Réf. : Loi n° 2008-596 du 25 juin 2008, portant modernisation du marché du travail (N° Lexbase : L4999H7B)
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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen
le 07 Octobre 2010
La suppression du CNE intervient à la suite de plusieurs décisions de justice qui ont mis en doute sa conformité avec la convention n° 158 de l'OIT, dans le prolongement du rapport BIT rendu public en 2007, alors même que la doctrine était très divisée (1).
I - Polémiques et contentieux du CNE
Le Conseil d'Etat a jugé, dans une décision rendue le 19 octobre 2005 (2), que le CNE était conforme aux exigences posées par la Convention OIT n° 158, car l'article 2 de la convention OIT n° 158 permet aux Etats membres d'exclure de son champ d'application les salariés qui effectuent une période d'essai ou qui n'ont pas l'ancienneté requise, à condition que la durée fixée soit raisonnable. Le Conseil d'Etat a estimé qu'en l'espèce, la durée de deux ans était raisonnable, eu égard à l'objectif poursuivi par le CNE de réduction rapide du chômage.
Mais, le Conseil de prud'hommes de Longjumeau avait écarté l'application de l'ordonnance n° 2005-893 en raison de son incompatibilité avec la Convention n° 158 de l'OIT (CPH Longjumeau, sec. Activités diverses, 28 avril 2006, RG n° 06/00316, Mlle De Wee c/ M. Samzun N° Lexbase : A3873DTM). L'ordonnance n° 2005-893 étant contraire à la Convention n° 158 de l'OIT, elle est privée d'effet juridique. Le contrat nouvelles embauches pris sur le fondement d'un texte non valable s'analyse en contrat à durée indéterminée de droit commun, soumis à toutes les dispositions du Code du travail. En effet, les termes de l'ordonnance n° 2005-893 sont contraires à la Convention n° 158 de l'OIT qui impose l'existence d'une procédure contradictoire préalable au licenciement, d'un motif valable de licenciement et d'un recours effectif devant les juridictions pour contrôler l'existence de ce motif valable.
Certains juges du fond ont pu décider que l'appréciation judiciaire de la conformité de l'ordonnance n° 2005-893 à la Convention n° 158 de l'OIT relève de la compétence du juge judiciaire : il n'y a donc pas question préjudicielle qui doit être soumis à l'examen du juge administratif (CA Paris, 18ème ch., sect. E, n° 06/06992, 20 octobre 2006, M. le Procureur de la République près le TGI d'Evry c/ Mlle De Wee et M. Samzum N° Lexbase : A0480DSL) (3). Le 18 juin 2007, la cour d'appel de Bordeaux a jugé que le CNE était contraire à la Convention de l'OIT, considérant que le délai de deux ans était excessif. Le 6 juillet 2007, la cour de Paris a rendu un arrêt allant dans le même sens : elle a considéré le CNE non conforme aux dispositions des articles 4 et 7 de la Convention, ainsi qu'à celles de l'article 9 sur l'office du juge, et juge que l'exception prévue à l'article 2 ne pouvait être invoquée en raison du caractère déraisonnable du délai de deux ans.
Enfin, dans un rapport adopté par le conseil d'administration de l'OIT le 6 novembre 2007, le comité chargé d'examiner la réclamation présentée par Force ouvrière a déclaré qu'une durée aussi longue que deux ans prévue par le CNE n'est pas raisonnable (4). Le comité OIT a noté que la durée normalement considérée comme raisonnable de la période d'ancienneté requise n'excède pas six mois en France. Au final, le comité OIT a conclu qu'il n'existe pas de base suffisante pour considérer que la période de consolidation peut être assimilée à une période d'ancienneté requise d'une durée raisonnable, au sens de l'article 2 § 2 justifiant l'exclusion des travailleurs concernés de la protection de la convention pendant cette durée.
On mentionnera enfin, pour mémoire, l'arrêt rendu par la CJCE le 16 janvier 2008. Contrairement aux situations prévues par la Directive 80/987/CEE (N° Lexbase : L9435AUY et n° 2002/74/CE N° Lexbase : L9629A4E), ainsi que par les Directives 91/533/CEE (N° Lexbase : L7592AUQ) et 2002/14/CE (N° Lexbase : L7543A8U), la situation du titulaire d'un CNE caractérisée par la rupture du contrat de travail de ce dernier en l'absence de communication du motif de son licenciement ainsi que par le non-respect de la procédure ordinaire de licenciement, n'est pas régie par le droit communautaire. La réglementation applicable (ordonnance n° 2005-893) concerne une situation qui ne relève pas du champ d'application du droit communautaire. La CJCE n'est donc pas compétente (5).
II - Abrogation du CNE, anticipée par le désaveu du BIT
Comme le relèvent très justement les travaux parlementaires (6), la suppression du CNE est motivée par des considérations de droit (le CNE est frappé d'une très grande insécurité juridique qui rend hasardeuse la signature de nouveaux contrats) et par des considérations politiques. Après la crise du contrat première embauche au printemps 2006, la décision de supprimer le CNE marque l'échec d'une tentative de réforme du droit du licenciement qui visait à le transformer en un mécanisme purement indemnitaire, assorti d'une taxe. Cette tentative n'a pas été comprise par l'opinion publique et a été combattue par les syndicats. La remise en cause de l'obligation de motivation du licenciement, introduite en 1973, a été perçue comme une régression portant atteinte à un droit essentiel du salarié, celui d'être informé des raisons qui conduisent l'employeur a envisager son licenciement et de pouvoir, ensuite, en discuter avec lui.
La loi n° 2008-596 tire toutes les conséquences de l'article 11 de l'ANI du 11 janvier 2008, selon lesquelles tout licenciement doit être fondé sur un motif réel et sérieux qui doit être porté à la connaissance du salarié concerné. Les parties signataires à l'ANI du 11 janvier 2008 ont demandé aux pouvoirs publics de prendre les dispositions pour que ce principe soit appliqué à tous les contrats de travail, dont le CNE (7).
A - Suppression du CNE pour l'avenir
La loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 (art. 9- I) supprime purement le CNE. Depuis la publication de la loi n° 2008-596, les sections 1 du chapitre III du titre II et 1 du chapitre VI du titre III du livre II de la première partie , la sous-section 4 de la section 1 du chapitre III du titre II du livre IV de la cinquième partie , le 4 de l'article L. 5423-24, ainsi que les articles L. 6322-26 et L. 6323-4 du Code du travail sont abrogés.
B - Suppression du CNE pour le présent : requalification du CNE en CDI
En application de la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 (art. 9- II), les contrats nouvelles embauches en cours à la date de publication de la loi sont requalifiés en contrats à durée indéterminée de droit commun dont la période d'essai est fixée par voie conventionnelle ou, à défaut, à l'article L. 1221-19 du Code du travail.
Même si la position du BIT n'a que la valeur d'une recommandation, le maintien du CNE, dans ce contexte, devenait politiquement et juridiquement délicat. Les partenaires sociaux en ont pris acte et demandé aux pouvoirs publics, à l'article 11 de l'ANI, d'arrêter les mesures nécessaires pour que l'obligation de motiver le licenciement s'applique à tous les contrats, y compris donc au CNE. Sur ce point, la loi n° 2008-596 va plus loin que l'ANI, puisqu'il propose la suppression du CNE, pour l'avenir, mais aussi pour les contrats en cours.
Sans s'opposer à la suppression du CNE pour l'avenir, la CGPME a contesté la requalification en CDI des CNE en cours. Le syndicat considère, en effet, que cette mesure risque d'affaiblir la confiance que les employeurs et des salariés peuvent avoir dans le système légal : comment pourraient-ils s'engager pour l'avenir si leurs conventions légalement constituées sont remises en cause par une loi postérieure ? La CGPME a proposé donc que les CNE déjà signés aillent jusqu'à leur terme, en précisant seulement que leur rupture, dans les deux premières années, devra être motivée afin de se conformer aux décisions de justice. Bien que sensible à cette préoccupation, le législateur a estimé que le maintien des CNE en cours serait difficile à justifier. Le CNE reposait sur un équilibre, l'absence de motivation du licenciement étant compensée par une indemnisation supérieure du salarié en cas de rupture. Dès lors qu'un point essentiel du CNE est remis en cause, l'équilibre est rompu et il est préférable d'en tirer les conséquences en supprimant ce contrat pour le présent et pour l'avenir (8).
(1) T. Aubert-Monpeyssen, Contrat 'nouvelles embauches' et droit du travail : quelques interrogations techniques, JCP éd. E, 2005, 1495 ; P. Bouaziz, Un contrat nommé 'nouvelles embauches', D., 2005, chron. p. 2907 ; K. Berthou, Contrat nouvelles embauches et droit communautaire, SSL, 2005, n° 1224, p. 8 ; B. Gomel, Contrat nouvelles embauches : un retour vers quel emploi ?, Dr. soc., 2005, p. 1120 ; T. Grumbach, P. Lanquetin, P. Lyon-caen, C. Michel et C. Zbinden, Contrat nouvelles embauches : un leurre pour les salariés et les employeurs, SSL, 20 février 2006, p. 9 ; B. Junod, C. Lagarenne, C. Minni et L. Berné, Le contrat nouvelles embauches, DARES, 1ères informations, 1ères synthèses, juin 2006, n° 25.4 ; A. Mazeaud, Du contrat nouvelles embauches, de la fléxisécurité, etc..., Dr. soc., 2006, p. 591 ; S. Martin-Cuenot, Le contrat nouvelles embauches, mode d'emploi, Lexbase Hebdo n° 179 du 1er septembre 2005 - édition sociale (N° Lexbase : N7758AI8) ; P. Morvan, Le contrat de travail nouvelles embauches, JCP éd. S, 2005 n° 11, 6 septembre 2005, p. 7 ; C. Pierchon, Le contrat de travail nouvelles embauches : quel contentieux prud'homal ?, D., 2005, p. 2982 ; C. Roy-Loustaunau, Le contrat nouvelles embauches : la flexi-sécurité à la française, Dr. soc., 2005, p. 1103 ; F. Saramito, Une régression : le contrat 'nouvelles embauches', Dr. ouvr., février 2006, p. 65 ; J. Savatier, La rupture pour motif disciplinaire des contrats nouvelles embauches, Dr. soc., 2005, p. 957 ; Y. Viala, contrat nouvelles embauches et CPE : des projets similaires en Allemagne, JCP éd. S, 2006, n° 1534, 4 juillet 2006, p. 12.
(2) CE, 19 octobre 2005, Requête n° 283471, 284421, 284473, 284654, 285374, Confédération générale du travail et autres (N° Lexbase : A9977DKQ), RJS, 12/05, n° 1240 ; JCP éd. E, 2005, n° 1652, note P. Morvan ; JCP éd. S, 2005, n° 1317, p. 37, R. Vatinet ; D., 2005, p. 629, note G. Borenfreund ; C. Devys, conclusions sous CE 19 octobre 2005, CGT, préc., JCP éd. S, 2005, n° 1317, p. 27 ; G. Koubi, L'ordonnance de l'incertitude sociale... (observations à partir de CE sect., 19 octobre 2005, CGT et autres), Dr. ouv., février p. 75 ; C. Landais et F. Lenica, AJDA, 2005, chron. p. 2162.
(3) JCP éd. S, 2006, n° 1876, note P. Morvan.
(4) V. nos obs., Contrairement au Conseil d'Etat, l'OIT invalide le contrat nouvelles embauches, Lexbase Hebdo n° 283 du 29 novembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N2230BDX).
(5) V. nos obs, Incompétence de la CJCE pour apprécier la conformité du CNE à la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, à la Convention n° 158 de l'OIT et à la Charte sociale européenne (CJCE, Ordonnance septième chambre 16 janvier 2008, affaire C-361/07), Lexbase Hebdo n° 292 du 29 février 2008 - édition sociale (N° Lexbase : N0861BEM).
(6) P. Bernard-Remond, Rapport Sénat n° 306 (2007-2008), 30 avril 2008.
(7) D. Dord, Rapport Assemblée Nationale n° 789, 8 avril 200.
(8) P. Bernard-Remond, Rapport Sénat n° 306 (2007-2008), 30 avril 2008.
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