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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction
le 27 Mars 2014
Voilà maintenant près de cinq ans que le sujet, s'il peut prêter à sourire dans une sphère professionnelle encline à la forfaitisation absolue, emplit les prétoires de nos conseils de prud'hommes et révèle l'absence ou les difficultés de la négociation collective sur le sujet sensible du temps de travail effectif : nous voulons parler, bien entendu, du temps d'habillage et du temps de trajet du domicile vers son lieu de travail.
Il faut dire que les conseillers prud'hommes avaient, eux-mêmes, ouvert la voie ! Le 13 octobre 2004, la Chambre sociale de la Cour de cassation convenait que l'indemnité d'habillage était due au conseiller absent à temps plein de son poste de travail, précisant que les absences de l'entreprise des conseillers prud'hommes, qui sont justifiées par leur fonction, ne pouvaient entraîner aucune diminution de leur rémunération ou des avantages y afférents. Autrement dit, l'indemnité d'habillage et de déshabillage était due même lorsque le salarié-conseiller ne s'habillait pas ! Ou du moins, ne revêtait pas son uniforme de travail.
Plus généralement, comme le souligne cette semaine Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale, le bénéfice des contreparties exigées pour compenser les temps d'habillage et de déshabillage des salariés est subordonné à la réalisation des deux conditions cumulatives prévues par l'article L. 212-4, alinéa 3, du Code du travail, à savoir l'obligation de porter une tenue de travail et l'obligation de s'habiller et de se déshabiller dans l'entreprise ou sur le lieu de travail (réfutant par là la judiciarisation du port du costume-cravate).
Le cumul de ces conditions est proprement nouveau ; la Haute juridiction avait, certes, reconnu le principe d'une contrepartie à l'obligation de porter un uniforme dans un arrêt rendu le 26 janvier 2005, rejetant l'argument selon lequel les salariés avaient le choix de refuser de porter leur tenue de travail en dehors du temps de travail effectif et de se changer dans les locaux de l'entreprise pour revêtir leur tenue obligatoire.
Mais l'on atteignait le paroxysme de la question, lorsqu'il s'agissait de rémunérer ou de compenser le temps de trajet nécessaire au salarié pour se rendre à son vestiaire et revêtir ou dévêtir sa tenue de travail : telle était l'espèce soumise à la Cour de cassation le 31 octobre 2007. La Haute juridiction aura eu la sagesse de désamorcer cette poudrière et de rejeter les prétentions salariales à la lumière de sa jurisprudence constante sur le temps de trajet assimilable à un de travail effectif. La circonstance que le salarié soit astreint au port d'une tenue de travail ne permet pas de considérer qu'un temps de déplacement au sein de l'entreprise constitue un temps de travail effectif.
"C'est parfois difficile à supporter le prestige d'un homme habillé" (Céline, Voyage au bout de la nuit), surtout lorsqu'il en va de débours aux montants astronomiques (cf. le cas particulier de la Poste et de ses dizaines de milliers de postiers...).
Là où l'on voyait prestige de l'uniforme, l'on décèle, désormais, contrainte, voire risque de se faire agresser comme appartenant à une caste professionnelle régalienne ou privilégiée... et ce risque, aujourd'hui, se monnaie. Costume drapé, enfilé, cousu et fermé ou bien ouvert, costume fourreau, quel que soit l'archétype vestimentaire, l'uniforme semble se vivre, en milieu professionnel, comme une contrainte ; exit la fonction téléo-théologique du costume entendu comme port de vêtements circonstanciés selon son utilité, le différenciant ainsi du simple habillement... d'ici à ce que les militaires dénoncent les ordonnances de Louvois de 1670 et 1690 qui imposèrent l'uniforme et en reviennent aux us et coutumes celtes de se battre nus ; ou que les médecins et les infirmières des hôpitaux ôtent leurs blouses blanches faute de compensations financières...
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