La lettre juridique n°277 du 18 octobre 2007 : Rel. individuelles de travail

[Jurisprudence] Indemnisation du licenciement abusif : principes et conditions

Réf. : Cass. soc., 3 octobre 2007, n° 05-44.958, Société des régies mixtes des transports toulonnais (RMTT), FS-P+B (N° Lexbase : A6525DYC)

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par Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV

le 07 Octobre 2010

A quelles indemnités peut prétendre un salarié dont le contrat de travail à durée déterminée a été requalifié en un contrat de travail à durée indéterminée à la suite de la poursuite de la relation de travail postérieurement à l'échéance du terme ? Peut-il demander le versement de l'indemnité de précarité ? Est-il fondé à demander, outre les indemnités de rupture, une indemnité destinée à compenser le préjudice résultant du caractère vexatoire de la rupture de son contrat, singulièrement une indemnité pour licenciement abusif ? C'est à ces deux questions qu'est venue répondre la Cour de cassation dans un arrêt du 3 octobre 2007 ; rappelant, s'agissant de l'indemnité de précarité, qu'elle est due sauf si l'employeur a proposé au salarié un poste identique ou équivalent à durée indéterminée avant l'échéance du terme du CDD ; et, s'agissant de l'indemnité destinée à compenser le caractère vexatoire de la rupture, que, pour qu'un tel préjudice puisse être réparé, il faut que soit démontrée une faute de l'employeur. En l'absence d'une telle démonstration, aucune indemnité ne peut être accordée. Cette solution n'est pas nouvelle et doit, en tous points, être approuvée.

Résumé

Le salarié dont le contrat de travail a été rompu et qui a obtenu la requalification de son contrat de travail à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée peut prétendre, outre à l'indemnité de précarité, à l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et à l'indemnité de requalification, à une indemnité destinée à réparer le préjudice résultant du caractère vexatoire des conditions de la rupture de son contrat de travail. Pour ce faire, il suffit que soit établie une faute de l'employeur.

1. Indemnités versées consécutivement à la requalification du contrat de travail à durée déterminée

  • Conditions de versement de l'indemnité de précarité

L'article L. 122-3-4 du Code du travail (N° Lexbase : L4598DZC) dispose que lorsque, à l'issue d'un contrat de travail à durée déterminée, les relations contractuelles ne se poursuivent pas par un contrat de travail à durée indéterminée, le salarié a droit, à titre de complément de salaire, à une indemnité destinée à compenser la précarité de sa situation. Cette indemnité est égale à 10 % du montant du salaire.

Cette indemnité n'est pas due, notamment, en cas de refus par le salarié d'accepter la conclusion d'un contrat de travail à durée indéterminée pour occuper le même emploi ou un emploi similaire assorti d'une rémunération au moins équivalente. Il faut, toutefois, que la proposition de contrat de travail à durée indéterminée soit intervenue antérieurement à l'échéance du terme du contrat de travail à durée déterminée. La jurisprudence considère, ainsi, que l'indemnité de précarité doit être versée lorsque la proposition de contrat de travail à durée indéterminée est postérieure à l'échéance du terme du CDD (Cass. soc., 3 décembre 1997, n° 95-45.093, Société Elca Abelsohn, société à responsabilité limitée c/ Mme Florence Pépin, inédit N° Lexbase : A8817AGN).

Il faut donc une démarche positive de l'employeur, laquelle doit impérativement intervenir avant l'échéance du terme du contrat de travail à durée déterminée, pour qu'il puisse prétendre être exonéré de l'indemnité de précarité.

C'est ce principe que vient, dans un premier moyen, rappeler la Cour de cassation. Elle souligne que l'employeur n'avait proposé au salarié aucun contrat de travail à l'issue du contrat initial et que la relation de travail s'était poursuivie au-delà du terme, ce qui lui permet de confirmer la condamnation de l'employeur au versement à la salariée de l'indemnité de précarité qu'avait prononcée la cour d'appel.

Cette indemnité de précarité n'est pas la seule dont le salarié, dont le contrat est requalifié, peut bénéficier.

  • Autres indemnités versées au salarié dont le contrat est requalifié

Le salarié dont le contrat de travail est requalifié aura, en outre, droit au versement de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (C. trav., art. L. 122-14-4 N° Lexbase : L8990G74), l'indemnité de licenciement (éventuellement) (C. trav., art. L. 122-9 N° Lexbase : L5559ACU), l'indemnité de congés payés (C. trav., art. L. 223-11 N° Lexbase : L6875HIH) et l'indemnité de requalification (C. trav., art. L. 122-3-13 N° Lexbase : L5469ACK). Ces indemnités sont, désormais, classiques.

Moins connue est la demande d'indemnité supplémentaire formée par le salarié et destinée à compenser le préjudice distinct résultant des conditions dans lesquelles s'est déroulée la rupture de son contrat de travail. Une telle demande est accueillie par les juges lorsque le salarié établit un comportement fautif de l'employeur lui occasionnant un préjudice distinct de celui résultant du licenciement (Cass. soc., 12 mars 1987, n° 84-41.002, Société André Citroën c/ M. Maqueda, publié N° Lexbase : A7386AAS, Bull. civ. V, n° 147 ; Cass. soc., 17 juillet 1996, n° 93-41.116, Mme Bolle c/ Société Nicollin Réunion, publié N° Lexbase : A9526ABG). L'indemnisation du licenciement abusif est donc possible et peut se cumuler avec l'indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse, dans la mesure où le salarié démontre l'existence de fautes distinctes de l'employeur. Tel n'était pas le cas dans l'espèce commentée.

  • Espèce

Dans cette espèce, une salariée avait été engagée jusqu'au 15 décembre 2002, par contrat de travail à durée déterminée par la société des régies mixtes des transports toulonnais (RMTT), à l'occasion d'une exposition sur le projet de tramway de Toulon. Ce contrat avait fait l'objet d'un avenant le prolongeant jusqu'au 31 janvier 2003.

La salariée ayant travaillé jusqu'au 17 février 2003, soit postérieurement à l'échéance du terme, elle avait saisi la juridiction prud'homale d'une demande de requalification de son contrat de travail à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée, d'indemnité de requalification, d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse et de dommages et intérêts pour rupture abusive et conditions vexatoires de la rupture ainsi que d'indemnité de fin de contrat.

La cour d'appel avait fait droit à la demande de la salariée et avait condamné l'employeur à lui verser, outre les indemnités de rupture, une indemnité de requalification, une indemnité de précarité et une somme de 1 500 euros au titre des conditions vexatoires de la rupture.

La Cour de cassation ne voit pas tout à fait les choses de la même façon.

Elle confirme la position de la cour d'appel s'agissant de l'indemnité de précarité en se fondant sur le principe selon lequel l'indemnité de précarité, prévue par l'article L. 122-3-4 du Code du travail, n'est due que lorsque aucun contrat de travail à durée indéterminée, pour occuper le même emploi ou un emploi similaire, n'a été proposé à l'issue du contrat de travail à durée déterminée. Tel n'était pas le cas dans la décision commentée, puisque l'employeur n'avait proposé aucun contrat de travail à l'échéance du contrat initial et que, par voie de conséquence, la relation contractuelle s'était poursuivie au-delà du terme de ce dernier.

Elle infirme, en revanche, la décision des juges du second degré s'agissant de l'attribution d'une somme de 1 500 euros en raison du caractère vexatoire des circonstances de la rupture du contrat de travail du salarié. La Haute juridiction relève, en effet, qu'aucune faute de nature à justifier une indemnité distincte de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse n'ayant été relevée, cette indemnité ne peut être accordée.

Cette solution semble tout à fait acceptable, tant eu égard à la jurisprudence de la Cour de cassation qu'au regard des principes issus du droit commun.

2. Admission logique de l'indemnisation du licenciement abusif

L'indemnité pour licenciement abusif doit être distinguée de l'indemnité accordée au salarié en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Les deux indemnités ayant un fondement distinct et une cause distincte, elles sont accordées indépendamment l'une de l'autre.

  • Indemnisation d'un préjudice distinct de celui résultant du licenciement

L'indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse repose sur l'article L. 122-14-4 du Code du travail (salarié de plus de 2 ans d'ancienneté et/ou entreprise de 11 salariés et plus) ou sur l'article L. 122-14-5 du même code (N° Lexbase : L5570ACB) (salarié ayant moins de 2 ans d'ancienneté et/ou entreprise de 10 salariés et moins). Elle est automatique dès lors qu'est caractérisé un défaut de cause réelle et sérieuse de la rupture.

Le fondement de l'indemnisation du licenciement abusif repose sur le droit commun de la responsabilité extra-contractuelle de l'article 1382 du Code civil (N° Lexbase : L1488ABQ). Ce texte dispose que "tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à la réparer". L'indemnisation du salarié repose donc, ici, sur la faute de l'employeur.

L'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est destinée à réparer le préjudice résultant, pour le salarié, de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement qui a été prononcé à son encontre, donc du caractère "illicite", "injustifié" de la rupture prononcée.

L'indemnité pour licenciement abusif a pour objet de réparer le préjudice, le plus souvent moral, subi par le salarié à l'occasion de la rupture de son contrat de travail. Ce n'est donc pas ici la rupture qui est indemnisée, mais les circonstances qui l'ont entourée.

La source et l'objet de ces deux indemnités étant distincts, l'indemnité pour licenciement abusif sera accordée indépendamment du caractère réel et sérieux du licenciement, donc éventuellement en plus de l'indemnité versée à ce dernier titre, ou en l'absence d'une telle indemnité.

  • Indépendance de l'indemnité pour licenciement abusif et de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Il est de principe que l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse constitue une indemnité minimale qu'il appartient au juge de fixer en fonction du préjudice subi, et qu'elle peut être cumulée avec d'autres indemnités (QE n° 40405 de M. Boucheron Jean-Michel, JOANQ 24 janvier 2000 p. 419, Emploi et Solidarité, réponse publ. 28 août 2000 p. 5068, 11ème législature N° Lexbase : L9141BB8). Le cumul de l'indemnité pour licenciement abusif avec l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est donc possible, le cumul n'étant subordonné qu'à la caractérisation d'un préjudice distinct pour le salarié de celui résultant du licenciement (Cass. soc., 21 février 1995, n° 93-44.340, Société à responsabilité limitée Holdgestion c/ M. Bernard Mingasson, inédit N° Lexbase : A8625AGK).

Corrélativement, le salarié pourra se voir attribuer une indemnité pour licenciement abusif malgré la reconnaissance du caractère réel et sérieux du licenciement, voire même la caractérisation d'une faute grave (Cass. soc., 24 octobre 1991, n° 90-42.668, Mme Daumin c/ Société Usab, inédit N° Lexbase : A8425AG7).

Il en ira ainsi toutes les fois, par exemple, que le licenciement justifié a été entouré de circonstances vexatoires (Cass. soc., 19 juillet 2000, n° 98-44.025, M. Lejosne c/ Société Brent, publié N° Lexbase : A9185AGB) ou brutales pour le salarié ; mais si et seulement si ces faits sont avérés...

Décision

Cass. soc., 3 octobre 2007, n° 05-44.958, Société des régies mixtes des transports toulonnais (RMTT), FS-P+B (N° Lexbase : A6525DYC)

Cassation partielle (CA Aix-en-Provence, 18ème chambre, 6 septembre 2005)

Textes visés et concernés : C. civ., art. 1147 (N° Lexbase : L1248ABT) ; C. trav., art. L. 122-3-4 (N° Lexbase : L4598DZC).

Mots-clefs : requalification ; indemnisation ; indemnité de précarité ; indemnité pour licenciement abusif.

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