Réf. : Arrêté du 7 décembre 2007 portant homologation de modifications du règlement général de l'Autorité des marchés financiers, NOR : ECET0771416A (N° Lexbase : L5933H37)
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N1986BEB
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par Jean-Baptiste Lenhof, Maître de conférences à l'ENS - Cachan Antenne de Bretagne, Membre du centre de droit financier de l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)
le 07 Octobre 2010
La question se pose, toutefois, de l'opportunité technique d'une telle démarche, alors que la transposition de la Directive concernant les marchés d'instruments financiers (Directive "MIF" 2004/39 du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 N° Lexbase : L2056DYS), qui est finalisée depuis quelques mois, vient de permettre d'aménager la structure des marchés de façon plus performante qu'auparavant. L'introduction de compartiments au sein des marchés réglementés ne risquerait-t-elle pas de faire perdre de sa cohérence à la nouvelle architecture boursière ou constitue-t-elle, au contraire, une évolution positive et naturelle dans le cadre de la Directive "MIF" ?
La réponse à cette question passe, d'abord, par l'analyse des dispositions de l'arrêté qui permet de compartimenter un marché réglementé (I), avant que ne puisse être imaginées, ensuite, les conséquences que lesdites dispositions pourront emporter sur la structure des marchés (II).
I - L'arrêté emportant compartimentation d'un marché réglementé
Le mécanisme de compartimentation des marchés est décrit de façon très succincte (A) dans les nouvelles dispositions du Règlement général de l'Autorité des marchés financiers, l'essentiel du texte visant à abaisser les exigences en matière d'information (B) lorsque l'instrument financier est admis sur le compartiment.
A - Un mécanisme simple de compartimentation des marchés
Le mécanisme de compartimentation des marchés a été introduit par l'adjonction, dans le RG de l'AMF, d'une nouvelle section, après l'article 516-17, intitulée : "Dispositions applicables à certains compartiments". Cette section ne comporte que deux articles qui donnent, pour le premier (nouvel article 516-18), la faculté aux entreprises de marché de créer des compartiments spécifiques au sein des marchés réglementés et fixent les conditions, pour le second (nouvel article 516-19), de l'accès à ces compartiments pour les investisseurs.
L'article 516-18, alinéa 1er, établit, de la sorte, que l'entreprise de marché peut mettre en place, sur tout marché réglementé, un compartiment ouvert à tout émetteur d'instruments financiers, mais que la cotation sur ce compartiment interdit toute émission et toute cession "dans le public". Ce même article prévoit ainsi, également -sous couvert, d'ailleurs d'une rédaction inutilement complexe (1)-, que l'émetteur n'a pas accès à ce compartiment lorsque "des titres de capital ou des titres donnant ou pouvant donner accès, directement ou indirectement à son capital ou à ses droits de vote ont déjà été admis aux négociations sur un marché réglementé français" (2).
Cet alinéa renvoie, ainsi, aux deux objectifs principaux assignés à l'introduction de la compartimentation en droit interne.
- D'une part, l'admission au compartiment n'est possible que pour les émetteurs qui souhaitent accéder aux marchés réglementés, et non pour les sociétés qui y sont déjà cotées ou qui y ont émis des titres susceptibles de donner accès à leur capital ou leur droit de vote (3). L'admission au compartiment doit, donc, s'analyser comme le franchissement, pour les émetteurs, d'une étape susceptible de leur permettre d'être ultérieurement admis sur les marchés réglementés stricto sensu. La rédaction du second alinéa du même article (4) en atteste, qui prévoit que le transfert hors du compartiment, vers le marché, contraint les émetteurs à respecter les règles d'information de droit commun qui imposent l'établissement d'un prospectus destiné au public, contraintes plus sévères que celles qui régissent le compartiment lui-même (5).
- D'autre part, cette restriction ne concerne, aux termes de la fin de l'alinéa 2, que les "marché(s) réglementé(s) français", ce qui ouvre la possibilité, aux émetteurs dont les instruments financiers sont admis à négociation sur des marchés étrangers, d'intégrer les structures réglementées nationales tout en bénéficiant de procédures allégées. Cette distinction entre les émetteurs nationaux et étrangers n'est pas neutre dans le combat auquel se livrent les places financières. Il s'agit, en effet, par cette disposition, de proposer une alternative aux cotations réalisées à Londres, en offrant aux sociétés la sécurité qu'offre un marché réglementé, tout en abaissant les contraintes en matière d'information et de procédure d'admission.
Il reste que si la réforme va permettre d'augmenter l'attractivité de la place de Paris, le potentiel de financement des sociétés risque d'être plus restreint sur les compartiments que sur les marchés proprement dits car ces derniers ne sont pas, en principe, destinés à être ouverts aux petits investisseurs. En effet, l'article 516-19 nouveau du RG de l'AMF dispose que les instruments financiers du compartiment ne peuvent être acquis que par un investisseur qualifié, selon la définition qu'en donne l'article L. 411-2 du Code monétaire et financier dans son II 4° b (6). En outre, la cession ne peut intervenir qu'à l'initiative de cet investisseur et que lorsqu'il a été dûment informé des caractéristiques de ce compartiment par le prestataire de services d'investissement. Il ressort, ainsi, de cette disposition, que le compartiment constitue un segment de marché réservé aux professionnels et aux sociétés émettrices qui n'ont pas pour ambition de collecter les capitaux dans le public.
B - Les dispositions essentielles : un allègement des contraintes en matière d'information
On comprend donc, à l'issue de ce bref exposé, que l'allégement des contraintes pesant sur les émetteurs va, également, se traduire par un allègement de l'information, les investisseurs avisés constituant des acteurs des marchés financiers particulièrement à même de mesurer le degré de risque encouru par catégorie d'opérations -ou de marchés-. Le texte prévoit, ainsi, une première série d'allègements qui visent, d'abord, directement les émetteurs étrangers, encouragés à utiliser leur langue d'origine à l'occasion de l'émission, la modification du RG de l'AMF portant, à ce titre, sur les articles 212-5, 212-12 et 221-2 (7).
L'article 212-5 disposait déjà, en premier lieu, que l'obligation de publier un prospectus ne s'appliquait pas à l'admission aux négociations sur un marché réglementé de certaines "catégories d'instruments financiers", l'article constituant, en fait, une liste d'exemptions de publication dudit prospectus. Etaient ainsi exemptées, à l'origine -entre autres (8)- : "les instruments financiers déjà admis aux négociations sur un autre marché réglementé", si un ensemble de conditions, qu'il n'y a pas lieu de détailler ici, étaient réunies. L'article ajoutait, dans sa rédaction originelle, que lorsque lesdites conditions étaient remplies (9), l'émetteur était dispensé de l'édition d'un prospectus mais qu'il devait publier un résumé en français. Or, maintenant, la réforme l'en dispense et autorise la publication en langue étrangère, si l'émission est limitée au compartiment.
Le même type de dispositions a été pris, par ailleurs, s'agissant de l'article 212-2 du RG qui prévoyait deux dérogations aux règles de publication en langue locale mais qui contraignait, initialement, lorsque ce prospectus était visé par l'AMF dans sa langue originelle, que son résumé soit quand même traduit en français. Désormais, la réforme des marchés réglementés fait disparaître cette contrainte lorsque l'émetteur n'introduit l'instrument financier que sur le compartiment. Enfin, cette sujétion particulière est également levée, pour ces mêmes instruments, en matière de communication de l'information financière prévue au titre II du livre II du RG. Ce dernier prévoyait, déjà, un certain nombre de dérogations et autorisait la transmission des informations dans toute "langue usuelle en matière financière". Il accordera, désormais, en outre, en vertu du troisième alinéa de l'article 221-2, une dérogation à la publication en français pour les émetteurs d'instruments financiers introduits sur le compartiment.
Indépendamment de ces dérogations à la publication en français, d'autres dispositions allègent, cette fois, la procédure d'admission, notamment par la modification des articles 212-14, 212-15 et 212-16 du RG. C'est, d'abord, l'article 212-14 qui prévoit, dans sa nouvelle version, la dispense de la production d'une attestation des contrôleurs légaux des comptes concernant la vérification du prospectus. C'est, ensuite, la reformulation de l'article 212-15, qui les exonère de la vérification complète, dite "lecture" du document, disposition complétée, enfin, par la nouvelle rédaction de l'article 212-16 qui dispense également les prestataires de services d'investissement de certifier le contenu du prospectus.
Reste que les objectifs assignés à la création des compartiments, vont au-delà de la recherche d'une attractivité juridique et technique pour les seules sociétés ayant leur siège statutaire en Europe. L'hypothèse de l'admission d'instruments financiers introduits par des émetteurs ayant leur siège statutaire hors du territoire de l'Espace économique européen est, en effet, envisagée par la nouvelle formulation des articles 212-36, 212-37 et 212-38 du RG. Globalement, l'émission se trouve facilitée par la possibilité, déjà envisagée par le RG, d'établir un prospectus conforme aux "standards internationaux" mais la nouveauté, en revanche, consiste à permettre que ce "prospectus" n'ait pas à subir les contraintes de traduction si les instruments financiers demeurent sur le compartiment.
C'est, enfin, au moyen de dispositions plus générales que le RG prend en considération la particularité de la compartimentation, prévoyant, en premier lieu, dans son article 221-4 nouveau, que la communication financière devra être adaptée aux "circonstances" propres à l'admission d'un instrument financier au compartiment, formule apparemment floue mais qui constitue, en réalité, une réserve d'appréciation discrétionnaire pour l'AMF. Cette particularité se traduit, en second lieu, par l'allégement des contraintes en matière d'information comptable, dans la nouvelle rédaction de l'article 222-2, et par l'exonération de l'émetteur de l'obligation de communiquer au marché des informations sur la rémunération des contrôleurs légaux des comptes, dans l'article 222-8 nouveau.
II - Les effets de la compartimentation sur la structure des marchés
Les effets de la compartimentation sur la structure des marchés se traduisent par une altération de la logique originelle qui a présidé à la création des marchés réglementés (A), mais cette altération peut également être analysée comme une évolution positive, susceptible d'être à l'origine de l'apparition d'un nouveau modèle de marché (B).
A - La compartimentation confrontée à la nature des marchés réglementés
Il est nécessaire, afin de mieux comprendre l'importance de l'introduction de la compartimentation au sein des marchés réglementés, de revenir à la genèse de leur apparition et des objectifs que leur ont assignés, successivement, les instances communautaires et le législateur de droit interne. La création des marchés réglementés est la résultante, en effet, de la réorganisation des marchés financiers en Europe et de la volonté communautaire de moderniser ces marchés, notamment en créant une structure modèle, suffisamment simple pour pouvoir être commune à tous les ordres juridiques des Etats membres.
La création des marchés réglementés résulte ainsi de l'édiction de la loi du 2 juillet 1996 (10) (dite de modernisation) qui transpose la Directive sectorielle du 10 mai 1993 sur les services d'investissement (11). Cette dernière, placée sous l'égide de l'article 52 du Traité de Rome (12), imposait aux Etats membres le respect des principes de libre prestation de service (13) et de liberté d'établissement (14) en organisant les marchés autour de deux pôles. Le premier pôle était composé des marchés de gré à gré, censés fonctionner exclusivement sur le fondement de règles contractuelles établies selon la volonté des parties. Le second était constitué autour des marchés réglementés, structures placées sous la tutelle de la puissance publique, dotées de règles strictes de fonctionnement. Cette dualité était, ainsi, destinée à créer des espaces de transaction dédiés à deux catégories de financeurs : les investisseurs, avec les marchés réglementés, et les professionnels dont l'activité devait se concentrer sur les marchés de gré à gré.
D'emblée, ainsi, la constitution des marchés réglementés s'est accompagnée, protection du consommateur de produits financiers oblige, de nombreuses mesures d'encadrement public aux fins de garantir un niveau de sécurité très important pour les petits porteurs. A ce titre, il convient de souligner la lourdeur du mécanisme de création d'un marché réglementé face à la souplesse de la mise en oeuvre d'un compartiment.
Le dispositif juridique originel consistait, en effet, à instituer le marché en trois étapes, correspondant à autant d'édiction de règles de fonctionnement, l'intervention du ministre dans cette procédure normative parachevant le processus. Désormais, c'est l'article L. 421-4 du Code monétaire et financier, tel que modifié par l'ordonnance n° 2007-544 du 12 avril 2007, qui encadre le processus de reconnaissance d'un marché réglementé (15) mais par un ensemble de mécanismes presque aussi complexes qu'auparavant. Créer, ainsi, un marché réglementé n'apparaît être envisageable que pour des opérations de très grande envergure. En tout état de cause, le marché réglementé, dans le nouveau cadre légal de l'ordonnance du 12 avril 2007, est toujours contraint à un fonctionnement régulier, en vertu des dispositions de l'article L. 421-1 du Code monétaire et financier (16), alors que ce type de fonctionnement est peu compatible avec l'admission de valeurs que seuls les professionnels seraient appelés à financer.
La compartimentation permet, ainsi, d'obvier à la difficulté de création des marchés réglementés. L'entreprise de marché qui gère déjà un marché réglementé disposera de la faculté de proposer, pour l'émetteur, une cotation sur un marché de premier rang et très sécurisé, tout en garantissant une souplesse administrative et juridique lors de l'admission. Pourtant, en théorie, cette organisation en compartiment est paradoxale car la pesanteur du fonctionnement des marchés réglementés a toujours eu pour seule justification la protection des petits investisseurs, alors que ces derniers ne pourront financer les valeurs du compartiment. On pourrait s'étonner, au surplus, que les sociétés puissent être attirées par la cotation en compartiment, dès lors que cette dernière n'offre que des possibilités de financement limitée tout en étant caractérisée par un fonctionnement très encadré. D'autres remarques pourraient, d'ailleurs, être formulées à l'encontre de la création de compartiments.
L'une tient au mécanisme, déjà souligné, qui semble favoriser les émetteurs communautaires déjà admis à négociation sur un marché réglementé étranger, qui pourront accéder au compartiment selon une procédure simplifiée, alors qu'un émetteur national, placé dans la même situation ne peut, à l'heure actuelle, demander à se déplacer sur le compartiment. Ce traitement différencié entre émetteurs de l'Union se justifie, sans doute, par des considérations d'intérêt général fondées sur la protection du petit investisseur, mais paraît faire peser une sujétion singulièrement discriminatoire sur les émetteurs nationaux.
S'agissant, d'ailleurs, de ces derniers, l'autre remarque tient au fait que le compartiment demeure, pour les émetteurs locaux (et le point a également été souligné), un marché de transition vers les marchés réglementés stricto sensu. Il ne semble, toutefois, pas possible, à l'heure actuelle, pour ces mêmes émetteurs, de se retirer progressivement d'un marché réglementé en se plaçant sur le compartiment.
B - Un nouveau modèle de marché ?
Indépendamment de ces remarques pratiques, la Directive "MIF", en toute hypothèse, semble permettre de reconsidérer l'ensemble des bases posées par la Directive sur les services d'investissement. La distinction entre marché réglementé et marché libre, qui en constituait le substratum, est désormais résolument abandonnée, au point qu'on est en droit de s'interroger sur la possible émergence d'un nouveau modèle de marché. La compartimentation, en effet, semble devoir changer l'approche même de la notion de marché réglementé. A l'origine, ce dernier avait pu être présenté, par certains auteurs (17), comme une structure destinée à pérenniser l'ancienne organisation boursière, marquée par un encadrement fort par la puissance publique, voire par sa soumission au service public.
L'adoption d'un régime ressortissant du droit privé, à l'occasion de l'édiction de la loi sur la modernisation des activités financières du 2 juillet 1996, puis, la transposition de la Directive "MIF" par l'ordonnance du 12 avril 2007, sont venues perturber cet ordonnancement idéal qui voulait que les marchés publics s'opposent aux marchés privés. Nous ne reviendrons pas sur l'analyse de l'ordonnance précitée, amplement détaillée il y a peu de temps dans ces colonnes (18), mais nous nous attarderons sur les conséquences possibles de la compartimentation face à la nouvelle structure des marchés.
En premier lieu, on remarquera que cette faculté de compartimentation brise la logique d'un encadrement juridique unitaire pour chaque marché réglementé. En effet, même à supposer que les instruments financiers du compartiment soient soumis à des règles de cotation uniformes, les règles d'admission, elles, seront différentes, ce qui ouvrira, sans doute, la possibilité d'imaginer, hors des dispositions concernant la sécurité des marchés, d'adopter des règles dualistes, voire plurales, corrélées aux besoins et au nombre des compartiments.
On relèvera, en second lieu, que la compartimentation, si elle devait se généraliser, pourrait conduire à la conservation d'un seul marché réglementé par place, l'existence de ce marché garantissant la sécurité des petits investisseurs, la compartimentation n'ayant pour objectif que de cantonner le risque, lié à la faible information dans des divisions spécialisées du marché. A terme, donc, l'hypothèse de l'existence d'un seul marché sous tutelle de la puissance publique mais divisé en sous structures aux contraintes réglementaires plus souples, semble pouvoir être envisageable.
Enfin, mais cette troisième remarque ne concerne plus la sphère du droit, cette compartimentation ouvrira, sans doute, comme ses instigateurs l'espéraient, la voie à une augmentation de l'attractivité de la place de Paris qui présentera, paradoxalement, l'atout de proposer un fonctionnement très sécurisé des marchés réglementés avec la possibilité d'opter, au sein de ces marchés, pour un régime juridique allégé.
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