Lecture: 18 min
N9302BAR
Citer l'article
Créer un lien vers ce contenu
par Jean-Marc Priol, Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine, Landwell & Associés
le 07 Octobre 2010
En effet, l'administration qui a conduit à tort la procédure de redressement sur le terrain de l'article L. 64 du LPF, parce que portant sur une imposition hors champ, a toujours la faculté de réclamer une substitution de base légale au juge de l'impôt, à l'effet de fonder son redressement sur la théorie jurisprudentielle de "la fraude à la loi", à la condition, que le contribuable "ne soit pas privé de la garantie d'en avoir discuté" devant lui. Or, ce débat peut intervenir à tout moment de la procédure devant le juge de l'impôt.
C'est à la suite de ce "rattrapage" légal opéré par l'administration qu'un certain nombre de décisions d'appel commence à tracer une typologie d'opérations susceptibles d'être analysées sous l'angle de "la fraude à la loi" dont les contours ne cessent d'interpeller la doctrine sur les développements pratiques à venir de la nouvelle jurisprudence.
Pour certains auteurs, en effet, la jurisprudence "Janfin" en même temps qu'elle "élargit le champ d'application des abus de droit" et "précise les critères de qualification de la fraude à la loi", soulève, non seulement, "un problème de cohérence dans sa portée avec l'émergence d'une procédure de répression des abus de droit à deux vitesses", mais pose, également, "la question d'une réforme de la procédure de l'article L. 64 du LPF avec, au centre, celle du rôle du Comité consultatif" (P. Dibout, Répression des abus de droit en matière fiscale et principe de fraude à la loi à propos de l'arrêt du Conseil d'Etat du 27 septembre 2006, Société Janfin : JCP 2006, n° 50, comm. 2820 ; J.-L. Pierre, Répression des abus de droit à propos de l'arrêt du Conseil d'Etat du 27 septembre 2006, Société Janfin : Procédures 2006, comm. 284 ; Procédures 2007, comm. 71, à propos de l'arrêt du Conseil d'Etat du 29 décembre 2006, n° 283314, Société "Bank of Scotland").
Parmi ces décisions ayant validé la procédure de substitution de base légale (v. sur l'origine de la notion de substitution de base légale, CE, 27 juillet 1936) on notera en premier lieu celle de la cour administrative d'appel de Paris (CAA Paris, 15 mars 2007, n° 04PA03397, SA AXA venant aux droits de la SA Banque d'Orsay N° Lexbase : A8310DUC), laquelle, s'inscrivant dans le développement direct de l'arrêt "Janfin", a considéré que les opérations en litige d'emprunt et d'achats à réméré d'actions "alors même que leur but est purement fiscal ne peuvent être qualifiées de fraude à la loi" (v. Y. Benard, Dissuasion à l'anglaise : la double clé de la fraude à la loi : RJF 12/06, p. 1083).
Pour arriver à cette conclusion la cour a procédé à une double démarche.
La cour observe, en premier lieu, que les opérations d'emprunt et d'achats à réméré d'actions réalisées par les différents acteurs révélaient qu'ils se plaçaient du point de vue fiscal dans des situations différentes et avaient donc des intérêts opposés. Le premier acteur, la banque en question, "était à la recherche de paiement de l'impôt sur les sociétés auquel le groupe dont elle était membre prévoyait d'être assujetti", alors que les autres sociétés, participant avec elle à l'opération, estimaient "qu'il était de leur intérêt mutuel d'échanger, fût-ce très brièvement, moyennant des contreparties qu'elles ont librement déterminées, la propriété ou la disposition de titres et les avantages en termes de dividendes et d'avoir fiscal qui y étaient légalement attachés".
En second lieu, la cour observe que si, toutefois, ces opérations d'emprunts ou d'achats à réméré de titres auxquelles s'est livrée la banque sont "étrangères aux objectifs poursuivis par les auteurs du texte" dans la mesure où "elles se sont traduites, non pas par un renforcement des fonds propres des entreprises distributrices des dividendes, mais par un partage de fait de l'avoir fiscal avec les prêteurs ou les vendeurs à réméré", ces mêmes opérations, selon la cour, ne se sont pas "écartées" pour autant des objectifs du texte "au point de leur être contraires, dès lors qu'elles ont permis que ne soient pas doublement imposés, par le biais d'un avoir fiscal dont ni le principe ni le montant ne sont contestés, les dividendes des titres empruntés ou rachetés à réméré par la banque, conformément aux intentions des auteurs du texte".
On notera sur ce sujet que la cour administrative de Paris ne s'éloigne pas des conclusions de Monsieur le commissaire du Gouvernement, Laurent Olléon, figurant sous l'arrêt "Janfin", lequel rappelait, à propos de l'utilisation d'avoirs fiscaux, qu'au cas d'espèce les infractions de "fictivité" et de "fraude à la loi" ne se trouvaient pas, à son sens, constituées.
En ce qui concerne la "fictivité", celle-ci n'était pas effectivement, selon lui, constituée, dans cette affaire, en l'absence de montage artificiel au sens "d'une construction juridique traduisant un minimum de complexité", dans la mesure où le contribuable s'est livré à "une pratique usuelle" d'achat de titres suivie de la perception de dividendes et d'avoirs fiscaux attachés à ces derniers et de vente de ces mêmes titres, nonobstant le "délai très court dans lequel ces opérations se sont déroulées".
En ce qui concerne "la fraude à la loi", celle-ci n'était pas, dans la même affaire, à son sens également, constituée dans la mesure où il "n'y a pas eu création artificielle d'un avoir fiscal, mais seulement changement de bénéficiaire [...] remplissant les conditions légales" étant observé qu'il ne voit pas en quoi l'opération "constitue un détournement de la finalité du dispositif, de la raison d'être de l'avoir fiscal [traduisant] cet excès d'habilité, pour reprendre l'expression du Professeur Cozian".
Cette décision nécessite de revenir sur la notion de "fraude à la loi" et, notamment, sur sa condition d'application relative "au but purement ou exclusivement fiscal" (1) ainsi que sur les conditions d'applications de la substitution de base légale tant au regard de la saisine des commissions (2) que de la motivation des pénalités susceptibles d'être appliquées (3).
1. L'abus de droit ou la "fraude à la loi" et la notion de "but purement ou exclusivement fiscal"
En effet, M. Olivier Fouquet commentant une récente décision du Conseil d'Etat du 28 février 2007 (v. O. Fouquet, Fraude à la loi et abus de droit : Dr. fisc. 2006, n° 47, p. 1999 ; Note sous CE 9° et 10° s-s., 28 février 2007, n° 284565, Persicot N° Lexbase : A4284DU9 : Dr. fisc. 2007 n° 14, comm. 386 ; Frédéric Dal Vecchio, Abus de droit : la saga continue !, Lexbase Hebdo n° 256 du 19 avril 2007 - édition fiscale N° Lexbase : N6819BAS) a été amené à résumer le sens de la jurisprudence en cours en ce "qu'il résulte", selon lui, "de la combinaison des jurisprudences Sté Janfin et Min. c/ Sagal, que la recherche d'un but exclusivement fiscal ne suffit pas, à elle seule, à caractériser une fraude à la loi ou un abus de droit si l'obtention de l'avantage fiscal n'est pas en l'espèce contraire aux objectifs poursuivis par le législateur ou si le montage permettant d'obtenir l'avantage fiscal comporte une substance juridique et économique interdisant de le qualifier de purement artificiel".
On observera, dans un arrêt récent du 5 mars 2007, que le Conseil d'Etat (CE, 3° et 8° s-s-r., 5 mars 2007, n° 284457, Selarl Pharmacie des Chalonges [LXB=A6799DUD ]) est allé jusqu'à considérer que "même lorsque le contribuable conclut un contrat dans l'unique but d'atténuer ses charges fiscales, celui-ci ne peut pas constituer un abus de droit au sens des dispositions [de l'article L. 64 du LPF], lorsque la charge fiscale de l'intéressé ne se trouve en réalité pas modifiée par cet acte".
A cet endroit, il sera rappelé que les cours et tribunaux "ne sont pas liés par la qualification donnée par les parties" et qu'ils "peuvent toujours rectifier la qualification des contrats qui leur sont soumis". S'agissant de la qualification, cette dernière "doit traduire la volonté réelle des parties" étant observé que "souvent, ce sont les parties qui ont inexactement qualifié leur contrat : le nom qu'elles lui ont donné n'en traduit pas l'économie véritable. Parfois, la qualification inexacte tient à l'ignorance" et "parfois, elle est volontairement mensongère, car les parties ont le désir d'éluder une règle impérative, notamment une règle fiscale [...] ; par exemple, afin d'échapper aux lourds droits fiscaux grevant une donation, elles ont déguisé le contrat sous le vêtement' d'une vente, beaucoup moins taxée : la qualification est frauduleuse " (Philippe Malaurie et Laurent Aynès, Les contrats spéciaux, éditions Cujas, 2ème édition, 1988, n° 15, p. 19).
Si la Cour de cassation ne s'est pas encore, à notre connaissance, prononcée sur la notion de "la fraude à la loi" dans les hypothèses d'abus de droit hors du champ d'application de l'article L. 64, en revanche, elle a récemment, dans une décision, eu l'occasion de rappeler sa définition "du but exclusivement fiscal", en sanctionnant comme constitutive d'une cession de fonds de commerce l'opération d'apport, faite par une société de son fonds de commerce d'hypermarché à la société filiale d'un groupe d'hypermarché (créée à cet effet), rémunérée par l'émission d'actions de la seconde au profit de la première, suivie quelques jours après de la cession de la totalité des titres à la société mère de la filiale du groupe d'hypermarché (Cass. com., 20 mars 2007, n° 05-20.599, F-D N° Lexbase : A7417DUA).
La Cour de cassation a considéré, dans cette affaire, sans s'éloigner de la conception du "but exclusivement fiscal" donnée par les juridictions administratives, que l'opération, faite "en dehors de toute prise de risque inhérente à l'apport en société et en dehors de toute logique économique [et] l'enchaînement des ces opérations sur une courte période, se justifiait par la poursuite d'un but exclusivement fiscal, consistant à éluder le paiement des droits de mutation à titre onéreux, de sorte que l'administration était fondée à requalifier cette opération en une vente consentie" par la société ayant fait apport de son fonds de commerce à la société filiale de la société mère du groupe d'hypermarché, société interposée et créée apparemment pour les besoins de l'opération.
A l'inverse, sur l'influence du "facteur temps" et l'interposition d'une structure juridique dans les opérations d'ingénierie fiscale au regard de l'abus de droit, on rapprochera cet arrêt de celui précité du Conseil d'Etat du 28 février 2007. Cette jurisprudence écarte l'existence d'un abus de droit dans une affaire dans laquelle une société anonyme, à "prépondérance immobilière", rachète ses titres que ses associés avaient préalablement cédés à une société civile particulière (appartenant aux mêmes associés), moyennant l'attribution à cette dernière société d'immeubles et de droits immobiliers inscrits à l'actif de son bilan. En effet, le Conseil d'Etat a considéré que les associés de la société anonyme n'avaient pas, préalablement à l'opération de rachat par cette société de ses propres actions, cédé leurs titres à la société civile particulière en vue d'échapper à l'imposition qu'ils auraient eue à supporter, en application de l'article 161 du CGI (N° Lexbase : L2470HNS), à raison du boni recueilli d'un rachat direct de ses actions par la société anonyme. Le Haut conseil a considéré qu'il n'y avait pas eu, au cas d'espèce, d'imposition éludée dans la mesure où la société civile particulière (interposée) avait été constituée entre les différents associés concernés quatre jours avant l'opération de transfert et qu'il "entrait dans son objet statuaire comme dans ses activités réelles de détenir et gérer des valeurs mobilières et des biens ou droits immobiliers tels que ceux qui lui ont été attribués par la société anonyme en contrepartie de l'annulation de ses propres titres".
En revanche, constitue un abus de droit "le fait pour un marchand de biens, de céder inutilement ses biens" dans le but "de lui permettre de respecter le délai de revente et de bénéficier de l'exonération de droit d'enregistrement visée à l'article 1115 du CGI (N° Lexbase : L6784HW8)" (Cass. com., 3 avril 2007, n° 06-10.702, F-P+B N° Lexbase : A9035DU8).
On notera, également, deux décisions de la cour administrative d'appel de Nantes (CAA Nantes, 1ère ch., 18 décembre 2006, n° 05NT00650, M. B. Simmenauer -1ère espèce - N° Lexbase : A6346DUL ; CAA Nantes, 1ère ch., n° 05NT00486, M. G. Bazire -2ème espèce- N° Lexbase : A6338DUB) prises dans des situations de fait identiques au regard de l'existence ou non d'un abus de droit, lorsque deux contribuables, le premier après avoir fait donation à ses enfants (1ère espèce) et le second à son épouse (2ème espèce) de titres de sociétés dans lesquelles ils exerçaient des fonctions de direction, ont été apportés à des sociétés civiles créées à cet effet, avec report d'imposition des plus-values, puis ensuite cédées à une société constituée soit entre le contribuable et les membres de sa famille (1ère espèce), soit entre un tiers et le contribuable lequel disposant d'un pourcentage de détention dans cette nouvelle société proche de 50 % (2ème espèce).
Dans ces deux situations, l'administration a soutenu que la création des sociétés civiles avait été réalisée dans un but exclusivement fiscal permettant aux contribuables de vendre les actions reçues par donation puis apportées à des sociétés créées pour l'occasion en évitant de supporter immédiatement l'imposition des plus-values qui auraient été dues s'ils avaient vendu directement leurs actions.
Dans ces deux affaires, la cour observe, préalablement, que l'administration ne peut faire usage des pouvoirs qu'elle tient des dispositions de l'article L. 64 du LPF, "lorsqu'elle entend contester le fait, pour un contribuable, de solliciter le report d'imposition d'une plus-value déclarée dans les conditions prévues par l'article 160-1 ter du Code général des impôts (N° Lexbase : L2652HLS), dès lors qu'une telle demande qui ne déguise, par elle-même, ni la réalisation, ni le transfert de bénéfices ou de revenus, n'entre pas dans les prévisions précitées du b) de l'article L. 64 du Livre des procédures fiscales ; que l'administration n'était dès lors pas fondée à procéder aux rappels contestés sur la base de ces dispositions".
C'est donc à défaut d'application de l'abus de droit visé à l'article L. 64 du LPF et sur demande de substitution de base légale de l'administration que "la fraude à la loi" trouve, le cas échéant, à s'appliquer.
La cour a, en effet, considéré, dans la première espèce, que "dans ces conditions, et compte tenu du court délai écoulé entre l'apport et la revente des actions par la société [...], et du fait que le contribuable a en réalité appréhendé au cours de la même année via cette société familiale qu'il contrôle entièrement le produit de la vente des actions, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve de ce que la demande de report d'imposition des plus-values reposait sur une construction visant exclusivement à éluder ou à atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées au titre de l'année [d'imposition] eu égard à sa situation et à ses activités réelles ; qu'elle revêt, dès lors, le caractère d'une fraude à la loi".
La cour poursuit, dans la seconde espèce, en considérant que, si le requérant soutient que la création de la société civile interposée "n'était motivée que pour servir de structure à un investissement professionnel qu'il envisageait dans la région parisienne, il n'établit pas cependant que ce projet dépendait de la création préalable d'une société civile ayant opté pour l'impôt sur les sociétés et était en revanche indépendant de la vente des actions de la SA ; [...] dans ces conditions, et compte-tenu du court délai entre l'apport et la revente des actions par la société civile, et du fait que le contribuable a appréhendé au cours de la même année via cette société familiale qu'il contrôle le produit de la vente des actions, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve de ce que la demande de report d'imposition de la plus-value reposait sur une construction visant exclusivement à éluder ou à atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées au titre de l'année [d'imposition], eu égard à sa situation et à ses activités réelles ; [...] elle revêt, dès lors, le caractère d'une fraude à la loi".
La création des sociétés dans les deux cas pour les besoins de l'opération avait, donc, pour seul motif, selon la cour, de permettre aux contribuables de se placer abusivement dans le champ d'application des articles 160 I ter 4 et 92 B II (N° Lexbase : L1933HL8) du CGI.
2. Sur les conditions d'application de la substitution de base légale au regard de la saisine des commissions
Il convient de rappeler que la procédure d'abus de droit et celle de "la fraude à la loi", hors du champ d'application du texte de l'article L. 64 du LPF, sont toutes deux des procédures contradictoires. Il s'ensuit que, si dans la première hypothèse l'administration se doit de proposer au contribuable la saisine du Comité de répression des abus de droit (CRAD), en revanche, la question de la saisine de la Commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, ainsi que de la Commission de conciliation, dans la seconde hypothèse, revêt un caractère inédit et est susceptible de soulever une difficulté dans le cas d'une substitution de base légale de la procédure de "la fraude à la loi" à celle de l'abus de droit, notamment, dans le cas d'existence d'éléments de faits.
On notera, à cet endroit, qu'à l'inverse, si l'administration conduit à tort son redressement sur le terrain de la théorie jurisprudentielle "de la fraude à la loi", elle ne pourra, devant le juge de l'impôt, réclamer la substitution à cette base légale celle de l'article L. 64 du LPF, dans la mesure où le contribuable aura été privé de la garantie que constitue la saisine du CRAD.
Dans les deux dernières affaires précitées, s'est posée, en effet, la question de savoir si, à défaut de pouvoir saisir le CRAD, dans la mesure où le litige n'entrait pas dans le champ d'application de l'article L. 64 du LPF, les contribuables pouvaient saisir la Commission des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires.
La réponse de la cour est, sur ce point, négative dès lors que la Commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires n'est pas compétente pour examiner un litige portant sur le bénéfice d'un report d'imposition prévu par les articles 160 I ter et 92 B II du CGI et qu'au cas d'espèce il n'y avait pas de désaccord sur le montant des plus-values imposées. Dans ces conditions, la cour constate qu'il n'y a pas eu, en l'espèce, de violations des garanties du contribuable en sorte qu'elle pouvait faire droit à la demande de substitution de base légale présentée par l'administration.
On observera que sur "le risque de compétence concurrente de la commission départementale des impôts et du Comité consultatif" pour la répression des abus de droit, si on ne peut complètement l'écarter en raison de l'élargissement de la compétence de la Commission à l'appréciation "des éléments de qualification juridique", ce risque, selon M. O. Fouquet, "n'a en en tout état de cause que peu de chance de se poser", dans la mesure où "les impôts exclus du champ d'application de l'article L. 64 du LPF n'entrent pas dans la compétence de la commission départementale" (v. O. Fouquet, Fraude à la loi et abus de droit : Dr. fisc. 2006, n° 47, p. 1999).
3. Sur les conditions d'application de la substitution de base légale au regard de la motivation des pénalités
En premier lieu, on peut s'interroger sur le point de savoir si la fraude à la loi est susceptible d'être invoquée dans des situations qui n'impliqueraient ni l'intention, ni le manquement délibéré (la mauvaise foi).
Il sera rappelé que l'erreur commise par l'administration sur le champ d'application de l'article L. 64 du LPF peut la conduire, non seulement, à substituer à cette base légale celle du principe général de répression de "la fraude à la loi", mais également, à substituer à la pénalité pour abus de droit les pénalités du droit commun. Toutefois, cette substitution de base légale au niveau des pénalités est subordonnée par la jurisprudence à une double condition. La première (condition générale), selon laquelle "la substitution ne doit priver le contribuable d'aucune des garanties de procédure prévue par la loi" et la seconde (condition spéciale), selon laquelle "les faits que l'administration invoque au soutien de sa demande de substitution de base légale doivent être ceux qu'elle avait retenus pour motiver la pénalité initialement appliquée". Selon toujours la jurisprudence, "la première condition sera remplie dès lors que l'administration, appliquant à tort l'article L. 64 du LPF, aura suivi la procédure contradictoire" et "la seconde condition sera également remplie le plus souvent dans la mesure où les faits retenus par l'administration pour caractériser l'abus de droit pourront probablement être retenus pour qualifier une absence de bonne foi ou des manoeuvres frauduleuses" (v. O. Fouquet, Fraude à la loi et abus de droit : Dr. fisc. 2006, n° 47, p. 1999).
Un début de réponse est peut-être donné par M. O. Fouquet à propos de l'application des pénalités, notamment celles de manoeuvres frauduleuses, en précisant "qu'on ne saurait exclure a priori qu'un montage pourtant jugé abusif n'ait pas pour autant contribué à égarer l'administration dans son pouvoir de contrôle [...], il pourrait en être ainsi lorsque la simplicité ou la rusticité du montage ne peut laisser aucun doute à l'administration sur le but poursuivi par le contribuable".
En second lieu, la réponse ainsi apportée à cette question soulève une autre relative à l'application automatique ou non des pénalités dans les cas d'application de "la fraude à la loi". Une des questions qui se pose est, en effet, de savoir si l'administration a la faculté ou non d'infliger des pénalités et quel type de pénalités ?
Il doit être rappelé que s'agissant des rectifications qui entrent dans le champ d'application de "la fraude à la loi" les sanctions de droit commun trouvent à s'appliquer.
Ainsi, trois types de pénalités sont susceptibles d'être infligés par l'administration en cas d'application de "fraude à la loi", la majoration de 40 % pour manquement délibéré (anciennement "mauvaise foi"), la majoration de 80 % pour manoeuvres frauduleuses ainsi que les pénalités pour taxation d'office.
On observera que le caractère automatique se trouve atténué par l'obligation faite à l'administration de procéder à leur motivation au sens de l'article L. 80 D du LPF (N° Lexbase : L8025AEX).
L'administration a, dans les deux affaires précitées, substitué à la pénalité d'abus de droit, visée à l'article L. 64 du LPF, celle prévue au même taux par les dispositions de l'article 1729 du CGI (N° Lexbase : L6792HWH) concernant les hypothèses dans lesquelles les contribuables se sont rendus coupables de manoeuvres frauduleuses.
En effet, "le champ de la pénalité pour abus de droit est clairement circonscrit par l'article 1729 du CGI" qui "se limite aux cas d'abus de droit réprimés selon la procédure prévue à l'article L. 64 du LPF" en sorte qu'un "redressement pour abus de droit prononcé sur le fondement de la théorie jurisprudentielle de l'abus de droit ne pourra donc pas être assorti de cette pénalité" ; mais, en revanche, rien n'empêchera l'administration d'infliger, si elle l'estime justifié, des pénalités pour manoeuvres frauduleuses, fixées elles aussi au taux de 80 %.
La cour a déchargé les contribuables de la pénalité de 80 % qui leur a été infligée au motif tiré de ce "qu'en se bornant à se référer aux considérations de fait caractérisant une fraude à la loi et résultant de l'application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, le ministre n'établit pas que [les contribuables] aient créé des apparences de nature à égarer l'administration dans l'exercice de son pouvoir de contrôle".
La cour reproche, donc, à l'administration de s'être référée par simple automatisme à une pénalité d'une même disposition substituée à une autre pour les besoins de la procédure sans en préciser au cas d'espèce les conditions d'application.
La jurisprudence entend par "manoeuvres frauduleuses" les actes, opérations, artifices, agissements, procédés ou manoeuvres destinés à égarer, restreindre ou rendre plus difficile le pouvoir de vérification ou de contrôle de l'administration (CE, Contentieux, 23 février 2000, n° 187055, SARL Paris Hong-Kong N° Lexbase : A0387AUU ; RJF 2000, n° 534 ; CE Contentieux, 1er juin 1990, n° 67053, Ministre du Budget c/ Gruson [LXB=A4755AQ8 ] : Dr. fisc. 1990, com. 2158).
Elle subordonne la qualification de "manoeuvres frauduleuses" à deux conditions, la première relative à la démonstration d'une "action consciente et personnelle du contribuable" et, la seconde à celle d'un "montage créant des apparences de nature à égarer l'administration dans son pouvoir de contrôle" (v. O. Fouquet, études, notes et commentaires précités).
En effet, comme le fait remarquer M. O. Fouquet dans ses différents commentaires "à la différence de la pénalité pour abus de droit de 80 %, les pénalités de droit commun ne sont pas automatiquement liées à la qualification qui leur est propre [...], il appartient dès lors à l'administration d'établir les faits qui permettent de caractériser la pénalité applicable".
© Reproduction interdite, sauf autorisation écrite préalable
newsid:279302