La lettre juridique n°289 du 24 janvier 2008 : Social général

[Textes] Modernisation du marché du travail : présentation générale de l'accord national interprofessionnel

Réf. : Accord sur la modernisation du marché du travail du 11 janvier 2008

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N8299BDQ

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par Charlotte Figerou, Juriste en droit social

le 07 Octobre 2010

Il aura fallu près de quatre mois pour aboutir à un accord historique, fruit des négociations entre les organisations syndicales et patronales, dont l'objectif numéro un est de faire baisser le chômage en France. Quatre mois de négociations qui ont conduit les partenaires sociaux à élaborer un accord national interprofessionnel (Ani), qui a vu le jour le 11 janvier dernier, et qui, comme son nom l'indique, vise à moderniser le marché du travail. L'accord sur la modernisation du marché du travail a été signé par quatre des cinq syndicats représentatifs au plan national (CFDT, FO, CFTC, CFE-CGC) et trois organisations patronales (Medef, CGPME, UPA). En présence d'un tel accord majoritaire, il ne reste plus au Gouvernement qu'à le transformer en projet de loi, projet qui pourrait être présenté en Conseil des ministres avant les municipales de mars. La philosophie de ce texte équilibré, son maître mot, est la "flexisécurité" à la française. Sans révolutionner à proprement parler le Code du travail, cet Ani assouplit l'encadrement des contrats de travail et sécurise les parcours professionnels. Nous vous proposons de faire le point, dans les développements qui suivent, sur ses mesures phares.
  • L'abandon du contrat de travail unique

Alors que le Président de la République, Nicolas Sarkozy, en avait fait l'un de ses chevaux de bataille lors des élections présidentielles de mai dernier, le contrat de travail unique ne verra pas le jour. Rappelons, pour mémoire, que ce dispositif mort-né consistait à instaurer un seul type de contrat de travail pour toutes les entreprises, qui devait prendre le forme d'un contrat à durée indéterminée (lire, sur ce sujet, Le contrat de travail unique : questions à... Sophie Jammet, avocate au barreau de Paris, Lexbase Hebdo n° 254 du 29 mars 2007 - édition sociale N° Lexbase : N3786BAH).

On est loin, aujourd'hui, de ce contrat unique, puisque l'Ani du 11 janvier 2008, dans son article premier, réaffirme son attachement aux contrats de travail précaires. Après avoir rappelé, en effet, que le CDI reste la forme normale et générale du contrat de travail, les partenaires sociaux poursuivent en énonçant que le contrat de travail à durée déterminée et le contrat de travail temporaire conservent leur utilité et constituent des moyens de faire face à des besoins momentanés de main-d'oeuvre. Rien de bien neuf ici, si ce n'est le désir d'inscrire, une nouvelle fois, dans le marbre que notre droit du travail n'entend pas faire une croix sur le recours aux contrats précaires, dès lors que l'employeur les utilise rationnellement.

  • La période d'essai "interprofessionnelle"

Actuellement, la période d'essai est fixée par l'accord de branche, le plus souvent, à 3 mois renouvelables une fois pour les cadres, et un mois renouvelable une fois pour les non cadres.

A première vue, l'Ani allonge la durée de la période d'essai, puisque, selon l'accord, la nouvelle période d'essai "interprofessionnelle" est comprise, pour les ouvriers et les employés, entre 1 et 2 mois maximum ; pour les agents de maîtrise et les techniciens, entre 2 et 3 mois maximum ; enfin, pour les cadres, entre 3 et 4 mois maximum. Or, l'Ani permet à un accord de branche de renouveler une fois cette durée, sans que l'essai ne puisse respectivement dépasser 4, 6 et 8 mois.

Certaines organisations syndicales sont, alors, montées au créneau, craignant par là même le retour d'un "mini CNE". Mais, à y regarder de plus près, cette crainte semble injustifiée. En effet, on imagine mal un syndicat se risquer à signer un accord de branche prévoyant ce renouvellement de l'essai...

Ainsi, finalement, les nouvelles durées de la période d'essai, hors renouvellement, sont sensiblement équivalentes aux anciennes... Peu de changement à ce niveau là, donc.

Par ailleurs, l'Ani prévoit que la durée d'un stage de fin d'études sera, désormais, prise en compte dans la durée de la période d'essai, "sans que cela puisse la réduire de plus de moitié, [...] en cas d'embauche dans l'entreprise à l'issue de la formation".

  • Le développement de procédures alternatives à la saisine du juge : la rupture conventionnelle du contrat de travail

L'une des principales innovations de l'accord est la création d'un nouveau mode de rupture du CDI, de type conventionnel. C'est, ici, l'un des changements majeurs apportés par cet Ani et qui valide une pratique largement répandue dans l'entreprise mais qui revêtait, jusque-là, la forme d'un licenciement déguisé. En effet, les employeurs peuvent déjà conclure des transactions avec les salariés dont ils veulent se séparer. Cependant, de telles transactions ne permettent l'accès à l'assurance-chômage que si elles sont déguisées en licenciement.

La rupture conventionnelle n'est ni un licenciement, ni une démission, et elle suppose l'accord des deux parties, employeur et salarié. Cette rupture négociée ouvre droit aux indemnités de rupture (1/5ème de mois par année d'ancienneté dans l'entreprise) et aux allocations de chômage, à l'instar du licenciement. Le salarié et -c'est nouveau- l'employeur pourront se faire assister, lors des discussions préalables à cette rupture. Surtout, ce mode de rupture accorde une place toute particulière à l'Etat, puisque l'Ani prévoit l'homologation de la rupture par le directeur départemental du travail, ce qui constitue incontestablement une nouveauté. Précisons que le silence de ce dernier vaut acceptation de la rupture conventionnelle, passé un délai de 15 jours. Par ce dispositif, on voit se profiler le rôle du juge administratif que le salarié devra saisir s'il se ravise. Et l'on imagine aisément combien la procédure prud'homale qui s'ensuivra sera longue et délicate...

  • L'encadrement et la sécurisation de la rupture du contrat de travail

L'Ani rappelle la nécessité de motiver tous les licenciements. Tous doivent donc reposer sur un motif réel et sérieux, motif dont le salarié doit nécessairement avoir connaissance. En outre, et c'est ici que l'Ani est plus novateur, l'indemnité minimale de licenciement est doublée lors des dix premières années dans l'entreprise, puisque son montant ne peut être inférieur, sauf dispositions conventionnelles plus favorables à partir d'un an d'ancienneté dans l'entreprise, à 1/5ème du salaire mensuel par année de présence.

A relever également, l'Ani redonne toute sa place à la conciliation prud'homale qui doit, aux termes du texte, retrouver "son caractère d'origine de règlement amiable, global et préalable à l'ouverture de la phase contentieuse proprement dite devant le bureau de jugement".

  • Le CDD à "objet défini"

L'Ani institue, à titre expérimental, un nouveau contrat de travail, réservé aux ingénieurs et cadres, et conclu pour la réalisation d'un objet défini. Autrement dit, sa réalisation constitue un motif valable de rupture de contrat, automatiquement donc. Ce contrat, conformément au souhait de certaines organisations syndicales, prendra la forme d'un contrat à durée déterminée, par définition plus difficile à rompre et plus avantageux pour le salarié en termes d'indemnités de rupture. La durée de ce CDD, dont le terme est incertain, est comprise entre 18 et 36 mois, sans possibilité de renouvellement. Le recours à ce type de contrat est subordonné à la conclusion d'un accord de branche ou d'entreprise, précisant les "nécessités économiques auxquelles il est susceptible d'apporter une réponse adaptée". En outre, ce contrat pourra être rompu à la date anniversaire de sa conclusion, soit un an après sa signature, par l'une ou l'autre des parties pour un motif réel et sérieux. S'il est effectivement rompu, le salarié a droit à une indemnité d'un montant égal à 10 % de sa rémunération brute et non assujettie aux prélèvements sociaux et fiscaux. Le salarié aura, par ailleurs, droit aux allocations chômage.

  • L'accès à la portabilité de certains droits

Aux termes de l'Ani, un mécanisme de portabilité est mis en place afin de garantir le maintien de l'accès à certains droits liés au contrat de travail en cas de rupture de celui-ci. Il est, ainsi, prévu que le salarié pourra conserver le bénéfice des garanties des couvertures complémentaires santé et prévoyance pendant une durée égale à un tiers de sa durée d'indemnisation du chômage, avec un minimum de trois mois. Par ailleurs, il gardera également 100 % du solde des heures de formation, acquises au titre du droit individuel à la formation (Dif) dans son ancienne entreprise (20 heures par an, dans la limite de 120 heures).

  • Une meilleure prise en charge des jeunes

L'Ani prévoit plusieurs mesures en faveur des jeunes, parmi lesquelles on retiendra surtout, ainsi que nous l'avons énoncé ci-dessus, la prise en compte de la durée du stage, intégré à un cursus pédagogique réalisé lors de la dernière année d'études, dans la durée de la période d'essai. Egalement, novation importante, la création d'une prime forfaitaire pour les jeunes de moins de 25 ans (c'est-à-dire n'ayant pas droit au RMI), involontairement privés d'emploi et ne remplissant pas les conditions de durée d'activité antérieure ouvrant l'accès aux allocations chômage.

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