Réf. : CE 3° et 8° s-s-r., 6 juin 2008, n° 299943, Union générale des syndicats pénitentiaires CGT (N° Lexbase : A9577D89)
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par Frédéric Dieu, Commissaire du Gouvernement près le tribunal administratif de Nice
le 07 Octobre 2010
Les personnes atteintes d'une affection médicale évolutive susceptible d'ouvrir droit à un congé de longue maladie ou de longue durée pourront, en conséquence, se porter candidates aux concours de l'administration pénitentiaire. Elles n'en seront exclues qu'en cas d'incompatibilité effective, compte tenu des traitements médicaux suivis, avec les fonctions auxquelles elles postulent. La compatibilité de l'état de santé d'un individu avec les fonctions auxquelles il postule doit ainsi être examinée au cas par cas et de manière dynamique, c'est-à-dire en tenant compte de l'évolution prévisible de la pathologie en cause.
I - Une appréciation concrète et relative de la condition d'aptitude physique
A - Si, depuis l'adoption du statut général de la fonction publique de 1983, aucune affection ne constitue, en elle-même, un obstacle absolu à l'exercice d'un emploi de la fonction publique...
La règle selon laquelle les candidats à la fonction publique doivent remplir les conditions d'aptitude physique exigées pour l'exercice de la fonction est traditionnelle. La jurisprudence a admis de longue date que l'administration pouvait poser cette exigence (CE, 12 janvier 1938, Pélissier, au Recueil p. 12). L'objectif de cette règle est clair : il s'agit d'éviter que ne soit entravée la continuité du service public. Ainsi que l'indiquait le commissaire du Gouvernement, M. Rougevin-Baville, dans ses conclusions sous une décision d'Assemblée du 24 janvier 1975 (CE Contentieux, 24 janvier 1975, n° 93052, Association française des hémophiles N° Lexbase : A6430B8N, au Recueil p. 52, RTDSS, 1975, p. 381) : "indépendamment des charges financières qu'ils feraient peser sur les contribuables, de tels recrutements sont évidemment préjudiciables à la bonne marche des services publics, car il n'est pas toujours possible de remplacer du jour au lendemain un agent" et M. Rougevin-Baville d'ajouter avec un certain humour : "Il n'est pas évident qu'il faille identifier l'Etat-employeur et l'Etat chargé de la protection sociale des citoyens, ni que cette protection puisse être obtenue de manière valable en remplissant les bureaux de podagres et de valétudinaires". De manière plus laconique, R. Chapus résume ainsi les choses : "On ne saurait confier une fonction, publique ou privée, à une personne physiquement incapable de l'exercer" (Droit administratif général, tome II, § 172, Montchrestien, 2001).
L'ancien statut de la fonction publique fixé par l'ordonnance du 4 février 1959 exigeait, ainsi, que le candidat fût reconnu indemne de toute affection tuberculeuse, cancéreuse ou nerveuse (article 16) ou de poliomyélite (décret n° 59-310 du 14 février 1959, art. 36-3° et 13 N° Lexbase : L1131G8E). S'agissant, plus précisément, de la tuberculose, le Conseil d'Etat avait jugé, sous l'empire de l'article 51 de la loi du 30 mars 1929 qui contenait la même règle, que l'interdiction du recrutement d'un candidat atteint d'une telle affection était absolument générale et s'appliquait, notamment, aux bénéficiaires des lois sur les emplois réservés (CE, 4 février 1938, De Barberis, au Recueil p. 130). L'ordonnance du 4 février 1959 précisait, en outre, que, si le candidat avait souffert d'une affection tuberculeuse, cancéreuse ou nerveuse, il devait apporter la preuve qu'il était définitivement guéri au moment de son entrée dans la fonction publique. Enfin, l'article 13 du décret n° 59-310 du 14 février 1959 prévoyait que, pour un certain nombre de maladies limitativement énumérées (notamment, lèpre, maladie cérébro-vasculaire, sclérose en plaques, maladie de Parkinson, infarctus du myocarde, spondylite ankylosante, troubles neuro-vasculaires, polyarthrite chronique évolutive), les candidats devaient produire un certificat médical attestant qu'ils se trouvaient dans une période de rémission durable. Quant aux autres candidats, ils devaient produire un certificat médical attestant qu'ils n'étaient atteints d'aucune infirmité incompatible avec l'exercice des fonctions correspondant à l'emploi postulé.
Au total, l'ancien statut de la fonction publique se distinguait donc par l'exclusion absolue de certains candidats (ceux atteints d'une affection tuberculeuse, cancéreuse ou nerveuse ou de poliomyélite, quel que soit le stade de cette affection), ainsi que par la fixation d'une liste limitative de maladies en principe, c'est-à-dire a priori incompatibles avec l'exercice d'un emploi dans la fonction publique, mais dont la compatibilité avec un tel emploi pouvait être reconnue si l'intéressé se trouvait en état de rémission. Eu égard à la progression lente des sciences médicales, l'ancien statut de la fonction publique pouvait, ainsi, être centré sur la pathologie du candidat plus que sur l'emploi qu'il avait vocation à exercer. Par la suite, l'évolution beaucoup plus rapide de ces sciences a conduit à rendre curables de nombreuses maladies autrefois fatales et a rendu impossible toute exclusion de principe de candidats atteints de certaines maladies. C'est pourquoi l'actuel statut général de la fonction publique est désormais centré, non plus sur une telle exclusion, mais sur l'adéquation de l'état de santé du candidat avec l'emploi qu'il a vocation à exercer.
Le statut général de 1983-1984 n'a donc pas repris la règle du statut de 1959 qui exigeait des candidats à la fonction publique qu'ils fussent reconnus indemnes de toute affection tuberculeuse, nerveuse, cancéreuse ou poliomyélitique, ou définitivement guéris. La loi du 13 juillet 1983 a, ainsi, abandonné cette énumération qui paraissait stigmatiser des affections particulières dont la gravité était en réalité très variable et, en outre, relative à l'emploi postulé. L'article 5 de cette loi se borne donc à poser le principe selon lequel nul ne peut avoir la qualité de fonctionnaire "s'il ne remplit les conditions d'aptitude physique exigées pour l'exercice de la fonction compte tenu des possibilités de compensation du handicap". Le principe est, ainsi, également posé d'une possibilité de compenser l'inadaptation à l'emploi qu'entraîne l'affection dont est atteint le candidat. La notion d'aptitude physique est, cependant, à prendre dans son sens le plus général. Ainsi, une inaptitude d'ordre psychiatrique constitue une inaptitude physique et peut justifier légalement un refus de titularisation à condition que les faits soient matériellement établis (CAA Nantes, 7 mars 1996, n° 94NT00609, Lelong N° Lexbase : A0833BHC, aux Tables pp. 961 et 963). Plus généralement, le principe n'est donc plus que certaines maladies sont absolument ou en principe incompatibles avec un emploi dans la fonction publique, mais que toutes les maladies sont, en principe, c'est-à-dire a priori, compatibles avec un tel emploi.
Ajoutons que l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984, relative à la fonction publique de l'Etat (N° Lexbase : L4930AH3), de même que l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984, relative à la fonction publique territoriale (N° Lexbase : L6968AHK), donnent, désormais, des conditions d'octroi d'un congé de longue maladie une définition concrète et non pas limitée à certains maux : il n'est donc plus fait référence à une liste limitative d'affections mais à certains critères auxquels la maladie doit correspondre (la loi exige que la maladie mette l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions, rende nécessaire un traitement et des soins prolongés et présente un caractère invalidant et de gravité confirmée). Enfin, diverses règles sont fixées par le décret n° 86-442 du 14 mars 1986, relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime des congés de maladie des fonctionnaires, décret plusieurs fois modifié (par le décret n° 89-396 du 14 juin 1989 N° Lexbase : L3261H8B et le décret n° 2000-610 du 28 juin 2000 N° Lexbase : L3260H8A). L'article 20 de ce texte prévoit, ainsi, que les candidats à l'entrée dans la fonction publique doivent fournir un certificat établi par un médecin agréé, l'administration pouvant imposer une contre-visite par un autre médecin agréé : ce certificat doit attester que l'intéressé n'est atteint d'aucune maladie ou infirmité, ou que les maladies ou infirmités constatées, qui doivent être indiquées à son dosser médical, ne sont pas incompatibles avec l'exercice des fonctions postulées. Le décret du 14 mars 1986 prévoit, également, que, lorsque les avis médicaux sont contestés soit par l'intéressé, soit par l'administration, le comité médical (ministériel ou départemental) est saisi.
B - ...la jurisprudence, examinant les conséquences que peut emporter l'affection en cause sur l'emploi postulé, permet à l'administration d'écarter certains candidats en raison de l'affection dont ils sont atteints
Bien qu'il soit parfois délicat d'apprécier ce que sont les handicaps (naturels ou résultant de maladie ou accidents) de nature à faire obstacle à l'occupation normale d'un emploi, et sans doute pour éviter de laisser à l'administration une marge de manoeuvre trop importante, le juge administratif exerce son contrôle normal sur la qualification juridique des faits, c'est-à-dire vérifie si le handicap considéré est effectivement de nature à faire obstacle à l'exercice de la fonction postulée. Il a eu, ainsi, l'occasion de préciser qu'un ministre avait pu légalement refuser d'intégrer dans le cadre des employés de bureau dactylographes une personne atteinte de surdité (CE, 6 février 1952, Cazarre, au Recueil p. 87). De même, est légale la décision d'un préfet de police estimant incompatible une scoliose avec l'exercice de fonctions relevant des services actifs de la police (CE, 16 octobre 1991, n° 105116, Préfet de police Paris c/ Callo N° Lexbase : A2367AR4). Le Conseil d'Etat a, cependant, jugé que la cécité n'était pas un obstacle aux fonctions de l'enseignement supérieur (CE, 25 juillet 1952, Loubeyre, au Recueil p. 397, Dalloz, 1953, jurispr., p. 5, conclusions Guionin) et que le fait d'être doté d'un avant-bras artificiel était compatible avec les obligations de service d'un inspecteur des postes et télécommunications (CE, 6 avril 1979, n° 9510, Picot N° Lexbase : A9537AI3, aux Tables p. 768, AJDA, 20 juillet 1979, p. 41, note S. S., RDP, 1979, p. 1499).
En revanche, et cela souligne l'examen par le juge, non pas de la gravité intrinsèque de l'affection en cause mais de l'adéquation ou de l'inadéquation de cette affection avec l'emploi postulé, l'amputation du bras droit provoque l'inaptitude à exercer les fonctions de chef de service d'une maternité (CE Section, 12 novembre 1965, n° 57650, Daveo N° Lexbase : A8898B7P, au Recueil p. 610). De même, si le fait d'être hémophile ne peut être une cause d'exclusion de principe de la fonction publique (CE Assemblée, 24 janvier 1975, Association française des hémophiles, précité), une telle affection peut constituer une cause d'exclusion d'espèce, lorsqu'elle concerne par exemple une personne postulant à un emploi hospitalier.
Ajoutons que le juge administratif contrôle bien sûr l'exactitude matérielle des faits et vérifie, ainsi, si l'aptitude physique justifie le report de la nomination d'un préposé (CE, 19 mars 1993, n° 104810, Ministre des Postes et Télécommunications c/ Roudaut N° Lexbase : A9776AMZ). Par ailleurs, le licenciement d'un stagiaire de la fonction publique est illégal lorsque cette décision est prise après un avis du comité médical déclarant apte l'intéressé, même si précédemment ce comité avait émis un avis contraire (CE, 25 novembre 1992, n° 117460, Commune de Pernois c/ Lemaire N° Lexbase : A8502ARC). En outre, le Conseil d'Etat a précisé qu'il n'appartenait pas au jury d'apprécier l'aptitude physique d'un candidat à un concours (CE, 21 janvier 1991, n° 103427, Stickel N° Lexbase : A9810AQE, au Recueil p. 21). Enfin, soulignons qu'il n'existe aucune règle particulière en ce qui concerne l'affection du SIDA : l'appréciation du juge est la même que celle à laquelle il se livre pour les autres affections (cf., à cet égard, O. Schrameck, Le SIDA et la fonction publique, AJDA, 1988, p. 270). Ainsi, si les conditions d'accès peuvent prévoir un test de dépistage, la CJCE estime qu'en vertu de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (N° Lexbase : L4798AQR), garantissant le droit au respect de la vie privée, le candidat est libre de refuser de s'y soumettre (CJCE, 5 octobre 1994, aff. C-404/92, M. X. N° Lexbase : A0030AWZ D., 1995, jurisp., p. 421, note Clergerie).
Plus récemment, le Conseil d'Etat a explicité sa conception de la condition d'aptitude physique qui est fondée sur une appréciation concrète et relative (à l'emploi postulé) de l'affection en cause. Le Conseil d'Etat rappelle que l'appréciation de l'aptitude physique des candidats à un concours se fait au cas par cas et que, "si l'administration peut, dans son appréciation de l'état de santé d'un candidat à un emploi public, prendre en compte les séquelles possibles d'une intervention chirurgicale" (en l'espèce, une ligamento-plastie au genou), "elle ne saurait se référer dans cette appréciation à des statistiques d'ensemble, sans procéder à un examen particulier pour chaque candidat des conséquences prévisibles de l'opération subie et de leur incidence sur son aptitude à remplir les fonctions auxquelles il postule" (en l'espèce, gardien de la paix). Le Conseil d'Etat a, ainsi, annulé le refus qu'avait opposé le préfet au requérant, lequel n'avait gardé aucune séquelle de l'opération subie (CE, 29 décembre 1995, Ministre de l'intérieur, précité). Au total, il n'y a donc pas place, en ce qui concerne l'examen de la condition d'aptitude physique prévue pour l'entrée dans la fonction publique, pour une appréciation abstraite de la pathologie en cause, c'est-à-dire, d'une part, générale et non reliée à l'état de santé particulier du candidat et donc à la traduction concrète et individuelle de la pathologie et, d'autre part, absolue et non relative aux conséquences pratiques de cette pathologie sur la capacité du candidat à exercer l'emploi auquel il postule.
II - La décision du 6 juin 2008 retient un critère temporel et matériel d'appréciation des conséquences de l'affection sur l'emploi postulé et affirme le caractère dynamique de cette appréciation
A - La fixation d'un critère temporel et matériel d'appréciation
Dans sa décision en date du 6 juin 2008, le Conseil d'Etat indique que l'appréciation des conditions d'aptitude physique particulières (conditions prévues par l'article 22 du décret du 14 mars 1986), pour l'admission dans des corps de fonctionnaires, ne peut porter "que sur la capacité de chaque candidat, estimée au moment de l'admission, à exercer les fonctions auxquelles ces corps donnent accès". Le Conseil d'Etat fixe, ainsi, un double critère temporel et matériel d'appréciation des conséquences de l'affection sur l'emploi postulé. Selon le critère temporel d'appréciation, c'est au moment de l'admission, et non au moment de l'admissibilité, ou au moment encore antérieur de la présentation d'un dossier de candidature ou de l'inscription à l'examen permettant l'entrée dans l'emploi en cause, que doit s'effectuer la prise en compte de l'affection dont est atteint l'intéressé. Cela a donc pour conséquence, selon nous, que l'administration ne peut empêcher un candidat présentant une affection qu'elle estime incompatible avec l'emploi proposé de présenter sa candidature ou de concourir. C'est donc seulement dans le cas où l'intéressé a passé avec succès les épreuves d'admissibilité, et est en passe d'être admis, que l'administration pourra lui opposer l'incompatibilité de l'affection dont il est atteint avec l'emploi en cause.
Par ailleurs, le Conseil d'Etat confirme le critère d'appréciation matériel dont il fait application pour examiner le respect de la condition d'aptitude physique pour l'entrée dans la fonction publique : l'appréciation de l'état de santé du candidat doit être individuelle et concrète, et non pas fondée sur une prise en compte abstraite de la pathologie dont il est atteint, cette appréciation devant être effectuée au regard et en fonction de l'emploi auquel il postule. Le Conseil d'Etat précise ainsi, en ce qui concerne le premier point, qu'il doit être fait référence "à l'état de santé du candidat et aux traitements suivis par lui, au moment de l'admission". L'évidence vaut d'être rappelée : ce n'est pas telle ou telle pathologie qui peut faire obstacle à l'entrée dans la fonction publique, mais les conséquences d'une pathologie sur l'état de santé de tel ou tel candidat. La décision du 6 juin 2008 confirme, ainsi, qu'aucune pathologie ne peut être considérée comme une cause d'exclusion absolue de la fonction publique et qu'en la matière tout est affaire d'espèce, c'est-à-dire de répercussions concrètes d'une pathologie sur un individu déterminé et de compatibilité de ces répercussions avec l'emploi postulé par cet individu.
Ainsi donc que le soulignait le commissaire du Gouvernement, M. Rougevin-Baville, dans ses conclusions sous une décision d'Assemblée du 24 janvier 1975 (Association française des hémophiles, précité) : "aucune des affections donnant droit à congé de longue maladie n'est par elle-même et in abstracto incompatible avec l'exercice de toute fonction publique : il n'y a donc pas de place pour une exclusion ou une restriction de principe, mais seulement pour l'appréciation in concreto de l'aptitude physique de chaque candidat à l'emploi précis qu'il postule".
Cette solution est d'ailleurs cohérente avec l'obligation qu'a l'Etat employeur, obligation qu'il partage avec les employeurs privés, de recruter une proportion minimale de travailleurs handicapés, proportion fixée à 6 % par l'actuel article L. 5212-2 du Code du travail entré en vigueur le 1er mai 2008 . Ainsi, les handicapés reconnus comme tels par les Commission techniques d'orientation et de reclassement professionnel (COTOREP) peuvent être engagés comme contractuels pour une période d'un an renouvelable, après quoi ils seront titularisés s'ils ont manifesté leur aptitude à l'exercice de leur fonction : dans cette hypothèse, les conditions ordinaires d'aptitude physique sont écartées et la candidature aux concours ne peut être refusée que si la COTOREP déclare le handicap incompatible avec l'emploi. Précisons que pour les personnes atteintes d'un taux d'incapacité égal ou supérieur à 80 %, des expériences d'insertion professionnelle peuvent être réalisées, ainsi que des aménagements de poste. Sous l'empire de l'ancienne loi du 30 juin 1975 d'orientation en faveur des personnes handicapées (loi n° 75-534, 30 juin 1975 N° Lexbase : L6688AGS), le Conseil d'Etat a indiqué que la commission devait tenir compte de ces éléments : aussi ne peut-elle écarter la candidature d'un invalide à 80 % pour déficience visuelle lorsque les stages effectués ont démontré sans doute possible la capacité de ce candidat professeur à assumer ses fonctions avec un appareil de lecture informatique et l'assistance d'une tierce personne (CE, 29 juillet 2002, n° 238516, M. Houama N° Lexbase : A9948B8X, aux Tables). On le voit donc, la logique est ici la même que pour les candidats non handicapés : loin de se prononcer sur un handicap en tant que tel, le juge tient, en effet, essentiellement compte de la compatibilité du handicap en cause avec l'emploi postulé et de la possibilité dont dispose ou non l'intéressé de compenser ce handicap par l'utilisation de certaines techniques.
B. Une appréciation dynamique de l'affection dont peut être atteint le candidat à un emploi dans la fonction publique
La décision du Conseil d'Etat en date du 6 juin 2008 est, en outre, remarquable en ce qu'elle indique que "si l'appréciation de l'aptitude physique à exercer ces fonctions peut prendre en compte les conséquences sur cette aptitude de l'évolution prévisible d'une affection déclarée, elle doit aussi tenir compte de l'existence de traitements permettant de guérir ou de bloquer son évolution". Le Conseil d'Etat explicite, ainsi, l'appréciation dynamique à laquelle doit se livrer le juge administratif lorsqu'il est amené à examiner la légalité d'une décision administrative écartant une personne d'un emploi dans la fonction publique en raison de l'affection dont il est atteint : cette appréciation dynamique complète, et compense également, l'application d'un critère temporel strict selon lequel l'appréciation des conditions d'aptitude physique doit être faite au moment de l'admission. En effet, il appartient, de plus, au juge de se livrer à une double anticipation puisqu'il lui revient, non seulement d'anticiper l'évolution de la pathologie mais aussi d'anticiper les résultats prévisibles qu'auront les traitements suivis par l'intéressé, au moment de l'admission, sur cette évolution. Sur ce second point, il faut souligner que c'est au candidat qu'il appartient de prouver qu'il suit un ou plusieurs traitements contre la pathologie en cause au moment de l'admission : à défaut d'apporter une telle preuve, le juge ne pourra, en effet, tenir compte des résultats prévisibles de ce (ou ces) traitement(s) sur cette pathologie, puisque le requérant ne pourra s'en prévaloir.
Là encore, l'appréciation du juge est concrète et non pas abstraite : il n'a pas à examiner les conséquences que peut avoir un traitement qui, au moment de son admission, n'est pas suivi par le candidat ; autrement dit, pour prouver son aptitude à exercer l'emploi postulé, celui-ci ne peut se prévaloir que du traitement qu'il suit en pratique au moment de la postulation, et il ne peut se prévaloir d'un traitement qu'il envisage de prendre une fois qu'il aura été admis à entrer dans la fonction publique.
Dès lors que cette condition est remplie, le juge administratif doit se livrer à une anticipation équilibrée et si l'on peut dire "contradictoire" de l'avenir puisqu'il doit anticiper aussi bien une éventuelle aggravation de la pathologie qu'une éventuelle amélioration de l'état de santé du candidat, avant de réaliser une sorte de bilan entre ces deux tendances : dès lors que le bilan est favorable à l'amélioration de l'état de santé, c'est-à-dire dès lors que la pathologie de l'intéressé a plus de chances d'être guérie ou stoppée que de s'aggraver, le juge pourra estimer que la condition d'aptitude physique est remplie. En revanche, dans le cas où aucune amélioration ni stabilisation de l'état de santé du candidat n'est à prévoir, soit que le traitement qu'il suit ne puisse enrayer l'aggravation de sa pathologie, soit qu'il ne suive aucun traitement destiné à contrer cette pathologie au moment de son admission, il est probable que le juge administratif estimera que la condition d'aptitude physique n'est pas remplie.
Ainsi, si l'existence de la pathologie et d'un éventuel traitement destiné à la juguler doit être appréciée au moment de l'admission, il n'en est pas de même pour la gravité relative de cette pathologie et l'efficacité relative de ce traitement. Autrement dit, pour apprécier la gravité relative de cette pathologie et l'efficacité relative de ce traitement, le juge doit faire un saut dans l'avenir et se placer, ainsi, à un horizon indéterminé, en tout cas postérieur à la décision prise par l'administration d'admettre ou de ne pas admettre l'intéressé dans un emploi de la fonction publique. Ce raisonnement est logique : l'existence d'une pathologie et d'un traitement ne peut, en effet, donner lieu à interprétation ou projection, elle est ou n'est pas ; en revanche, l'aggravation, la stabilisation ou l'amélioration de l'état de santé de l'intéressé peuvent et doivent donner lieu à interprétation et projection, puisqu'elles relèvent et résultent toutes trois de simples hypothèses.
Ce raisonnement n'est, en outre, pas nouveau puisque le Conseil d'Etat et la cour administrative d'appel de Lyon avaient déjà estimé que l'administration ou le juge administratif, ce dernier pouvant à cet égard se fonder sur le rapport d'un expert désigné par lui, pouvait anticiper l'effet prévisible et inévitable que l'exercice des fonctions aurait sur la santé de l'agent, et refuser sa nomination sur un poste déterminé, lorsque l'aggravation progressive de son état de santé était certain et le rendrait inapte à exercer ses fonctions (cf., respectivement, CE 29 décembre 1995, précité et CAA Lyon, 3 décembre 1996, n° 95LY00132, Youssoufian N° Lexbase : A8955BEE, aux Tables p. 961 : la Cour relève que, "contrairement à ce que soutient le requérant, l'expert n'a pas outrepassé les limites de sa mission en étendant son examen aux conséquences dans le temps des efforts physiques que requiert l'exercice de la profession de préposé sur l'état de santé de l'intéressé").
L'intérêt de la décision du 6 juin 2008 est, cependant, d'affirmer nettement qu'une telle anticipation est un devoir et non une possibilité pour l'administration et pour le juge. Il est vraisemblable que cette obligation amènera ce dernier à recourir aux services d'un expert seul à même d'examiner l'interaction entre l'évolution propre de la pathologie et l'efficacité des traitements suivis par le candidat, ce qui aura probablement pour effet de rallonger les délais de jugement.
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