La lettre juridique n°322 du 16 octobre 2008 : Famille et personnes

[Jurisprudence] Le majeur sous tutelle interdit d'adoption lorsqu'il n'est pas apte à consentir...

Réf. : Cass. civ. 1, 8 octobre 2008, n° 07-16.094, M. Gérard Aubert, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6928EAT)

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N4751BHG

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par Adeline Gouttenoire, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directrice de l'Institut des Mineurs de Bordeaux

le 07 Octobre 2010

A quelques mois de l'entrée en vigueur de la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007, portant réforme de la protection juridique des majeurs (N° Lexbase : L6046HUH), la Cour de cassation appelée à se prononcer sur l'adoption d'un majeur protégé, anticipe dans un arrêt rendu le 8 octobre 2008 la réforme, tout en se fondant sur les textes encore en vigueur jusqu'au 31 décembre 2008. Ce faisant elle révèle les limites de la reconnaissance par les nouvelles dispositions légales de l'autonomie du majeur protégé en matière personnelle. Cette dernière, ne pouvant se concevoir sans l'aptitude du majeur protégé à exprimer sa volonté, risque en effet, dans certains domaines, et particulièrement en matière d'adoption, d'aboutir à une incapacité de jouissance sans doute peu conforme à l'intérêt de la personne concernée. En l'espèce, le père d'une jeune femme autiste souhaitait que celle-ci soit adoptée par son épouse. Considérant qu'il ne pouvait lui-même consentir à cette adoption, il a sollicité la désignation d'un administrateur ad hoc pour donner ce consentement sans doute inspiré par certaines décisions, discutables, qui avaient admis une telle désignation pour pallier l'inaptitude d'un mineur à consentir à sa propre adoption (1). La cour d'appel avait refusé cette désignation, au motif qu'aucun texte ne permettait au juge des tutelles de désigner un tiers pour suppléer à l'impossibilité de la personne protégée de consentir à son adoption. La Cour de cassation rejette le pourvoi contre cette décision, considérant que le consentement à l'adoption d'un majeur protégé à sa propre adoption constitue un acte strictement personnel, qui ne peut être donné en ses lieu et place par son tuteur et que le juge des tutelles peut seulement autoriser le majeur, sur le fondement de l'article 501 du Code civil (N° Lexbase : L3070ABC), à consentir lui-même à son adoption, éventuellement avec l'assistance de son tuteur ou de la personne qui en tient lieu. Toutefois, la Cour de cassation constate qu'en l'espèce, le majeur était incapable d'exprimer sa volonté. Elle en déduit que l'article 501 n'est pas applicable.

De la qualification d'acte strictement personnel qui anticipe sur l'entrée en vigueur de la réforme (I), il résulte donc l'impossibilité pour le majeur inapte à être adopté (II).

I - Le consentement à sa propre adoption : un acte strictement personnel avant l'heure

Adoption simple. L'adoption du majeur protégé ne peut s'entendre que d'une adoption simple, puisque, aux termes de l'article 345 du Code civil (N° Lexbase : L2853ABB), l'adoption plénière est réservée aux mineurs. Ses effets sont donc limités, cette forme d'adoption ne remettant pas en cause les liens de l'adopté avec sa famille d'origine, en l'occurrence son père. Les articles 360 (N° Lexbase : L2878AB9) et 361 (N° Lexbase : L6484DIY) du Code civil, relatifs à l'adoption simple, sont muets sur la place du consentement du majeur protégé. Néanmoins, on peut déduire de l'article 360, alinéa 2, qui exige le consentement du mineur de plus de treize ans à sa propre adoption, le caractère indispensable du consentement du majeur protégé.

Impossibilité de la représentation. La question doit alors être posée de savoir si le tuteur peut représenter le majeur protégé dans l'expression de son consentement, particulièrement lorsque, comme en l'espèce, l'altération des facultés mentales de la personne qui a justifié la mesure de protection est telle que cette dernière est inapte à consentir. A priori, les juges de cassation auraient pu admettre la compétence du représentant légal en la matière. Au contraire, dans l'arrêt du 8 octobre 2008, ils dénient la compétence du tuteur en raison de la nature strictement personnelle de l'acte en cause. Le futur article 458 du Code civil (N° Lexbase : L8442HWL) visant, expressément parmi les actes strictement personnels dont l'accomplissement ne peut jamais donner lieu à assistance ou à représentation, le consentement donné à sa propre adoption, la Cour de cassation a, en effet, logiquement, anticipé sur cette qualification légale. Elle en a, ensuite, non moins logiquement, déduit que ni le tuteur, ni la personne qui en tient lieu -qui pourrait être un tuteur ou un administrateur ad hoc- ne peut représenter la personne protégée dans l'expression de son consentement.

Nécessité du consentement. Le fait que l'article 458 du Code civil prévoit le consentement du majeur protégé à sa propre adoption lève le doute qui aurait pu persister sur la nécessité de ce consentement. Le consentement du majeur protégé est donc bien une condition substantielle de son adoption ce qui emporte de graves conséquences lorsqu'il se trouve dans l'impossibilité de consentir.

II - Les conséquences regrettables pour le majeur de son impossibilité de consentir

Capacité de consentir. Au regard du droit positif et jusqu'au 31 décembre 2008 on peut, tout d'abord, douter de la capacité du majeur protégé, réputé incapable pour tous les actes de la vie civile, de consentir à son adoption. Aucune disposition ne permet, en effet, de déroger au principe d'incapacité juridique qui frappe le majeur sous tutelle. La Cour de cassation rappelle ainsi que de lege lata, la matière personnelle n'échappe pas à l'incapacité conformément à sa jurisprudence du 18 janvier 1989 (2) selon laquelle les régimes civils d'incapacité ont pour objet tant la protection des biens de l'intéressé que celle de sa personne. Seul l'article 501 du Code civil permet au juge des tutelles d'accorder au majeur une capacité ponctuelle. Dans l'arrêt du 8 octobre 2008, la Cour de cassation admet que le juge des tutelles pourrait ainsi autoriser le majeur à consentir, seul ou avec l'assistance de son tuteur, à son adoption comme elle a admis, selon un raisonnement similaire, dans un arrêt du 4 juin 2007 (3), que le majeur sous tutelle puisse être autorisé à adopter un enfant. A compter du 1er janvier 2009, le recours à l'article 501 du Code civil ne sera plus nécessaire puisque la loi du 5 mars 2007 accorde au majeur protégé la capacité d'agir lui-même en matière personnelle (4). Les actes strictement personnels visés par l'article 458 seront accomplis par le majeur lui-même sans que le juge n'ait à donné son autorisation.

Aptitude à consentir. La reconnaissance de la capacité juridique du majeur de donner son consentement à sa propre adoption ne résout cependant pas la question de l'inaptitude à donner son consentement, laquelle se pose en réalité avant comme après l'entrée en vigueur de la réforme. La qualification d'acte strictement personnel emporte, en effet, d'une part, l'impossibilité de substituer une autre volonté à celle du majeur et, d'autre part, exige que les facultés mentales de celui-ci lui permettent d'exprimer son consentement. S'il n'est pas apte à consentir, comme c'était le cas en l'espèce, la jeune femme concernée n'étant "pas en mesure d'organiser un raisonnement, un jugement ou d'exprimer une volonté élaborée", l'acte est impossible. L'absence de consentement, comme le refus de consentir, empêche l'acte. Le majeur protégé ne peut pas être adopté par delà sa volonté et ce, même si cette volonté est inexistante. Il en résulte qu'en l'état du droit positif, nul ne peut adopter un handicapé mental inapte à consentir à son adoption sans que la réforme prochaine ne remédie à cette lacune. Il est, en effet, des cas où il peut être de l'intérêt du majeur protégé d'être adopté et les faits de l'espèce en sont certainement une illustration. L'adoption de la majeure sous tutelle par l'épouse de son père aurait, en effet, notamment permis de la faire bénéficier de dispositions successorales plus favorables.

Adoption impossible. L'adoption du majeur protégé semble être la seule hypothèse absolument tributaire de la volonté de l'intéressé et qui ne peut avoir lieu si celle-ci fait défaut. Les autres actes strictement personnels énumérés par l'article 458 du Code civil peuvent, en effet, être remplacés par d'autres techniques ou accomplis par d'autres personne ; ainsi l'impossibilité pour le majeur protégé de reconnaître son enfant n'empêche pas l'établissement contentieux de la filiation de ce dernier et certains mécanismes permettent de pallier l'impossibilité pour le parent inapte à exprimer sa volonté d'exercer l'autorité parentale (5). Par ailleurs, le futur article 459 du Code civil (N° Lexbase : L8443HWM), qui dispose que "hors les cas prévus à l'article 458, la personne protégée prend seule les décisions relatives à sa personne dans la mesure où son état le permet", organise dans ses alinéas 2, 3 et 4, l'assistance ou la représentation du majeur protégé qui n'est pas en état de consentir à l'acte, dans des conditions qui assurent la protection du majeur protégé. On peut sans doute regretter que l'adoption du majeur ne relève pas de cette dernière catégorie plutôt que de celle des actes strictement personnels. Cette qualification relève certes de l'intention louable de sauvegarder l'autonomie personnelle du majeur protégé mais elle témoigne de la difficulté à concilier le respect de la personne du majeur et les nécessités de sa protection. Elle révèle surtout l'hétérogénéité des situations relevant du champ d'application de la loi du 5 mars 2007 qui aurait sans doute, au moins sur la question particulière de l'adoption du majeur protégé, dû faire preuve d'une plus grande adaptabilité...


(1) TI Châlons sur Marne, 1er juin 1977, Gaz. Pal., 1978, 1, p. 175, note Decheix.
(2) Cass. civ. 1, 18 avril 1989, n° 87-18.475 (N° Lexbase : A3624CW7), JCP éd. G, 1990, II, 21467, note T. Fossier.
(3) Cass. civ. 1, 4 juin 2007, n° 05-20.243, Mme Nicole Nicolas-Rondel, FS-P+B (N° Lexbase : A5504DWR), D., 2007, p. 2327, obs. P. Chauvin, C. Creton ; RTDCiv., 2007, p. 547, obs. J. Hauser.
(4) L. Talarico, La personne du majeur protégé, Thèse Lyon III 2008 ; T. Fossier, La réforme des tutelles - La protection de la personne, AJFam., 2007, n° 4, p. 160.
(5) C. civ., art. 373 (N° Lexbase : L2903AB7).

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