Réf. : Cass. soc., 23 septembre 2008, n° 07-42.862, Société Banca Nationale Del Lavoro SPA, F-P (N° Lexbase : A5032EAM)
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par Sébastien Tournaux, Chargé d'enseignement à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
En vertu du principe de territorialité de la loi française, seuls les salariés rattachés à l'activité de l'employeur en France bénéficient des lois françaises en droit du travail, en sorte que l'effectif à prendre en compte pour déterminer si un plan de sauvegarde de l'emploi devait être mis en place est constitué par les seuls salariés relevant des établissements de la société situés en France. |
Commentaire
I - Les règles relatives au calcul de l'effectif réservées aux salariés travaillant en France
Les conditions de seuil d'effectif sont, historiquement, l'un des socles fondateurs du droit social français (1). Toujours omniprésents en droit positif, ils conditionnent le bénéfice ou la soumission à différents droits ou obligations. S'ils concernent de nombreux domaines du droit du travail, les seuils d'effectifs tiennent, également, une place importante en matière de licenciement (2).
Cependant, le calcul des effectifs a toujours donné lieu à de sérieuses difficultés, qu'il s'agisse de déterminer exactement quels salariés devaient être pris en compte (3) ou de savoir comment comptabiliser les salariés qui ne travaillent pas de manière permanente dans l'entreprise (4). Ces difficultés peuvent être profondément accrues lorsque les salariés concernés par le licenciement sont employés par une entreprise transnationale.
L'élément d'extranéité et l'existence d'établissements sur le territoire d'Etats différents posent clairement la question de la prise en compte, dans le calcul de l'effectif de l'entreprise, de salariés employés dans d'autres Etats que la France. En somme, peut-on imposer à une entreprise étrangère des conditions d'effectif prévues par le droit du travail français ?
C'est bien à cette question que devait répondre la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 23 septembre 2008. Une banque italienne disposait d'une succursale française, laquelle comportait un effectif inférieur à cinquante salariés. Dans ces conditions, les dirigeants de l'entreprise pouvaient considérer qu'ils n'étaient pas tenus de mettre en oeuvre un plan de sauvegarde de l'emploi tel que prévu par les articles L. 1233-61 (N° Lexbase : L1236H9N) et L. 1235-10 (N° Lexbase : L5743IAX) du Code du travail. La cour d'appel de Paris ne l'a, pourtant, pas entendu de cette oreille puisqu'elle a prononcé la nullité des licenciements en raison de l'absence de plan de sauvegarde de l'emploi.
La Chambre sociale de la Cour de cassation casse cette décision au visa des articles L. 1233-61 et L. 1235-10 du Code du travail, ainsi que du principe dit "de la territorialité de la loi française". En application de ces règles, elle estime que "seuls les salariés rattachés à l'activité de l'employeur en France bénéficient des lois françaises en droit du travail en sorte que l'effectif à prendre en compte pour déterminer si un plan de sauvegarde de l'emploi devait être mis en place est constitué par les seuls salariés relevant des établissements de la société situés en France".
La règle est donc clairement précisée. Si une entreprise transnationale, dont le siège se situe dans un autre Etat, dispose d'un établissement en France, dans lequel un licenciement économique collectif est projeté, seuls les salariés de cet établissement français doivent être comptabilisés pour déterminer si un plan de sauvegarde de l'emploi doit être mis en oeuvre, ceci par application du principe de territorialité de la loi française. Cette solution, quelque peu atypique si on la compare à d'autres décisions rendues en matière de licenciement impliquant des entreprises transnationales, pose, néanmoins, la lancinante question du rôle du droit social communautaire.
II - Application stricte du principe de territorialité de la loi française
Le principe de la territorialité de la loi française trouve, le plus souvent, à s'appliquer en matière de droit pénal et de droit fiscal. Pour autant, il arrive que le droit social soit, également, concerné par ce principe. Il en va, par exemple, ainsi, en matière de droit de la Sécurité sociale (5), même si la force du principe y est sensiblement réduite par l'effet de l'intégration communautaire et de la coordination des systèmes de Sécurité sociale (6).
L'application du principe de territorialité du droit du travail français est bien plus rare. On se rappellera, ainsi, que la Cour de cassation avait refusé de faire application de ce principe pour restreindre l'accès d'un expert comptable désigné par un comité d'entreprise à des informations détenues par une société mère néerlandaise (7).
Pour autant, la tendance du législateur à l'égard du licenciement économique est de faire une application aussi territorialement large que possible de la loi française. Le dernier alinéa de l'article L. 1235-10 dispose, ainsi, que "la validité du plan de sauvegarde de l'emploi est appréciée au regard des moyens dont dispose l'entreprise ou l'unité économique et sociale ou le groupe". S'il n'y a, certes, aucune référence à une entreprise transnationale dans cette détermination des moyens devant être mis en oeuvre, on perçoit cependant bien que la tendance n'est pas à limiter l'appréciation au niveau de l'établissement ou de l'entreprise, mais bien d'élargir au niveau du groupe.
La même tendance se retrouve dans l'identification du champ dans lequel l'entreprise qui procède à un licenciement pour motif économique a l'obligation de rechercher un reclassement pour le salarié. En effet, l'obligation ne se limite pas aux sociétés du groupe situées en France, le reclassement devant être recherché à l'étranger, à condition, toutefois, que la législation applicable localement n'empêche pas l'emploi de salariés étrangers (8).
Il en va, enfin, de même pour l'existence de difficultés économiques, qui doivent être appréciées au niveau du secteur d'activité du groupe (9), sans qu'il y ait lieu de réduire le groupe aux sociétés ou entreprises situées sur le territoire national (10).
On le voit, le droit du travail produit donc de nombreux effets sur les sociétés à dimension transnationale sans que le principe de territorialité de la loi française n'ait, jusqu'ici, constitué une véritable difficulté (11). L'invocation du principe pourrait, dès lors, paraître à contre courant de cette tendance.
Cela n'est, pourtant, pas nécessairement le cas. En effet, dans l'affaire commentée, la Cour de cassation prononce la cassation de l'arrêt d'appel parce que les juges du fond avaient imposé à une entreprise étrangère de comptabiliser des salariés qui ne travaillent pas en France. Si l'on compare avec les hypothèses précédemment évoquées, on s'apercevra qu'il n'y était jamais question que la loi française impose des obligations à l'entreprise étrangère sur son territoire. Ainsi, par exemple, l'obligation de rechercher un reclassement à l'étranger ne pèse que sur l'établissement ou l'entreprise située en France et non sur le groupe transnational de nationalité étrangère. Il en allait de même dans l'affaire relative aux informations que l'expert comptable de l'entreprise peut se procurer, puisque la demande d'information était dirigée vers l'établissement français et non vers la maison mère néerlandaise.
A vrai dire, seule l'hypothèse de l'appréciation des difficultés économiques au-delà des frontières nationales prête à contradiction. Qu'il s'agisse d'apprécier les difficultés économiques ou de calculer l'effectif de l'entreprise, le principe de territorialité devrait s'opposer, pour chacune de ces hypothèses, à ce que la loi française produise des effets au-delà des seuls salariés relevant de l'établissement français. La question se pose, dès lors, de savoir si la solution rendue n'impliquera pas, à l'avenir, un revirement de la Chambre sociale. Elle pourrait, en effet, ne plus prendre en considération les entreprises étrangères appartenant au même secteur d'activité du groupe transnational pour l'appréciation de difficultés économiques, au nom du respect du principe de territorialité.
Un élément de réponse figure probablement dans les termes choisis par la Cour de cassation. En effet, la Chambre sociale fait application du principe de territorialité de la loi française en estimant que "seuls les salariés rattachés à l'activité de l'employeur en France bénéficient des lois françaises en droit du travail". Or, si ce sont bien les canons du droit du travail français qui s'appliquent en cas d'appréciation des difficultés économiques, cette application ne concerne pas les salariés étrangers eux-mêmes, mais seulement la situation factuelle de l'entreprise étrangère.
Il n'en reste pas moins que l'usage du verbe "bénéficier" dans cette argumentation peut laisser perplexe. En effet, le raisonnement opéré par les juges du fond n'impliquait certainement pas que les salariés italiens de l'entreprise "bénéficient" de la loi française. Même s'ils étaient comptabilisés dans l'effectif selon les règles de droit français, on ne peut raisonnablement pas dire que l'application de cette règle constituait un "bénéfice", comme l'aurait été, par exemple, l'obligation pour l'employeur italien de mettre en oeuvre un plan de sauvegarde de l'emploi pour les salariés travaillant en Italie.
En guise de conclusion, il convient de remarquer que cette décision met, à nouveau, en exergue les faiblesses encore trop souvent stigmatisées du droit social communautaire.
L'entreprise bancaire ayant un établissement en France et un autre en Italie, il aurait été souhaitable que des règles de droit communautaire viennent régler la difficulté relative au calcul des seuils d'effectif et de la mise en place d'un plan social. Or, les dispositions du droit communautaire se rapprochant le plus de l'idée d'un plan de sauvegarde de l'emploi sont celles prévues par l'article 2 de la Directive du 20 juillet 1998, qui se contentent d'imposer des consultations des représentants du personnel (12). Même si certains auteurs semblent voir dans ces dispositions l'immanence d'un plan social au niveau européen, il faut bien constater que ces dispositions demeurent très sensiblement insuffisantes alors même que, l'on peut s'en persuader à l'analyse de cet arrêt, la question est loin d'être une hypothèse d'école (13). Les événements ne nous démentiront pas : les difficultés financières des banques importent certainement davantage aux institutions européennes que l'harmonisation des règles s'appliquant à leurs salariés...
(1) La loi du 22 mars 1841, relative au travail des enfants employés dans les manufactures, usines ou ateliers, usuellement considérée comme la première loi sociale française, comportait, déjà, un seuil d'effectif puisqu'elle ne s'appliquait qu'aux manufactures de plus de vingt salariés. L'importance des seuils d'effectif en droit français est, d'ailleurs, très symboliquement marquée puisque c'est le deuxième article du Code du travail recodifié qui détermine les modalités de calcul de l'effectif d'une entreprise (v. C. trav., art. L. 1111-2 N° Lexbase : L3822IB8).
(2) On se souviendra, ainsi, que les salariés des entreprises qui occupent moins de onze salariés ne bénéficient pas des dispositions légales relatives à l'indemnité légale réparant l'absence de cause réelle et sérieuse de leur licenciement, mais, seulement, d'une indemnité calculée en fonction du préjudice subi. V. C. trav., art. L. 1235-5 (N° Lexbase : L1347H9R).
(3) Par exemple, les questions qui se sont posées à l'égard des salariés mis à disposition par une entreprise extérieure. V., sur ce point, Cass. soc., 28 mars 2000, n° 98-60.440, Syndicat SCE-CFDT Artois Val-de-Lys et autres c/ Syndicat CFTC société Stora Corbehem et autres (N° Lexbase : A6306AGN), Dr. soc., 2000, p. 797, obs. C. Roy-Loustaunau ; Cass. soc., 21 mars 2001, n° 99-60.516, Société Marks et Spencer c/ Fédération CGT du Commerce (N° Lexbase : A1374AT3), RJS, 6/01, n° 758 ; Cass. soc., 27 novembre 2001, n° 00-60.252, Société Stora Enso Corbehem, FS-P+B (N° Lexbase : A2728AXC), Bull. civ. V, n° 364.
(4) Pour une étude d'ensemble, malheureusement un peu datée, v. C. Sachs, Les seuils d'effectif, LGDJ, 1985.
(5) Sur cette question, v. G. Lyon-Caen, A. Lyon-Caen, Droit social international et européen, Dalloz, 8ème éd., 1993, n° 95 et s. ; v., également, O. Pujolar, La prise en charge des soins reçus hors de France, Lexbase Hebdo n° 167 du 12 mai 2005 - édition sociale ([LXB=4184AIS]).
(6) V. P. Rodière, Droit social de l'Union européenne, LGDJ, 2ème éd., pp. 497 et s..
(7) Sur cette question, v. Cass. soc., 5 mars 2008, n° 07-12.754, Société Impress métal packaging Imp, FS-P (N° Lexbase : A3342D7W) et nos obs., L'expert-comptable du comité d'entreprise détermine seul les documents nécessaires à l'exercice de sa mission, Lexbase Hebdo n° 297 du 20 mars 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N4433BEW).
(8) Cass. soc., 7 octobre 1998, n° 96-42.812, Société Landis et Gyr Building Control c/ M Bellanger (N° Lexbase : A5643ACY), RJS, 1998, n° 1352 ; D., 1998, p. 310, note Adom ; Cass. soc., 9 février 2000, n° 97-44.023, Mme Sidonie Correia c/ Agence Office du tourisme et du commerce du Portugal, inédit (N° Lexbase : A1244CQ7), RJS, 2000, n° 261.
(9) Depuis l'arrêt "Vidéocolor", v. Cass. soc., 5 avril 1995, n° 93-42.690, Société Thomson Tubes et Displays c/ Mme Steenhoute et autres (N° Lexbase : A4018AA3), Bull. civ. V, n° 123 ; Dr. soc., 1995, p. 482, note Ph. Waquet ; JCP éd. G, II, 22443, note G. Picca.
(10) Cass. soc., 12 juin 2001, n° 99-41.571, Société Sprague France c/ M. Beauvais et autres (N° Lexbase : A5093AGQ), Bull. civ. V, n° 214 ; Dr. soc., 2001, p. 894, obs. Masquefa.
(11) V., cependant, la célèbre affaire de la Compagnie internationale des wagons-lits dans laquelle le Conseil d'Etat avait imposé la mise en place d'un comité d'entreprise à une société belge (CE Contentieux, 29 juin1973, n° 77982, Syndicat général du personnel de la Compagnie des wagons-lits N° Lexbase : A9823B8C, Dr. soc. 1974, concl. N. Questiaux, note J. Savatier) et l'adaptation de la solution par la Cour de cassation, Cass. mixte, 28 février 1986, n° 84-60.724, Compagnie Multinationale Air Afrique c/ Syndicat national des Pilotes de ligne Orly Sud, Meyrieux, Julie, Peltre (N° Lexbase : A3302AAK), D., 1987, p. 173, concl. Franck ; Dr. soc., 1986, p. 406, note Gaudemet-Tallon.
(12) Directive (CE) 98/59 du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives aux licenciements collectifs (N° Lexbase : L9997AUS).
(13) Le Professeur Teyssié, dans son ouvrage de droit européen du travail, intègre à son index une occurrence "plan social" qui renvoie aux dispositions précitées de la Directive du 20 juillet 1998. Il est, pourtant, sérieusement discutable que les faibles protections procédurales instituées par la Directive puissent s'apparenter au plan de sauvegarde de l'emploi tel que le droit français l'envisage. V. B. Teyssié, Droit européen du travail, Litec, 3ème éd., v. l'index renvoyant au n° 601.
Décision
Cass. soc., 23 septembre 2008, n° 07-42.862, Société Banca Nationale Del Lavoro SPA, F-P (N° Lexbase : A5032EAM) Cassation, CA Paris, 18ème ch., sect. C, 25 janvier 2007, n° 04/03770, Syndicat national de la banque et du crédit c/ ViaVeneto (N° Lexbase : A5756DUQ) Textes visés : C. trav., art. L. 1233-61 (N° Lexbase : L1236H9N) et L. 1235-10 (N° Lexbase : L5743IAX) Mots-clés : entreprise transnationale ; licenciement pour motif économique ; plan de sauvegarde de l'emploi ; condition d'effectif. Lien base : |
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