Réf. : Cass. soc., 26 mars 2008, n° 05-41.476, Société transports publics de l'agglomération stéphanoise (STAS) c/ Union régionale UNSA Rhône Alpes et autres, FS P+B+R+I (N° Lexbase : A5897D7K)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Résumé
Le temps habituel du trajet entre le domicile et le lieu de travail ne constitue pas du temps de travail effectif. La cour d'appel, qui constate que les salariés n'étaient tenus de passer au dépôt de l'entreprise ni avant, ni après leur prise de service, et ne s'y rendaient que pour des raisons de convenance personnelle, doit en déduire que ces temps de trajet, pendant lesquels les intéressés ne sont pas à la disposition de l'employeur et ne doivent pas se conformer à ses directives, sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles, ne constituent pas un temps de travail effectif. Le bénéfice des contreparties exigées pour compenser les temps d'habillage et de déshabillage des salariés est subordonné à la réalisation des deux conditions cumulatives prévues par l'article L. 212-4, alinéa 3, du Code du travail (N° Lexbase : L8959G7X, art. L. 3121-3, recod. N° Lexbase : L1134HXB), à savoir l'obligation de porter une tenue de travail et l'obligation de s'habiller et de se déshabiller dans l'entreprise ou sur le lieu de travail. |
Commentaire
I - La qualification des temps de trajet
Le temps habituel de trajet entre le domicile et le lieu de travail ne constitue pas en soi un temps de travail effectif (1). Dès lors, le régime des heures supplémentaires ne peut leur être appliqué (2).
Il en va différemment si le trajet entre le domicile du salarié et les différents lieux, où il est amené à travailler, déroge au temps normal du trajet d'un travailleur se rendant de son domicile à son lieu de travail habituel (3).Cette jurisprudence a été confortée par l'article 69 de la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005 (N° Lexbase : L6384G49), qui a modifié l'article L. 212-4 du Code du travail ; ce texte dispose, désormais, que "le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif", sauf "s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail"(4).
Selon les termes de la jurisprudence, quatre conditions sont nécessaires pour que le temps de trajet puisse être qualifié de temps de travail effectif : les déplacements doivent présenter un caractère professionnel ; ils doivent être réalisés à la demande de l'employeur et ils doivent être effectués hors période de travail et dépasser, en durée, le temps normal du déplacement entre le domicile et le lieu de travail habituel.
Ces décisions, et la modification de l'article L. 212-4 du Code du travail intervenue en 2005, ne concernent, toutefois, que l'hypothèse où le salarié est amené à se rendre sur un lieu de travail inhabituel, et non celle où les salariés prétendraient obtenir la qualification de temps de travail effectif pour les temps normaux de trajet. Si la formulation du nouvel article L. 212-4 du Code du travail semble exclure toute autre possibilité que celle d'établir le dépassement du temps normal de trajet, rien ne vient contraindre la Cour de cassation pour des faits antérieurs à la loi du 18 janvier 2005 ; c'est tout l'intérêt de cet arrêt rendu le 26 mars 2008.
Cette affaire concernait les chauffeurs de bus de la Société de transports publics de l'agglomération stéphanoise (STAS). Ces derniers prétendaient, en effet, faire qualifier de temps de travail effectif le temps de trajet nécessaire pour effectuer la relève ou regagner le dépôt en fin de service.
La cour d'appel de Lyon leur avait donné raison, au prix d'un assouplissement des critères dégagés par la Cour de cassation. Alors que cette dernière exige, en effet, que le temps de trajet en cause soit du temps contraint, la juridiction lyonnaise avait constaté que le retour au dépôt n'était pas imposé par le règlement au-delà d'une fois par jour, sauf accident devant faire l'objet d'un rapport immédiat. Elle avait, toutefois, estimé que c'est l'organisation du service, par la dissociation des sites de prise et de fin de service, nécessitée par la continuité du service public, qui imposait aux conducteurs et contrôleurs d'effectuer, à la fin de leur service ou avant la prise de relève, ce passage au dépôt, et que cette contrainte ne répondait pas à une simple convenance personnelle. La cour d'appel de Lyon avait, également, considéré que, pendant ce trajet qui pourrait être effectué par le biais de navettes et dont la durée peut être parfaitement quantifiable, le conducteur ne peut vaquer librement à ses activités personnelles puisqu'il demeure soumis à un horaire et reste sous le contrôle de l'employeur dont il porte l'uniforme et qui l'autorise à pénétrer dans l'enceinte de l'entreprise pour y stationner ou récupérer son véhicule, voire ses affaires personnelles. En d'autres termes, la cour de Lyon avait considéré que les salariés n'étaient pas juridiquement contraints par l'employeur de réaliser ces temps supplémentaires, mais que c'est bien l'organisation même de l'activité de l'entreprise qui les y contraignait de fait.
Cette extension du critère de la contrainte n'a pas convaincu la Chambre sociale de la Cour de cassation qui casse, sur ce point, l'arrêt. Après avoir rappelé le principe selon lequel "le temps habituel du trajet entre le domicile et le lieu de travail ne constitue pas du temps de travail effectif", la Haute juridiction relève que la cour d'appel avait elle-même "constaté que les salariés n'étaient tenus de passer au dépôt de l'entreprise ni avant, ni après leur prise de service, et ne s'y rendaient que pour des raisons de convenance personnelle, ce dont elle aurait dû déduire que ces temps de trajet, pendant lesquels les intéressés n'étaient pas à la disposition de l'employeur et ne devaient pas se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles, ne constituaient pas un temps de travail effectif".
La cassation de l'arrêt est justifiée par une solide argumentation. En constatant que les salarié n'étaient pas juridiquement contraints de repasser par le dépôt pour y reprendre leur véhicule personnel, la Cour de cassation fait une application très orthodoxe de la définition du temps de travail effectif, tel qu'elle résulte de l'article L. 212-4, alinéa 1er, du Code du travail, et qui repose sur le constat que le salarié doit être "à la disposition de son employeur et se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles". Or, tel n'était pas le cas en l'espèce.
C'est donc bien le critère de l'autorité juridique de l'employeur qui doit prévaloir, et non celui des nécessités du service retenu par la cour d'appel. Ce faisant, la Chambre sociale entend bien maintenir la différence de traitement du trajet selon que sont en cause les rapports professionnels entre salariés et employeur, régis par le droit du travail, ou qu'est en cause l'application des dispositions du livre IV du Code la Sécurité sociale fondée sur la notion plus large de risque de l'activité.
II - La compensation financière des temps d'habillage et de déshabillage
La loi du 19 janvier 2000 (loi n° 2000-37 du 19 janvier, relative à la réduction négociée du temps de travail N° Lexbase : L0988AH3) a modifié le régime juridique des temps d'habillage et de déshabillage en introduisant le principe d'une compensation financière : "Lorsque le port d'une tenue de travail est imposé par des dispositions législatives ou réglementaires, par des clauses conventionnelles, le règlement intérieur ou le contrat de travail, et que l'habillage et le déshabillage doivent être réalisés dans l'entreprise ou sur le lieu de travail"(5).
La loi a donc choisi ici de retenir deux critères : celui du caractère juridiquement obligatoire de l'habillage, mais, également, celui du lieu de l'habillage, de manière à exclure la compensation des temps d'habillage réalisés à domicile.
C'est le caractère cumulatif de ces deux critères qui se trouve ici explicité, pour la première fois, à notre connaissance, dans un arrêt publié, par la Chambre sociale de la Cour de cassation (6).
Sur ce point, également, la juridiction lyonnaise avait pris des libertés avec le texte en imposant l'ouverture de négociations portant sur les compensations à accorder aux salariés, et ce, en se fondant sur les dispositions des articles L. 120-2 (N° Lexbase : L5441ACI, art. L. 1121-1, recod. N° Lexbase : L9684HWL) et L. 122-35 (N° Lexbase : L5548ACH, art. L. 1321-3 N° Lexbase : L0244HXC et L. 1321-6, recod. N° Lexbase : L0247HXG) du Code du travail qui interdisent à l'employeur de porter aux droits des salariés des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnées au but recherché. Pour la cour d'appel de Lyon, en effet, il ne pouvait être imposé à un salarié, sur la base d'une pratique antérieure à la loi du 19 janvier 2000, d'afficher, en dehors de son temps de travail, son appartenance à une entreprise, une telle identification présentant, de surcroît, des risques pour sa sécurité personnelle en raison de la nature des tâches qui lui sont confiées, et ce, même si ce risque ne s'est pas encore réalisé. En d'autres termes, la cour considérait que, bien que non astreints à se vêtir dans l'entreprise, les salariés y étaient conduits de fait s'ils prétendaient exercer leur liberté de se vêtir librement sur leurs temps de vie personnelle.
L'argument n'a pas convaincu la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui censure, sur ce point, également, l'arrêt, après avoir relevé que les deux conditions imposées par le texte sont cumulatives, et que "les salariés, astreints en vertu du règlement intérieur au port d'une tenue de travail, n'avaient pas l'obligation de la revêtir et l'enlever sur leur lieu de travail".
Cette solution nous paraît, également, pleinement justifiée, ne serait-ce que parce que les termes du troisième alinéa de l'article L. 212-4 du Code du travail sont limpides et parfaitement explicites sur le caractère cumulatif des deux conditions nécessaires à l'octroi de compensations financières. Comme précédemment, la cour d'appel de Lyon était passée du critère de l'autorité à celui de la nécessité, en parfaite violation de la loi ; or, le juge doit appliquer la loi, et non la refaire.
Reste que ce conflit montre que la réponse apportée par le Code du travail à ces questions de temps de trajet ou d'habillage n'est pas suffisante pour régler toutes les questions qui peuvent se poser en pratique. La saisine du juge dans ces affaires ne nous semble pas la plus appropriée et c'est, sans doute, ce qu'a voulu faire passer comme message la Haute juridiction en conférant à cet arrêt la plus large publicité. Toutes ces questions portant sur les contraintes que l'organisation du travail fait peser sur les salariés doivent se régler non à la barre, mais autour de la table des négociations ; mais encore faut-il que toutes les parties en aient le désir...
(1) G. Lyon-Caen, Les libertés publiques et l'emploi, Rapport pour le ministre du Travail, de l'Emploi et de la Formation professionnelle, décembre 1991, La Documentation Française.
(2) Cass. soc., 21 mars 2006, n° 04-40.605, M. Alain Forment c/ M. Hardinder Singh, F-D (N° Lexbase : A8000DNM).
(3) Cass. soc., 5 novembre 2003, n° 01-43.109, Association Nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) c/ M. Antoine Marini, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A0662DAR), D. 2004, somm. 391, obs. Wollmark ; JCP éd. E, 2004, p. 138, note Demoustier ; Cass. soc., 5 mai 2004, n° 01-43.918, Mme Christine Pennequin c/ Société Segec, FS-P+B (N° Lexbase : A0461DC3), Dr. soc., 2004, p. 899, et les obs. ; Cass. soc., 25 avril 2006, n° 05-42.904, Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) c/ M. Antoine Marini, F-D (N° Lexbase : A2199DP7) ; Cass. soc., 31 mai 2006, n° 04-45.217, M. Henri Fontaine c/ Association professionnelle pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), FS-P (N° Lexbase : A7492DP8) ; Cass. soc., 20 décembre 2006, n° 04-47.569, M. Patrick Roudière, F-D (N° Lexbase : A0858DTX) et Cass. soc., 20 décembre 2006, n° 04-48.525, Société Saint-Gobain Desjonquères, F-D (N° Lexbase : A3707DTH) ; CA Paris, 18ème ch., sect. D, 12 septembre 2006, n° 06/00155, M. Pierre Martin c/ Association pour la formation professionnelle des adultes (N° Lexbase : A7420DSM) ; Cass. soc., 30 mai 2007, n° 04-45.774, M. Bernard Van de Velde, F-D (N° Lexbase : A5091DWH) ; Cass. soc., 17 octobre 2007, n° 06-41.053, M. Francis Boullier, F-D (N° Lexbase : A8147DYE) ; Cass. soc., 12 mars 2008, n° 06-45.412, Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), F-D (N° Lexbase : A4000D7B).
(4) P.-A. Antonmattéi, "Temps de trajet : il ne manquait plus qu'une intervention législative !", Dr. soc., 2005, p. 410
(5) Ce qui n'exclut, d'ailleurs, pas de qualifier ces temps de travail effectif si le salarié doit, pendant qu'il s'habille ou se déshabille, demeurer à la disposition de son employeur sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles : Cass. soc., 10 mars 2004, n° 02-40.061, M. Thierry Brunori c/ Union pour la gestion des établissements des Caisses d'assurances maladies (UGECAM), F-D (N° Lexbase : A4928DB7)
(6) Cass. soc., 5 décembre 2007, n° 06-43.888, M. Andy Oussou, F-D (N° Lexbase : A0460D3G) : la cour d'appel avait justifié l'obligation de verser une compensation par le seul fait qu'une note de service de l'employeur prescrit à l'employé de bord de se présenter en tenue à sa prise de service ; l'arrêt est cassé après que la Cour eut rappelé que "l'habillage et le déshabillage doivent se réaliser dans l'entreprise ou sur le lieu de travail".
Décision
Cass. soc., 26 mars 2008, n° 05-41.476, Société transports publics de l'agglomération stéphanoise (STAS) c/ Union régionale UNSA Rhône Alpes et autres, FS P+B+R+I N° Lexbase : A5897D7K) Cassation partielle (CA Lyon, ch. soc., 21 janvier 2005) Textes visés : C. trav., art. L. 212-4 (N° Lexbase : L8959G7X) Mots clef : travail effectif ; temps de trajet ; temps d'habillage ; compensation ; conditions ; caractère cumulatif
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