La lettre juridique n°258 du 3 mai 2007 : Éditorial

Variations sur une liberté professionnelle monnayée

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N9291BAD

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Variations sur une liberté professionnelle monnayée. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/article-juridique/3209080-variations-sur-une-liberte-professionnelle-monnayee
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par Fabien Girard de Barros, Directeur de la rédaction

le 27 Mars 2014



- Principe : "Ce n'est pas par la satisfaction du désir que s'obtient la liberté, mais par la destruction du désir" - Epictète

Illustration : Partant de "l'exigence d'une contrepartie financière à la clause de non concurrence [qui] répond à l'impérieuse nécessité d'assurer la sauvegarde et l'effectivité de la liberté fondamentale d'exercer une activité professionnelle", Christophe Radé, Professeur à l'Université Montesquieu-Bordeaux IV et Directeur scientifique de Lexbase Hebdo - édition sociale, propose cette semaine d'aborder cette épineuse question : faut-il imposer le versement d'une compensation pour toutes les clauses qui restreignent la liberté d'exercice professionnel du salarié ? Si en l'état actuel de la jurisprudence, certains indices peuvent le laisser penser, l'auteur envisage quelles pourraient être les clauses ainsi concernées (la clause de dédit-formation, les clauses d'exclusivité...) et selon quelles modalités. En la matière, il s'agit, alors, de faire preuve de pragmatisme ; la restriction de liberté professionnelle, toute indemnisée qu'elle soit, ne revêt pas la même importance, selon les responsabilités et la rémunération du salarié concerné. Mais, ce faisant, la liberté professionnelle monnayée corrompt-elle le désir de liberté ? Autrement dit, le fait d'obtenir une contrepartie financière à l'annihilation de son désir de liberté professionnel relève-t-il toujours de la liberté ?

- Principe : "La liberté existe toujours. Il suffit d'en payer le prix" - Henry de Montherlant

Illustration : Dans un arrêt du 20 mars 2007, la Chambre criminelle de la Cour de cassation précise qu'une des conditions pour qu'un chômeur indemnisé puisse exercer une activité pendant qu'il bénéficie du revenu de remplacement est que l'exercice de cette activité n'ait pas pour effet de l'empêcher d'accomplir des actes positifs de recherche d'emploi. Selon Christophe Willmann, Professeur à l'Université de Rouen, la nouveauté tient précisément à cette condition (effectuer des actes positifs de recherche d'emploi) que les textes ne contiennent pas et que jusqu'à présent, la jurisprudence ne mentionnait pas. Pour la Haute juridiction, le chômeur n'est pas pénalement sanctionnable si l'activité de dirigeant est compatible avec une recherche d'emploi ; mais la relaxe de fraude aux prestations d'assurance chômage ne peut être prononcée si le chômeur dirigeant d'entreprise consacre l'exclusivité de son temps et énergie à la société qu'il dirige, et néglige d'accomplir des actes positifs de recherche d'emploi. L'arrêt illustre, en fait, le caractère très délicat de la notion d'activité professionnelle exercée par un chômeur, dont le régime oscille entre autorisation et interdiction (éventuellement pouvant donner lieu à sanctions). Face à une législation qui tente d'enrayer les "trappes à l'inactivité", la Cour de cassation pourrait bien décourager ceux qui, progressivement, créent leur emploi pour sortir de l'inactivité ; et l'on sait que les premiers fruits d'une entreprise tardent souvent à venir... Finalement quel est le prix à payer pour cumuler indemnités de chômage et liberté d'entreprendre ?

- Principe : "La liberté est le droit de faire ce que les lois permettent" - Montesquieu

Illustration : La Cour de cassation décide, dans un arrêt du 4 avril 2007, que la simple négociation d'une transaction avant l'envoi de la lettre de licenciement entraîne la nullité de cette transaction. Ce faisant, la Cour suprême semble pousser encore plus loin sa jurisprudence classique aux termes de laquelle la transaction ne peut être conclue qu'une fois la lettre de licenciement reçue par le salarié. Pour Stéphanie Martin-Cuenot, Ater à l'Université Montesquieu Bordeaux IV, comment peut-on proposer à un salarié d'accepter une transaction alors même qu'il n'est pas en mesure d'apprécier les concessions que lui fait l'employeur, faute d'avoir eu la possibilité de prendre connaissance de ce qui lui était reproché ? C'est impossible, eu égard, non seulement à l'objet de la transaction, mais encore au respect de l'ordre public social. La liberté de s'accorder et de transiger ne peut donc que se confondre avec les libertés accordées expressément par la loi...

Au final, "le droit est [bien] l'ensemble des conditions qui permettent à la liberté de chacun de s'accorder à la liberté de tous" - Emmanuel Kant

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