Réf. : Cass. soc., 24 septembre 2008, n° 07-42.488, Société Sapco, F-D (N° Lexbase : A5349EAD)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Résumé
En l'absence d'un usage, la preuve de la commune intention des parties d'incorporer le paiement de prime au contrat de travail ne saurait résulter du seul fait que le paiement de ces primes a été porté sur les bulletins de salaire, que les primes litigieuses ne résultaient pas de dispositions conventionnelles, que les salariés en cause en avaient tous bénéficié depuis leur embauche ou la date de création des primes, selon une périodicité régulière et sans interruption, que l'examen des primes et de leur évolution révélait qu'elles étaient accordées au cas par cas et constituaient un mode d'ajustement des salaires individuels. |
Commentaire
I - Les qualifications contractuelles ambigües
Il est habituel d'enseigner que les avantages résultant d'un usage ne s'incorporent pas au contrat de travail (1) ; une même règle vaut pour les avantages qui résultent d'un engagement unilatéral collectif de l'employeur (2).
La suppression de l'usage n'entraîne donc pas de modification du contrat de travail et l'employeur qui supprime un usage n'a pas à recueillir, au préalable, l'accord de chaque salarié en ayant bénéficié (3).
Les parties peuvent, toutefois, faire entrer les avantages issus de l'usage dans le champ contractuel ; dans cette hypothèse, la dénonciation de l'usage est sans effet sur les contrats, sauf modification acceptée par le salarié (4).
Un certain nombre de décisions rendues ces derniers mois par la Cour de cassation a, toutefois, jeté le trouble sur une distinction que l'on croyait, pourtant, bien établie.
En premier lieu, un certain nombre de décision a qualifié de contractuels certains avantages, sans que la preuve d'une volonté claire et non équivoque des parties au contrat ne se soit véritablement manifestée, la Haute juridiction se contentant généralement de constater que le salarié avait depuis toujours bénéficié de l'avantage litigieux, sans autre précision (5). Tout se passe comme si, en quelque sorte, la qualification contractuelle pouvait s'acquérir par possession d'état.
Une autre décision, également inédite, a jeté le trouble en pratique et a pu faire croire que la Cour de cassation était revenue sur le principe de la non-incorporation des avantages issus d'un usage au contrat de travail (6).
Dans cette affaire, une cour d'appel avait fait droit aux demandes d'un salarié qui contestait la suppression unilatérale d'une prime dont le versement résultait, pourtant, d'un usage d'entreprise. Alors que la cassation semblait s'imposer, compte tenu de la doctrine de la non-intégration, le pourvoi a été rejeté, la Chambre sociale de la Cour de cassation ayant relevé que cette prime "avait toujours été payée à Mme X depuis le début de la relation contractuelle et que son calcul correspondait à deux heures de travail par jour travaillé", la cour d'appel ayant, alors, pu valablement décidé que, "compte tenu de sa fixité et de sa constance, elle constituait un élément de salaire qui ne pouvait être supprimé sans son accord".
Cet arrêt non publié semblait, par conséquent, indiquer qu'un avantage pourrait devenir contractuel par le seul fait qu'il présente un caractère de constance et de fixité, sans qu'il soit donc utile de démontrer que les parties entendaient l'intégrer au contrat de travail, et alors que la source de cet avantage résulterait directement d'un usage, ce qui pouvait, par conséquent, être interprété, à la fois, comme la négation du caractère singulier de l'usage, comme source collective de droit, et comme la négation même de tout ce qui est habituellement enseigné sur l'intégration d'éléments dans le champ contractuel.
C'est dans ce contexte, pour le moins confus, qu'intervient cette nouvelle décision rendue par la Cour de cassation.
II - Le retour à plus d'orthodoxie
Dans cette affaire, l'employeur versait à ses salariés différentes primes et ce, depuis plusieurs années. A la suite de difficultés économiques, ce dernier avait décidé de mettre fin au versement, ce qui avait conduit plusieurs salariés à saisir le juge aux fins de condamnation de l'employeur à en maintenir le versement. La cour d'appel de Paris avait fait droit à leurs demandes, après avoir relevé que la preuve du caractère contractuel de ces primes pouvait être rapportée par tous moyens, notamment, par le production de bulletins de paye, que les primes litigieuses ne résultaient pas de dispositions conventionnelles, que les salariés en cause en avaient tous bénéficié depuis leur embauche ou la date de création des primes, selon une périodicité régulière et sans interruption, que l'examen des primes et de leur évolution révélait qu'elles étaient accordées au cas par cas et constituaient un mode d'ajustement des salaires individuels et qu'en l'absence de généralité et de règles prédéfinies et constantes des conditions d'attribution et de détermination des primes, leur versement ne pouvait constituer un usage.
Alors que ces éléments semblaient de nature à entraîner le rejet du pourvoi, à s'en tenir en tout cas aux derniers arrêts rendus par la Haute juridiction, singulièrement, le 11 mars 2008 (7), l'arrêt est cassé pour violation de l'article 1134 du Code civil (N° Lexbase : L1234ABC), les juges d'appel n'ayant pas caractérisé "la commune intention des parties quant à l'incorporation des primes au contrat de travail".
Cette cassation marque un incontestable retour à l'orthodoxie dans l'analyse de la qualification d'éléments contractuels. Le seul constat que les primes ont été versées ne suffit pas, en effet, à établir leur intégration dans le contrat de travail, le juge devant rechercher d'autres indices du côté de la volonté exprimée par l'employeur.
Cette solution doit être approuvée. La grande variété des sources de droit applicables à la relation de travail interdit, en effet, d'affirmer qu'un avantage est contractuel par le seul fait qu'il a été versé à un salarié ; cet avantage peut trouver sa source dans la loi, un accord collectif, un usage ou un engagement unilatéral de l'employeur. Sauf à considérer que tout ce qui touche la rémunération serait nécessairement contractuel, ce que certains auteurs n'hésitent, d'ailleurs, pas à suggérer ou à affirmer, rien ne permet de confondre individuel et contractuel, sauf à vouloir révolutionner le caractère pluraliste des sources du droit du travail. Dans ces conditions, la qualification d'élément contractuel doit se réaliser conformément à ce qui fait le particularisme de l'accord de volonté, c'est-à-dire son caractère éminemment subjectif.
Reste à apprécier la portée pratique de l'affirmation et son éventuelle conciliation avec les solutions retenues ces derniers mois.
L'arrêt est, ici, cassé, dans la mesure où la cour d'appel n'avait pas recherché la moindre preuve d'une quelconque intention des parties ; elle ne nous dit, toutefois, pas comment il convient de prouver l'existence d'une telle intention.
Or, cette preuve doit logiquement se faire par tous moyens, dans la mesure où il s'agit de prouver un fait juridique (en l'occurrence le fait que les parties ont manifesté leur volonté de contractualiser ces avantages). A défaut d'avenant au contrat de travail, ce qui mettrait un terme à toute discussion, ou de déclaration explicite de l'employeur, la preuve de cette intention peut être valablement être présumée dès lors que des indices suffisamment graves et concordants existent. L'un de ces indices pourrait bien résulter du fait que l'employeur avait pu laisser croire au salarié, lors de son embauche, que la rémunération pratiquée serait contractuelle, c'est-à-dire en ne l'informant pas de l'existence d'un usage d'entreprise, ou d'un engagement unilatéral collectif, ce qui pourrait, d'ailleurs, expliquer la solution retenue dans l'arrêt du 11 mars 2008. C'est dire toute l'importance d'une information complète délivrée au salarié lors de son embauche sur les dispositions non contractuelles appliquées dans l'entreprise, au-delà de la simple remise de la brochure visée par les articles L. 2262-5 (N° Lexbase : L2483H9T) et R. 2262-1 (N° Lexbase : L0566IA9) du Code du travail.
(1) Cass. soc., 3 décembre 1996, n° 94-19.466, Syndicat CFDT métallurgie Orbec Lisieux Livarot et autres c/ Société Sameto-Technifil (N° Lexbase : A0051ACU), Dr. soc., 1997, p. 102, obs. Ph. Waquet ; Cass. soc., 10 février 1998, n° 95-42.543, Société d'équipement pour l'industrie et l'agriculture c/ M. X et autres (N° Lexbase : A2533ACS), Petites affiches n° 49 du 24 avril 1998, p. 19, obs. A. Sauret ; Cass. soc., 31 mars 1998, n° 96-41.878, Société Bristol MECI c/ M. Devilliers et autre (N° Lexbase : A9660AAZ), RJS, 1998, n° 594 ; Cass. soc., 6 juillet 2005, n° 04-44.995, M. Laurent Agrech c/ Société Blanc Aero industries, FS-P+B (N° Lexbase : A9039DIM) : "les avantages résultant pour les salariés d'un usage d'entreprise ne sont pas incorporés aux contrats de travail" ; Cass. soc., 16 novembre 2005, n° 04-40.339, Société Richardot Ottombre c/ M. Pierre Lorenzi, FS-P+B (N° Lexbase : A5658DL7) : "si l'avantage litigieux qui résultait d'un usage et n'était pas incorporé au contrat de travail n'a pu changer de nature par l'effet de la recherche de l'employeur d'un accord avec ses salariés sur sa modification" et les obs. de N. Mingant, Les conditions de la dénonciation d'un usage non contractualisé, Lexbase Hebdo n° 192 du 30 novembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N1481AK3).
(2) Cass. soc., 10 février 1999, n° 97-13015, Syndicat CFDT métallurgie c/ Société Trefimetaux, publié (N° Lexbase : A8786CGI), Bull. civ. V, n° 63 : "le régime complémentaire de retraite résultant d'une proposition de la direction ratifiée à la majorité des salariés relève du statut collectif des salariés qui n'est pas incorporé à leurs contrats de travail".
(3) Cass. soc., 25 février 1988, n° 85-40.821, Mme Deschamps et autres c/ Société Desarbre (N° Lexbase : A1751ABH), Dr. soc., 1989, p. 86, obs. A. Penneau ; Cass. soc., 4 juin 1997, n° 95-42.431, M. René Chapon c/ Société Cegelec, société anonyme, inédit (N° Lexbase : A4798CMN) ; Cass. soc., 10 mai 2001, n° 99-40.983, Mme Thérèse Cintas c/ Laboratoire d'analyses médicales d'Argentan (N° Lexbase : A4184AT7) ; Cass. soc., 2 février 2000, n° 97-45.775, M. Jean-Pierre Grihon, agent EDF-GDF c/ Syndicat CGT EDF-GDF et autres, inédit (N° Lexbase : A1648CLM) : "lorsqu'une indemnité est due en vertu d'un usage ou d'un engagement unilatéral de l'employeur, elle n'est pas incorporée au contrat de travail et la dénonciation régulière de l'usage ou de l'engagement unilatéral emporte la suppression de l'avantage et s'impose aux salariés qui ne peuvent plus en revendiquer le bénéfice et ne peuvent pas soutenir que leur contrat a été modifié" ; Cass. soc., 6 juillet 2005, n° 04-44.995, préc..
(4) Cass. soc., 22 janvier 1992, n° 89-42.840, Société clinique Saint-Tronc c/ Mme Giullo et autres ([LXB=A1679AA]), JCP éd. E, 1992, II, 401, 2ème esp., note J. Déprez.
(5) Cass. soc., 10 octobre 2007, n° 06-43.051, M. Maamar Saidi, F-D (N° Lexbase : A7461DYY) et nos obs., La contractualisation rampante des éléments de la relation de travail, Lexbase Hebdo n° 277 du 18 octobre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N8720BCX), ainsi que les décisions analysées.
(6) Cass. soc., 11 mars 2008, n° 07-40.210, Société Repro Service Bureau, F-D (N° Lexbase : A4099D7X).
(7) Préc..
Décision
Cass. soc., 24 septembre 2008, n° 07-42.488, Société Sapco, F-D (N° Lexbase : A5349EAD) Cassation, CA Paris, 18ème ch., sect. D, 28 mars 2007, n° 06/10765, Société Sapco (N° Lexbase : A0781DYL) Texte visé : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) Mots clef : contrat de travail ; primes ; incorporation ; preuve. Lien base : |
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