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N5249BGI
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le 07 Octobre 2010
Texte :
Le projet de loi baptisé "création et internet" reprend les termes de l'accord conclu le 23 novembre 2007 à l'Elysée, sur la base du rapport "Olivennes", entre l'Etat, les principaux fournisseurs d'accès à internet et les représentants de l'audiovisuel, du cinéma et de la musique. Il a essentiellement pour objet de garantir l'équilibre des droits de chacun : d'une part, le droit de propriété et le droit moral des créateurs et, d'autre part, la protection de la vie privée des internautes.
Le projet de loi prévoit la création d'une autorité administrative indépendante, la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI) et la mise en place de sanctions graduées à l'encontre des internautes qui téléchargent illégalement des contenus sur Internet.
1. Création de la HADOPI
Le projet de loi institue la HADOPI, autorité administrative indépendante, dont la composition et le fonctionnement font l'objet de multiples garanties d'indépendance, d'impartialité et de confidentialité.
Le projet de loi détaille les principales missions de la HADOPI qui consistent notamment à veiller à la prévention et éventuellement, à la sanction du piratage des oeuvres protégées et à assurer la régulation des mesures techniques de protection et d'identification des oeuvres protégées.
2. Mise en place de sanctions graduées
Le projet de loi vise essentiellement à détourner les ayants droit et les internautes de la voie pénale, le seul recours actuellement offert aux entreprises consistant à invoquer le délit de contrefaçon. Désormais, la lutte contre les pirates sera davantage pédagogique puisque deux avertissements précèderont toute sanction.
Le premier avertissement de la HADOPI prendra la forme d'un courriel et le second d'une lettre recommandée, de façon à s'assurer que l'abonné a bien pris connaissance et conscience du manquement reproché. En cas de renouvellement du manquement, les sanctions encourues par les internautes prendront la forme d'une suspension d'abonnement pour une durée de trois mois à un an, forme moins répressive que les sanctions pénales actuelles, qui peuvent atteindre jusqu'à 3 ans de prison et 300 000 euros d'amende.
En outre, le projet de loi permet aux internautes de réduire la durée de suspension de leur abonnement internet en acceptant une transaction par laquelle ils s'engagent à ne plus renouveler leur comportement.
Par ailleurs, dans le cas des entreprises pour lesquelles la suspension de l'abonnement à internet aurait des effets excessifs, le projet de loi prévoit une mesure alternative. L'employeur sera, en effet, invité par la HADOPI à installer des "pare-feux" empêchant le piratage par les salariés à partir des accès à internet de l'entreprise.
Enfin, le recours au juge restera possible, mais il s'inscrira en complémentarité du nouveau dispositif. Il servira à traiter le cas des fraudeurs massifs qui se livrent au piratage dans un but lucratif ou encore qui développent des techniques destinées à permettre le piratage. Les sanctions prononcées unilatéralement par la HADOPI pourront également faire l'objet d'un recours en annulation ou en réformation devant le juge judiciaire.
Commentaire :
Le projet de loi a pour ambition de faire cesser l'hémorragie des oeuvres culturelles sur internet et de créer le cadre juridique indispensable au développement de l'offre légale de musique, de films et, plus généralement, de programmes audiovisuels.
Le projet de loi va ainsi prendre le relais de la loi n° 2006-961 du 1er août 2006, relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information (DADVSI) (N° Lexbase : L4403HKB), la ministre de la Culture et de la Communication estimant que cette loi a été un échec car elle n'a pas été assez efficace face aux téléchargements illégaux d'oeuvres.
En raison de l'embouteillage législatif, le projet de loi qui devait être présenté au Parlement cet été, sera vraisemblablement examiné à l'automne.
Les réactions sur ce projet de loi sont mitigées.
Selon le directeur général du syndicat national des éditeurs phonographiques, le projet de loi pourrait "permettre de stopper la chute, d'environ 15 à 20 % par an, des ventes de disques" et de "développer considérablement l'offre légale de musique".
A l'inverse, l'association de consommateurs UFC Que Choisir a affirmé que le projet de loi contre le piratage sur internet est "un projet monstrueux conçu par les marchands de disques pour leur intérêt exclusif". L'UFC Que Choisir dénonce un système "inefficace et très coûteux" et dans lequel "il sera quasiment impossible de déterminer avec certitude que la personne accusée est bien la personne qui a téléchargé. Imposer en 2008 la suspension de la connexion haut débit pour toute une famille alors qu'internet est en passe de devenir un service universel, c'est-à-dire jugé essentiel au même titre que l'électricité, est une bourde monumentale". L'UFC Que Choisir prépare une mobilisation contre ce texte dès la rentrée.
Faits :
La société Hermès International a constaté la vente de sacs contrefaisant certaines de ses marques figuratives et semi-figuratives sur le site d'enchères en ligne exploité par les sociétés eBay France et eBay International.
Des opérations de saisies, effectuées au cours de l'année 2006, ont révélé qu'une utilisatrice, Madame F., achetait et revendait de manière habituelle et consciente des contrefaçons de sacs Hermès sur le site d'enchères en ligne exploité par eBay.
A la suite d'un constat d'huissier effectué le 17 octobre 2006 et de diverses dénonciations par Hermès du caractère manifestement illicite de ces annonces, dénonciations restées sans effet, Hermès a assigné le 26 septembre 2007 devant le TGI de Troyes, les sociétés eBay et l'utilisatrice en question, Madame F., pour contrefaçon de plusieurs de ses marques figuratives et semi-figuratives.
Hermès a demandé au TGI de Troyes de juger que Madame F. et les sociétés eBay se sont rendues coupables d'actes de contrefaçon de certaines marques détenues par Hermès.
Reconnaissant les faits pour lesquels elle était poursuivie, Madame F. demandait simplement au TGI de rejeter les demandes de dommages et intérêts de Hermès à son encontre.
Pour leur défense, les sociétés eBay considéraient, non seulement, que Hermès n'avait pas qualité à agir à son encontre, mais surtout que leur responsabilité ne pouvait être engagée dans la mesure où les sociétés eBay étaient uniquement hébergeurs du site internet. En cette qualité, elles ne pouvaient donc pas voir leur responsabilité engagée au regard des contenus mis en ligne à défaut de notification du caractère manifestement illicite des annonces dans les formes prescrites par la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) (N° Lexbase : L2600DZC)
Décision :
Le TGI de Troyes a, le 4 juin 2008, retenu la responsabilité de Madame F. et des sociétés eBay pour actes de contrefaçon et les a ainsi condamnées in solidum à payer à Hermès la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Le TGI de Troyes a considéré que Madame F., en offrant à la vente des sacs et des accessoires de marque Hermès sur le site www.ebay.fr, et les sociétés eBay, en ne veillant pas, dans la mesure de leurs moyens, à l'absence d'utilisation dudit site internet à des fins répréhensibles, avaient commis des actes de contrefaçon, par reproductions et imitations, au préjudice de Hermès.
Le TGI a estimé que la responsabilité des sociétés eBay devait être engagée d'une part, en leur qualité non-contestée d'hébergeurs et, d'autre part, en leur qualité d'éditeurs de services de communication en ligne.
Le TGI a exclu toute prétention fondée sur la qualification d'éditeur de contenus au sens donné par la LCEN dans la mesure où aucun élément ne démontrait que les sociétés eBay avaient opéré "un choix éditorial sur les contenus hébergés".
Cependant, le TGI a relevé que "en tant qu'elles mettent à disposition des vendeurs des outils de mise en valeur du bien vendu, organisent des cadres de présentation des objets sur leur site en contrepartie d'une rémunération, et créent les règles de fonctionnement et l'architecture de leur site d'enchères, les sociétés eBay doivent être considérées comme des éditeurs de services de communication en ligne à objet de courtage". C'est donc sur le régime de cette qualité "qui ne recoupe pas celui d'éditeur de contenus" que le TGI a, également, engagé la responsabilité des sociétés eBay pour contrefaçon de marques et les a condamnées à payer la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts.
Commentaire :
Les décisions relatives à la qualification d'un exploitant d'une plate-forme de partage en ligne se sont multipliées. Depuis quelques mois, la jurisprudence a confirmé la qualification d'hébergeur attribuée aux exploitants de telles plates-formes en ligne (notamment, dans deux jugements du tribunal de grande instance de Paris du 15 avril 2008, affaire "Lafesse" N° Lexbase : A4124D8A et affaire "Omar et Fred", cf. Bulletin d'actualités Clifford Chance - Département Communication Média & Technologies - Mai 2008, Lexbase Hebdo n° 308 du 12 juin 2008 - édition privée générale N° Lexbase : N2541BG9).
Or, le TGI de Troyes, dans cette décision du 4 juin 2008, ouvre une nouvelle voie permettant d'engager la responsabilité des exploitants de plateformes de courtage en ligne en retenant que "dans la gestion de son service de courtage en ligne, eBay assume deux rôles différents : hébergeur et éditeur de services de communication en ligne".
C'est, à notre connaissance, la première fois qu'un tribunal distingue les notions d'éditeur de contenus et d'éditeur de services de communication en ligne, et soumet ce dernier à une obligation de moyens de surveillance.
En l'espèce, les sociétés eBay engagent leur responsabilité en cette qualité d'éditeur de services de communication en ligne pour ne pas avoir satisfait à leur obligation de veiller à l'absence d'utilisation de leur site internet à des fins répréhensibles. Cette décision semble établir une nouvelle obligation de surveillance pour les exploitants de courtage en ligne, obligation qui semble quelque peu se cumuler avec l'obligation de surveillance mise à la charge des hébergeurs pour tout contenu notifié comme manifestement illicite dans les formes prescrites par la LCEN (T. com., Paris, 20 février 2008, Flach Film c/ Google, et lire Bulletin d'actualités Clifford Chance - Département Communication Média & Technologies - Avril 2008, Lexbase Hebdo n° 304 du 15 mai 2008 - édition privée générale N° Lexbase : N8980BEC).
Les sociétés eBay viennent également d'être condamnées par le tribunal de commerce de Paris, par trois décisions en date du 30 juin 2008, au paiement de la somme de 40 millions d'euros à l'égard de LVMH, Christian Dior Couture et quatre des filiales parfums de LVMH (Dior, Guerlain, Givenchy et Kenzo) du fait d'avoir permis aux internautes, en connaissance de cause, de vendre sur leurs sites des produits contrefaits, faux sacs, bâtons de rouge à lèvres, flacons de parfum ou encore vêtements de prêt-à-porter (T. com., Paris, 30 juin 2008, 3 jugements, aff. n° 2006065217, SA Parfums Christian Dior et autres c/ eBay Inc. N° Lexbase : A4241D9X, aff. n° 2006077799, SA Louis Vuitton Malletier c/ eBay Inc. N° Lexbase : A4242D9Y et aff. n° 2006077807, Société Christian Dior Couture c/ eBay Inc. N° Lexbase : A4243D9Z).
Les sociétés eBay ont fait appel de ces deux décisions.
(note à l'attention des lecteurs : le prochain Bulletin d'actualités Clifford Chance - Département Communication Média & Technologies paraîtra courant octobre en raison de la trêve estivale)
Marc d'Haultfoeuille
Avocat associé
Département Communication Média & Technologies
Cabinet Clifford Chance
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