La lettre juridique n°277 du 18 octobre 2007 : Bancaire

[Jurisprudence] Les conditions du recours en garantie du cessionnaire Dailly contre le cédant

Réf. : Cass. com., 18 septembre 2007, n° 06-13.736, Crédit industriel d'Alsace et de Lorraine, F-P+B (N° Lexbase : A4231DYD)

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N8785BCD

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par David Robine, Maître de conférences à l'Université de Rouen

le 07 Octobre 2010

L'article L. 313-24, alinéa 2, du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9257DYI) dispose qu'en cas de cession ou de nantissement de créance par bordereau Dailly, "le signataire de l'acte de cession ou de nantissement est garant solidaire du paiement des créances cédées ou données en nantissement", sauf convention contraire. Le principe est clair. Le texte est en revanche muet sur les conditions du recours du cessionnaire contre le cédant. Un arrêt rendu par la Chambre commerciale de la Cour de cassation, le 18 septembre 2007, est venu apporter d'intéressantes précisions sur ce point. En l'espèce, le client d'un établissement de crédit avait cédé à celui-ci une créance par bordereau Dailly en application d'une convention-cadre signée huit ans plus tôt. Cette convention rappelait la garantie prévue à l'article L. 313-24, alinéa 2, du Code monétaire et financier et autorisait l'établissement de crédit à débiter le compte-courant du cédant dans l'hypothèse où le débiteur cédé laisserait la créance cédée impayée à l'échéance. Le cessionnaire avait choisi de notifier la cession au cédé, lui interdisant ainsi, en application de l'article L. 313-28 du Code monétaire et financier (N° Lexbase : L9261DYN), de payer entre les mains du cédé et l'obligeant à se libérer entre ses mains. Mais la créance cédée est demeurée impayée et l'établissement de crédit a alors assigné le cédant en garantie, sur le fondement de l'article L. 313-24, alinéa 2, du Code monétaire et financier.
Or, par un arrêt du 11 janvier 2006, la cour d'appel de Metz a rejeté cette demande pour deux motifs. Les magistrats messins ont, tout d'abord, décidé que le cessionnaire "n'est fondé à poursuivre le cédant que s'il justifie d'une démarche amiable accomplie auprès du débiteur cédé à fin de paiement ou de la survenance d'un événement rendant impossible le paiement". Les juges du fond ont, ensuite, relevé que le cessionnaire n'avait pas informé le cédant de l'impayé au moment de la rupture de leurs relations et qu'il n'avait pas déclaré sa créance à la procédure collective du cédé, laissant, de ce fait, le cédant "totalement démuni" pour obtenir paiement de la créance cédée. La cour d'appel de Metz en avait déduit qu'une faute de l'établissement de crédit était dès lors caractérisée et qu'il convenait de la débouter de sa demande en réparation du préjudice causé.
Le cessionnaire s'est alors pourvu en cassation. Il contestait, d'une part, la nécessité d'une démarche amiable préalable en vue d'obtenir paiement du cédé en se fondant sur l'article L. 313-24, alinéa 2, du Code monétaire et financier, mais aussi sur les stipulations de la convention-cadre qui l'unissait au cédant et, plus particulièrement, sur l'autorisation de débit du compte-courant de ce dernier. Il niait, d'autre part, avoir commis une quelconque faute.
Le pourvoi est rejeté par la Cour de cassation au motif que, "si le cessionnaire d'une créance professionnelle qui a notifié la cession en application de l'article L. 313-28 du Code monétaire et financier bénéficie d'un recours en garantie contre le cédant, garant solidaire, sans avoir à justifier préalablement d'une poursuite judiciaire contre le débiteur cédé ou même de sa mise en demeure, il est cependant tenu de justifier d'une demande amiable adressée à ce débiteur ou de la survenance d'un événement rendant impossible le paiement".
En affirmant que le cessionnaire n'a pas à justifier d'une poursuite ou d'une mise en demeure préalable du cédé pour agir contre le cédant, la Cour de cassation ne fait que confirmer, sans surprise, sa jurisprudence antérieure (1). La solution n'est pas contestable. Elle tient à la solidarité existant entre le cédant et le cédé. De ce fait, le cédant est tenu au tout et il ne peut invoquer de bénéfice de discussion.
Le véritable intérêt de l'arrêt commenté réside dans l'affirmation selon laquelle le cessionnaire doit justifier d'une demande amiable adressée au cédé avant de pouvoir faire jouer la garantie du cédant. Cette solution avait déjà été retenue à plusieurs reprises par des juridictions du fond (2). La Cour de cassation ne s'était, en revanche, jamais prononcée, du moins aussi explicitement (3), en ce sens. La solution, loin d'être évidente, est néanmoins justifiée. Son explication réside dans la nature de l'engagement du cédant : il s'agit d'une garantie (I). Cette solution paraît toutefois avoir une portée limitée. L'arrêt semble, en effet, la réserver, logiquement, à l'hypothèse où la cession a été notifiée (II).

I - La subsidiarité de l'engagement du garant

L'affirmation, par l'arrêt commenté, que le cessionnaire est tenu de justifier d'une demande amiable adressée à ce débiteur ou de la survenance d'un événement rendant impossible le paiement pour pouvoir agir contre le cédant est de prime abord étonnante. Il est, en effet, traditionnellement souligné que le cédant est tenu en qualité de codébiteur solidaire et non en tant que caution solidaire (4). Par conséquent, son engagement ne devrait pas être subsidiaire à celui du cédé, mais intervenir au même niveau. Une poursuite du cédé par le cessionnaire ne devrait, dès lors, être subordonnée à aucune justification. Certaines juridictions du fond se sont d'ailleurs prononcées clairement en ce sens (5).

Cependant, l'absence de subsidiarité n'est pas de l'essence de la solidarité. On remarquera ainsi que l'article 1201 du Code civil (N° Lexbase : L1303ABU) dispose que l'un des codébiteurs peut être obligé différemment de l'autre au payement de la même chose. On relèvera, de même, que l'associé d'une société en nom collectif, bien que tenu de façon indéfinie et solidaire, n'est tenu que subsidiairement. En application de l'article L. 221-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L5797AIK), il ne peut être poursuivi que si la société a été vainement mise en demeure. Par conséquent, si l'absence de subsidiarité est de la nature de l'engagement solidaire, elle n'est, en revanche, pas de son essence. Un engagement solidaire subsidiaire, distinct du cautionnement, est donc concevable.

Encore faut-il toutefois, pour qu'une subsidiarité de l'engagement d'un codébiteur solidaire soit retenue, qu'une dérogation aux caractéristiques naturelles de l'engagement solidaire ait été prévue. Est-ce le cas s'agissant de l'engagement du cédant ? On peut répondre par l'affirmative. Le caractère subsidiaire de l'engagement du cédant tient à sa qualification de garantie par l'article L. 313-24, alinéa 2, du Code monétaire et financier. En sa qualité de garant, le cédant ne peut être conduit à payer que si le débiteur ne le fait pas. Pour autant la garantie repose sur un engagement solidaire, ce qui implique qu'une simple démarche amiable soit suffisante. Dès lors, la solution retenue par l'arrêt commenté paraît justifiée. D'ailleurs, une partie de la doctrine avait déjà retenu le caractère subsidiaire de l'engagement du cédant en s'appuyant sur sa qualification de garant. Un auteur souligne ainsi que l'"on doit remarquer que le cédant est créancier de la créance transférée au banquier : il n'en est nullement le débiteur. Aussi son engagement de garantir le paiement de la créance cédée ne peut-il être que subsidiaire" (6).

Une fois le caractère subsidiaire de l'engagement du cédant admis, une question mérite d'être soulevée. Est-il possible de déroger conventionnellement à ce caractère subsidiaire ? Autrement dit, les établissements de crédit ont-ils la possibilité d'intégrer efficacement une clause de style dans les conventions-cadres les unissant à leurs clients stipulant qu'ils pourront agir directement contre eux sans avoir à adresser de demande amiable de paiement au cédé ? Une telle clause ne paraissait pas avoir été aussi explicitement prévue dans l'espèce ayant donné lieu à l'arrêt commenté. Cependant, une clause de la convention-cadre stipulait que le cédant autorisait le cessionnaire "à débiter son compte courant si le ou les débiteurs cédés laissaient impayées [les] créances à l'échéance". Cette stipulation pourrait être interprétée comme l'admission par le cédant d'un recours du seul fait de l'absence spontanée de paiement par le cédé et donc comme une éviction de toute subsidiarité. Or, la Cour de cassation affirme dans l'arrêt du 19 septembre 2007 que "la circonstance que le cédant ait autorisé la banque, par convention cadre, à débiter son compte, si le débiteur cédé laissait impayée sa créance à l'échéance [n'est] pas susceptible d'exonérer la banque notificatrice de [la] démarche amiable". A supposer que l'interprétation proposée de la clause du contrat-cadre soit celle retenue, ce qui est loin d'être certain, cela signifierait qu'il n'est pas possible de déroger au caractère subsidiaire de l'engagement du cédant. Les établissements de crédit devraient donc prendre soin de toujours exercer une démarche amiable en vue d'obtenir paiement du cédé avant de mettre en jeu la garantie du cédant, du moins, comme nous allons maintenant le voir, lorsque la cession a été notifiée.

II - L'incidence de la notification de la cession au cédé

En l'espèce, l'établissement de crédit cessionnaire avait pris soin de notifier la cession au cédé (7). De ce fait il avait, comme le précise l'article L. 313-28 du Code monétaire et financier, fait interdiction au cédé de "payer entre les mains du signataire du bordereau". Cette situation a-t-elle eu une influence sur la solution retenue par la Cour de cassation ?

A première vue, une réponse négative devrait être privilégiée. Le caractère subsidiaire de l'engagement du cédant résulte, on vient de le voir, de sa qualification de garantie qui ne dépend en aucune manière d'une éventuelle notification. Cependant, on ne peut s'empêcher de relever que, dans l'arrêt commenté, la Chambre commerciale prend soin de souligner que la banque, "après avoir notifié la cession de créance", n'a pas justifié d'une démarche amiable. Or, l'on sait que la Haute juridiction, dans sa recherche d'abstraction, n'a pas l'habitude d'encombrer ses solutions de termes inutiles. Cette précision n'est dès lors certainement pas anodine. Cela signifierait donc, par une interprétation a contrario toujours incertaine, qu'en l'absence de notification, le cessionnaire n'aurait pas à justifier d'une demande amiable en paiement adressée au cédé avant d'exercer son recours contre le cédant. Un arrêt rendu par la Chambre commerciale le 26 novembre 2003 se prononce d'ailleurs implicitement en ce sens (8). Reste alors à déterminer les raisons de cette incidence de la notification.

On pourrait avancer que du fait de la notification, le cédant se trouve en position de faiblesse. Il ne peut agir contre le cédé et il court le risque que le cessionnaire reste passif et laisse disparaître toute chance de recours contre celui-ci. Cet argument ne convainc cependant pas. L'exigence d'une demande amiable ne fait pas disparaître ce risque puisque, par exemple, elle n'empêcherait pas, en cas d'ouverture d'une procédure collective à l'encontre du cédé, que la créance soit, à défaut de déclaration, considérée comme inopposable à la procédure. D'ailleurs, la sanction de l'attitude passive du cessionnaire existe déjà. Celui-ci peut, en effet, engager sa responsabilité s'il laisse disparaître des chances sérieuses de recouvrement à son profit (9).

La justification de l'incidence de la notification doit donc être recherchée ailleurs. Elle pourrait tenir au fait que le cédé a, comme l'énonce une partie de la doctrine, l'obligation de payer le cédant à défaut de notification (10). Mais, la solution se justifierait même si cette obligation était écartée. En, l'absence de notification, le cédant dispose en effet de la possibilité de recouvrer la créance en vertu d'un mandat stipulé expressément dans la convention-cadre ou au moins tacite (11). On pourrait ainsi supposer que si le cédant n'a pas lui-même recouvré la créance, c'est parce qu'elle ne pouvait l'être ou qu'il a été négligeant. Comme cela a été justement relevé : "lorsqu'il n'y a pas eu notification, le cédant a la mission de demander le paiement au cédé ; par la force des choses, le recours en garantie doit être ouvert au banquier, ipso facto et sans qu'il ait rien à justifier, sitôt après l'échéance de la créance cédée si le montant ne lui en a pas été transmis" (12). Il n'y aurait donc pas lieu, en l'absence de notification, de reprocher au cessionnaire de ne pas avoir adressé une demande amiable de paiement au cédé avant de mettre en jeu la garantie du cédant.


(1) Cass. com., 14 mars 2000, n° 96-14.034, M. Tourriol c/ Société bordelaise de crédit industriel et commercial, publié (N° Lexbase : A3701AUM) Bull. civ. IV, n° 55 ; D. 2000, AJ, p. 236, obs. J. Faddoul ; RDBF 2000, p. 173, obs. D. Legeais ; RTD com. 2000, p. 996, obs. M. Cabrillac ; Cass. com., 11 décembre 2001, n° 98-18.580, M. Jacques Leblond c/ Société générale, FS-P (N° Lexbase : A6421AX4), Bull. civ. IV, n° 196 ; RD bancaire et financier 2002, p. 129, obs. A. Cerles ; Cass. com., 12 février 2002, n° 99-15.693, M. Bernard Brunet-Beaumel c/ Crédit lyonnais, FS-D (N° Lexbase : A9916AXK) ; Cass. com., 26 septembre 2006, n° 05-13.279, M. Michel Cotton de Bennetot, F-D (N° Lexbase : A3472DRZ).
(2) CA Paris, 22 janvier 1993, D. 1993, IR, p. 106 ; CA Paris, 29 septembre 1989, D. 1990, somm., p. 230, obs. M. Vasseur ; RTD com., 1990, p. 76, obs. M. Cabrillac et B. Teyssié.
(3) Un commentateur de l'arrêt rendu par la Chambre commerciale le 14 mars 2000 avait relevé que cet arrêt laissait entendre que le cessionnaire devait justifier d'une demande amiable : M. Cabrillac, obs. sous Cass. com., 14 mars 2000, précitées.
(4) V. not. : M. Jeantin, P. Le Cannu et Th. Granier, Droit commercial, Instruments de paiement et de crédit, Titrisation, Dalloz, 7ème édition, 2005, n° 483.
(5) V. en ce sens : CA Paris, 3ème ch., sect. B, 17 avril 1992, n° 89-019942, Monsieur Cabezas Antoine c/ Banque Nationale de Paris BNP SA (N° Lexbase : A3089A48), RTD civ. 1993, p. 127, et les obs. approbatives de J. Mestre ; CA Reims, 1er juin 1988, D. 1990, somm. p. 230, obs. M. Vasseur. Un arrêt rendu par la Chambre commercial de la Cour de cassation le 26 mars 2002 (Cass. com., 26 mars 2002, n° 99-17.917, Société Banque parisienne de crédit (BPC) c/ M. Serge Martin, F-D N° Lexbase : A3780AYN ; RD bancaire et financier 2003, p. 23, obs. A. Cerles) a de même retenu que "le cédant, en sa qualité de garant solidaire du paiement des créances cédées à l'égard du banquier cessionnaire, et les cautions du cédant étaient tenus des mêmes obligations que le débiteur cédé". Il n'était toutefois pas fait mention, ici, d'une notification ce qui n'est pas, on le verra, sans incidences (V. infra II).
(6) Th. Bonneau, Droit bancaire, Montchrestien, 6ème édition, 2005, n° 593. V. également en ce sens : M. Cabrillac et B. Teyssié, obs. sous CA Paris, 29 septembre 1989, précitées.
(7) Sur cette notification v. not. : F.-K. Deckon, "La notification de la cession de créances professionnelles", RTD com. 2005, p. 649.
(8) Cass. com., 26 novembre 2003, n° 00-16.940, M. Olivier Nizon c/ Société BNP-Paribas, F-D (N° Lexbase : A2950DAI). Dans cet arrêt, la Cour de cassation décide que "l'arrêt qui ne constate pas que la cession de créance professionnelle a été notifiée au débiteur cédé, énonce exactement, par motifs adoptés, que, sauf convention contraire, le signataire de l'acte de cession est garant solidaire du paiement des créances cédées et que la solidarité ainsi instituée permet au cessionnaire de poursuivre à son libre choix, soit le débiteur cédé, soit le cédant, ce dont il résulte que le cessionnaire, qui n'a pas usé de la faculté de notifier la cession au débiteur cédé, n'a pas à déclarer sa créance à la procédure collective du débiteur cédé". On peut, cependant, relever que le cessionnaire n'aurait pas dû avoir à déclarer sa créance même dans l'hypothèse où la cession aurait été notifiée au cédé.
(9) V. not. Cass. com., 8 janvier 1991, n° 89-13.711, Monsieur Hottot c/ Banque Régionale d'Escompte et de Dépôt et autre, publié (N° Lexbase : A2640ABE), Bull. civ. IV, n° 8 ; RTD civ. 1991, p. 368, obs. M. Bandrac ; RTD com. 1991, p. 271, obs. M. Cabrillac et B. Teyssié ; RD bancaire et bourse 1991, p. 96, obs. F. Crédot et Y. Gérard.
(10) V. not. G. Ripert et R. Roblot, Traité de droit commercial, tome 2, par Ph. Delebecque et M. Germain, n° 2428-7.
(11) L'existence d'un tel mandat tacite est en effet retenue sur le fondement d'une interprétation a contrario de l'article L. 313-28 du Code monétaire et financier.
(12) M. Cabrillac et B. Teyssié, obs. sous CA Paris, 29 septembre 1989, précitées.

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