Réf. : Cass. soc., 10 octobre 2007, n° 06-43.051, M. Maamar Saidi, F-D (N° Lexbase : A7461DYY)
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par Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV, Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale
le 07 Octobre 2010
Résumé
Le paiement systématique d'une prime de grand déplacement, indépendamment des déplacements effectués, confère à celle-ci la qualité d'élément de la rémunération du salarié qui doit être assumée par le repreneur de l'entreprise. |
1. La politique jurisprudentielle de contractualisation des pratiques
Le contrat de travail constitue l'une des sources qui alimentent le cadre juridique applicable à la relation de travail, avec les usages, les engagements unilatéraux de l'employeur, les différents accords collectifs applicables dans l'entreprise et, bien entendu, les lois et règlements.
Les éléments qui constituent le contrat de travail bénéficient, toutefois, d'un régime particulier : le salarié est en droit d'en refuser la modification. Leur non-respect ouvre, au profit du salarié, droit à des dommages et intérêts dont la prescription est soit quinquennale, pour les salaires, soit trentenaire, pour le reste. Ces créances sont garanties par l'AGS et sont transmises au cessionnaire de l'entreprise lorsque s'applique l'article L. 122-12, alinéa 2, du Code du travail (N° Lexbase : L5562ACY), comme le rappelle cet arrêt rendu le 10 octobre 2007.
Reste à déterminer ce qu'il convient d'entendre par "contrat de travail". Deux méthodes, qui se combinent d'ailleurs, permettent de qualifier de "contractuels" certains éléments.
La première, dite "méthode objective", consiste à déterminer le caractère contractuel de certains éléments en fonction de la nature des éléments en cause. C'est ainsi que, pour certains, tout ce qui concerne la rémunération des parties devrait être nécessairement contractuel, et ce même s'il ne s'agit que de faire une application pure et simple des dispositions conventionnelles. Fort heureusement, telle n'est pas l'analyse de la Cour de cassation qui, en matière de rémunération, ne considère comme contractualisés que les éléments de rémunération qui ont été effectivement individualisés par les contractants (1).
La seconde, dite "méthode subjective", consiste à sonder l'intention des parties. La plupart du temps, cette intention se manifeste au travers des clauses du contrat de travail. Si l'on met de côté la question du lieu d'exécution du contrat de travail qui n'a pas, à tout le moins à en croire la Cour de cassation, de portée normative tant qu'il n'a pas été stipulé que le contrat s'exécuterait exclusivement en ce lieu (2), tous les éléments couchés par écrit dans le contrat ont vocation à être qualifié de "contractuels". Il convient, toutefois, de considérer que les parties peuvent parfaitement stipuler que certains éléments n'ont pas de nature "contractuelle", dès lors, par exemple, qu'il est expressément indiqué que ces éléments sont repris dans le contrat à titre d'information du salarié ; il en sera ainsi lorsque l'employeur rappelle la convention collective applicable, ou mentionne l'actuel organisme gérant la protection sociale complémentaire de l'entreprise.
Dans un certain nombre d'hypothèses, les parties n'ont pas conclu de contrat de travail écrit, ce qui sera assez souvent le cas pour les salariés titulaires d'un CDI à temps plein puisque la loi ne leur en fait pas obligation, ou n'ont pas actualisé le contrat postérieurement à l'embauche. Il conviendra, alors, de se référer à la pratique des parties pour déterminer si certains éléments de la relation de travail n'ont pas été contractualisés.
Certains arrêts ont interprété, de manière parfois surprenante, le comportement des parties pour y déceler une volonté implicite de conférer à certains éléments un caractère contractuel. Ainsi, l'employeur qui demande au personnel son avis avant de dénoncer un usage est considéré comme ayant reconnu implicitement que les avantages usuels avaient été contractualisés (3). En revanche, il a été jugé que le fait pour l'employeur de remettre aux salariés, lors de leur embauche, une brochure leur rappelant les usages et engagements applicables dans l'entreprise, n'avait pas pour effet de contractualiser ces éléments (4) ; une solution comparable prévaut pour les renvois aux dispositions du règlement intérieur, et ce même lorsque ces dispositions ne doivent pas obligatoirement y figurer (5). Il a, également, été jugé que la présence sur le bulletin de salaire d'une prime payée n'avait pas pour conséquence de donner à celle-ci un caractère contractuel (6).
Dernièrement, la Cour de cassation a conféré un caractère contractuel et, partant, intangible, à des modifications dans la pratique des contractants qui, pourtant, présentaient un caractère provisoire.
Dans une première affaire, une salariée avait été engagée en 1990 comme caissière-gondolière en vertu d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel. Un avenant avait été conclu en octobre 1995 afin qu'elle assure le remplacement de l'adjointe à la chef de caisse à temps complet, avec le salaire afférent (augmentation de plus de 25 %). Treize mois plus tard, l'employeur l'informait par écrit du retour de la salariée absente et lui indiquait qu'elle reprendrait son poste habituel au même horaire hebdomadaire à temps partiel, assorti de son ancien salaire. La salariée s'y était, alors, opposée, considérant que son contrat de travail avait été modifié. C'est également l'avis de la Cour de cassation qui considère que l'avenant initial avait modifié son contrat de travail et qu'elle "était en droit de refuser une nouvelle modification la replaçant dans la situation antérieure à cet avenant" (7).
Dans une autre affaire jugée en 2007, un salarié effectuait, depuis plusieurs années, le remplacement d'un collègue, et percevait la rémunération afférente. Il s'était, également, opposé à la fin de ce remplacement, et au versement de la rémunération afférente, prétendant que son contrat de travail avait été modifié. C'est aussi l'opinion de la Cour de cassation, qui a considéré que "la suppression de ce remplacement et des revenus supplémentaires qui n'étaient pas occasionnels, constituait une modification unilatérale du contrat de travail" que le salarié était en droit de refuser (8).
Enfin, dans une dernière affaire très récente, la Chambre sociale de la Cour de cassation a statué dans le même sens et considéré que la brusque suppression de primes de panier et d'indemnités visant au remboursement des frais de déplacement constituait une modification du contrat de travail du salarié que ce dernier était, par conséquent, en droit de refuser (9).
2. La confirmation de la contractualisation de fait d'une prime de grand déplacement
C'est dans ce courant que s'inscrit ce nouvel arrêt inédit rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 10 octobre 2007.
Dans cette affaire, un salarié percevait de manière habituelle une prime de grand déplacement, et ce même lorsqu'il ne se déplaçait pas effectivement. A l'occasion de la cession de l'entreprise, le repreneur prétendait ne pas être lié par ce paiement dès lors que le salarié n'effectuait aucun déplacement. La cour d'appel lui avait donné raison, mais l'arrêt est cassé, sans renvoi, la Cour de cassation affirmant "que cette indemnité de grand déplacement était devenue, du fait de son paiement systématique par l'employeur, un élément de la rémunération du salarié qui devait être assumée par le repreneur".
En d'autres termes, la pratique antérieure des parties avait eu pour conséquence de conférer à cette prime le caractère d'un élément de la rémunération contractuelle du salarié qui s'imposait, à ce titre, au nouvel employeur.
Toutes ces décisions montrent la volonté de la Cour de cassation de considérer comme contractualisées toutes les modifications intervenues dans la rémunération du salarié, et ce même en l'absence de volonté affirmée de les y intégrer. L'arrêt rendu le 11 janvier 2006 montre même que la stipulation du caractère provisoire des changements intervenus dans les fonctions, et donc dans la rémunération, d'un salarié, n'est pas opposable au juge qui demeure le seul maître de la qualification juridique des pratiques contractuelles, et ce conformément aux dispositions de l'article 12 du Nouveau Code de procédure civile (N° Lexbase : L2043ADZ) (10).
S'il est acquis, depuis longtemps, que la volonté des parties est impuissante à soustraire ces dernières à l'application de règles d'ordre public, la solution semble bien sévère pour les employeurs. En paralysant les clauses, pourtant conclues d'un commun accord, qui stipulent expressément le caractère temporaire de modifications apportées aux attributions, ou à la rémunération habituelle, des salariés, la Cour de cassation place l'employeur dans une situation délicate. Pour éviter pareille contractualisation des pratiques, l'employeur aura alors tout intérêt à mettre un terme rapidement à ce qui peut, pourtant, apparaître comme une chance accordée au salarié.
Pour reprendre l'exemple d'une modification intervenue pendant une durée de treize mois, l'employeur sera alors incité à recruter, pour la durée du remplacement, un salarié en CDD plutôt que de procéder à un glissement en interne qui risque d'être rapidement considéré comme définitif. On se demande alors si, pour assurer la pérennité de la rémunération d'un salarié en particulier, la Cour de cassation ne serait pas en train d'induire d'autres pratiques qui, à terme, pourraient se retourner contre les salariés de l'entreprise. De nouveau, c'est l'effet "boomerang" du tout contractuel qui doit être ici souligné, et regretté.
Décision
Cass. soc., 10 octobre 2007, n° 06-43.051, M. Maamar Saidi, F-D (N° Lexbase : A7461DYY) Cassation partielle sans renvoi (CA Nîmes, chambre sociale, 21 octobre 2005) Texte visé : C. civ., art. 1134 (N° Lexbase : L1234ABC) Mots-clefs : contrat de travail ; modification ; pratique constante des parties ; contractualisation des éléments. Lien bases : |
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