une créance de restitution, l'administration a décidé de ne pas suivre l'avis rendu (BOI 13 L-6-07 du 16 octobre 2007 N° Lexbase : X9808ADM, affaire n° 2006-18).
- Requalification fondée (BOI 13 L-8-08 du 23 octobre 2008, affaire n° 2007-15 ; Cass. com. 21 octobre 2008, n° 07-19.345, F-D N° Lexbase : A9440EAU)
1. Principes
On sait que pour requalifier une vente en donation, l'administration doit établir que le vendeur a entendu gratifier l'acquéreur en dispensant ce dernier de lui servir les contreparties figurant dans l'acte présenté comme une vente. La dissimulation repose sur un ensemble d'indices se rattachant à la situation du vendeur, à celle de l'acquéreur et aux circonstances du contrat. S'agissant du cédant, l'administration tire argument de son âge avancé ou de son état maladif, des liens de parenté, d'alliance ou d'affection qui l'unissent à l'acquéreur et de sa situation de fortune lorsque cette dernière, le mettant à l'abri du besoin, ne rend pas nécessaire la cession de l'immeuble. En la personne de l'acquéreur, les indices les plus fréquemment relevés sont sa situation financière, lorsque celle-ci ne lui permet pas de s'acquitter du prix, et sa qualité d'héritier ou de légataire institué du vendeur. Ce n'est donc qu'au cas par cas que l'administration se forge son opinion et tente de convaincre le juge de la justesse de son analyse, tant il est vrai que la variété des situations ne permet pas, avant le litige, d'en connaître l'issue avec certitude. Lorsque le prix de vente est intégralement converti en une rente viagère, l'administration considère que cette convention est contraire à l'usage et l'équité. Elle décèle, dans cette absence de bouquet, un indice de nature à démontrer l'existence d'une donation déguisée. Or, les contractants ont le choix. Ils peuvent décider de constituer seulement une rente viagère ou verser une somme au comptant et convertir le surplus en une rente. Ainsi, sauf s'il existe d'autres indices, le défaut de versement d'un bouquet ne permet pas de requalifier, à lui seul, la vente en donation. Cependant, si la rente peut être constituée au taux qu'il plaît aux parties contractantes de fixer, son montant ne doit pas être manifestement inférieur au rendement de l'immeuble. En effet, il faut éviter le risque d'absence d'aléa, ce qui est le cas lorsque la rente est fixée à un montant inférieur ou égal au revenu de l'immeuble. Force est de constater que, dans une telle situation, l'acquéreur aurait la possibilité de payer la rente avec les seuls revenus de l'immeuble.
2. Applications
Au regard de ces principes, le litige soumis récemment à la Cour de cassation ne pouvait donner lieu qu'à une décision favorable pour l'administration qui invoquait l'existence d'une donation déguisée. En effet, le vendeur, âgé de 90 ans, avait cédé sa résidence principale à son neveu, déjà institué légataire universel, la veille de l'apparition de l'affection qui devait l'emporter. De surcroît, la consistance du patrimoine du vendeur et l'importance de ses revenus, qui le mettait à l'abri du besoin, ne lui imposait nullement cette cession. Enfin, les premiers chèques correspondants aux trois premières échéances de la rente n'avaient été présentés à la banque du vendeur qu'après son décès (Cass. com., 21 octobre 2008, n° 07-19.345). Autrement dit, une affaire vraiment caricaturale ! De même, l'avis du Comité ne pouvait que valider la mise en oeuvre de la procédure spécifique dans l'affaire qui lui a été soumis dans l'une des premières séances de l'année 2008. Le vendeur avait cédé à sa compagne, avec laquelle il vivait depuis 40 ans, la nue-propriété d'une maison d'habitation. Le prix était censé avoir été payé pour une grande partie sous forme d'acomptes avant la vente. Cependant, aucune justification ne venait appuyer cette affirmation. Bien au contraire, le vendeur avait procédé à d'importants versements au profit de l'acquéreur. Qui plus est, cette dernière était instituée légataire de l'usufruit de la totalité des biens du vendeur.
- Pas de donation déguisée sans intérêt fiscal immédiat ! (BOI 13 L-8-08 du 23 octobre 2008, affaire n° 2008-02)
C'est une évidence : si l'opération dont la qualification est contestée par l'administration conduit le contribuable à payer plus de droits qu'il n'en aurait acquitté si ceux-ci avaient été déterminés en fonction de la nature véritable de cette opération, la procédure spécifique ne peut être mise en oeuvre. Exemple : un père cède à son fils et la femme de ce dernier un bien immobilier pour un prix de 800 000 francs (121 959 euros). L'acte mentionnait un paiement de 400 000 francs (60 979 euros) avant la vente et hors la comptabilité du notaire et, pour le surplus, quatre annuités de 100 000 francs (15 244 euros). Considérant que cette vente dissimulait une donation, le service a mis en oeuvre la procédure spécifique. Pour l'appréciation de l'intérêt fiscal de l'opération en cause, le Comité a décidé que, s'agissant d'une mutation réalisée au profit de deux personnes distinctes, cet intérêt doit être examiné indépendamment pour chaque bénéficiaire au jour de l'acte. Or, en ce qui concerne la part indivise acquise par l'époux, fils du vendeur, le Comité a relevé que l'application à la valeur de sa part, soit la moitié, des droits de donation en vigueur à l'époque des faits entraînerait l'exigibilité de droits de mutation à titre gratuit moins élevés que les droits de mutation à titre onéreux effectivement perçus sur cette part. Le Comité en a déduit qu'en l'absence de tout intérêt fiscal immédiat, l'administration n'était pas en droit de mettre en oeuvre la procédure de répression des abus de droit. Observons néanmoins que, à raison de décès du vendeur, intervenu depuis la vente, l'administration pourrait procéder à un rappel de droits de succession, selon la procédure de droit commun, si elle démontre la fictivité de l'acte. Ce redressement serait fondé sur le rappel fiscal des donations antérieures non encore taxées.
Les dispositions de l'article 786 du CGI (N° Lexbase : L8196HL7) dans leur ensemble respectent un juste équilibre entre la sauvegarde du droit de propriété et les exigences de l'intérêt général.
Le fait que l'article 786 du CGI, qui prévoit le principe d'une taxation entre tiers (au taux de 60 %) pour les transmissions à titre gratuit entre adoptant et adopté simple, comporte des exceptions permet de considérer que ce texte est conforme à l'article 1 du protocole de la CESDH (N° Lexbase : L1625AZ9) et ne porte pas atteinte au droit de propriété.
1. Droit au respect des biens
Le droit au respect des biens est prévu par l'article 1 du Protocole n° 1 de la CESDH, qui est ainsi rédigé "toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes".
Le droit au respect des biens est, en effet, le seul droit de nature économique inclus dans la Convention ou dans les protocoles. Cependant, la frontière entre droits civils et politiques d'une part, droits économiques et sociaux d'autre part, n'est pas toujours aisée à établir : ainsi, la Cour notait, dans l'affaire "Airey contre Irlande" (CEDH, 9 octobre 1979, Req. 6289/73, Airey c/ Irlande N° Lexbase : A2971EBN), à propos de la Convention : "si elle énonce pour l'essentiel des droits civils et politiques, nombre d'entre eux ont des prolongements d'ordre économique ou social. Avec la Commission, la Cour n'estime pas devoir écarter telle ou telle interprétation pour le simple motif qu'à l'adopter on risquerait d'empiéter sur la sphère des droits économiques et sociaux ; nulle cloison étanche ne sépare celle-ci du domaine de la Convention".
La Cour a observé, à plusieurs reprises (CEDH, 23 septembre 1982, req. 7151/75, Sporrong et Lönnroth N° Lexbase : A5103AYN), que l'article 1 du Protocole n° 1 contenait "trois normes distinctes", soit le principe "d'ordre général" du respect de la propriété, soit les conditions de privation de la propriété et, enfin, la réglementation de l'usage des biens conformément à l'intérêt général.
2. Application à l'adoption simple
On sait que lorsque l'adopté simple recueille la succession de l'adoptant ou bénéficie d'une donation de la part de ce dernier, les droits de mutation à titre gratuit sont perçus au tarif prévu pour le lien de parenté naturel existant entre eux ou, le cas échéant, au tarif applicable entre personnes non parentes. En effet, l'article 786 du CGI précise qu'en matière d'adoption simple, le tarif des droits n'est le tarif en ligne directe que lorsque certaines conditions sont remplies. Parmi ces exceptions, on relève notamment les transmissions en faveur des enfants du premier mariage du conjoint de l'adoptant ou celles en faveur d'enfants ayant bénéficié, de la part de l'adoptant, de soins et secours durant une période de cinq ans pendant la minorité, ou de dix ans pendant la minorité et la majorité.
Dans l'affaire soumise à la Cour de cassation, les adoptés simples considéraient que le régime fiscal des successions entre tiers, qui leur était applicable, portant une grave atteinte au droit de propriété et présentait un caractère confiscatoire. Seule l'application du taux maximum de 40 %, à savoir le taux le plus élevé en ligne directe, était de nature à assurer le respect du juste équilibre entre la sauvegarde des droits de propriété et les exigences de l'intérêt général, conformément aux dispositions de l'article 1er du protocole de la CESDH. Cependant, selon la cour d'appel, si l'article 786 du CGI ne tient pas compte du lien de parenté résultant de l'adoption simple pour la perception des droits de mutation à titre gratuit, ce texte prévoit des exceptions. L'Etat respecte ainsi, par cette disposition, le juste équilibre imposé par le texte de la Convention.
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