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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la publication
le 27 Mars 2014
La fièvre : du 6 au 10 octobre 2008, c'est le krach des bourses mondiales, le marché interbancaire est totalement paralysé par des taux d'intérêts très élevés et une méfiance généralisée qui empêche les banques de se prêter des fonds entre elles. Elles peinent à déterminer quelle part de leurs actifs est contaminée par ces subprimes.
Le traitement : en Europe, le sommet de l'Eurogroupe, réuni le 12 octobre 2008, donne jour à un plan d'action commun pour venir en aide aux établissements en difficulté sous forme de garantie des crédits interbancaires et d'injection de capital. Sa traduction législative ne s'est pas faite attendre, la loi n° 2008-1061 du 16 octobre 2008 est parue au Journal officiel du lendemain et ne vise, ni plus ni moins, qu'au financement, non pas de l'Etat, mais de l'économie ! "Dans les grandes crises, le coeur se brise ou se bronze" écrivait Balzac, dans La Maison du chat-qui-pelote.
Sur la forme, il s'agit d'une loi de finances rectificative, LOLF oblige, puisque la garantie de l'Etat ne peut être octroyée que par une loi de finances. Il s'agit, sans doute, de la loi de finances la plus courte de tous les temps, puisque, à l'habituelle surenchère pléthorique des mesures temporaires et permanentes, cette loi préfère six articles dont, d'ailleurs, seul le sixième mérite une attention toute juridique et sur lequel revient, cette semaine, Alexandre Bordenave, Juriste, Chargé d'enseignement à l'ENS de Cachan.
Pour autant, l'article 3 de la loi ne saurait être négligé, car il tend à ouvrir des crédits supplémentaires au budget général, notamment pour couvrir l'augmentation du coût de la dette. Autrement dit, il prévoit, d'ores et déjà, le creusement de la dette nationale consécutif aux aides que devra distribuer l'Etat en vue de soutenir l'activité économique. Exit les voeux pieux des programmes présidentiels de 2007, la real politik refait surface en matière économique.
L'article 6 de la loi, donc, prévoit deux types de mesures, d'application "temporaire" (sic) : une mesure destinée à réinjecter des liquidités dans l'économie et une autre destinée à renforcer les fonds propres des organismes financiers. Concrètement, il crée d'abord une société de refinancement chargée de lever des fonds sur les marchés financiers via l'émission d'obligations garanties par l'Etat à hauteur 320 milliards d'euros. Le produit de ces émissions obligataires lui permettra de prêter aux banques sur la base de conventions entre l'Etat et ces établissements. Ces prêts seront rémunérés. Les actifs de ces banques serviront de contreparties aux prêts consentis par cette société de refinancement, dans une mesure plus large que dans le dispositif actuel de refinancement des établissements bancaires par les banques centrales. Ensuite, il crée une structure qui permettra, comme la première, de lever des financements, avec la garantie de l'Etat, mais pour prendre des participations en fonds propres ou quasi-fonds propres, à hauteur de 40 milliards d'euros.
Outre le mécanisme de financement, plusieurs questions proprement juridiques demeurent en suspens, naturellement, à la suite du vote en deux jours d'une telle disposition d'envergure.
Tout d'abord, si la seconde structure est une société dont l'Etat est l'unique actionnaire, s'agit-il d'une quasi-société, ou d'une société relevant du secteur public, ce qui aurait une incidence sur les critères "maastrichtiens" de la dette ? Ensuite, quelles seront les modalités de gouvernance de la société de refinancement qui sera une société de droit commercial sans participation majoritaire de l'Etat, pour des raisons de comptabilité "maastrichtienne" -une nouvelle fois- ? Il est exposé dans les motifs de la loi que les parlementaires doivent être étroitement associés à ce mécanisme, mais plutôt dans le cadre d'un comité de suivi qu'au sein du conseil d'administration. Or, c'est ce conseil d'administration qui va examiner la qualité des différents actifs apportés par les banques en contrepartie des refinancements. Quid d'une minorité de blocage, de l'attribution d'actions à droit de vote privilégié, du rôle d'un commissaire du Gouvernement ? Enfin, l'article 6 semble donner à l'Etat une garantie de "super premier rang". Comment peut-on créer une garantie rétroactive sur des titres antérieurs ? Quel va être le mécanisme de cession des créances ?
Il est prévu que les établissements passent une convention avec l'Etat, qui fixe les contreparties accordées en termes de garanties et qui précise leurs engagements quant à des règles éthiques conformes à l'intérêt général. C'est donc bien le droit contractuel qui devrait régir les relations plus que particulières que vont entretenir les banques et cette société de refinancement, mais sur la base d'une certaine "moralisation" des comportements bancaires.
1866, faillite de la maison d'escompte Overend & Gurney due à un défaut de paiement de la Mid-Wales Railway Company. Il en résulte un krach boursier de grande ampleur suivi d'une panique bancaire qui entraîne une crise de liquidités, une série de faillites en chaîne.
1882, le cours des titres de la banque Union Générale s'effondre provoquant sa faillite et une crise boursière et bancaire de grande ampleur essentiellement circonscrite à la France. L'Union Générale avait fondé un développement fulgurant sur des investissements hasardeux, notamment dans les mines, les assurances et les sociétés foncières, en particulier en Russie, en Autriche-Hongrie et dans les Balkans, et la spéculation boursière.
1966, les banques américaines sont à court de réserves dans un contexte où la Réserve Fédérale conduit une politique restrictive afin de contenir l'inflation. La crise se traduira par une chute des cours boursiers, une baisse des liquidités et une hausse des taux d'intérêts provoquant un fort ralentissement de l'activité économique.
Outre la référence à "29'", c'est à ces trois crises que s'apparente la crise financière actuelle. Mais, la différence majeure réside en une réaction politique sans précédent dans les jours qui ont suivi le krach. "Les hommes n'acceptent le changement que dans la nécessité et ils ne voient la nécessité que dans la crise" (Jean Monnet).
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