Réf. : Accord sur la modernisation du marché du travail du 11 janvier 2008
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N8211BDH
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Envisagé dans son ensemble, l'article 1er de l'accord du 11 janvier 2008, sur la modernisation du marché du travail, peut être qualifié de simple déclaration d'intention, dans la mesure où il ne présente pas véritablement de force contraignante. Il n'en revêt pas moins une grande importance, moins, sans doute, par ce qu'il affirme de manière expresse que par ce qu'il laisse entendre. Il témoigne, en outre, très clairement du compromis qui irrigue l'ensemble de l'accord.
Une lecture rapide du texte peut laisser à penser que les partenaires sociaux se sont bornés à reprendre des dispositions qui figurent de longue date dans le Code du travail. Ainsi, l'affirmation selon laquelle "le contrat à durée indéterminée est la forme normale et générale du contrat de travail" (al. 1er) reprend l'idée que ce contrat est le contrat de principe, ainsi que le précise l'article L. 121-5 dudit code (N° Lexbase : L5447ACQ) (1). De même, l'alinéa 3 de l'article confirme le caractère exceptionnel du recours au contrat à durée déterminée et au contrat de travail temporaire qui doit se faire "dans le respect de leur objet et ne peut se justifier que pour faire face à des besoins momentanés de renfort, de transition et de remplacement objectivement identifiables par le comité d'entreprise ou, à défaut, par les délégués du personnel dans le cadre de leurs attributions respectives concernant l'évolution de la situation de l'emploi dans l'entreprise" (2).
Les partenaires sociaux marquent, ainsi, très clairement leur attachement au contrat à durée indéterminée en tant que contrat de droit commun et signifient que les contrats à durée déterminée et les contrats de travail temporaire ne sauraient être détournés de leur objet (3). Rien de bien nouveau donc. Est, en revanche, plus intéressante, l'affirmation selon laquelle, dans un environnement en perpétuelles fluctuations et dans un contexte de concurrence mondiale, l'utilité économique du contrat de travail à durée déterminée et du contrat de travail temporaire est "avérée" (al. 2). Bien qu'il convienne d'être prudent quant à la recherche de l'intention des négociateurs de l'accord, cette stipulation nous paraît marquer le rejet par les partenaires sociaux d'un contrat de travail unique qui viendrait se substituer purement et simplement à l'arsenal des contrats existants (4). Certains ne manqueront pas de regretter le maintien de la dualité du marché du travail entre contrats à durée indéterminée et contrats précaires. Elle paraît, cependant, correspondre à une réalité qu'il est difficile d'occulter.
Pour le reste, l'article 1er de l'accord revient sur l'information des représentants du personnel en matière de recours au travail précaire. Une telle information est envisagée de manière détaillée par les articles L. 432-4-1 (N° Lexbase : L6396ACU) et L. 432-4-2 (N° Lexbase : L6406ACA) du Code du travail, qui distinguent selon que l'entreprise emploie plus ou moins de 300 salariés (5). Il est, cependant, important de relever que l'accord du 11 janvier 2008 précise que le chef d'entreprise informe le comité d'entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel, "des éléments à sa disposition qui pourraient conduire l'entreprise à faire appel, pour la période à venir, aux contrats à durée déterminée et aux contrats de travail temporaire pour accroissement temporaire d'activité". Cette précision est importante dans la mesure où, en application de la loi, l'information relative au recours aux contrats de travail précaire est tournée vers le passé, l'employeur devant communiquer aux représentants du personnel le nombre de salariés qui ont été embauchés sous ce type de contrats et les motifs l'ayant amené à y recourir. Il s'agira, désormais, d'envisager l'avenir et non plus simplement le passé. Notons que la mise en oeuvre d'une telle stipulation pourra intervenir sans le secours de la loi, même si, en application du § IV de l'accord, elle ne pourra entrer en vigueur qu'à la date de publication des dispositions législatives et réglementaires, par ailleurs, indispensables à l'application de l'accord (6).
Pour en terminer avec cet article 1er, on ne peut que se féliciter de l'affirmation selon laquelle "s'agissant des contrats aidés, les parties signataires demanderont aux Pouvoirs publics de procéder à une simplification et rationalisation des dispositifs existants" (dernier al.). Il faut, en effet, souhaiter que le législateur se décide, enfin, à éclaircir le maquis constitué par ces contrats aidés dont la succession et l'empilement au fil des alternances politiques sont à déplorer.
Si la GPEC a, d'ores et déjà, fait couler beaucoup d'encre, elle sera, sans aucun doute, à nouveau sur le devant de la scène en 2008 à, au moins, deux égards. En premier lieu, il importe de rappeler que les entreprises et groupes d'entreprises occupant au moins 300 salariés avaient jusqu'au 20 janvier dernier pour ouvrir des négociations en la matière. L'échéance de cette date butoir devrait conduire à la signature d'un nombre accru d'accords ayant pour objet la GPEC, même si, faut-il le rappeler, obligation de négocier ne signifie pas obligation de conclure (7). En second lieu, il est à espérer que l'année à venir donnera l'occasion à la Cour de cassation, d'ores et déjà saisie de la question, de se prononcer sur la lancinante question de l'articulation entre l'obligation triennale de négocier la GPEC et la mise en oeuvre d'un projet de licenciement économique. Ce problème a donné lieu à des décisions contradictoires des juges du fond, certains n'hésitant pas à juger qu'il y a lieu d'ordonner la suspension de la procédure d'information-consultation du comité d'entreprise au titre des livres III et IV du Code du travail, le temps pour l'employeur d'engager la négociation sur la GPEC et de mener à terme la consultation des institutions représentatives du personnel sur cette même GPEC (8).
Replacées dans un tel contexte, les stipulations de l'accord du 11 janvier 2008 sur la GPEC prennent un relief particulier, même si l'article 9 de l'accord ne se caractérise pas, là encore, par sa contrainte. Les parties à l'accord ont entendu faire de la GPEC un élément clé de la sécurisation des parcours professionnels. Aussi décident-ils "de rappeler les principes directeurs de cette démarche et de lui donner une nouvelle dynamique" (art. 9, al. 1er).
S'agissant du rappel des principes directeurs de cette démarche, les parties soulignent que la GPEC "a pour objet de faciliter, tant pour les salariés que pour les entreprises, l'anticipation des besoins d'évolution et de développement des compétences en fonction de la stratégie de l'entreprise ainsi que des évolutions économiques, démographiques et technologiques prévisibles". Partant, "la GPEC doit constituer, pour les salariés, un outil majeur pour faciliter les évolutions de carrière internes ou externes, choisies ou acceptées, en leur permettant de disposer de points de repère dans la gestion de leur parcours professionnel. Elle est un facteur essentiel de sécurisation des parcours professionnels des salariés. Elle constitue conjointement pour les entreprises un élément de dynamisme économique".
On l'aura compris, la GPEC présente des avantages tant pour les salariés que pour l'entreprise dans laquelle ils oeuvrent (9). Si un tel objectif n'est pas illusoire, il exige que la GPEC fasse l'objet d'une négociation approfondie et que chaque partie prenante à la négociation ait à l'esprit les préoccupations de l'autre. C'est ce que tend à signifier la précision selon laquelle "la GPEC doit s'inscrire dans le cadre d'un dialogue social dynamique avec les représentants du personnel, en prenant appui sur la stratégie économique définie par l'entreprise" (10).
Vouloir inscrire la GPEC dans le cadre de la sécurisation des parcours professionnels est une bonne chose. Mais cet objectif exige de dépasser le seul cadre de l'entreprise ou du groupe. Or, et cela a été évoqué précédemment, l'obligation de négocier sur la GPEC ne concerne, pour l'heure, que l'entreprise ou le groupe et, qui plus est, des structures d'une taille importante.
Il était donc nécessaire d'envisager le développement de la GPEC dans les PME, les branches et les territoires. A ce titre, l'accord souligne que l'importance de celle-ci doit conduire les partenaires sociaux des différentes branches professionnelles à rechercher les moyens d'en développer l'accès dans les entreprises non assujetties à l'obligation triennale de négocier sur la mise en place d'un tel dispositif (11).
Enfin, on ne saurait passer sous silence une précision de l'accord commenté qui stipule qu'"en tant que démarche globale d'anticipation, la GPEC doit être entièrement dissociée de la gestion des procédures de licenciements collectifs et des PSE". On peut, évidemment, voir dans cette affirmation, une simple indication à destination des partenaires sociaux qui, au niveau des entreprises ou groupes d'entreprises, auront à négocier la GPEC. Mais, on ne peut s'empêcher d'y déceler, également, un sérieux démenti à l'égard de certains juges du fond qui ont, au contraire, lié GPEC et procédures de licenciements économiques. Reste à savoir la solution qu'entendra privilégier la Cour de cassation.
Apparu en France au milieu des années quatre-vingt, le portage salarial a été l'objet, l'année passée, de débats passionnés au sein de la doctrine, dont témoignent certains articles au ton parfois peu amène (12). Il est vrai que la licéité de cette technique peut prêter à discussion sur bien des points, alors même qu'elle paraît rencontrer en pratique un succès croissant. La volonté des partenaires sociaux de sécuriser cette pratique apparaît, par suite, légitime, même si, nous allons le voir, on est en droit de se demander si une telle sécurisation relève réellement de leur compétence.
Ainsi que l'indique l'article 19 de l'accord commenté, "le portage salarial se caractérise par :
- une relation triangulaire entre une société de portage, une personne, le porté et une entreprise cliente ;
- la prospection des clients et la négociation de la prestation et de son prix par le porté ;
- la fourniture des prestations par le porté à l'entreprise cliente ;
- la conclusion d'un contrat de prestation de service entre le client et la société de portage ;
- et la perception du prix de la prestation par la société de portage qui en reverse une partie au porté dans le cadre d'un contrat qualifié de contrat de travail".
Si l'on en croit les parties signataires de l'accord, cette forme d'activité répond à un besoin social, dans la mesure où elle permet le retour à l'emploi de certaines catégories de demandeurs d'emploi, notamment, des seniors. Le problème, relevé par ces mêmes parties signataires, réside dans le fait que cette pratique peut être considérée comme entachée d'illégalité. Encore que la question puisse être discutée (13), le portage salarial paraît, en effet, relever du délit de marchandage (C. trav., art. L. 125-1 N° Lexbase : L6406ACA) ou, encore, du prêt de main-d'oeuvre à but lucratif, dont on sait qu'il est prohibé lorsqu'il n'est pas effectué dans le cadre du travail temporaire (C. trav., art. L. 125-3 N° Lexbase : L9638GQZ). Au-delà des aspects pénaux, on peut, aussi, se demander si le porté peut être qualifié de travailleur salarié. L'absence de lien de subordination véritable à l'égard de la société de portage peut en faire douter.
Au regard de ces difficultés, les parties signataires de l'accord considèrent qu'il est souhaitable d'organiser le portage salarial afin de sécuriser la situation des portés, ainsi que la relation de prestation de service.
A cette fin, l'accord stipule que "la branche du travail temporaire organisera, par accord collectif étendu, la relation triangulaire en garantissant au porté, le régime du salariat, la rémunération de sa prestation chez le client, ainsi que de son apport de clientèle". Il est, également, prévu que la durée du contrat de portage ne devra pas excéder trois ans. Nonobstant les vertus que pourrait présenter l'accord prévu (14), ce dernier n'est pas, à notre sens, de nature à supprimer les défauts du portage salarial. S'agissant, tout d'abord, de l'illégalité du mécanisme, on ne voit pas sur quel fondement un accord collectif pourrait légaliser un mécanisme de nature à relever du délit de marchandage ou du prêt de main-d'oeuvre illicite. Seule la loi est à même d'autoriser un tel dispositif, ainsi qu'elle l'a fait pour le travail temporaire ou, encore, le travail à temps partagé. De même, et s'agissant de la volonté de garantir au porté le régime du salariat, elle ne peut dépendre d'un accord collectif. Seul le législateur est à même d'étendre le Code du travail à des personnes qui, pour une raison ou pour une autre, peinent à entrer dans la catégorie des salariés. Ne parle-t-on pas, d'ailleurs, à leur propos de "salariés par détermination de la loi" ?
En résumé, il y a tout lieu de penser que la sécurisation du portage salarial ne sera effective que si le législateur consent à se saisir de cette forme d'activité pour, enfin, la réglementer. Cette question démontre avec éclat que l'accord du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail aura besoin, sur de nombreux points, du secours du législateur pour pleinement produire ses effets. Cela nous permet de souligner que, s'il y a certainement place, désormais, pour une nouvelle articulation entre la convention collective et la loi dont témoigne l'accord sous examen, celle-ci conserve dans notre pays une place de premier plan. On ne saurait mieux dire que la balle est, à présent, dans le camp du législateur.
(1) Article qui dispose, faut-il le rappeler, que "le contrat de travail est conclu sans détermination de durée".
(2) Le caractère exceptionnel du recours à ces contrats est confirmé par l'alinéa 2 de l'article qui stipule que "le contrat de travail à durée déterminée et le contrat de travail temporaire constituent des moyens de faire face à des besoins momentanés de main-d'oeuvre".
(3) Il est, encore, précisé qu'il appartiendra aux branches professionnelles, à l'occasion de la négociation annuelle obligatoire, de jouer pleinement leur rôle et de s'assurer, à partir du rapport prévu à l'article L. 132-12 du Code du travail (N° Lexbase : L3144HIB), qu'il est fait appel à ces types de contrats (CDD, intérim, temps partiel) de façon responsable et dans le respect de leur objet.
(4) Contrat de travail unique dont il faut relever qu'il avait "du plomb dans l'aile" après la condamnation du CNE par l'OIT. Sur ce point, lire les obs. de Ch. Willmann, Contrairement au Conseil d'Etat, l'OIT invalide le contrat nouvelles embauches, Lexbase Hebdo n° 283 du 28 novembre 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N2230BDX).(5) Si les informations et documents à remettre aux représentants du personnel sont les mêmes, leur périodicité est différente : trimestrielle dans les entreprises de plus de 300 salariés et annuelle dans les autres.
(6) Il importe, à ce stade, d'apporter la précision suivante. Certaines stipulations de l'accord commenté ne pourront être appliquées que si elles sont reprises par des dispositions législatives ou réglementaires, eu égard à leur caractère dérogatoire. En revanche, il est des stipulations qui n'exigent pas une modification de cette nature pour être appliquées. Cependant, les partenaires sociaux ont expressément soumis leur entrée en vigueur à la publication au Journal officiel des dispositions législatives et réglementaires en cause. Cela ne saurait surprendre, eu égard au caractère indivisible des stipulations de l'accord ("les dispositions du présent accord correspondent à un équilibre d'ensemble").
(7) Il apparaît que 4 500 entreprises et 3 000 groupes d'au moins 300 salariés sont, potentiellement, concernés par cette obligation de négocier. Or, ce sont à peine 135 accords qui ont été conclus entre 2005 et le premier semestre 2007 sur la GPEC (v., sur ces chiffres, le hors-série de Liaisons sociales du 27 décembre 2007, 2007 : le coup d'envoi des réformes sociales et spéc. l'article d'E. Béal, Les négociations sur la GPEC s'accélèrent, p. 42).
(8) V. en ce sens, CA Paris, 14ème ch., sect. A, 7 mars 2007, n° 06/17500, Société Nextiraone France c/ Syndicat CGT UFICT du personnel de Nextiraone France (N° Lexbase : A7707DUY). Lire aussi nos obs., GPEC et licenciement pour motif économique : la position de la cour d'appel de Paris, Lexbase Hebdo n° 255 du 5 avril 2007 - édition sociale (N° Lexbase : N6192BAL).
(9) Il n'est pas certain que de tels avantages existent pour la société qui structure juridiquement l'entreprise...
(10) Précision intéressante qui démontre que la définition de la stratégie échappe à la négociation et reste l'apanage de "l'entreprise", même si les représentants du personnel doivent en être informés.
(11) Dans ce cadre général, l'accord invite les partenaires sociaux des branches professionnelles à négocier un certain nombre de dispositifs.
(12) V., notamment, L. Casaux-Labrunée, Le portage salarial : travail salarié ou travail indépendant ?, Dr. soc. 2007, p. 58 ; J.-Y. Kerbourc'h, Le portage salarial : prestation de service ou prêt de main d'oeuvre illicite ?, ibid., p. 72 ; P. Morvan, Eloge juridique et épistémologique du portage salarial, Dr. soc. 2007, p. 607 ; J.-J. Dupeyroux, Le roi est nu Réponse à P. Morvan, Dr. soc. 2007, p. 616.
(13) Il est, en effet, classiquement enseigné qu'il importe de distinguer fourniture de main-d'oeuvre et contrat de prestation de services. Tandis que la première est prohibée, le second est licite. La distinction n'est guère évidente. Relevons, cependant, que les juges attachent une grande importance à la nature de la prestation fournie. Ils recherchent, notamment, si l'entreprise prestataire de services a une activité spécifique, nettement différenciée de l'activité de l'entreprise cliente (v., par ex., Cass. soc., 25 avril 1989, Dr. soc. 1990, p. 421). Or, compte-tenu de l'objet de la société de portage, cette activité spécifique paraît absente.
(14) Il faut, au passage, relever que, contrairement à ce que laisse entendre la stipulation commentée, le portage salarial ne saurait être considéré comme l'apanage des sociétés de travail temporaire. On peut, par suite, douter de la portée véritable d'un accord conclu dans la seule branche du travail temporaire, quand bien même serait-il étendu.
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