Réf. : Cass. soc., 26 mars 2008, n° 06-45.469, Société Ambulances des Volcans, FS-P+B (N° Lexbase : A6058D7I)
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par Sébastien Tournaux, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
Il ne peut être tenu compte d'un système d'équivalence, au sens de l'article L. 212-4 alinéa 5 du Code du travail (N° Lexbase : L8959G7X, art. L. 3121-9, recod. N° Lexbase : L1140HXI), pour vérifier, en matière de temps de travail effectif, le respect des seuils et plafonds communautaires fixés par la Directive 93/104/CE, du Conseil, du 23 novembre 1993 (N° Lexbase : L7793AU8), telle qu'interprétée par la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE, 1er décembre 2005, aff. C-14/04, Abdelkader Dellas c/ Premier ministre N° Lexbase : A7836DLS), dont celui de la durée hebdomadaire maximale de 48 heures. Selon l'article 4 du décret n° 83-40 du 26 janvier 1983, relatif à la durée du travail dans les transports routiers (N° Lexbase : L4671APP), la durée hebdomadaire de travail peut être calculée sur deux semaines consécutives, à condition que cette période comprenne, au moins, trois jours de repos et que soit respectée, pour chacune des semaines, la durée maximale pouvant être accomplie au cours d'une même semaine, telle que définie à l'article L. 212-7 du Code du travail (N° Lexbase : L5854ACS, art. L. 3121-35 et s., recod. N° Lexbase : L1166HXH). En conséquence, la durée hebdomadaire maximale de 48 heures sur une semaine ou le non-respect des trois jours de repos par quatorzaine interdit un décompte par période de deux semaines de la durée du travail pour les deux semaines considérées. |
Commentaire
I - Confirmation de l'impossibilité d'excéder les limites communautaires de la durée hebdomadaire de travail par le biais d'un horaire d'équivalence
Après une véritable saga judiciaire, la Cour de cassation a pris, en 2007 (2), une position claire à l'égard de la compatibilité des horaires d'équivalence, avec l'application faite par la Cour de justice des Communautés européennes (3) de la Directive 93/104/CE, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail (4). Appliquant pleinement la solution rendue par la juridiction communautaire, elle décidait, alors, que le régime des horaires d'équivalence permettait de ne pas rémunérer l'ensemble des heures effectuées. "Il ressort tant de la finalité que du libellé même de ses dispositions, que la Directive européenne du 23 novembre 1993, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, ne trouve pas à s'appliquer à la rémunération des travailleurs" (5).
En revanche, et c'était bien là l'objet de la Directive communautaire concernée, le régime des horaires d'équivalence ne pouvait faire échec aux durées maximales de travail et, en creux, aux durées de repos minimales prévues par le texte. Cette solution, déjà affirmée dans l'arrêt "Dellas" rendu par la CJCE, n'avait pas encore reçu d'application dans la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation.
C'est, désormais, chose faite. Sans surprise, la Chambre sociale estime, dans l'espèce commentée, qu'il ne peut être tenu compte d'un système d'équivalence pour vérifier le respect des seuils et plafonds communautaires fixés par la Directive, dont celui de la durée hebdomadaire maximale de 48 heures. L'usage du terme "dont" implique qu'il ne pourra être porté atteinte à l'ensemble des durées maximales de travail ou des durées minimales de repos par le biais des régimes d'équivalence.
L'utilité des horaires d'équivalence semble donc définitivement réduite à la détermination de la rémunération due au salarié et, spécialement, à l'existence, ou non, d'heures supplémentaires. Aucune entorse aux règles de limitation des durées maximales de travail ne pourra intervenir.
On pourra relever, également, que la Cour de cassation fait application de la Directive dans une entreprise n'appartenant pas au secteur médico-social, ce qui est, là encore, parfaitement logique, puisque la Directive communautaire est d'application générale. L'impression pouvait, pourtant, se dégager de la jurisprudence de la Chambre sociale que seul ce secteur était visé, puisque les différentes affaires l'avaient toutes concerné. S'il est certain que la mise en place d'horaires d'équivalence et l'existence de permanences du salarié sur le lieu de travail est plus fréquent dans le secteur médico-social que d'en d'autres, il n'y aurait, cependant, eu aucune raison de limiter la règle à ce type d'activités.
Si la Cour de cassation ne fait donc, ici, qu'appliquer la jurisprudence communautaire, ce qui méritait d'être relevé sans que de nombreux commentaires soient rendus nécessaires, elle prend, en revanche, une position moins attendue s'agissant du mode de calcul de la durée hebdomadaire dans certaines professions.
II - Effet du dépassement de la durée hebdomadaire maximale sur le mode de calcul de la durée de travail spécifique aux entreprises de transport
Le décret du 26 janvier 1983 aménage certaines dispositions du Code du travail en matière de transports routiers (6). Spécialement, l'article 4 de ce texte prévoit des modes particuliers de calcul de la durée hebdomadaire de travail. En effet, pour les personnels roulants effectuant des transports de voyageurs, la durée hebdomadaire peut se calculer sur deux semaines. La durée hebdomadaire de travail des intéressés est considérée comme étant le résultat de la division par deux du nombre d'heures accomplies pendant les deux semaines.
Concrètement, un tel mode de calcul par quatorzaine permet à l'employeur de faire dépasser la durée hebdomadaire de travail de la première semaine sans être contraint de rémunérer des heures supplémentaires au salarié, à la condition, bien sûr, que la semaine qui suit comporte un nombre d'heures de travail inférieur et compensant l'excédant accumulé durant les sept premiers jours.
Le texte pose, néanmoins, deux conditions afin qu'un tel mode de calcul puisse être retenu. Il est, tout d'abord, indispensable que le salarié bénéficie, sur l'ensemble des quatorze jours concernés, d'au moins trois jours de repos, soit un jour de repos supplémentaire par rapport à un calcul effectué de manière hebdomadaire (7). En outre, si l'employeur impose au salarié de dépasser la durée hebdomadaire de travail, le mode de calcul ne peut être utilisé dès lors que cette durée excèderait la limite maximale des 48 heures par semaine, limite imposée par l'article L. 212-7 du Code du travail (N° Lexbase : L5854ACS, art. L. 3121-35 et s., recod. N° Lexbase : L1166HXH).
Il en résulte, pour la Chambre sociale, que le "dépassement de la durée hebdomadaire maximale de 48 heures sur une semaine ou le non respect des trois jours de repos par quatorzaine interdit un décompte par période de deux semaines de la durée du travail pour les deux semaines considérées".
D'application sans grande difficulté, cette règle permettait, néanmoins, de se poser la question de son champ d'application temporel. Si l'employeur ne respecte pas l'une des deux conditions, faut-il limiter l'exclusion du mode de calcul à la quatorzaine pour les deux semaines concernées ou, plus largement, refuser ce mode de calcul pour l'ensemble de la période de travail du salarié litigieuse invoquée par le salarié, sans distinguer les quatorzaines respectueuses des conditions susvisées de celles les ayant, au contraire, respectées ?
La Cour de cassation choisit, dans cette affaire, d'apporter une réponse restrictive à cette interrogation. Si l'employeur vient à manquer à l'une des deux conditions en cause, ce n'est pas l'ensemble du mode de calcul qui est remis en cause, mais, seulement, le calcul par quatorzaine sur les deux semaines durant lesquelles les conditions n'ont pas été respectées. D'un strict point de vue logique, la décision n'est guère contestable. Rien ne permet de penser, dans le texte du décret, que l'employeur devrait, en permanence, respecter ces conditions pour que le calcul s'applique à toutes les semaines de travail de ses salariés.
Il est, néanmoins, permis de se demander si les deux conditions posées par le texte n'auraient pas dû emporter des conséquences différentes. En effet, si la violation de l'exigence que trois jours de repos soient octroyés au salarié n'emporte pas nécessairement atteinte aux durées hebdomadaires de repos, le non-respect de la durée maximale de 48 heures constitue, en revanche, une atteinte à une règle d'ordre public absolu. La solution de la Cour de cassation mène à valider la possibilité de l'établissement d'un mode de calcul de la durée du travail "à la carte". Certes, l'employeur pourra toujours être poursuivi pénalement pour violation de cette règle (8). Mais encore faudra-t-il qu'une action devant les juridictions pénales soit engagée.
Le mécanisme institué par décret du calcul à la quatorzaine est très nettement favorable aux employeurs. Il est contestable de leur permettre, en plus de cet avantage, de pouvoir choisir, pour une quatorzaine d'en bénéficier, et pour celle qui suit de l'éviter.
(1) Si l'on excepte la possibilité, jusqu'ici inutilisée en France, de mettre en oeuvre la faculté d'"opt-out", prévue par l'article 22 de la Directive 2003/88/CE du 4 novembre 2003 (N° Lexbase : L5806DLM).
(2) Cass. soc., 13 juin 2007, n° 06-40.823, Mme Marie Addou, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8016DWS) ; Cass. soc., 13 juin 2007, n° 05-45.694, Association Apaei du Bocage Virois et de la Suisse Normande c/ Mme Claudine X et autres, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A8179DWT) et les obs. de G. Auzero, Heures d'équivalence dans le secteur social et médico-social : enfin le bout du tunnel !, Lexbase Hebdo n° 266 du 28 juin 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N5840BBW) ; D., 2007, p. 2439, note Pérès ; RJS, 2007, p. 740, n° 959 ; Dr. soc., 2007, p. 1178, obs. Morand.
(3) CJCE, 1er décembre 2005, aff. C-14/04, Abdelkader Dellas c/ Premier ministre (N° Lexbase : A7836DLS) ; JCP éd. S, 2006, II, 10194, note Lallement.
(4) Directive (CE) 93/104 du 23 novembre 1993, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail (N° Lexbase : L7793AU8).
(5) Cass. soc., 13 juin 2007, n° 05-45.694, préc..
(6) Décret n° 83-40 du 26 janvier 1983, relatif aux modalités d'application des dispositions du Code du travail concernant la durée du travail dans les entreprises de transport routier (N° Lexbase : L4671APP).
(7) En effet, en application de l'article L. 221-4 du Code du travail (N° Lexbase : L4702DZ8, art. L. 3132-2, recod. N° Lexbase : L1273HXG), le salarié doit bénéficier de 24 heures consécutives de repos par semaine, soit deux jours pour deux semaines.
(8) C. trav., art. R. 261-4 (N° Lexbase : L8797ACS, art. R. 3124-11 recod.).
Décision
Cass. soc., 26 mars 2008, n° 06-45.469, Société Ambulances des Volcans, FS-P+B (N° Lexbase : A6058D7I) Cassation partielle, CA Riom, ch. soc., 12 septembre 2006 Textes visés ou concernés : C. trav., art. L. 212-4, alinéa 5 (N° Lexbase : L8959G7X, L. 3121-9 recod. N° Lexbase : L1140HXI) et L. 212-7 (N° Lexbase : L5854ACS, L. 3121-35 et s., recod. N° Lexbase : L1166HXH) ; Directive 93/104/CE du 23 novembre 1993, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail (N° Lexbase : L7793AU8) ; décret n° 83-40 du 26 janvier 1983, relatif aux modalités d'application des dispositions du Code du travail concernant la durée du travail dans les entreprises de transport routier, art. 4 (N° Lexbase : L4671APP). Mots-clés : horaires d'équivalence ; durée hebdomadaire de travail ; heures supplémentaires ; temps de repos ; calcul dérogatoire du temps de travail par quatorzaine ; conditions. Lien base : |
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