Réf. : Cass. com., 7 octobre 2008, n° 07-18.635, Société Crystal holding, FS-P+B (N° Lexbase : A7242EAH)
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par Vincent Téchené, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo - édition privée générale
le 07 Octobre 2010
En revanche, s'il est une cause de dissolution dont les tribunaux ont rarement à connaître, c'est bien la réalisation ou l'extinction de l'objet social -fort heureusement d'ailleurs-. Un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 7 octobre 2008, saisie d'une telle question, mérite à ce titre notre attention. Mais, le caractère rarissime de la question posée à la Cour régulatrice est loin d'être le seul intérêt de cet arrêt qui apporte une pierre angulaire à l'édifice jurisprudentiel du régime juridique de la dissolution pour extinction de l'objet social.
En l'espèce, deux associés ont constitué une société civile, holding, ayant pour objet l'acquisition, la gestion et l'administration de titres de sociétés, à laquelle ils ont chacun fait apport d'un nombre identique d'actions détenues par eux dans le capital de la société A. Par délibération prise en assemblée générale ordinaire, les associés de la société holding (la société civile de portefeuille) ont décidé à la majorité d'autoriser la gérance à procéder à la cession des actions de la société A L'un des associés soutenant, notamment, que cette délibération avait pour effet de priver la société de son objet, en a demandé l'annulation.
La cour d'appel de Montpellier, dans un arrêt du 19 juin 2007, accueille cette demande, retenant que les actions de la société A constituaient le seul actif de la société civile de portefeuille et que leur cession équivalait à la dissolution de cette société. Elle en conclue qu'une telle décision ne pouvait, aux termes des statuts, être prise qu'en assemblée générale extraordinaire et par des associés représentant au moins les trois quarts du capital social.
La Chambre commerciale de la Cour de cassation casse cette décision au visa de l'article 1844-7, 2°, du Code civil. Elle retient, pour ce faire, qu'"en statuant ainsi, après avoir constaté que la société [civile de portefeuille] avait pour objet statutaire l'acquisition, la gestion et l'administration de titres de sociétés, ce dont il résultait que la cession par cette société des actions qu'elle détenait dans le capital de la société [A] n'avait pas pour conséquence l'extinction de son objet et n'impliquait donc pas sa dissolution, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé le texte susvisé".
Cet arrêt, qui apporte un enseignement très précieux sur l'extinction de l'objet social d'une holding, impose, au préalable, un rappel rapide, mais nécessaire, sur la notion d'objet social.
I - La notion d'objet social
La société est avant tout un contrat et, en tant que tel, sa validité est conditionnée par l'existence d'un objet licite (C. civ., art. 1108 N° Lexbase : L1014AB8 et 1126 N° Lexbase : L1226ABZ). Il ressort, ainsi, de l'article 1832 du Code civil (N° Lexbase : L2001ABQ) que l'objet du contrat de société est la mise en commun de biens ou d'activité en vue de partager les bénéfices ou de profiter de l'économie qui pourrait en résulter. Toutefois, la notion même d'objet social n'est pas définie par les textes, et la doctrine, estimant qu'il diffère de l'objet du contrat de société, considère traditionnellement l'objet social comme le "genre d'activité de la personne morale, la nature des opérations où elle va rechercher la source des bénéfices escomptés" (3) ou encore comme "l'ensemble des activités déterminées par le pacte social, que la société peut exercer" (4). Cette définition de l'objet social permet, également, de le distinguer de notions voisines, telles que la cause de la société qui, selon Philippe Merle (5), est la raison pour laquelle deux ou plusieurs personnes s'associent, c'est-à-dire "le pourquoi de la création de la société" (6). L'objet social diffère aussi de l'intérêt social, concept fondamental du droit des sociétés sur lequel la doctrine ne s'accorde pas (7).
L'objet social est, néanmoins, une notion majeure du droit des sociétés, puisque, d'une part, la constitution de toute société est conditionnée par son existence, sa licéité (C. civ., art. 1833 N° Lexbase : L2004ABT) et sa détermination par les statuts (C. civ., art. 1835 N° Lexbase : L2006ABW ; C. com., art. L. 210-2 N° Lexbase : L5789AIA), et puisque, d'autre part, il a des incidences majeures sur le statut, le fonctionnement et la disparition de la société. Il permet ainsi de déterminer la nature civile ou commerciale d'une société (C. civ., art. 1845 N° Lexbase : L2038AB4 ; C. com., art. L. 210-1 N° Lexbase : L5788AI9) ou l'application de règles spécifiques. Il est, en outre, le fondement de la délimitation des pouvoirs attribués aux dirigeants sociaux (C. civ., art. 1849 N° Lexbase : L2046ABE ; C. com., art. L. 223-18 N° Lexbase : L3772HBC ; C. com., art. L. 225-35 N° Lexbase : L5906AIL). Il peut, enfin, avoir pour conséquent l'annulation de la société (C. civ., art. 1844-10 N° Lexbase : L2030ABS) ou sa dissolution (C. civ., art. 1844-7, 5°).
Ainsi, afin d'éviter toute ambiguïté, toute remise en cause intempestive des actes des dirigeants et tout risque de dissolution qui ne serait pas souhaitée au préalable par les associés, il est habituellement conseillé de définir largement l'objet social dans les statuts. Les rédacteurs le savent et n'omettent cette exigence que très rarement.
II L'extinction de l'objet social d'une société holding
L'article 1844-7, 5° du Code civil prévoit, nous l'avons vu, la dissolution de la société lorsqu'il y a réalisation ou extinction de l'objet social. La réalisation et l'extinction sont deux notions qu'il convient de différencier.
La réalisation de l'objet social suppose que l'opération en vue de laquelle la société a été créée se trouve achevée. Il en est, par exemple, ainsi d'une société civile ayant pour objet la construction d'un immeuble et sa division en lots destinés à l'attribution des associés, lorsque la construction de l'immeuble, ouvrant la voie à la répartition des lots, a été achevée et que tout délai raisonnablement envisageable pour le dénouement de l'opération de construction est dépassé depuis des années, laissant se perpétuer une situation instable (8).
En revanche, l'extinction de l'objet social suppose que l'activité pour laquelle la société a été constituée est devenue impossible. Ainsi, la cour d'appel de Paris a-t-elle considéré qu'il y avait dissolution par extinction de l'objet social d'une société d'expertise qui ne fonctionnait que grâce aux qualités de son gérant, lequel avait démissionné sans être remplacé par un successeur agréé (9). De même, il a été jugé qu'était dissoute pour extinction de son objet social une société, dès lors quelle ne comprenait plus le nombre minimum de professionnels requis et avait été radiée de l'Ordre des experts-comptables, ne pouvant plus, même si elle exerçait encore une activité de conseil, réaliser les travaux relevant de la profession d'expert-comptable constituant l'objet social fixé par ses statuts (10).
Au demeurant, dans ce même arrêt, la Chambre commerciale de la Cour de cassation est venue préciser le régime juridique applicable à la dissolution pour extinction de l'objet en refusant l'octroi d'un délai de régularisation pour modifier l'objet social de la société, posant comme principe que "les dispositions de l'article 1844-5, alinéa 1, du Code civil, [sont] inapplicables lorsque la société prend fin par l'extinction de son objet, conformément aux dispositions de l'article 1844-7, 2 dudit code".
Pour être précis sur l'appréciation que font les juges de l'extinction de l'objet social, l'on ne peut passer à côté d'une décision fondamentale sans commettre d'impair : l'"affaire du Canal de Suez" qui illustre, à elle seule, la souplesse dont font preuve les juges ou plutôt leur réticence à prononcer la dissolution d'une société pour extinction de son objet social. Rappelons rapidement les faits : par une loi du 26 juillet 1956, Nasser nationalise le Canal de Suez, jusque là exploité par la société du même nom. Dès lors, une assemblée générale extraordinaire modifie la dénomination sociale de la société du Canal de Suez, qui devient la Compagnie financière Suez, et proroge sa durée. Toutefois, un actionnaire conteste la régularité de cette délibération et demande la dissolution de la société pour extinction de son objet social, l'exploitation du canal étant devenu impossible par la perte de la concession consécutive à sa nationalisation. Si l'on aurait pu s'attendre à un accueil favorable de la demande de l'actionnaire, dans la mesure où l'exploitation du canal de Suez, objet statutaire de la société, était devenu impossible du fait de sa nationalisation par l'Etat égyptien, le tribunal de commerce de la Seine ne va pas l'entendre ainsi et rejette la demande. Les juges, au soutien de cette décision, que l'on pourrait qualifier d'opportune, font valoir que la société s'est diversifiée et que ses activités étaient florissantes (11).
A la suite de l'analyse de cette jurisprudence, la question posée aux juges dans l'affaire qui a donné lieu à l'arrêt du 7 octobre 2008 apparaît comme étant la suivante : l'activité de la holding, c'est-à-dire l'acquisition, la gestion et l'administration de titres de sociétés, était-elle devenue impossible par la cession des titres d'une société composant son unique actif ?
Il nous semble que la réponse négative apportée à cette question par la Cour de cassation est respectueuse des textes. En effet, les statuts de la holding stipulant que celle-ci peut acquérir des titres, son activité n'est pas devenue impossible, le seul fait que les titres vendus constituaient l'intégralité de son actif, ne lui interdit pas de reconstituer ce dernier en se portant acquéreuse de nouvelles parts sociales. D'autant que la dissolution n'est demandée, ici, que par l'un des associés de la société, ce qui laisse supposer que les autres, refusant de dissoudre la société, ont bien l'intention de la maintenir en activité, en lui faisant acquérir de nouveaux titres.
La solution aurait été différente si les statuts avaient prévu que l'objet de la holding était l'acquisition, la gestion et l'administration de la société dont les titres ont été apportés par les associés. Ainsi, la vente des titres de cette société, nommément désignée dans les statuts, aurait rendu l'activité de la société impossible.
De même, si les statuts avaient seulement précisé que la société a pour objet la gestion et l'administration de titres de société sans prévoir la possibilité d'en acquérir, la cession des titres composant son actif aurait sans doute emporté sa dissolution par extinction de son objet.
Cette solution, rendue pour une société civile de portefeuille, peut être étendue à toutes les sociétés holdings, dont l'objet est la détention de titre de sociétés : à partir du moment où leurs statuts prévoient qu'elles peuvent acquérir des titres -on ne saurait imaginer que leurs rédacteurs aient omis de le mentionner-, elles ne peuvent être dissoutes pour extinction de leur objet, lorsqu'elles ont vendu l'intégralité des titres composant leur actif.
On pourrait alors considérer que, dans l'attente de la reprise de l'activité, la société est "mise en sommeil" : économiquement morte, elle est néanmoins juridiquement vivante (12). Cette possibilité démontre, une nouvelle fois, que le droit est frileux à voir disparaître les êtres juridiques. D'ailleurs, la Cour de cassation considère que la mise en sommeil d'une société, qui ne peut plus fonctionner à la suite de la cession des immobilisations matérielles, ne constitue pas une cause suffisante de dissolution (13). Dans ce cas la société doit, toutefois, faire l'objet d'une inscription modificative au RCS (C. com., art. R. 123-69 N° Lexbase : L9822HYG) et, lorsque le greffier constate, au terme d'un délai de deux ans après la mention au RCS de la cessation totale d'activité, l'absence de toute inscription modificative relative à une reprise d'activité, il doit saisir le juge commis à la surveillance du RCS, aux fins d'examen de l'opportunité d'une radiation (C. com., art. R. 123-130 N° Lexbase : L9883HYP).
Enfin, pour conclure, on rappellera que le droit commun des sociétés civiles réserve à l'associé un droit de retrait. L'article 1869 du Code civil (N° Lexbase : L2066AB7) dispose, en effet, qu'un associé peut se retirer totalement ou partiellement de la société, dans les conditions prévues par les statuts ou, à défaut, après autorisation donnée par une décision unanime des autres associés, ce retrait pouvant également être autorisé pour justes motifs par une décision de justice. Peut-être aurait-il été plus simple pour le demandeur à la dissolution, qui ne voulait plus participer à l'oeuvre sociale de la holding, de mettre en oeuvre son droit de retrait plutôt que de demander la dissolution de la société à laquelle les autres associés ne tenaient vraisemblablement pas.
(1) Cass. com., 31 janvier 1989, n° 87-16.124, Consorts Seneclauze c/ Consorts Mazel et autres (N° Lexbase : A4043AGT).
(2) CA Paris, 3ème ch., sect. B, 5 juillet 2007, n° 05/23460, SARL Bonnin Consulting c/ Société anonyme Toova (N° Lexbase : A2233DYD).
(3) Cordonnier, L'objet social, D., 1952, chronique, p. 172.
(4) Chaput, De l'objet des sociétés commerciales, thèse, Clermont, 1973.
(5) Ph. Merle, Sociétés commerciales, Dalloz, 2001, 8ème éd. n° 55.
(6) M. Cozian, A. Viandier, F. Deboissy, Droit des sociétés, Litec, 14ème éd., 2001, n° 119.
(7) Entre les tenants de la conception "minimaliste" (par ex., G. Wicker, Rép. Civ., Dalloz, V° Personne morale, n° 26) et les tenants de la conception "maximaliste" (défendu par l'"Ecole de Rennes", notamment, J. Paillusseau, Les fondements du droit moderne des sociétés, JCP éd. E, 1995, I, n° 488) de l'intérêt social, certains prônent une vision "médiane" retenue par la jurisprudence selon laquelle l'intérêt social ne se confond pas avec l'intérêt des associés, ni avec celui des dirigeants.
(8) CA Paris, 3ème ch., sect. B, 5 novembre 2004, n° 03/13347, Mme Margha Pilon c/ Résidence Edison SCI (N° Lexbase : A0817DEY).
(9) CA Paris, 3ème ch., sect. B, 14 avril 1995, n° 92/16227, M. Liso et autre c/ M. Dangeard et autres (N° Lexbase : A3098A4I).
(10) Cass. com., 3 mai 1995, n° 92-18.000, Société Ficorgest, société à responsabilité limitée et autres c/ M. Henri Favero et autres (N° Lexbase : A2422AGS).
(11) T. com de la Seine, 22 juin 1959, J. soc., 1959, p. 193.
(12) M. Cozian, A. Viandier et F. Deboissy, Droit des sociétés, 15ème éd., Litec, 2002, n° 557.
(13) Cass. com., 17 janvier 1977, n° 75-12.183, SARL d'Exploitation des Cinémas Hicksons c/ Kativineca, dame Viale, SNC de Loreilhe et Cie, Martin, Hirshon ({"IOhtml_internalLink": {"_href": {"nodeid": 1013251, "corpus": "sources"}, "_target": "_blank", "_class": "color-sources", "_title": "Cass. com., 17-01-1977, n\u00b0 75-12.183, publi\u00e9, REJET", "_name": null, "_innerText": "N\u00b0\u00a0Lexbase\u00a0: A0257AU3"}}).
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