Réf. : CJCE, 20 mai 2008, aff. C-352/06, Brigitte Bosmann c/ Bundesagentur für Arbeit - Familienkasse Aachen (N° Lexbase : A6468D83)
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par Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen
le 07 Octobre 2010
Résumé
Le Règlement n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 (article 13, § 2, sous a), dans sa version modifiée et mise à jour par le Règlement (CE) n° 118/97 du Conseil du 2 décembre 1996 (N° Lexbase : L5012AU8), tel que modifié par le Règlement (CE) n° 647/2005 du Parlement européen et du Conseil du 13 avril 2005 (N° Lexbase : L3735HDP), ne s'oppose pas à ce qu'un travailleur migrant, qui est soumis au régime de Sécurité sociale de l'Etat membre d'emploi, perçoive, en application d'une législation nationale de l'Etat membre de résidence, des prestations familiales dans ce dernier Etat. |
Commentaire
I - Détermination de la loi applicable selon les règles de coordination
La juridiction de renvoi demande si l'article 13, § 2, sous a, du Règlement n° 1408/71 se prête à une interprétation permettant à un travailleur salarié (se trouvant dans la situation de Mme B.), qui relève du champ d'application du Règlement nº 1408/71 et qui est soumis au régime de Sécurité sociale de l'Etat membre de son emploi, de percevoir des prestations familiales dans l'Etat membre où elle réside, lorsqu'il est constaté qu'un tel bénéfice ne peut lui être octroyé, en raison de l'âge de ses enfants, dans l'Etat membre compétent.
A - Règles de coordination : principe et objet
Les dispositions du titre II du Règlement n° 1408/71 tendent à ce que les travailleurs migrants soient soumis au régime de la Sécurité sociale d'un seul Etat membre, de sorte que les cumuls des législations nationales applicables et les complications qui peuvent en résulter soient évités. Ce principe trouve son expression à l'article 13, § 1, du Règlement n° 1408/71, qui dispose que le travailleur migrant auquel ce règlement est applicable n'est soumis qu'à la législation d'un seul Etat membre (CJCE, 12 juin 1986, aff. C-302/84, A. A. Ten Holder c/ Direction de la Nieuwe Algemene Bedrijfsvereniging N° Lexbase : A8170AU7, Rec., 1986, p. 1821, points 19 et 20 (1)).
En vertu de l'article 13, § 2, sous a, du Règlement n° 1408/71, la personne qui exerce une activité salariée sur le territoire d'un Etat membre est soumise à la législation de cet Etat, même si elle réside sur le territoire d'un autre Etat membre. La détermination de la législation d'un Etat membre en tant que législation applicable à un travailleur a pour effet que seule la législation de cet Etat membre lui est applicable (CJCE, arrêt Ten Holder, 12 juin 1986, aff. C-302/84, précité, point 23).
S'agissant du contexte spécifique des prestations familiales (article 73 du Règlement n° 1408/71), un travailleur soumis à la législation d'un Etat membre a droit, pour les membres de sa famille qui résident sur le territoire d'un autre Etat membre, aux prestations familiales prévues par la législation du premier Etat, comme s'ils résidaient sur le territoire de celui ci.
B - Règles de coordination : mise en oeuvre
La législation applicable à la situation de Mme B. est, en principe, la législation de l'Etat membre de son emploi, à savoir la législation néerlandaise.
L'application des dispositions d'un autre ordre juridique n'est pas, pour autant, toujours exclue (CJCE, 20 janvier 2005, aff. C-302/02, Nils Laurin Effing N° Lexbase : A3117DGK (2), Rec., 1992, p. I 553, point 39 (3)).
L'application des dispositions de l'ordre juridique de l'Etat membre d'emploi, désigné, en vertu de l'article 13, § 2, sous a, du Règlement n° 1408/71, en tant qu'Etat compétent (Pays-Bas), peut être écartée pour céder la place à l'application de la législation de l'Etat membre de résidence de l'intéressée (Allemagne) (article 10, § 1, sous a, du Règlement n° 574/72). Ainsi, l'existence d'un lien de rattachement à deux Etats membres, à savoir celui de résidence et celui d'emploi, permettrait, notamment, de cumuler les droits aux prestations. En vertu de l'article 10, § 1, sous a, du Règlement n° 574/72, compte tenu de l'absence de droit aux allocations familiales comparable dans l'Etat membre d'emploi, ces dernières devraient être octroyées sans limitation par l'Etat membre de résidence (Allemagne) (en ce sens, CJCE, 9 décembre 1992, McMenamin, aff. C-119/91, préc. (4) ; CJCE, 7 juin 2005, aff. C-543/03, Christine Dodl c/ Tiroler Gebietskrankenkasse N° Lexbase : A5589DIT, Rec., p. I 5049 (5)).
Mais la CJCE relève que ces affaires (CJCE, 9 décembre 1992, aff. C-119/91, préc. et CJCE, 7 juin 2005, aff. C-543/03, préc.) ont été tranchées sur le fondement de l'article 10 §, 1, sous b, i, du Règlement n° 574/72, qui couvre les situations dans lesquelles une activité professionnelle est exercée, également, dans l'Etat membre de résidence. Dans les arrêts précités "McMenamin", ainsi que "Dodl et Oberhollenzer", le fait générateur de l'inversion des priorités en faveur de la compétence de l'Etat membre de résidence était constitué par la circonstance qu'une activité professionnelle était exercée dans l'Etat membre de résidence par le conjoint de la personne bénéficiant des allocations prévues à l'article 73 du Règlement n° 1408/71. Or, il ressort de la décision de renvoi que Mme B. ne se trouve pas dans une telle situation.
L'article 10, § 1, sous a, du Règlement n° 574/72 vise à résoudre les cas de cumul de droits à prestations familiales rencontrés lorsque ces dernières sont dues, simultanément, dans l'Etat membre de résidence de l'enfant concerné, indépendamment de conditions d'assurance ou d'emploi, et, en application de l'article 73 du Règlement n° 1408/71, dans l'Etat membre d'emploi. Or, en l'espèce, il n'y a pas de cumul de prestations familiales de ce type, le droit aux allocations familiales dans l'Etat membre d'emploi (Pays-Bas) étant exclu, eu égard à l'âge des enfants de Mme B.. L'inversion des priorités en faveur de l'application de la législation de l'Etat membre de résidence (Allemagne) n'étant, dès lors, pas susceptible d'être fondée sur les règles de rattachement spécifiques énoncées dans le Règlement n° 574/72 : la situation de Mme B. obéit à la règle générale de détermination de la législation applicable édictée à l'article 13, § 2, sous a, du Règlement n° 1408/71.
II - Le droit aux prestations familiales du travailleur migrant
Le droit communautaire n'oblige pas les autorités compétentes allemandes à octroyer à Mme B. la prestation familiale en question. Toutefois, la possibilité d'un tel octroi ne saurait, non plus, être exclue, d'autant moins que, en vertu de la législation allemande, Mme B. peut bénéficier des allocations familiales du seul fait de sa résidence en Allemagne.
A - Le droit aux prestations sociales, un principe hiérarchiquement supérieur à la règle de coordination
Les dispositions du Règlement n° 1408/71 doivent être interprétées à la lumière de l'article 42 CE , qui vise à faciliter la libre circulation des travailleurs et implique que les travailleurs migrants ne doivent ni perdre des droits à des prestations de Sécurité sociale, ni subir une réduction du montant de celles ci en raison du fait qu'ils ont exercé le droit à la libre circulation que leur confère le traité (CJCE, 9 novembre 2006, aff. C-205/05, Fabien Nemec c/ Caisse régionale d'assurance maladie du Nord-Est N° Lexbase : A2729DSU, Rec., p. I 10745, points 37 et 38 (6)).
Le premier considérant du Règlement n° 1408/71 énonce que les règles de coordination des législations nationales de Sécurité sociale que ce règlement comporte s'inscrivent dans le cadre de la libre circulation des personnes et doivent contribuer à l'amélioration de leur niveau de vie et des conditions de leur emploi.
B - Contrôle par la CJCE du refus d'octroi d'une prestation sociale
En l'espèce, l'Etat membre de résidence (Allemagne) ne saurait être privé de la faculté d'octroyer des allocations familiales aux personnes résidant sur son territoire. En effet, si, en vertu de l'article 13, § 2, sous a, du Règlement n° 1408/71, le travailleur migrant, qui exerce une activité salariée sur le territoire d'un Etat membre, est soumis à la législation de cet Etat, même si il réside sur le territoire d'un autre Etat membre, il n'en demeure pas moins que ce règlement n'a pas vocation à empêcher l'Etat de résidence (Allemagne) d'octroyer, en application de sa législation, des allocations familiales à cette personne.
L'arrêt "Ten Holder" (CJCE, 12 juin 1986, aff. C-302/84, préc.), ainsi que l'arrêt "Luijten" (CJCE, 10 juillet 1986, aff. C-60/85, M. E. S. Luijten c/ Raad van Arbeid N° Lexbase : A7823AUB, Rec., p. 2365) ne remettent pas en question cette interprétation du Règlement n° 1408/71. Le premier visait un cas de refus d'octroi d'une prestation émanant des autorités de l'Etat membre compétent : la CJCE a jugé que la détermination, en vertu du Règlement n° 1408/71, de la législation d'un Etat membre, en tant que législation applicable à un travailleur migrant, a pour effet que seule cette législation lui est applicable (point 23). Le même principe a été réitéré par la CJCE dans le second, eu égard au risque d'application simultanée des législations de l'Etat d'emploi et de l'Etat de résidence, permettant aux assurés de bénéficier d'une prestation familiale.
Ces arrêts ne sauraient servir de fondement pour exclure qu'un Etat membre, qui n'est pas l'Etat compétent et qui ne subordonne pas le droit à une prestation familiale à des conditions d'emploi ou d'assurance, puisse octroyer une telle prestation à une personne résidant sur son territoire, dès lors que la possibilité d'un tel octroi découle effectivement de sa législation.
Finalement, selon la CJCE, l'article 13, § 2, sous a, du Règlement n° 1408/71 ne s'oppose pas à ce qu'un travailleur migrant, qui est soumis au régime de Sécurité sociale de l'Etat membre d'emploi, perçoive, en application d'une législation nationale de l'Etat membre de résidence, des prestations familiales dans ce dernier Etat.
(1) Selon une jurisprudence constante de la CJCE, les dispositions du Règlement n° 1408/71 tendent à ce que les travailleurs migrants soient soumis au régime de la Sécurité sociale d'un seul Etat membre, de sorte que les cumuls des législations nationales applicables et les complications qui peuvent en résulter soient évités.
(2) L. Idot, Prestations familiales et détention, Europe, mars 2005, Comm. nº 83, p.18.
(3) Le droit applicable à la situation d'un travailleur qui se trouve dans l'une des situations couvertes par les dispositions du titre II du Règlement n° 1408/71 est donc à déterminer en fonction desdites dispositions. Certes, l'application des dispositions d'un autre ordre juridique n'est pas, pour autant, toujours exclue. Une telle situation peut, notamment, se présenter lorsque deux conjoints travaillent dans deux Etats membres différents dont les législations prévoient l'une et l'autre l'attribution de prestations familiales analogues (CJCE, 9 décembre 1992, aff. C-119/91, Una McMenamin c/ Adjudication Officer N° Lexbase : A9829AUL, Rec., p. I 6393). En l'occurrence, le requérant ne relève pas du champ d'application du Règlement n° 1408/71 en une autre qualité que celle de "membre de la famille" de son père, au sens dudit Règlement.
(4) J.-L. Carpentier, L'interprétation par la Cour de justice des règles anti-cumul applicables dans le domaine des prestations familiales, Europe, juillet 1993, chron., nº 7, p.1.
(5) L. Idot, Sécurité sociale et règles anti-cumul, Europe, août-septembre 2005, comm., nº 295, p.25 ; F. Kessler, L'actualité de la jurisprudence communautaire et internationale, RJS, 2005, p.837.
(6) L'article 58 du Règlement nº 1408/71 doit être interprété à la lumière de l'article 42 CE (CJCE, 9 août 1994, aff. C-406/93, André Reichling c/ Institut national d'assurance maladie-invalidité N° Lexbase : A9884AUM, Rec., p. I 4061, point 21 ; CJCE, 12 septembre 1996, aff. C-251/94, Eduardo Lafuente Nieto c/ Instituto Nacional de la Seguridad Social (INSS) et Tesorería General de la Seguridad Social (TGSS) N° Lexbase : A1919AWY, Rec., p. I 4187, points 33 et 38). L'objectif poursuivi par cette dernière disposition est de faciliter la libre circulation des travailleurs. Cela implique que les travailleurs migrants ne doivent ni perdre des droits à des prestations de Sécurité sociale, ni subir une réduction du montant de celles-ci en raison du fait qu'ils ont exercé le droit à la libre circulation que leur confère le traité CE (CJCE, 9 août 1994, aff. C-406/93, préc., point 24 ; CJCE, 12 septembre 1996, aff. C-251/94, préc., points 33 et 38 ; CJCE, 9 octobre 1997, aff. C-31/96, Antonio Naranjo Arjona c/ Instituto Nacional de la Seguridad Social (INSS) et autres N° Lexbase : A5871AY4, Rec., p. I 5501, point 20 ; CJCE, 17 décembre 1998, aff. C-153/97, Aristóteles Grajera Rodríguez c/ Instituto Nacional de la Seguridad Social (INSS) et Tesorería General de la Seguridad Social (TGSS) N° Lexbase : A0488AWY, Rec., p. I 8645, point 17).
Décision
CJCE, 20 mai 2008, aff. C-352/06, Brigitte Bosmann c/ Bundesagentur für Arbeit - Familienkasse Aachen (N° Lexbase : A6468D83) Textes visés : Règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l'application des régimes de Sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l'intérieur de la Communauté, art. 13, § 2, sous a (N° Lexbase : L4570DLT) ; Règlement (CEE) n° 574/72 du Conseil, du 21 mars 1972, fixant les modalités d'application du Règlement n° 1408/71, dans leur version modifiée et mise à jour par le Règlement (CE) n° 118/97 du Conseil, du 2 décembre 1996, tels que modifiés par le Règlement (CE) n° 647/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 13 avril 2005, art. 10 (N° Lexbase : L7131AUN) Mots-clefs : Sécurité sociale ; allocations familiales ; suspension du droit aux prestations ; législation applicable ; octroi de prestations dans l'Etat membre de résidence qui n'est pas l'Etat compétent. Lien base : |
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