La lettre juridique n°322 du 16 octobre 2008 : Licenciement

[Jurisprudence] Procès-verbal de carence et procédure de licenciement économique

Réf. : Cass. soc., 23 septembre 2008, n° 06-45.528, M. Hervé Dechriste, FS-P+B (N° Lexbase : A5838EAH)

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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

Conformément aux prescriptions de l'article L. 1235-15 du Code du travail (N° Lexbase : L1365H9G), "est irrégulière toute procédure de licenciement pour motif économique dans une entreprise où le comité d'entreprise ou les délégués du personnel n'ont pas été mis en place alors qu'elle est assujettie à cette obligation et qu'aucun procès-verbal de carence n'a été établi". Cette disposition tend moins à s'assurer que l'employeur respecte bien son obligation de consultation, qu'à garantir qu'il organise bien les élections professionnelles dans l'entreprise. Par suite, et ainsi que le décide la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 23 septembre 2008, "la seule intervention du représentant des salariés dans la procédure de licenciement, en l'absence de comité d'entreprise ou de délégué du personnel, ne couvre pas l'irrégularité dont la procédure est atteinte du fait du défaut de mise en place de ces institutions, sans qu'aucun procès-verbal de carence ait été établi".
Résumé

La seule intervention du représentant des salariés dans la procédure de licenciement, en l'absence de comité d'entreprise ou de délégué du personnel, ne couvre pas l'irrégularité dont la procédure est atteinte du fait du défaut de mise en place de ces institutions, sans qu'un procès-verbal de carence ait été établi.

Commentaire

I - L'importance de dresser un procès-verbal de carence

  • Le procès-verbal de carence

Dès lors que les conditions fixées par la loi sont réunies, l'employeur est tenu d'organiser les élections professionnelles dans l'entreprise. Le respect de cette obligation n'a, toutefois, pas pour effet d'entraîner nécessairement la mise en place d'institutions représentatives du personnel. Ainsi, faute de candidats, par exemple, la collectivité du personnel peut parfaitement demeurer sans représentants.

Dans une telle hypothèse, le Code du travail impose à l'employeur d'établir un procès-verbal de carence. Celui-ci est affiché dans l'entreprise et transmis dans les quinze jours à l'inspecteur du travail qui en envoie copie aux organisations syndicales de salariés du département concerné (C. trav., art. L. 2314-5 N° Lexbase : L2615H9Q et L. 2324-8 N° Lexbase : L9744H8E).

Le procès-verbal de carence constitue au fond, pour l'employeur, la justification de l'exécution de son obligation d'organiser les élections des institutions représentatives du personnel. En d'autres termes, l'établissement d'un procès-verbal de carence laisse présumer que l'employeur a bien organisé les élections. Cela étant, parce qu'un employeur pourrait être tenté de dresser un procès-verbal de carence sans avoir, en amont, respecté son obligation, ce dernier peut faire l'objet d'une contestation. Ainsi que l'a décidé, à ce propos, la Cour de cassation, "le procès-verbal de carence peut être contesté dans le délai de quinze jours à compter de celui où la partie intéressée en a eu connaissance" (Cass. soc., 17 mars 2004, n° 02-60.699, Société Norsud éditions c/ Union locale des syndicats CGT d'Amiens ville, publié N° Lexbase : A6077DBP).

  • Les conséquences de l'absence de procès-verbal

Si la rédaction du procès-verbal de carence n'est pas sanctionnée en tant que telle, la Cour de cassation n'en a pas moins tiré des conséquences importantes de son absence, dans une importante décision rendue le 7 décembre 1999. Etait en cause, en l'espèce, l'article L. 1226-10 du Code du travail (N° Lexbase : L1026H9U), prescrivant à l'employeur de consulter les délégués du personnel avant de s'acquitter de son obligation de reclassement à l'égard d'un salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle. On aurait pu penser que l'employeur était dispensé de cette obligation lorsque l'entreprise est dépourvue de délégués du personnel. Une telle interprétation était, pour le moins, simpliste et a été contredite par la Cour de cassation affirmant, dans l'arrêt en cause, que "l'employeur ne saurait s'y soustraire au motif de l'absence de délégués du personnel dans l'entreprise dès lors que leur mise en place était obligatoire et qu'aucun procès-verbal de carence n'a été établi" (Cass. soc., 7 décembre 1999, n° 97-43.106, Société d'exploitation Le Floch c/ M. Cabon, publié N° Lexbase : A4787AGE, Dr. soc., 2000, p. 226, obs. J. Savatier).

Postérieurement, le législateur, lui-même, a souhaité faire produire des conséquences rigoureuses à l'absence de procès-verbal de carence. Introduit dans le Code du travail par la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 (loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, de modernisation sociale N° Lexbase : L1304AW9), l'article L. 1235-15, alinéa 1er (N° Lexbase : L1365H9G), dispose qu'"est irrégulière toute procédure de licenciement pour motif économique dans une entreprise où le comité d'entreprise ou les délégués du personnel n'ont pas été mis en place alors qu'elle est assujettie à cette obligation et qu'aucun procès-verbal de carence n'a été établi". L'alinéa 2 de cette même disposition précise, quant à lui, que "le salarié a droit à une indemnité à la charge de l'employeur qui ne peut être inférieure à un mois de salaire brut, sans préjudice des indemnités de licenciement et de préavis" (1).

Au même titre que la jurisprudence, cette disposition tend à inciter les employeurs à la mise en place des institutions représentatives du personnel lorsqu'elle est obligatoire (2). Par ailleurs, l'article L. 1235-15 est à mettre en relation avec les multiples textes du Code du travail exigeant l'information et la consultation des représentants du personnel lors d'un licenciement pour motif économique.

L'arrêt sous examen démontre que la Cour de cassation entend appliquer le texte en cause dans toute sa rigueur.

II - L'intervention d'un représentant des salariés

  • L'affaire

Etait en cause, en l'espèce, une société qui employait au moins onze salariés. Placée en redressement judiciaire par jugement du 4 mars 2005 avec période d'observation, cette société avait été, un an après, mise en liquidation judiciaire. Alors qu'un représentant des salariés avait été désigné par ses collègues, plusieurs salariés avaient saisi la juridiction prud'homale en paiement de l'indemnité prévue par l'article L. 1235-15 du Code du travail, en alléguant qu'aucune élection de délégués du personnel n'avait été organisée dans l'entreprise sans qu'aucun procès-verbal de carence soit adressé à l'inspection du travail.

Le mandataire liquidateur reprochait aux jugements attaqué d'avoir fixé la créance des salariés au passif de la liquidation de la société à une indemnité égale à un mois de salaire en application de l'article L. 1235-15 du Code du travail. A l'appui de son pourvoi, il faisait valoir que l'article L. 621-8, dernier alinéa, du Code de commerce (N° Lexbase : L3977HBW), dans sa rédaction applicable à la cause, dispose que, dans le cadre d'une procédure de redressement judiciaire, en l'absence de comité d'entreprise ou de délégué du personnel, le représentant des salariés exerce les fonctions dévolues à ces institutions. Il en résulte que l'article L. 1235-15 du Code du travail, qui sanctionne le non-respect des obligations d'information, de réunion et de consultation du comité d'entreprise ou des délégués du personnel lors d'une procédure de licenciement pour motif économique en raison de l'absence de mise en place des institutions représentatives et de constat de carence, est inapplicable lors d'une procédure de redressement judiciaire.

Cette argumentation est écartée par la Cour de cassation, qui affirme que le conseil de prud'hommes "a exactement retenu que la seule intervention du représentant des salariés dans la procédure de licenciement, en l'absence de comité d'entreprise ou de délégué du personnel, ne couvre pas l'irrégularité dont la procédure est atteinte du fait du défaut de mise en place de ces institutions, sans qu'un procès-verbal de carence ait été établi".

  • Une solution justifiée

Lorsqu'une entreprise en difficulté est soumise à une procédure collective, il appartient au tribunal d'inviter le comité d'entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel ou, à défaut de ceux-ci, les salariés à désigner, au sein de l'entreprise, un représentant des salariés (3).

Dans toutes les procédures, et quelle que soit l'importance de l'entreprise, la mission du représentant des salariés consiste au premier chef à assister le représentant des créanciers dans les opérations d'enregistrement et de vérification des créances salariales. Toutefois, en l'absence de comité d'entreprise ou de délégué du personnel, le représentant des salariés exerce les fonctions dévolues à ces institutions (C. com., art. L. 621-8, dernier al. et L. 621-135 N° Lexbase : L6987AIM dans leur rédaction applicable à la cause) (4). On peut donc considérer que, pour que le représentant des salariés assume les prérogatives conférées par la loi aux institutions représentatives du personnel, il faut, et il suffit, de constater leur absence matérielle dans l'entreprise.

Cela étant, peut-on affirmer, ainsi que le faisait, en l'espèce, le pourvoi, que l'ancien article L. 321-2-1 (N° Lexbase : L0548AZC) (L. 1235-15, nouv.) du Code du travail, qui sanctionne le non-respect des obligations d'information, de réunion et de consultation du comité d'entreprise ou des délégués du personnel lors d'une procédure de licenciement pour motif économique en raison de l'absence de mise en place des institutions représentatives et de constat de carence, est inapplicable lors d'une procédure de redressement judiciaire ? Une réponse négative ne peut qu'être apportée à cette question pour cette seule raison que le Code du travail impose l'information et la consultation des représentants du personnel lorsque des licenciements économiques sont envisagés dans une entreprise en redressement judiciaire (C. trav., art. L. 1233-58 N° Lexbase : L1229H9E). Partant, l'article L. 1235-15 doit être appliqué pendant le redressement judiciaire.

Cette disposition ne sanctionne pas le défaut de consultation des représentants du personnel, mais bien le défaut de mise en place de ces derniers, alors qu'elle était obligatoire. Par suite, peu importe que les intérêts des salariés aient, en fin de compte, été défendus par le représentant des salariés lors de la procédure de redressement judiciaire. Celui-ci n'exerce les prérogatives qui sont normalement dévolues au comité d'entreprise ou aux délégués que parce qu'il a été matériellement impossible de les mettre en place.

Reste une dernière question. L'employeur qui, ayant organisé les élections, n'aurait pas, pour une raison ou pour une autre, établi de procès-verbal, encourt-il la sanction prévue par l'article L. 1235-15 du Code du travail ? A notre sens, il serait sans doute excessif de répondre par l'affirmative. Cela reviendrait à interdire à l'employeur de rapporter la preuve qu'il a bien organisé les élections et à considérer, par là même, que l'absence de procès-verbal de carence fait présumer de manière irréfragable que l'employeur n'a pas respecté son obligation d'organiser les élections des représentants du personnel. Or, l'article L. 1235-15, en disposant qu'"est irrégulière tout procédure de licenciement pour motif économique dans une entreprise où le comité d'entreprise ou les délégués du personnel n'ont pas été mis en place alors qu'elle est assujettie à cette obligation et qu'aucun procès verbal de carence n'a été établi" (5), laisse entendre le contraire.


(1) Anc. art. L. 321-2-1 (N° Lexbase : L0548AZC) qui, consécutivement à la recodification, a été retouché, sans que les modifications apportées ne changent quoique ce soit au fond. Lorsque l'employeur a produit un procès-verbal de carence dont la validité n'a pas été contestée dans un délai de quinze jours à compter duquel les parties intéressées en avaient eu connaissance, la sanction prévue par cet article ne sera pas appliquée (Cass. soc., 6 juin 2007, n° 06-42.444, FS-P+B N° Lexbase : A5667DWS, Bull. civ. V, n° 94 ; Dr. soc., 2007, p. 999, note P.-Y. Verkindt).
(2) L'absence de procès-verbal de carence fait, au fond, présumer que l'employeur n'a pas respecté cette obligation. Sur le fait de savoir si cette "présomption" peut être renversée par la preuve contraire, v. infra.
(3) Antérieurement à la loi du 26 juillet 2005 (loi n° 2005-845, de sauvegarde des entreprises N° Lexbase : L5150HGT), cette désignation était envisagée, s'agissant de la procédure de redressement judiciaire, par l'article L. 621-8 du Code de commerce (N° Lexbase : L6860AIW), applicable en l'espèce. Désormais, elle est prévue par les articles L. 621-4 (sauvegarde) (N° Lexbase : L3973HBR), L. 631-9 (redressement judiciaire) (N° Lexbase : L4020HBI) et L. 641-1 (liquidation judiciaire) (N° Lexbase : L4044HBE).
(4) Désormais, C. com., art. L. 621-4, al. 2, auquel renvoie l'article L. 631-9 du Code de commerce pour la procédure de redressement judiciaire. En revanche, dans la liquidation judiciaire, le représentant des salariés ne paraît devoir intervenir que pour la vérification des créances : art. L. 641-1, II, al. 3, qui renvoie seulement aux conditions des articles L. 621-4 et L. 621-5 (v., en ce sens, F. Pérochon et R. Bonhomme, Entreprise en difficulté Instruments de crédit et de paiement, LGDJ, 7ème éd., 2006, p. 163, note 107).
(5) Nous soulignons.

Décision

Cass. soc., 23 septembre 2008, n° 06-45.528, M. Hervé Dechriste, FS-P+B (N° Lexbase : A5838EAH)

Rejet, CPH Saint-Dizier, section industrie, 18 septembre 2006 (deux jugements)

Textes concernés : C. trav., art. L. 1235-15 (N° Lexbase : L1365H9G) ; C. com., art. L. 621-8, dans sa rédaction applicable à la cause (N° Lexbase : L6860AIW) (L. 621-4, nouv. N° Lexbase : L3973HBR)

Mots-clefs : redressement judiciaire ; licenciement économique ; procédure ; représentants du personnel ; représentant des salariés ; procès-verbal de carence.

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