La lettre juridique n°277 du 18 octobre 2007 : Responsabilité

[Jurisprudence] La faute inexcusable susceptible de faire tomber le plafond d'indemnisation en matière de transport aérien

Réf. : Cass. civ. 1, 2 octobre 2007, 2 arrêts, n° 04-13.003, M. Guy-Marie Bach, FS-P+B+I (N° Lexbase : A6188DYT) et n° 05-16.019, Société Assurances générales de France (AGF), FS-P+B+I (N° Lexbase : A6189DYU)

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par David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit

le 07 Octobre 2010

On se souvient peut-être que l'occasion avait été donnée de signaler, ici même, quelques arrêts importants ayant précisé la notion de transport aérien au sens de l'article L. 310-1 du Code de l'aviation civile (N° Lexbase : L4189AW3), afin, notamment, de déterminer le champ d'application de la Convention de Varsovie, relative aux transports internationaux de passagers. C'est ainsi que la Cour de cassation avait décidé que, conformément à l'article L. 322-3 du Code de l'aviation civile (N° Lexbase : L5745HD7), l'acheminement de passagers par aéronef constitue un transport aérien, si bien que doit être qualifié comme tel le baptême de l'air en deltaplane biplace (1), en parapente biplace (2) ou en ULM (3). La question est importante dans la mesure où la Convention de Varsovie prévoit, en principe, un plafond d'indemnisation en cas de dol ou de faute équivalente au dol, l'article 25 de la Convention, modifié par un Protocole, signé à La Haye le 28 septembre 1955, et entré en vigueur le 1er août 1963, affirmant le caractère intégral du droit à réparation dans tous les cas où "le dommage résulte d'un acte ou d'une omission du transporteur ou de ses préposés fait soit avec l'intention de causer le dommage, soit témérairement et avec conscience qu'un dommage en résultera probablement". Par ailleurs, une loi du 2 mars 1957 alignant le régime des transports internes sur celui de la Convention de Varsovie a décidé que, pour l'application de l'article 25 de la Convention, la faute considérée comme équivalente au dol est la faute inexcusable : "Est inexcusable la faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable". Deux arrêts de la première chambre civile de la Cour de cassation en date du 2 octobre dernier, à paraître au Bulletin, permettent de revenir sur cette définition de la faute inexcusable. Les faits à l'origine des deux arrêts sont assez proches. Dans les deux affaires, en effet, il était reproché au pilote d'un avion ou d'un aéronef d'avoir commis une faute inexcusable ayant causé l'accident, faute consistant, dans le premier cas, dans le fait d'avoir alimenté l'appareil sur un réservoir jusqu'à épuisement du carburant consommable conduisant à l'arrêt du moteur malgré le basculement au dernier moment sur un réservoir plein, dans le second cas, dans le fait d'avoir enfreint la réglementation en choisissant une approche à vue et en omettant d'effectuer une manoeuvre de sauvetage bien qu'il en fût encore temps, refusant de remettre les gaz pour reprendre de la hauteur et se présenter vent arrière, plutôt que d'effectuer le dernier virage à grande inclinaison avec une masse maximale alors qu'il ne disposait d'aucune assistance aux commandes.

Ainsi, dans les deux cas, la faute du pilote était indiscutable, et nul ne contestait que la faute commise était même une faute grave. En revanche, la question était discutée de savoir si elle devait pour autant être considérée comme "inexcusable". Dans les deux affaires, les premiers juges avaient écarté la qualification de faute inexcusable au motif, dans le premier cas, qu'il n'était pas démontré que le pilote ait délibérément retardé le basculement du réservoir au dernier moment, par exemple, en surestimant les performances mécaniques de l'appareil ou sa propre capacité à se sortir d'une situation difficile, et, dans le second cas, que le pilote n'avait pas agi avec témérité ni pris un risque sachant le dommage certain. La Cour de cassation censure, dans les deux affaires, les premiers juges, en affirmant "qu'en statuant ainsi, quand il résultait de ses constatations que la faute commise par le pilote impliquait objectivement la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire de sorte qu'elle revêtait un caractère inexcusable, la cour d'appel a violé les textes susvisés" (dont, entre autres, l'article 25 de la Convention de Varsovie).

Ces arrêts s'inscrivent dans la longue suite de décisions ayant eu à préciser la notion de faute inexcusable, dont on sait que, pour l'essentiel, elles ont conduit à atténuer la rigueur de la définition légale qui met l'accent sur l'existence, chez l'auteur de la faute, de la conscience du danger qu'il fait courir à autrui. Rigueur qui est assez, en effet, rapidement apparue excessive dans la mesure où, d'une part, les limitations de responsabilité, qui avaient pu se justifier aux temps héroïques des débuts de l'aviation, ont été ressenties, à partir des années 1960, comme assez arbitrairement maintenues au profit des compagnies aériennes et au détriment des victimes, et où, d'autre part, d'un point de vue factuel, il est apparu exceptionnel de pouvoir démontrer, après accident, a fortiori lorsque le pilote est décédé, qu'il avait eu pleinement conscience du danger auquel il avait exposé ses passagers. Aussi bien la jurisprudence, suivant une méthode d'appréciation dite in abstracto, s'est-elle contentée de la constatation du danger dont aurait dû avoir conscience le pilote, à défaut peut-être d'en avoir concrètement et réellement eu conscience (4). Encore faut-il remarquer que cette méthode d'appréciation n'exclut pas la possibilité pour les juges de retenir certaines circonstances propres à établir la conscience de l'auteur de la faute (5), et la Cour de cassation rejette parfois la qualification de faute inexcusable au motif que rien ne permettait de démontrer que le transporteur savait ou aurait dû savoir que son comportement était dangereux (6). Tel ne semblait pas, en tout état de cause, être le cas en l'espèce, des circonstances de fait tirées du comportement du pilote ayant permis d'induire, fut-ce de manière assez objective, sa faute inexcusable.


(1) Cass. civ. 1, 22 novembre 2005, n° 02-18.584, Société AGF Mat, nouvelle dénomination de la société SM3A c/ Mme Leigh, FP-P+B (N° Lexbase : A7395DLH), Bull. civ. I, n° 444 ; et nos obs., Limitation légale de la responsabilité contractuelle du transporteur aérien, Lexbase Hebdo n° 193 du 8 décembre 2005 - édition affaires (N° Lexbase : N1612AKW).
(2) Cass. civ. 1, 22 novembre 2005, n° 01-20.778, M. Nicolas Brenneur-Boyne c/ M. Orhan Mete, FP-P+B (N° Lexbase : A7385DL4), Bull. civ. I, n° 445 et nos obs. préc. ; Cass. civ. 1, 27 juin 2006, n° 03-10.094, Groupement d'intérêt économique (GIE) Avia France, FS-P+B (N° Lexbase : A3591DQ3), Bull. civ. I, n° 336.
(3) Cass. civ. 1, 22 novembre 2005, n° 03-17.395, M. Daniel Maillet c/ Société AGF/MAT, FP-P+B (N° Lexbase : A7433DLU), Bull. civ. I, n° 446, et nos obs. préc..
(4) Voir déjà, en ce sens, Cass. civ. 2, 5 mars 1964, n° 62-11.392 (N° Lexbase : A7509DYR), JCP 1964, II, 13696, note M. De Juglart ; Cass. com., 26 mai 1999, n° 97-13.145, Compagnie Unat et autres c/ Compagnie nationale Air France et autres, inédit (N° Lexbase : A6298C3N), Resp. civ. et assur. 1999, comm. n° 275.
(5) Voir, not., Cass. civ. 1, 5 novembre 1985, Société Antillaise de Transports Aériens Air Guadeloupe, Compagnie d'Assurances Maritimes Aériennes et Terrestres CAMAT c/ Agent judiciaire du Trésor, Consorts Créantor et autres (N° Lexbase : A2978AAK), Bull. civ. I, n° 286 ; Cass. civ. 1, 17 novembre 1987, Mme Boyelle c/ M. Huart et autres (N° Lexbase : A1341AH7), Bull. civ. I, n° 302.
(6) Cass. com., 21 mars 2006, n° 04-19.246, Société Entreprise Gallego c/ Société DHL International, F-P+B+R+I (N° Lexbase : A7518DNR), Bull. civ. IV, n° 77, JCP éd. G, 2006, II, 10090, note M. Mekki.

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