Réf. : Cass. com., 18 septembre 2007, n° 06-13.736, Crédit industriel d'Alsace et de Lorraine, F-P+B (N° Lexbase : A4231DYD)
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N8785BCD
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par David Robine, Maître de conférences à l'Université de Rouen
le 07 Octobre 2010
I - La subsidiarité de l'engagement du garant
L'affirmation, par l'arrêt commenté, que le cessionnaire est tenu de justifier d'une demande amiable adressée à ce débiteur ou de la survenance d'un événement rendant impossible le paiement pour pouvoir agir contre le cédant est de prime abord étonnante. Il est, en effet, traditionnellement souligné que le cédant est tenu en qualité de codébiteur solidaire et non en tant que caution solidaire (4). Par conséquent, son engagement ne devrait pas être subsidiaire à celui du cédé, mais intervenir au même niveau. Une poursuite du cédé par le cessionnaire ne devrait, dès lors, être subordonnée à aucune justification. Certaines juridictions du fond se sont d'ailleurs prononcées clairement en ce sens (5).
Cependant, l'absence de subsidiarité n'est pas de l'essence de la solidarité. On remarquera ainsi que l'article 1201 du Code civil (N° Lexbase : L1303ABU) dispose que l'un des codébiteurs peut être obligé différemment de l'autre au payement de la même chose. On relèvera, de même, que l'associé d'une société en nom collectif, bien que tenu de façon indéfinie et solidaire, n'est tenu que subsidiairement. En application de l'article L. 221-1 du Code de commerce (N° Lexbase : L5797AIK), il ne peut être poursuivi que si la société a été vainement mise en demeure. Par conséquent, si l'absence de subsidiarité est de la nature de l'engagement solidaire, elle n'est, en revanche, pas de son essence. Un engagement solidaire subsidiaire, distinct du cautionnement, est donc concevable.
Encore faut-il toutefois, pour qu'une subsidiarité de l'engagement d'un codébiteur solidaire soit retenue, qu'une dérogation aux caractéristiques naturelles de l'engagement solidaire ait été prévue. Est-ce le cas s'agissant de l'engagement du cédant ? On peut répondre par l'affirmative. Le caractère subsidiaire de l'engagement du cédant tient à sa qualification de garantie par l'article L. 313-24, alinéa 2, du Code monétaire et financier. En sa qualité de garant, le cédant ne peut être conduit à payer que si le débiteur ne le fait pas. Pour autant la garantie repose sur un engagement solidaire, ce qui implique qu'une simple démarche amiable soit suffisante. Dès lors, la solution retenue par l'arrêt commenté paraît justifiée. D'ailleurs, une partie de la doctrine avait déjà retenu le caractère subsidiaire de l'engagement du cédant en s'appuyant sur sa qualification de garant. Un auteur souligne ainsi que l'"on doit remarquer que le cédant est créancier de la créance transférée au banquier : il n'en est nullement le débiteur. Aussi son engagement de garantir le paiement de la créance cédée ne peut-il être que subsidiaire" (6).
Une fois le caractère subsidiaire de l'engagement du cédant admis, une question mérite d'être soulevée. Est-il possible de déroger conventionnellement à ce caractère subsidiaire ? Autrement dit, les établissements de crédit ont-ils la possibilité d'intégrer efficacement une clause de style dans les conventions-cadres les unissant à leurs clients stipulant qu'ils pourront agir directement contre eux sans avoir à adresser de demande amiable de paiement au cédé ? Une telle clause ne paraissait pas avoir été aussi explicitement prévue dans l'espèce ayant donné lieu à l'arrêt commenté. Cependant, une clause de la convention-cadre stipulait que le cédant autorisait le cessionnaire "à débiter son compte courant si le ou les débiteurs cédés laissaient impayées [les] créances à l'échéance". Cette stipulation pourrait être interprétée comme l'admission par le cédant d'un recours du seul fait de l'absence spontanée de paiement par le cédé et donc comme une éviction de toute subsidiarité. Or, la Cour de cassation affirme dans l'arrêt du 19 septembre 2007 que "la circonstance que le cédant ait autorisé la banque, par convention cadre, à débiter son compte, si le débiteur cédé laissait impayée sa créance à l'échéance [n'est] pas susceptible d'exonérer la banque notificatrice de [la] démarche amiable". A supposer que l'interprétation proposée de la clause du contrat-cadre soit celle retenue, ce qui est loin d'être certain, cela signifierait qu'il n'est pas possible de déroger au caractère subsidiaire de l'engagement du cédant. Les établissements de crédit devraient donc prendre soin de toujours exercer une démarche amiable en vue d'obtenir paiement du cédé avant de mettre en jeu la garantie du cédant, du moins, comme nous allons maintenant le voir, lorsque la cession a été notifiée.
II - L'incidence de la notification de la cession au cédé
En l'espèce, l'établissement de crédit cessionnaire avait pris soin de notifier la cession au cédé (7). De ce fait il avait, comme le précise l'article L. 313-28 du Code monétaire et financier, fait interdiction au cédé de "payer entre les mains du signataire du bordereau". Cette situation a-t-elle eu une influence sur la solution retenue par la Cour de cassation ?
A première vue, une réponse négative devrait être privilégiée. Le caractère subsidiaire de l'engagement du cédant résulte, on vient de le voir, de sa qualification de garantie qui ne dépend en aucune manière d'une éventuelle notification. Cependant, on ne peut s'empêcher de relever que, dans l'arrêt commenté, la Chambre commerciale prend soin de souligner que la banque, "après avoir notifié la cession de créance", n'a pas justifié d'une démarche amiable. Or, l'on sait que la Haute juridiction, dans sa recherche d'abstraction, n'a pas l'habitude d'encombrer ses solutions de termes inutiles. Cette précision n'est dès lors certainement pas anodine. Cela signifierait donc, par une interprétation a contrario toujours incertaine, qu'en l'absence de notification, le cessionnaire n'aurait pas à justifier d'une demande amiable en paiement adressée au cédé avant d'exercer son recours contre le cédant. Un arrêt rendu par la Chambre commerciale le 26 novembre 2003 se prononce d'ailleurs implicitement en ce sens (8). Reste alors à déterminer les raisons de cette incidence de la notification.
On pourrait avancer que du fait de la notification, le cédant se trouve en position de faiblesse. Il ne peut agir contre le cédé et il court le risque que le cessionnaire reste passif et laisse disparaître toute chance de recours contre celui-ci. Cet argument ne convainc cependant pas. L'exigence d'une demande amiable ne fait pas disparaître ce risque puisque, par exemple, elle n'empêcherait pas, en cas d'ouverture d'une procédure collective à l'encontre du cédé, que la créance soit, à défaut de déclaration, considérée comme inopposable à la procédure. D'ailleurs, la sanction de l'attitude passive du cessionnaire existe déjà. Celui-ci peut, en effet, engager sa responsabilité s'il laisse disparaître des chances sérieuses de recouvrement à son profit (9).
La justification de l'incidence de la notification doit donc être recherchée ailleurs. Elle pourrait tenir au fait que le cédé a, comme l'énonce une partie de la doctrine, l'obligation de payer le cédant à défaut de notification (10). Mais, la solution se justifierait même si cette obligation était écartée. En, l'absence de notification, le cédant dispose en effet de la possibilité de recouvrer la créance en vertu d'un mandat stipulé expressément dans la convention-cadre ou au moins tacite (11). On pourrait ainsi supposer que si le cédant n'a pas lui-même recouvré la créance, c'est parce qu'elle ne pouvait l'être ou qu'il a été négligeant. Comme cela a été justement relevé : "lorsqu'il n'y a pas eu notification, le cédant a la mission de demander le paiement au cédé ; par la force des choses, le recours en garantie doit être ouvert au banquier, ipso facto et sans qu'il ait rien à justifier, sitôt après l'échéance de la créance cédée si le montant ne lui en a pas été transmis" (12). Il n'y aurait donc pas lieu, en l'absence de notification, de reprocher au cessionnaire de ne pas avoir adressé une demande amiable de paiement au cédé avant de mettre en jeu la garantie du cédant.
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