La lettre juridique n°312 du 10 juillet 2008 : Famille et personnes

[Jurisprudence] Conditions de mise en oeuvre de la responsabilité des associations auxquelles sont confiés des mineurs pour les dommages causés par ceux-ci

Réf. : Cass. civ. 2, 19 juin 2008, n° 07-12.533, Société GAN assurances IARD, FS-P+B (N° Lexbase : A2186D9T)

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

le 07 Octobre 2010

En dépit des interventions répétées de la Cour de cassation, l'importance du contentieux relatif à la mise en oeuvre du principe général de responsabilité du fait d'autrui sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil (N° Lexbase : L1490ABS), ne se dément pas. Ainsi, près de quinze ans après l'admission, par l'arrêt "Blieck" de l'Assemblée plénière du 29 mars 1991 (1), en dehors des cas spéciaux du Code civil, d'une responsabilité du fait d'autrui sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, précisément, de nombreuses questions continuent de se poser, auxquelles la jurisprudence s'efforce, tant bien que mal, et au fur et à mesure, de répondre. Pour preuve, une fois encore, un arrêt de la deuxième chambre civile de la Cour de cassation en date du 19 juin 2008, à paraître au Bulletin. En l'espèce, un juge des enfants avait confié, pour une durée d'un an, à une association une mission d'assistance éducative en milieu ouvert à l'égard d'un mineur, avant que l'enfant ne soit, ensuite, confié à un tiers par une ordonnance aux fins de placement provisoire. Or, précisément, alors que l'enfant était auprès de ce tiers, il avait provoqué un incendie et endommagé l'immeuble occupé par sa famille d'accueil. L'assureur, qui avait indemnisé le propriétaire et les locataires du préjudice subi, avait assigné l'association en responsabilité et remboursement des sommes ainsi versées. Le pourvoi reprochait aux juges du fond d'avoir rejeté cette demande alors que, selon le moyen, la personne physique ou morale à qui le juge des enfants a confié la garde du mineur se voit transférer la garde juridique de ce mineur et est responsable sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil des actes accomplis par celui-ci tant qu'une décision judiciaire n'a pas suspendu ou mis fin à sa mission. La Cour de cassation rejette, cependant, le pourvoi, faisant valoir que l'association n'est pas responsable du dommage causé par le mineur alors qu'il avait été, au moment du dommage, confié à un tiers par une ordonnance aux fins de placement provisoire, et ce au motif que l'association "ne s'était vu confier qu'une mesure d'action éducative en milieu ouvert dont l'objet est d'apporter aide et conseil à la famille et de suivre le développement de l'enfant", une telle mesure n'étant "pas de nature à transférer à l'association tout ou partie de l'autorité parentale". Et la Cour d'ajouter que "lors des faits dommageables, [l'association] n'avait aucun pouvoir effectif de direction et de surveillance sur le mineur, dont elle ne pouvait contrôler le mode de vie". En somme, l'association, "qui n'était pas investie de la charge d'organiser, de diriger et de contrôler à titre permanent le mode de vie de ce mineur, ne pouvait être déclarée responsable des dommages causés par celui-ci".

Nul n'ignore plus que, à la suite de l'arrêt "Blieck" ayant déclaré civilement responsable des dommages causés par un handicapé mental une association ayant accepté la charge d'organiser et de contrôler, à titre permanent, le mode de vie de ce handicapé (2), la Cour de cassation a, non seulement, jugé que les associations auxquelles sont confiés par le juge des enfants des mineurs en danger par application de l'article 375 du Code civil (N° Lexbase : L8338HWQ) sont responsables des dommages causés par ceux-ci (3), mais aussi, donnant un élan certain à l'admission d'une responsabilité du fait d'autrui sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil, considéré que les associations sportives ayant pour mission d'organiser, de diriger et de contrôler l'activité de leurs membres au cours des compétitions sportives auxquelles ils participent sont responsables, au sens de ce texte, des dommages qu'ils causent à cette occasion (4). Et l'on sait que la Cour a même encore amplifié ce mouvement en décidant, pour retenir la responsabilité d'une association de majorettes pour le dommage causé par l'un de ses membres au cours d'une manifestation qu'elle avait organisée, qu'il n'y a pas lieu, pour mettre en oeuvre l'article 1384, alinéa 1er, de tenir compte de la dangerosité potentielle de l'activité exercée (5).

S'agissant du cas qui nous intéresse ici, celui de la responsabilité d'associations auxquelles sont confiés par le juge des enfants des mineurs en danger par application de l'article 375 du Code civil, on rappellera, comme le soutenait le pourvoi, qu'une association chargée par décision d'un juge des enfants, d'organiser et de contrôler à titre permanent le mode de vie d'un mineur est responsable de plein droit du fait dommageable commis par ce mineur, dès lors qu'aucune décision judiciaire n'a suspendu ou interrompu cette mission éducative (6). Mais encore faut-il, pour qu'il en aille ainsi, qu'elle se soit effectivement vue confier la mission "d'organiser et de contrôler à titre permanent le mode de vie d'un mineur". On remarquera que l'arrêt du 19 juin 2008 ajoute même, dans cette définition du pouvoir exercé sur autrui (autrement dit de la "garde" d'autrui), le pouvoir de "diriger" le mode de vie du mineur. Or, selon la Cour, ces pouvoirs de contrôle, de direction et d'organisation faisaient, en l'espèce, défaut, si bien que l'association ne pouvait pas être civilement responsable des dommages causés par le mineur : elle n'exerçait pas, au moment des faits dommageables, un pouvoir effectif de direction et de surveillance sur le mineur. Il y a là une dose de subtilité qui pourrait bien ne faire qu'ajouter au contentieux déjà existant, en introduisant dans ce que l'on tenait pour une définition juridique de la "garde" d'autrui des considérations plus matérielles.


(1) Ass. plén., 29 mars 1991, n° 89-15.231, Consorts Blieck (N° Lexbase : A0285AB8), Bull. civ. n° 1 ; JCP éd. G, 1991, II, 21673, concl. D.-H. Dontenwille, note J. Ghestin ; D., 1991, p. 324, note Ch. Larroumet ; RTDCiv., 1991, p. 541, obs. P. Jourdain ; Les grands arrêts de la jurisprudence civile, Dalloz, 11ème éd. par F. Terré et Y. Lequette, n° 218.
(2) Ass. plén., 29 mars 1991, préc..
(3) Cass. crim., 10 octobre 1996, n° 95-84.186 (N° Lexbase : A0906ACK), JCP éd. G, 1997, II, 22833, note F. Chabas ; Cass. crim., 26 mars 1997, n° 95-83.956 (N° Lexbase : A0528CKR), Bull. crim. n° 124, JCP éd. G, 1997, II, 22868, note F. Desportes, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, op. cit., n° 219 ; Cass. civ. 2, 9 décembre 1999, n° 97-22.268, Association Montjoie et autre c/ Groupe des assurances nationales (GAN) et autre (N° Lexbase : A5342AWR), Bull. civ. II, n° 189 ; Cass. civ. 2, 20 janvier 2000, n° 98-17.005, Mlle X c/ Mutuelle assurance des instituteurs de France (MAIF) et autre (N° Lexbase : A5508AWW), Bull. civ. II, n° 15 ; Cass. civ. 2, 6 juin 2002, n° 00-12.014, Association de la sauvegarde de l'enfance et de l'adolescence c/ Mme Elodie Dominguez, épouse Deberge, FS-P+B+R (N° Lexbase : A8500AYH), Bull. civ. II, n° 120, D., 2002, p. 2750, note Huyette ; Cass. civ. 2, 7 mai 2003, n° 01-15.607, Fabien Sdao c/ Association Foyer Matter, FS-P+B (N° Lexbase : A8259BSP), Bull. civ. II, n° 129 ; Cass. civ. 2, 7 octobre 2004, n° 03-16.078, Société Azur assurances c/ Mme Christiane Rivoallan, épouse Sallafranque, FS-P+B (N° Lexbase : A5763DDS), Bull. civ. II, n° 453.
(4) Cass. civ. 2, 22 mai 1995, deux arrêts, n° 92-21.197, Union des assurances de Paris (UAP) et autre c/ M. Rendeygues et autre (N° Lexbase : A7402ABR) et n° 92-21.871, Union sportive du personnel électricité gaz de Marseille c/ Fédération française de rugby et autres (N° Lexbase : A5655CIB), Bull. civ. II, n° 155, JCP éd. G, 1995, II, 22550, note J. Mouly, RTDCiv., 1995, p. 899, obs. P. Jourdain ; Cass. civ. 2, 3 février 2000, n° 98-11.438, Association Amicale sportive et culturelle d'Aureilhan c/ M. Dubarry et autre (N° Lexbase : A5426AWU), Bull. civ. II, n° 26, JCP éd. G, 2000, II, 10316, note J. Mouly.
(5) Cass. civ. 2, 12 décembre 2002, n° 00-13.553, Société Axa assurances IARD c/ Mlle Nathalie Yvon, FS-P+B (N° Lexbase : A4005A44), Bull. civ. II, n° 289, JCP éd. G, 2003, I, 154, n° 49, obs. G. Viney, RTDCiv., 2003, p. 305, obs. P. Jourdain ; Comp., sur la responsabilité d'une association de scouts, CA Paris, 9 juin 2000, Resp. civ. et assur., 2001, comm. 74, obs. L. Grynbaum.
(6) Cass. civ. 2, 6 juin 2002, préc. ; Cass. civ. 2, 7 mai 2003, préc..

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