La lettre juridique n°289 du 24 janvier 2008 : Famille et personnes

[Jurisprudence] Demande de suppression d'une contribution à l'entretien d'un enfant et charge de la preuve

Réf. : Cass. civ. 1, 9 janvier 2008, n° 06-19.581, Mme Zoubida Amraoui, épouse Maurice, FS-P+B (N° Lexbase : A2667D38)

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

le 07 Octobre 2010

Chacun des parents est, en principe, tenu d'assumer matériellement à l'égard de ses enfants un devoir d'entretien ayant pour finalité de les protéger, de les éduquer et de permettre leur développement. Ainsi, l'article 371-2 du Code civil (N° Lexbase : L3937C39), dans sa rédaction issue de la loi du 4 mars 2002 (loi n° 2002-305, relative à l'autorité parentale N° Lexbase : L4320A4R), affirme que "chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants". Si l'on s'accorde généralement à fonder le devoir d'entretien des parents à l'égard des enfants non pas sur le lien de mariage, mais plutôt sur le lien de filiation, ce qui incite assez spontanément à le rattacher à l'autorité parentale, encore faut-il relever que de nombreuses dispositions marquent l'autonomie du devoir qu'ont les parents d'entretenir leurs enfants par rapport à l'exercice de l'autorité parentale : aussi la contribution est-elle due, en cas de séparation, quelle que soit la modalité d'exercice de l'autorité parentale (C. civ., art. 373-2-2 N° Lexbase : L6969A4U), si bien que, en définitive, le père ou la mère qui n'exerce plus cette autorité après la séparation en reste tenu, de même que le parent naturel qui n'exerce pas son autorité. En outre, confortant l'idée de l'autonomie du devoir d'entretien des parents à l'égard de leurs enfants par rapport à l'autorité parentale, il faut préciser que, alors que l'autorité parentale disparaît automatiquement lorsque l'enfant parvient à la majorité, tel n'est pas nécessairement le cas du devoir d'entretien. Ainsi, fondamentalement, l'existence du devoir d'entretien des enfants qui pèse sur les parents s'explique par le besoin essentiel de protection de l'enfant et la vocation naturelle des parents à assumer cette protection. Il n'est, cependant, pas rare que, après avoir contribué à l'entretien de l'enfant, l'un des parents cherche à être déchargé de son obligation et, donc, demande judiciairement la suppression de la contribution. Des questions de preuve se posent alors, comme en témoigne une affaire ayant donné lieu à un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 9 janvier dernier, à paraître au Bulletin.

Les juges d'appel avaient, en l'espèce, supprimé la contribution du père à l'entretien de son fils majeur, retenant que celui-ci ne démontrait pas qu'il serait encore à la charge principale de sa mère, autrement dit qu'il n'était pas en mesure de s'assumer seul. Sous le visa des articles 1315 (N° Lexbase : L1426ABG) et 373-2-5 (N° Lexbase : L6972A4Y) du Code civil, la Cour de cassation casse l'arrêt de la cour d'appel de Colmar : après avoir affirmé, dans un attendu ayant les allures d'un principe, "qu'il appartient à celui qui demande la suppression d'une contribution à l'entretien d'un enfant de rapporter la preuve des circonstances permettant de l'en décharger", la Cour énonce "qu'en faisant ainsi peser la charge de le preuve sur l'enfant, la cour d'appel a violé les textes susvisés". Il faut rappeler que la loi du 4 mars 2002, dont on a relevé qu'elle avait consacré l'autonomie du devoir d'entretien par rapport à l'autorité parentale, a, également, entendu affirmer l'autonomie du devoir d'entretien et de l'incapacité de l'enfant : ainsi, généralisant la solution que les textes ne consacraient jusque là, en matière de divorce, l'article 373-2-5 prévoit que "le parent qui assume à titre principal la charge d'un enfant majeur qui ne peut lui-même subvenir à ses besoins peut demander à l'autre parent de lui verser une contribution à son entretien et à son éducation".

La mise au point faite par l'arrêt est importante dans la mesure où, depuis quelques années, une certaine incertitude paraissait exister, quand un enfant reçoit une pension, en général après le divorce de ses parents, sur la situation exacte à sa majorité : le débiteur doit-il prouver que l'enfant n'est plus dans le besoin ou l'enfant (ou le parent qui l'entretien en fait) doit-il prouver que les aliments lui sont encore nécessaires ? Sans doute classiquement décidait-on que, lorsqu'un parent a été condamné à contribuer à l'entretien de son enfant, il lui incombe, s'il demande la suppression de cette contribution, de rapporter la preuve des circonstances permettant de l'en décharger (Cass. civ. 2, 29 mai 1996, n° 94-10.520, Mme X c/ M. Y N° Lexbase : A8483ABS, Bull. civ. II, n° 116 : cas d'un enfant devenu majeur).

Mais, un arrêt de la même deuxième chambre civile du 26 septembre 2002 avait paru jeter le doute sur la question, au point, d'ailleurs, d'être présenté par certains auteurs comme constituant un revirement de jurisprudence, l'arrêt considérant qu'il appartient à la mère de prouver que l'enfant est à sa charge lorsque le père demande la suppression de la contribution qu'il versait jusque là (Cass. civ. 2, 26 septembre 2002, n° 00-21.234, FS-P+B+I N° Lexbase : A4925AZG, Bull. civ. II, n° 192, RTDCiv. 2003, p. 74, obs. J. Hauser).

Toujours est-il que, par la suite, la Cour de cassation a, à plusieurs reprises d'ailleurs, confirmé la solution de 1996 (Cass. civ. 1, 22 février 2005, n° 03-17.135, FS-P+B N° Lexbase : A8701DGD, Bull. civ. I, n° 94 ; Cass. civ. 1, 14 février 2006, n° 05-11.001, F-P+B N° Lexbase : A1883DN3, Bull. civ. I, n° 64 ; Cass. civ. 1, 20 juin 2006, n° 05-17.475, F-P+B N° Lexbase : A0011DQH, Bull. civ. I, n° 312 ; Cass. civ. 1, 12 décembre 2006, n° 05-11.945, FS-P+B N° Lexbase : A9020DSU, Bull. civ. I, n° 543), que l'arrêt du 9 janvier dernier reprend à nouveau. Les choses paraissent donc clarifiées, et l'on peut, après d'autres, considérer qu'il n'y a, en réalité, jamais eu de revirement de jurisprudence, la Cour de cassation ayant seulement entendu distinguer deux séries d'hypothèses différentes :

- s'agissant de l'obligation assumée à l'égard de l'enfant, c'est bien au parent de prouver que le devoir a cessé, la majorité de l'enfant ne suffisant pas ;
- s'agissant de la contribution versée par un parent à l'autre, il convient, aujourd'hui encore, de ne pas confondre la demande initiale en contribution -même formée après la majorité de l'enfant- et pour laquelle c'est logiquement au demander de prouver qu'il assume la charge de l'enfant, et la demande ultérieure en suppression, pour laquelle, effectivement, "il appartient à celui qui demande la suppression de la contribution de rapporter la preuve de circonstances qui permettent de l'en décharger" (sur cette distinction, voir not. F. Terré et D. Fenouillet, Droit civil, Les personnes, La famille, les incapacités, Précis Dalloz, 7ème édition, 2005, n° 1121).

Par où l'on voit bien, en définitive, que l'on en revient aux règles classiques relatives à la charge de la preuve -d'où la référence à l'article 1315 du Code civil dans le visa, d'ailleurs cité en premier, avant même l'article 373-2-5-.

On observera simplement, pour finir, que la jurisprudence subordonne la suppression de la contribution à la preuve de "circonstances" permettant d'en décharger le débiteur. Il restera à savoir de quelles circonstances il s'agit pour un enfant majeur, d'autant que, comme on a pu le dire, "le législateur de 2002 s'est contenté d'une affirmation gratuite sans danger sans nous fournir le mode d'emploi qui eût été politiquement plus délicat" (J. Hauser, obs. RTDCiv. 2005, p. 379, spéc. p. 380).

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