Réf. : Cass. soc., 3 octobre 2007, n° 06-42.320, M. Christian Gryger, FS-P+B (N° Lexbase : A6619DYS)
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N8728BCA
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par Gilles Auzero, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV
le 07 Octobre 2010
Résumé
Un représentant de commerce ne peut être valablement tenu par une clause de son contrat de travail lui imposant de payer la valeur de la clientèle qu'il est chargé de visiter pour le compte de son employeur. |
1. L'illicéité de la clause de "rachat de carte clientèle"
En application de l'article L. 751-1 du Code du travail (N° Lexbase : L6774ACU), la convention conclue entre l'employeur et le VRP doit nécessairement déterminer :
- la nature des prestations de services ou de marchandises offertes à la vente ou à l'achat ;
- la région dans laquelle le VRP doit exercer son activité ou les catégories de clients qu'il est chargé de visiter ;
- les taux de rémunération.
En outre, lorsque le contrat liant le VRP à son employeur est à durée indéterminée, il doit stipuler un préavis dont la durée est au moins égale à celle qui est fixée par les conventions collectives de travail ou, à défaut, par les usages (C. trav., art. L. 751-5 N° Lexbase : L6778ACZ). Pour le reste, les parties sont libres d'introduire, dans le contrat, des stipulations telles que, par exemple, une période d'essai ou une clause de non-concurrence. Il va de soi que la liberté conférée sur ce point aux parties n'est pas totale et celles-ci ne sauraient s'affranchir du respect des règles d'ordre public.
En l'espèce, M. G., engagé par la société F. selon contrat du 2 février 1998 en qualité de représentant multicartes, était chargé de visiter la clientèle moyennant rémunération par des commissions. Le contrat contenait une clause intitulée "rachat de carte clientèle", en exécution de laquelle il avait versé à son employeur une somme totale de 60 000 francs (9 146,94 euros), réglée par des retenues sur ses commissions. Postérieurement à sa démission, intervenue le 19 décembre 2002, l'employeur avait refusé de restituer au salarié la somme versée au titre du rachat de la clientèle.
Pour rejeter la demande du représentant, la cour d'appel avait énoncé que la clause de cession de carte n'est pas en soi illicite puisqu'elle permet au VRP, qui n'est pas propriétaire de sa clientèle, de trouver un successeur acceptant de lui verser une somme représentant la valeur librement négociée de la carte et de le présenter à l'agrément de son employeur. Par ailleurs, cette clause n'est pas dépourvue de cause puisque, en contrepartie, le VRP avait prospecté, démarché et tiré profit, par le biais de commissions versées, de cette clientèle existante pendant plus de cinq années.
Un tel raisonnement ne pouvait être admis et il faut approuver la Cour de cassation de l'avoir rejeté, en affirmant "qu'un représentant de commerce ne peut être valablement tenu par une clause de son contrat de travail lui imposant de payer la valeur de la clientèle qu'il est chargé de visiter pour le compte de son employeur".
Afin de bien comprendre la solution retenue, il convient, avant tout, de rappeler que la clientèle appartient à l'employeur et non au représentant. Toutefois, il est communément admis que ce dernier peut la céder à son successeur avec l'accord de son employeur (Cass. soc., 17 décembre 2002, n° 01-01.188, FS-P+B+I N° Lexbase : A4618A4S ; RJS 2/03, n° 271). Or, et si l'on comprend bien le raisonnement des juges d'appel, c'est bien parce que le VRP est ainsi en droit de céder sa clientèle à son successeur qu'il faut admettre que l'employeur peut, dans le contrat, stipuler une clause de cession de carte. En outre, l'obligation mis à la charge du VRP trouverait sa cause dans la possibilité conférée à ce dernier de prospecter, démarcher et tirer profit de la clientèle existante.
Ce raisonnement est doublement contestable. En premier lieu, et ainsi que le rappelle la Cour de cassation, dans tous les cas, la valeur de la clientèle reste acquise à l'employeur qui ne saurait donc, à proprement parler, la céder au VRP qu'il emploie. En outre, l'objet même du contrat conclu entre les parties consiste à visiter la clientèle en vue de prendre et de transmettre les commandes pour le compte de l'employeur qui, en contrepartie, doit verser une rémunération. Il faut, dès lors, se rendre à l'évidence : l'obligation mise à la charge du salarié par la clause de "rachat de carte client" est dépourvue de cause. Elle ne peut donc produire aucun effet en vertu de l'article 1131 du Code civil (N° Lexbase : L1231AB9).
Conforme aux principes les mieux établis de notre droit positif, la solution retenue par la Cour de cassation n'en reste pas moins de nature à remettre en cause un certain nombre de pratiques en cours au sein de la profession de représentants.
2. Le droit de démissionner sans être tenu de présenter un successeur
La rupture d'un contrat de représentation obéit, par principe, aux règles du droit commun, que celui-ci ait été conclu à durée déterminée ou indéterminée. Dans ce dernier cas, qui seul nous intéresse ici, le contrat peut donc prendre fin en raison d'une démission, d'un licenciement, d'un départ ou d'une mise à la retraite, d'une résiliation judiciaire, d'une prise d'acte ou, encore, par le fait d'une rupture négociée.
Cela étant, la rupture du contrat de représentation connaît certaines particularités, principalement en matière de préavis et au regard des sommes versées à la cessation du contrat, lorsque la rupture est le fait de l'employeur. S'agissant de la démission, elle obéit entièrement aux règles du droit commun, faute de texte spécifique applicable aux VRP, hormis les dispositions de l'article L. 751-8 (N° Lexbase : L6781AC7), relatives aux commissions et remises sur les ordres non encore transmis à la date du départ du salarié.
Les juges d'appel avaient, en l'espèce, jugé qu'il appartenait au VRP, avant de démissionner, de présenter un successeur à son employeur et, en cas de refus d'agrément, de poursuivre la relation salariale. Là encore, le raisonnement était éminemment contestable.
Il convient de relever qu'aucun texte du Code du travail n'exige, qu'avant de démissionner, le VRP présente un successeur à son employeur. Une telle obligation ne saurait résulter, dans le silence de la loi, d'une disposition contractuelle. Il en va ici du respect de l'ordre public et, plus précisément, de l'article 1780 du Code civil qui dispose, faut-il le rappeler, que, lorsqu'un contrat est conclu sans détermination de durée, il peut toujours cesser par la volonté d'une des parties contractantes. Sur ce même fondement, on ne saurait pas plus tolérer que le refus d'agrément opposé par l'employeur à la présentation de son successeur par le VRP oblige celui-ci à poursuivre la relation salariale.
Décision
Cass. soc., 3 octobre 2007, n° 06-42.320, M. Christian Gryger, FS-P+B (N° Lexbase : A6619DYS) Cassation (CA Toulouse, chambre sociale, 3 mars 2006) Textes visés : C. trav., art. L. 751-1 (N° Lexbase : L6774ACU) et L. 751-11 (N° Lexbase : L6785ACB) ; C. civ., art. 1131 (N° Lexbase : L1231AB9) et 1780, al. 2 (N° Lexbase : L1031ABS). Mots-clefs : représentant de commerce ; VRP ; démission ; clause de cession de clientèle. Lien bases : |
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