Jusqu'à présent, on pensait que
nemo auditur propriam turpitudinem allegans ; si bien qu'en matière d'accident de la circulation, la Cour de cassation avait, en 2002, soutenu que la faute de la victime pouvait exclure ou limiter son droit à réparation issu de la loi du 5 juillet 1985. Toutefois, c'était sans compter sur l'exégèse de la loi en question. En effet, cette loi introduit en France un régime dérogatoire de la responsabilité délictuelle, attaché non pas au régime traditionnel de responsabilité pour faute, mais à l'indemnisation d'une "
victime d'un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur ainsi que ses remorques ou semi-remorques, à l'exception des chemins de fer et des tramways circulant sur des voies qui leur sont propres". Il faut donc, et il suffit, pour que ce régime s'applique, que soient réunies les quatre conditions posées par la loi : un accident (pas un comportement volontaire), une circulation (stationnement compris), un véhicule terrestre à moteur et un lien de causalité (il suffit que le véhicule soit une des causes de l'accident, pas forcément la principale, pour que l'implication ou lien de causalité soit établie). Force est de constater que le comportement fautif ou non du conducteur responsable de l'accident ne compte guère dans la détermination des responsabilités et la mise en oeuvre de la loi "Badinter". Aussi, c'est en opérant une réciprocité surprenante que la Cour de cassation vient de décider, par deux arrêts très médiatiques rendus le 6 avril 2007, que le taux d'alcoolémie excessif de la victime n'est pas nécessairement constitutif d'une faute causale de l'accident entraînant
de facto une limitation de son droit à indemnisation.
In dubio pro reo ! Ce faisant, la Haute juridiction pose les jalons d'une difficulté supplémentaire d'appréciation des comportements fautifs de la victime limitant ou excluant son droit à réparation. Comme le souligne
David Bakouche, Professeur agrégé des Facultés de droit, si un comportement
contra legem n'est pas constitutif, à lui seul, d'une faute, quel comportement peut être retenu par le juge civil ? Une vitesse excessive, un refus de priorité, une circulation sur une voie non autorisée ou dans le sens contraire à celui autorisé : tout cela est déjà constitutif, à lui seul, d'une faute ; point besoin d'ajouter une alcoolémie excessive. Et se pose, alors, la surprenante circonvolution : la Cour de cassation entend-elle déresponsabiliser la victime d'un accident de la circulation ayant un taux d'alcoolémie prohibé par la loi ? Belle circonvallation en faveur de la victime ! Conducteurs à vos ABS, ESP, ACC, AFL, AFIL, LKAS, AFU, CBC, DDS, EBD, TCS, et autre UCL...*, pour favoriser la sécurité routière et se prémunir de tout accident. A-t-on oublié qu'
abundans cautela non nocet **?
*ABS :
antiblockiersystem, système anti-blocage des roues, il permet de garder le contrôle de la direction tout en freinant ; contrairement à une idée répandue, il ne diminue pas la distance de freinage ;
ESP :
electronic Stability Program, système de contrôle de la stabilité, il permet de détecter automatiquement les pertes d'adhérence et les erreurs de trajectoire (sur-virage ou sous-virage) et d'y remédier, dans la limite des lois de la physique, en freinant brièvement sur une des 4 roues du véhicule ;
ACC :
active cruise control/adaptive cruise control, détecteur anti-collision, qui ajuste la vitesse de la voiture pour maintenir la distance de sécurité ;
AFL :
adaptive forward lighting, l'éclairage s'ajuste selon la vitesse et la rotation du volant ;
LKAS :
lane-keeping assist system, une caméra détecte les lignes blanches des voies, et le système ajuste le couple du volant pour maintenir la voiture dans la voie ;
AFU : aide au freinage d'urgence, assistance au freinage pour réduire la distance de freinage ;
CBC :
cornering brake control, ajustement de la force de freinage sur les roues individuellement lors du freinage en virage ;
DDS :
deflation detection system, détection du dégonflage des pneus ;
EBD :
electronic brake force distribution, ajuste individuellement la force de freinage sur chaque roue pour prendre en compte le transfert de poids ; complémentaire de l'ABS ;
TCS :
traction control system, ajustement de la force de freinage et de l'arrivée d'essence pour éviter la perte d'adhérence d'une roue ;
UCL :
understeer control logic, système diminuant l'arrivée d'essence ou augmentant la force de freinage lorsque le véhicule menace de partir en sous-virage.
**Une précaution excessive ne fait pas de tort
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