Réf. : CE 2° et 7° s-s-r., 22 février 2008, n° 266755, M. Tête (N° Lexbase : A3440D7K)
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par Sophie Rimeu, Conseiller au tribunal administratif de Paris
le 07 Octobre 2010
Dans la décision "M. Tête" du 22 février 2008, les faits sont différents : à la suite de la première décision du Conseil d'Etat du 6 février 1998, le président de la communauté urbaine de Lyon a, par une décision du 27 février 1998, prononcé ce qu'il a appelé "la résiliation" de cette convention. Dès le 6 mars, il a pris possession de l'ouvrage pour l'exploiter en régie directe et il a lancé une procédure afin de parvenir à un règlement amiable des conséquences financières de la nullité de la convention de réalisation et d'exploitation du tronçon nord du boulevard périphérique de l'agglomération lyonnaise. Cette procédure a abouti à la signature d'une transaction, dont les termes ont été approuvés par une délibération du conseil de la communauté urbaine de Lyon du 21 décembre 1999.
Cette transaction prévoyait l'indemnisation par la communauté urbaine de Lyon des dépenses exposées par la SCBPNL qui lui avaient été utiles, et précisait que la SCBPNL renonçait à toute indemnisation sur un terrain quasi-délictuel. En effet, selon une jurisprudence désormais bien établie, le cocontractant dont le contrat est entaché de nullité peut prétendre, sur le terrain quasi-contractuel de l'enrichissement sans cause, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagé. Dans le cas où la nullité du contrat résulte d'une faute de l'administration, il peut en outre prétendre, sur un terrain quasi-délictuel, à la réparation du dommage imputable à cette faute et, le cas échéant, demander à ce titre le paiement du bénéfice dont il a été privé par la nullité du contrat, si toutefois le remboursement à l'entreprise de ses dépenses utiles ne lui assurent pas une rémunération supérieure à celle que l'exécution du contrat lui aurait procurée (CE, Section, 20 octobre 2000, n° 196553, Société Citecable Est N° Lexbase : A9119AH9, au Recueil).
La décision "M. Tête" du 22 février 2008 a été l'occasion pour le Conseil d'Etat de fixer une limite au droit à indemnisation des dépenses utiles exposées par le cocontractant sur le fondement de l'enrichissement sans cause. Dans cette affaire, la cour administrative d'appel de Douai, dans son arrêt du 12 février 2004 (CAA Douai, 12 février 2004, n° 02DA00230, M. Etienne Tête c/ Communauté urbaine de Lyon N° Lexbase : A6762DB3), avait écarté comme inopérant le moyen soulevé par M. Tête, tiré de ce que le contrat de concession du 19 juillet 1991 avait été conclu à la suite de manoeuvres dolosives imputables à la SCBPNL, et constitutives d'un vice de consentement de nature à faire obstacle à ce que soit engagée, dans le cadre de la convention de transaction, la responsabilité de la communauté urbaine sur le fondement de l'enrichissement sans cause. Le Conseil d'Etat a estimé que ce moyen n'était pas inopérant et a cassé, pour erreur de droit, l'arrêt de la cour.
Par une nouvelle formule de principe, la décision "M. Tête" précise que si les fautes éventuellement commises par le cocontractant antérieurement à la signature du contrat sont sans incidence sur son droit à indemnisation au titre de l'enrichissement sans cause de la collectivité, la circonstance que le contrat ait été obtenu dans des conditions de nature à vicier le consentement de l'administration fait obstacle à l'exercice d'une telle action. Ainsi, en cas de dol, le cocontractant de l'administration perd le droit à indemnisation de ses dépenses qui auraient été utiles à l'administration.
En l'espèce, si M. Tête soutenait que le choix de la SCBPNL par le conseil de la communauté d'agglomération de Lyon avait été déterminé par des avantages financiers dont auraient bénéficié certains de ses membres de la part des sociétés Bouygues et Dumez, actionnaires de la SCBPNL, le Conseil d'Etat a écarté l'existence de manoeuvres frauduleuses de la part des sociétés. De manière générale, les vices de consentement, qui peuvent être le fait non seulement de la personne privée contractante, mais également de la personne publique, sont peu présents dans la jurisprudence administrative relative aux marchés publics, car ils sont souvent très délicats à établir.
Pour autant, le dol commis lors de la passation d'un marché de travaux de la SNCF a récemment permis au Conseil d'Etat d'établir la compétence de la juridiction administrative pour connaître de tous les litiges nés à l'occasion du déroulement de la procédure de passation d'un marché public, comme ceux relatifs à l'exécution d'un tel marché, que ces litiges présentent ou non un caractère contractuel. Ainsi, le dol viciant le consentement d'une partie à entrer dans des liens contractuels peut donner lieu, devant la juridiction administrative, à une action en nullité devant le juge du contrat ou, comme en l'espèce, à une action en responsabilité quasi-délictuelle, y compris quand ce litige met en cause la méconnaissance par des sociétés privées de leur obligation de respecter les règles de la concurrence, et non une faute contractuelle (CE, 19 décembre 2007, n° 268918, n° 269280 et n° 269293, Société Campenon-Bernard et autres N° Lexbase : A1460D3H, au Recueil).
Pour finir quant aux conséquences indemnitaires à tirer de la nullité d'un contrat, le Conseil d'Etat devrait très prochainement préciser deux points importants, complémentaires à l'apport de l'arrêt "Tête" du 28 février 2008 : les affaires n ° 244950, n° 284439 et n° 284406, "Société JC Decaux - Conseil général des Alpes Maritimes", soumises à la Section du contentieux le 29 mars 2008, posaient en effet deux questions : la faute du cocontractant de l'administration dont le marché est déclaré nul peut-elle conduire à refuser de l'indemniser pour une partie des dépenses utiles qu'il a engagé ? ; sur le terrain quasi-délictuel, peut-on refuser toute indemnisation du manque à gagner, en raison de la gravité du comportement de l'entreprise ?
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